CARDIOLOGIE
Article de synthèse
Auteur(s) : Florine Parsis*, Bérangère Ravary-Plumioën**
Fonctions :
*SCP Seguin-Decante,
rue du Coulas, 48500 Banassac
** Hospitalisation grands animaux,
Pathologie des animaux de production,
ENV d’Alfort ENVA,
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
Amaigrissement, tachycardie, pics d’hyperthermie et signes d’infections diverses devraient amener à suspecter une endocardite que seule l’échographie permet d’avérer du vivant de l’animal, les autres symptômes étant peu fiables.
Chez les bovins, une inflammation de l’endocarde mural ou valvulaire s’observe sporadiquement chez l’adulte. L’endocardite est principalement d’origine bactérienne. De nombreuses bactéries sont en cause, les plus fréquentes étant Trueperella pyogenes (autrefois baptisée “Arcanobacterium” ou “Corynebacterium”) et les streptocoques α-hémolytiques [10, 12]. Peu de vétérinaires suspectent cette affection du vivant de l’animal alors que le traitement est difficile dans le contexte économique de l’élevage actuel. En présence de signes d’insuffisance cardiaque, elle est à évoquer au même titre que la péricardite et le coeur pulmonaire (voire les tumeurs).
Une étude rétrospective visant à déterminer la prévalence et la symptomatologie de l’endocardite bovine ainsi que l’intérêt de l’échocardiographie a été réalisée à partir des dossiers cliniques de 79 bovins suspects et/ou atteints d’endocardite [8]. Les animaux suivis ont séjourné au service Hospitalisation Grands Animaux (HGA) de l’ENVA entre 2009 et 2017. La suspicion d’endocardite a été émise du vivant de l’animal (soit avant l’hospitalisation par le vétérinaire traitant ayant référé le cas, soit durant celleci) ou a été une découverte post-mortem (tous les cas ont été autopsiés).
Les aspects épidémiocliniques sont commentés dans cet article, tandis que les informations recueillies grâce aux examens complémentaires (examens sanguins, échographie) sont présentées dans un second volet(1).
Le diagnostic d’endocardite est généralement établi à l’examen post-mortem du coeur, avec une prévalence rapportée entre 0,5 et 4 % chez les bovins adultes [5, 9, 10, 11]. Dans l’étude rétrospective réalisée, la prévalence des endocardites chez les animaux hospitalisés à l’ENVA variait de 2,5 à 11 % selon les années, avec une moyenne de 5 % sur les 8 ans d’étude. Les bovins atteints sont âgés de 1 à 10 ans (âge moyen de 5 +/– 2 ans). La race prim’holstein est majoritaire, mais des cas chez des normandes, des charolaises, des montbéliardes ou des brunes des Alpes ont été recensés. La prévalence de l’endocardite bovine est un peu plus élevée dans l’étude ENVA que dans les données publiées précédemment. De fait, les animaux référés à l’ENVA par les vétérinaires le sont en raison d’affections graves ou chroniques, qui ne peuvent être traitées dans un contexte d’économie d’élevage. Ils ne sont sans doute pas représentatifs de l’ensemble du cheptel bovin français. Autre fait notable, la prévalence a été calculée sur la population totale des animaux présents chaque année dans les étables de l’ENVA (y compris les veaux nouveau-nés), alors que l’endocardite est plutôt une affection d’adulte. En considérant uniquement la population d’adultes hospitalisés à l’ENVA, la prévalence serait encore plus élevée (ce calcul était difficilement réalisable à partir des données disponibles pour notre étude rétrospective).
L’endocardite concerne préférentiellement la valve tricuspide chez les bovins. Viennent ensuite, par ordre de fréquence, l’atteinte des valves mitrale, pulmonaire puis aortique et, enfin, celle de l’endocarde mural [4]. Sur les cas ENVA, ce classement est confirmé, avec principalement une atteinte de la valve tricuspide (69 %), mais, souvent, d’autres valves sont affectées conjointement (52 %) (tableau 1 et photos 1a à 5). Une atteinte de l’endocarde mural n’a été observée que chez 4 des 68 animaux présentant une endocardite (dans la moitié des cas, la valve proche était également affectée).
Concernant les motifs de consultation ayant conduit les vétérinaires traitants à référer les animaux à l’ENVA, seuls 28 % de cas incluaient une “atteinte cardiaque” (sans plus de précisions). Une endocardite était suspectée plus spécifiquement pour 10 % des cas. Ce taux de suspicion est monté à 43 % après l’examen clinique d’entrée à l’ENVA et à 48 % à la suite de la réalisation d’une échocardiographie (tableau 2). Tous les bovins de l’étude n’ont pas subi une échocardiographie (chez certains, aucun signe clinique ne justifiait cet examen, ou bien l’animal est mort ou a été euthanasié avant que l’examen puisse être entrepris). Les 79 bovins inclus dans cette étude (qui, pour rappel, a recruté des “suspicions” d’endocardite et des endocardites avérées in fine) n’étaient en définitive pas tous atteints de la maladie : seuls 86 % l’étaient réellement (post-mortem).
Le sous-diagnostic de l’endocardite constatée du vivant du bovin peut s’expliquer par le fait que les signes cliniques de l’affection sont frustes. La maladie peut évoluer un certain temps à bas bruit. Elle n’est parfois révélée qu’à l’autopsie d’un animal mort “brutalement”. Lorsque des signes sont visibles, les symptômes généraux sont variés, non spécifiques et inconstants, et les manifestations cardiaques peu marquées et tardives.
Une hyperthermie récurrente avec des pics supérieurs à 40 °C est le plus souvent observée en cas d’endocardite. Avec la chute de production laitière, l’anorexie et l’abattement, il s’agit des signes d’appel les plus fréquents, bien que non spécifiques.
D’autres signes généraux sont également observés, tels une perte de poids, une polypnée, une hypomotilité du rumen, un tympanisme ruminal modéré, une constipation ou, au contraire, une diarrhée [2, 9, 10, 14].
Une hyperthermie chronique ou récurrente a été rapportée chez 12 animaux de l’étude ENVA (18 %) (photo 6).
L’endocardite est généralement associée à un processus infectieux. Elle est induite par la fixation de bactéries à l’endocarde, faisant suite à une circulation de celles-ci dans le sang (bactériémie). Ainsi, l’atteinte cardiaque est toujours secondaire à un foyer infectieux situé à distance. Ensuite, la libération dans la circulation sanguine (petite ou grande circulation, selon la localisation de l’endocardite), à partir des lésions de l’endocarde, d’emboles septiques susceptibles de se loger au niveau d’autres organes entraîne parfois d’autres affections à distance (rate, rein, foie, encéphale, poumon, articulation, etc.) [3, 7, 13]. Dès lors, d’autres atteintes peuvent en découler : micro-abcès du myocarde consécutifs à l’envoi d’emboles dans la circulation coronarienne, inflammation de divers organes (polyarthrite aseptique, glomérulonéphrite, myosite ou vasculite) en raison de dépôts d’immuns complexes, anémie hémolytique ou thrombopénie [1, 3, 7, 13].
Des symptômes liés aux affections intercurrentes peuvent donc apparaître dans le tableau clinique. Trois quarts des bovins de l’étude ENVA atteints d’endocardite (52 sur 68) ont présenté, dès leur arrivée ou lors de leur hospitalisation, des signes locaux d’infections intercurrentes (tableau 3).
L’auscultation cardiaque présente une sensibilité et une spécificité globalement faibles, et, dans le détail, variables selon les signes cliniques recherchés (tableau 4) [3]. Les symptômes cardiaques restent généralement peu marqués, tardifs et inconstants [2].
La tachycardie persistante (qui correspond à une tentative de maintien du débit cardiaque) est le premier signe pouvant être repéré à l’auscultation. Elle reste néanmoins non spécifique. L’accélération du rythme cardiaque peut, en effet, résulter d’une excitation, d’un stress ou d’une longue liste de désordres secondaires à d’autres affections (déshydratation, hypovolémie, anémie, hypoxie, fièvre, désordres métaboliques et acido-basiques, douleur, septicémie ou encore toxémie).
Des souffles et des bruits cardiaques surajoutés peuvent également être perçus, mais ils sont inconstants (audibles dans seulement 44 % des endocardites valvulaires et pour 25 % des endocardites murales, selon [6]). Leur corrélation avec une atteinte de l’endocarde n’est pas prouvée [6].
Sur les 79 bovins de l’étude ENVA, la tachycardie persistante est le symptôme cardiaque le plus fréquent (75 % des cas). Viennent ensuite les signes d’insuffisance cardiaque congestive, avec une turgescence des jugulaires (57 %), un pouls jugulaire rétrograde (32 %) ou un test de compression veineuse positif(2) (16 %) (photos 7a et 7b).
De façon plus anecdotique ont été rapportés des oedèmes périphériques, une toux sans autre symptôme d’atteinte respiratoire, un bruit de galop, un dédoublement du premier bruit cardiaque, une intolérance à l’effort ou encore une syncope (perte de conscience de l’animal).
Seuls 16 bovins (19 %) ont présenté un souffle cardiaque audible à l’auscultation, avec un peu plus souvent un souffle audible de façon bilatérale (6 cas), comparativement à un souffle à gauche dans 5 cas et à droite dans 2 cas. Seize bovins sur les 68 individus atteints d’endocardite (24 %) n’ont présenté aucun symptôme évoquant une affection cardiaque.
En définitive, le sous-diagnostic observé dans les cas recueillis pour l’étude ENVA sur l’endocardite est notable, mais excusable. Cette affection cardiaque est peu fréquente chez les bovins et les signes sont peu spécifiques. Elle devrait néanmoins être suspectée chez tout bovin adulte présentant un dépérissement chronique, éventuellement associé à des symptômes d’atteinte cardiaque (tachycardie notamment), pour ne pas “gaspiller” l’arsenal thérapeutique, le traitement étant souvent vain…
L’absence de souffle cardiaque audible ne permet pas d’exclure une endocardite du diagnostic différentiel. En revanche, l’échocardiographie peut documenter un contexte de suspicion, comme l’a montré aussi l’étude ENVA. Ces aspects sont présentés dans un second article sur le sujet(1).
(1) Voir l’article “Apport des examens complémentaires lors d’endocardite” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
(2) Pour le test de compression veineuse, lorsque la veine jugulaire est comprimée à mi-hauteur de l’encolure, elle doit paraître remplie (dilatation) en amont du point de compression et vide en aval (test de compression veineuse négatif). En cas de défaut de retour veineux, elle apparaît distendue en amont et en aval (test positif).
Aucun.
→ L’endocardite concerne préférentiellement la valve tricuspide chez les bovins.
→ Dans plus de la moitié des cas, plusieurs valves sont affectées.
→ Les symptômes cardiaques sont en général peu marqués, tardifs et inconstants.