PARASITISME ET ENVIRONNEMENT
Veille scientifique
Auteur(s) : Céline Lardy
Fonctions : Le Point Vétérinaire, Immeuble le Berkeley
19-29, rue du Capitaine-Guynemer
92903 Paris La Défense
Les milieux humides, favorables aux parasites, sont régis par la convention de Ramsar et font l’objet d’un plan national de préservation. La gestion raisonnée du parasitisme lié au pâturage dans ces zones en est l’un des enjeux.
L’impact environnemental des traitements antiparasitaires des bovins est un sujet de débat depuis de nombreuses années. En 1995, la mise sur le marché des bolus d’ivermectine a ravivé le débat sur la question de la toxicité de cette molécule pour les insectes coprophages. En pleine crise sanitaire de l’encéphalopathie spongiforme bovine et de la fièvre aphteuse, c’était une pierre de plus dans le jardin médiatique. Le débat opposait alors les partisans de son interdiction, pour éviter un problème massif de dégradation des bouses, aux défenseurs de son utilisation dans les traitements antiparasitaires en raison de son efficacité. La pression est retombée après le retrait du marché du bolus en cause en 2003.
Après de longs débats initiés dans les années 1980 sur l’impact des traitements antiparasitaires sur la dégradation des bouses, la question de la toxicité des vermifuges bovins ne se pose plus vraiment en ces termes [6]. Si la dégradation des bouses n’est plus le principal sujet évoqué (les facteurs physiques et climatiques étant essentiels dans nos régions tempérées), en revanche, le respect de la biodiversité, la protection de l’environnement et une demande de la société pour la réduction des intrants chimiques en élevage sont des aspects à prendre en compte. À cela s’ajoute la question de leur utilisation dans les espaces naturels protégés. Pionniers dans la limitation de leur usage, les acteurs des parcs nationaux ont permis d’étendre ces considérations à l’ensemble de la filière.
Actuellement, c’est dans un climat plus serein et sous une pression moins forte que les acteurs des filières et de la protection de l’environnement travaillent conjointement à un usage raisonné des antiparasitaires et à la préservation globale des écosystèmes prairies dans lesquels les bovins ont une place importante (photo 1).
Une étude avait déjà montré en 1975 que les insectes coprophages contribuaient à limiter l’éclosion des larves de strongles dans les bouses [3]. Paradoxalement, le traitement antiparasitaire, en diminuant la population de coprophages, pourrait donc contribuer à créer des conditions favorables au développement des parasites.
Cependant, il est évident que le traitement antiparasitaire des animaux est nécessaire à leur bien-être et à la rentabilité de l’élevage.
La préservation de ces milieux est un dossier écologique mondial majeur, régi par la convention de Ramsar, le traité intergouvernemental servant de cadre pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources (encadré 1).
En effet, les milieux humides jouent un rôle majeur dans le maintien de la biodiversité et dans la protection de certaines espèces, mais ils remplissent également des services écosystémiques (tableau).
En France, comme dans beaucoup de pays, ils génèrent également un tourisme et des activités de loisirs importants localement (photo 2).
Les parasites les plus pénalisants sont favorisés, voire inféodés aux zones humides : strongles digestifs, grande douve, paramphistomes, dictyocaules, etc.
Déjà inscrite dans le Code de l’environnement, la préservation des milieux humides fait l’objet d’un vaste plan de protection, dont la troisième mouture a été rendue publique en 2014 (encadré 2) [4].
Ce plan “milieux humides” comporte quatre objectifs :
renforcer la prise en compte des milieux humides dans l’aménagement urbain, la prévention des inondations et la lutte contre le changement climatique ;
mettre en place une véritable stratégie de préservation et de reconquête de leurs fonctions, en métropole ou en outre-mer, en associant l’ensemble des acteurs mobilisés ;
développer une carte de référence à l’échelle nationale pour disposer rapidement d’une vision globale de la situation de ces milieux ;
développer la connaissance et la formation à la gestion de ces milieux.
La mise en œuvre de ce plan sera suivie et évaluée fin 2018 par le Groupe national pour les milieux humides qui se réunira au moins une fois par an. Des groupes techniques plus restreints seront créés autant que de besoin pour la mise en œuvre des différents groupes d’action.
Le troisième plan d’action national en faveur des zones humides définit les actions à mener selon différents axes. Pour la gestion du parasitisme en milieu humide, il prévoit notamment la publication à terme d’un document de synthèse sur les méthodes diagnostiques et de conseil pour la gestion du parasitisme en milieu humide (encadré 3). Les vétérinaires y sont impliqués explicitement, les référents pour ce projet étant l’association Vét’el, réseau de vétérinaires de Nord-Picardie. Cette structure a déjà été associée à des actions locales, sur ce même thème et dans son secteur géographique.
L’étude de la toxicité environnementale des antiparasitaires est un volet important du processus de validation des autorisations de mise sur le marché (AMM) par l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) [1]. Des processus d’évaluations technique et scientifique déterminent la qualité, l’efficacité et l’innocuité pour l’animal, le consommateur et l’environnement.
Le risque pour l’environnement est évalué en deux phases, suivant l’approche VICH (Veterinary International Conference on Harmonization) (encadré 4).
La phase I permet d’identifier les substances nécessitant une évaluation plus approfondie lors de la phase II (sur la base du niveau d’exposition).
Les médicaments antiparasitaires pour animaux au pâturage (quelle que soit la concentration prévisible dans le sol calculée en phase I) rentrent systématiquement en phase II, en raison de leur activité biocide et de leur forte excrétion fécale. Cette étape consiste à étudier le devenir (tiers A) et les effets de la substance sur les organismes terrestres et aquatiques (tiers B), sur la base des propriétés de la substance et de son devenir (dégradation, absorption) dans l’environnement, afin d’établir son caractère PBT (persistant, bioaccumulable, toxique) (figure).
Lorsque le risque toxique est élevé, le fabricant doit indiquer des mesures de gestion du risque à l’efficacité démontrée dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), afin de limiter le risque environnemental selon des recommandations compatibles avec les bonnes pratiques agricoles et la réglementation européenne.
Si ces mesures ne sont pas jugées satisfaisantes ou que le rapport bénéfice/risque n’est pas favorable, l’AMM du médicament peut être refusée.
En pratique, ces mesures ne prennent pas en compte les particularités locales. Ce sujet complexe est particulièrement difficile à harmoniser entre les différents pays, chacun possédant son propre niveau d’exigence. La gestion du risque est ainsi souvent transférée à l’éleveur.
Des mesures de gestion doivent figurer dans les RCP des antiparasitaires. Ils visent à réduire le risque sur les écosystèmes aquatiques et la faune coprophage (photo 3).
Pour les lactones macrocycliques, il est indiqué que « le risque pour les écosystèmes aquatiques et les bousiers peut être réduit en évitant d’utiliser la substance de façon fréquente et répétée (ainsi que tous les autres produits appartenant à la même classe d’anthelmintiques) chez les ovins et les bovins. Le risque pour les écosystèmes peut encore être diminué en tenant les bovins traités à l’écart de tout plan d’eau pendant 2 à 5 semaines après le traitement ».
De même, pour la deltaméthrine, le RCP indique : « Le risque peut être réduit en évitant toute utilisation trop fréquente et répétée de la deltaméthrine sur les bovins et les ovins, par exemple en utilisant un seul traitement par an sur un même pâturage. »
Fortement impliqués dans la gestion du parasitisme, sur les plans sanitaire et bien-être animal, les vétérinaires devront de plus en plus compter avec les considérations écologiques et environnementales. Si, pour l’heure, les contours sont encore flous, la politique est claire et cadre avec les notions d’agroécologie et de développement durable.
La gestion des zones humides, source de richesses, a permis de lancer cette initiative, qui entraînera sans doute un élargissement à d’autres milieux.
Aucun.
La convention de Ramsar définit les zones humides comme étant « des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres ».
Cette définition couvre donc aussi bien les zones humides intérieures (les lacs, rivières et marais) que côtières (les vasières, mangroves, marais salins et récifs coralliens).
Le Code de l’environnement instaure et définit l’objectif d’une gestion équilibrée de la ressource en eau (article L. 211-1 du Code de l’environnement). À cette fin, il vise en particulier la préservation des zones humides. Il affirme le principe selon lequel la préservation et la gestion durable des zones humides sont d’intérêt général. Il souligne que les politiques nationale, régionale et locale d’aménagement des territoires ruraux doivent prendre en compte l’importance de la conservation, l’exploitation et la gestion durable des zones humides qui sont au coeur des politiques de préservation de la diversité biologique, du paysage, de gestion des ressources en eau et de prévention des inondations. En conséquence, les aides publiques doivent être attribuées pour soutenir une agriculture, un pastoralisme, une sylviculture, une chasse, une pêche et un tourisme adaptés à la gestion durable des zones humides (article L. 211-1-1 du Code de l’environnement).
Le point 21 est destiné à améliorer la gestion sanitaire des troupeaux en milieu humide.
Cette action permettra de publier un document de synthèse sur les méthodes de diagnostic et de conseil pour la gestion durable du parasitisme en milieu humide et d’organiser la diffusion de l’information sur la gestion durable du parasitisme et la formation des éleveurs et vétérinaires.
Cette action sera mise en oeuvre par l’association Vét’el.
Phase I
Estimation de l’exposition du risque par calcul de la PEC (predicted environmental concentration) dans les eaux de surface [7].
Si PEC < 1 mg/l : pas de risque et pas d’étude supplémentaire.
Si PEC > 1 mg/l, le concept PBT (persistant, bioaccumulable, toxique) doit être investigué et la phase II alors déclenchée.
Phase II
→ Analyse des effets sur l’environnement (identification et caractérisation du danger) par la PNEC (concentration prédictive sans effet).
→ Elle est mise en route si PEC >1 mg/l ou si la molécule présente un risque particulier (antiparasitaires pour animaux au pâturage, perturbateurs endocriniens, etc.).
→ Tiers A : devenir du produit et de ses effets dans l’environnement. Il s’agit du calcul du coefficient d’adsorption (Koc), de tests d’inhibition de la croissance sur algue, de reproduction sur la daphnie, de premiers stades de la vie des poissons.
→ Tiers B : réalisation de tests sur des espèces biologiques spécifiques en fonction des résultats de la première partie. Elle se conclut par la comparaison de la PNEC et de la PEC qui est l’étape ultime de caractérisation des risques.
→ Calcul du quotient de risque (risk quotient) : RQ = PEC/PNEC : classification du risque < ou > 1 :
- si < 1, arrêt de la phase II ;
- si > 1, l’industriel poursuit des études plus complexes pour affiner le calcul de la PEC (en tenant compte du métabolisme et de la dégradation). Si le RQ est inchangé, l’industriel doit proposer des mesures de sécurité et de précaution appropriées à respecter lors de l’administration et de l’élimination des déchets, pour limiter le risque environnemental de ce produit. Ces mesures, mentionnées obligatoirement dans le résumé des caractéristiques du produit, doivent diminuer l’exposition, être compatibles avec les bonnes pratiques agricoles et avec la réglementation européenne, et avoir démontré leur efficacité.
→ Les antiparasitaires, à activité biocide et à excrétion fécale, entraînent des perturbations de la faune non cible.
→ La convention de Ramsar a initié la préservation des zones humides.
→ Le troisième plan national en faveur des milieux humides implique les vétérinaires en tant qu’acteurs centraux dans la gestion du parasitisme.
→ Dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché, une étude d’écotoxicité est obligatoire pour les antiparasitaires. Lorsque le quotient de risque est élevé, les fabricants doivent proposer des mesures pour en limiter les effets toxiques.
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