CARDIOLOGIE BOVINE
Avis d’expert
Auteur(s) : Florine Parsis*, Bérangère Ravary-Plumioën**
Fonctions :
*SCP Seguin-Decante,
rue du Coulas, 48500 Banassac
**Hospitalisation grands animaux,
Pathologie des animaux de production,
ENV d’Alfort ENVA,
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
L’échocardiographie permet d’objectiver la forme et l’ampleur des lésions. Un bourgeonnement valvulaire localisé a été le plus souvent observé.
Une étude rétrospective a été réalisée à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA, Maisons-Alfort) sur l’endocardite bovine, pour des cas suspectés et/ou avérés. Les données de l’anamnèse et de l’examen clinique ont été confrontées aux résultats de l’autopsie pour 79 cas suivis au service Hospitalisation grands animaux (HGA) entre 2009 et 2017, suspects ou/et avérés atteints d’endocardite (86 % des cas). Cette étude a aussi montré l’intérêt respectif de différents examens complémentaires pratiqués dans certains cas chez ces bovins [16]. Des lésions valvulaires ont été visualisées par échocardiographie chez deux tiers des bovins échographiés (seuls 50 à 84 % des bovins de l’étude ENVA ont été échocardiographiés selon les années, car certains ne présentaient pas de signes d’appel cardiaques et d’autres sont morts avant la réalisation de l’examen. L’échocardiographie a été plus systématique à partir de 2013-2014, en raison de la disponibilité d’un appareil et de personnel dédié).
Les analyses sanguines se sont révélées moins éclairantes pour le diagnostic. Les données observées sont ici confrontées aux données publiées.
Les examens complémentaires les plus faciles à entreprendre pour tout vétérinaire praticien sont des analyses sanguines. Dans un contexte d’infection, comme c’est le cas lors d’endocardite (la fièvre peut être un signe d’appel(1)), les anomalies attendues sont biochimiques : une hyperfibrinogénémie, une hypergammaglobulinémie et une hypoalbuminémie peuvent être observées. Elles sont aussi hématologiques : une anémie non régénérative, une leucocytose neutrophilique et, parfois, une monocytose sont rapportées [1, 13, 17]. Toutefois, une affection intercurrente accompagne souvent la cardiopathie et peut interférer. Ces anomalies ne sont pas spécifiques d’une endocardite. Elles ne peuvent donc constituer un outil diagnostique de certitude [8, 17].
L’examen biochimique réalisé chez 32 bovins parmi les 68 atteints d’une endocardite avérée a révélé une hyperprotéinémie (> 80 g/l) dans 75 % des cas, une hypergammaglobulinémie (> 45 g/l) dans 91 % des cas ou encore une hypoalbuminémie (< 27 g/l) dans 84 % des cas.
L’étude réalisée à l’ENVA a aussi mis en évidence, chez les animaux atteints, la neutrophilie attendue (pour 78 % des 37 cas soumis à l’analyse). Celle-ci est souvent associée à une leucocytose (51 %), à une monocytose (57 %) et/ou à une lymphopénie (49 %). Chez certains animaux, des neutrophiles toxiques et/ou immatures ont été détectés.
Des signes d’anémie non régénérative étaient associés aux signes d’infection chronique chez 32 % des bovins.
→ Une augmentation d’autres marqueurs sériques de l’inflammation (haptoglobine et amyloïde A) est rapportée lors d’affection cardiaque bactérienne chez le bovin [15]. Les troponines cardiaques, protéines régulant les interactions entre actine et myosine dans le cadre du contrôle de la contraction musculaire, augmenteraient également (chez les carnivores domestiques, une élévation de leur concentration sérique est corrélée avec la sévérité de l’atteinte, prenant ainsi une valeur pronostique, mais aucune donnée n’existe chez les bovins [7, 14]).
→ Certaines modifications biochimiques peuvent aussi refléter l’atteinte fonctionnelle d’autres organes, à l’origine de l’endocardite ou secondairement à cette maladie. Ainsi, lorsqu’une endocardite de la valve tricuspide se complique d’une insuffisance cardiaque, une stase hépatique peut provoquer l’augmentation sérique des enzymes hépatiques (phosphatases alcalines, α-glutamyltransférases, alanine-aminotransférases, aspartate-aminotransférases), du cholestérol et de la bilirubine. De même, une augmentation des constantes rénales peut révéler une embolisation ou un infarctus du rein, conséquences de l’endocardite [1, 13, 17, 18].
L’échocardiographie se révèle être l’examen d’imagerie le plus informatif de l’arsenal diagnostique. Elle permet de visualiser directement des lésions de l’endocarde (diagnostic ante-mortem d’endocardite), voire d’évaluer la taille des différentes chambres cardiaques et de calculer la fraction de raccourcissement. Elle autorise donc une évaluation des conséquences fonctionnelles de l’endocardite, avec précision du stade évolutif et estimation possible du pronostic [3, 6, 8].
Dans l’étude ENVA, l’échocardiographie a permis de visualiser des lésions endocardiques chez 66 % des bovins suspects d’endocardite ayant subi une échocardiographie. Il s’agit le plus souvent d’images d’épaississement ou de bourgeonnement des valves.
Si les endocardites bactériennes sont le plus souvent valvulaires chez les bovins, l’endocarde mural est parfois atteint (photos 1 à 4). L’atteinte de la valve tricuspide a été la plus fréquente (43 %), comme cela a été précédemment décrit [10, 11, 17]. Puis a été retrouvée une atteinte de la valve mitrale (24 %), de l’endocarde mural (9 %), de la valve pulmonaire (3 %) et de la valve aortique (2 %). Des lésions multiples (atteinte de plusieurs valves) ont été identifiées dans 50 % des cas.
L’échocardiographie a permis d’objectiver la forme et l’ampleur des lésions. Un bourgeonnement valvulaire localisé a été le plus souvent observé (22 % des cas), qui peut être sévère (10 %). Dans certains cas, un simple épaississement de l’endocarde (19 %) a été visualisé. Un doute quant à la présence d’une lésion endocardique a été parfois émis (17 % des cas).
Le thrombus ne doit pas être confondu avec des structures cardiaques normales, telles que la bande modératrice du ventricule droit ou encore les muscles papillaires [5].
Une comparaison des données de l’échographie et de l’autopsie du cœur dans l’étude ENVA est intéressante. Ce moyen d’imagerie a permis une identification correcte des lésions dans 66 % des cas. L’identification lésionnelle n’a été que partielle (localisation correcte mais incomplète) dans 19 % des cas. Elle s’est révélée franchement erronée (localisation fausse ou visualisation par excès de lésions) dans 10 % des cas.
La discordance entre échographie et nécropsie peut s’expliquer.
Il est difficile de visualiser correctement toutes les valves lors de l’échocardiographie. L’examen n’a pas été systématiquement réalisé par la droite et par la gauche chez tous les bovins. La sonde utilisée n’était pas spécifiquement destinée au cœur (de type phase-array) mais sectorielle de type “abdominal” (plus encombrante).
Des obstacles ont aussi pu être rencontrés : présence des plèvres empêchant la visualisation du cœur sur toute l’image, animal peu coopératif (traction impossible du membre antérieur vers l’avant).
En définitive, l’ensemble des valves cardiaques n’ont pas toujours été examinées, d’où la sous-estimation des lésions, notamment pulmonaires et aortiques.
De plus, dans ce contexte hospitalier universitaire, au cours des 8 années d’étude, des erreurs d’interprétation ont pu être commises en raison du niveau de compétence de l’opérateur, notamment pour les cas les plus anciens. La description des lésions a aussi pu être mal retranscrite dans les dossiers.
→ Dans l’étude ENVA, la sensibilité de l’échocardiographie est comprise entre 68 et 92 % selon que les cas déclarés “douteux” ont été inclus dans la catégorie “positive” ou “négative”.
Sur de petits effectifs, des sensibilités de 75 à 100 % sont publiées pour la détection d’épaississements ou de bourgeonnements valvulaires chez les bovins (5 à 22 bovins) [5]. L’étude ENVA porte sur un nombre assez important de cas échographiés (58 bovins). La sensibilité de l’échocardiographie aurait atteint 92 % si les images douteuses avaient été considérées comme reflétant des cas débutants d’endocardite.
→ La spécificité est de 29 à 40 %. Elle n’a pu être comparée aux données publiées (aucune valeur trouvée). Nous pouvions nous attendre à des valeurs plus élevées étant donné la faible incidence d’autres anomalies valvulaires (non infectieuses) chez les bovins. De plus, la plupart des lésions se trouvent déjà à un stade avancé lors du diagnostic échographique, avec des lésions endocardiques développées [5]. “Notre” chiffre est médiocre (40 %), mais fondé sur un faible nombre de cas (4 cas “vrais négatifs” et 4 cas “faux positifs”). Pour calculer la valeur réelle de la spécificité, il aurait fallu s’intéresser à tous les bovins hospitalisés à l’ENVA et ayant subi une échocardiographie avec un diagnostic ou non d’endocardite.
→ Étendre l’examen échographique au parenchyme hépatique peut permettre d’objectiver un état d’insuffisance cardiaque congestive, via la mesure des diamètres de la veine cave caudale et de la veine porte (encadré) [2].
→ Dans le contexte d’usage raisonné des antibiotiques, une hémoculture (répétée plusieurs fois) peut permettre d’identifier les bactéries impliquées et de réaliser un antibiogramme si un traitement est entrepris [12].
→ D’autres examens complémentaires sont parfois rapportés dans un contexte hospitalier :
– la radiographie thoracique permet d’apprécier la silhouette cardiaque, l’aspect du parenchyme pulmonaire, et d’évaluer la veine cave caudale pour détecter une insuffisance cardiaque congestive [4, 9] ;
– un électrocardiogramme peut amener à visualiser une tachycardie sinusale, un élargissement du complexe QRS ou une déviation de l’axe électrique du cœur vers la droite [4].
En raison du développement actuel d’échographes portables munis de sondes basses fréquences (2,5 à 3,5 MHz), l’échocardiographie pourrait devenir un examen complémentaire accessible pour certaines cliniques vétérinaires. Une amélioration du diagnostic de l’endocardite bovine en pratique courante pourrait dès lors être observée, avec une diminution de l’ampleur du sous-diagnostic, donc du nombre de traitements (antibiotiques) vains, puisque le pronostic est généralement sombre.
(1) Voir l’article “Endocardite : une affection difficile à diagnostiquer sans échographie” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
Aucun.
→ Certaines modifications biochimiques ou échographiques peuvent refléter l’atteinte fonctionnelle d’autres organes (foie) à l’origine de l’endocardite ou secondaire à la maladie.
→ L’échocardiographie a permis une identification correcte des lésions dans 66 % des cas.
→ Un examen non systématique de toutes les valvules à l’échocardiographie peut induire une sous-estimation des lésions, notamment pulmonaires et aortiques (animal rétif, lésion des plèvres, sonde sectorielle trop large).
Une endocardite du cœur droit est susceptible d’induire une congestion hépatique à distance, par défaut de retour veineux. Cette stase vasculaire hépatique peut être mise en évidence par une échographie transcutanée du foie. Sur les 79 cas de l’étude, 31 échographies hépatiques ont été pratiquées. Huit cas (23 %) présentaient une dilatation de la veine cave caudale et/ou de la veine porte et des vaisseaux hépatiques, éventuellement associée à une hépatomégalie (photo 5). Parmi ces huit cas, cinq présentaient un foie “cardiaque” (congestion) à l’autopsie. Dans 20 cas (65 %), aucune anomalie n’a été détectée, ni retrouvée plus tard, à l’examen post-mortem, dans le foie.