MALADIES VECTORIELLES
Fiche
Auteur(s) : Sarah I. Bonnet*, Adrien Blisnick**, Nathalie Boulanger***, Frédéric Stachurski****, Laurence Vial*****
Fonctions :
*UMR Bipar 956 Inra, École nationale
vétérinaire d’Alfort, Anses, université Paris-Est,
groupe Interactions tiques agents pathogènes,
Maisons-Alfort,
**UMR Bipar 956 Inra, École nationale
vétérinaire d’Alfort, Anses, université Paris-Est,
groupe Interactions tiques agents pathogènes,
Maisons-Alfort,
***EA : 7290 : Virulence bactérienne précoce :
groupe Borrelia,
facultés de médecine et de pharmacie,
université de Strasbourg,
Centre national de référence Borrelia
****Cirad, UMR Astre, 34398 Montpellier
*****Astre, Cirad, Inra,
université de Montpellier, 34090 Montpellier
******Cirad, UMR Astre, 34398 Montpellier
*******Astre, Cirad, Inra,
université de Montpellier, 34090 Montpellier
Cette tique exotique a pu gagner la France continentale grâce aux oiseaux migrateurs ou aux ongulés dont les mouvements entre pays s’intensifient. Elle aurait pu alors profiter de conditions devenues plus favorables pour s’installer.
L’apparition d’une maladie vectorielle dans une région jusque-là indemne est intimement liée à la capacité de dispersion de ses vecteurs. Les tiques ne volant pas, elles ont une capacité de dissémination intrinsèque limitée. Cependant, en raison de la longueur des repas sanguins des tiques dures, qui avoisinent généralement une semaine, elles peuvent être transportées sur de très longues distances par le biais de leurs hôtes, qu’ils se déplacent par leurs propres moyens (oiseaux migrateurs) ou qu’ils soient véhiculés par les hommes (animaux de rente, de loisirs ou de compagnie). Mais elles ne peuvent s’établir dans une nouvelle région que si les conditions climatiques qui y règnent sont propices à l’accomplissement du cycle. Dans le cas de Hyalomma marginatum, il est impossible de déterminer si ce sont ces conditions qui ont été modifiées et ont permis l’installation récente de l’espèce à partir de nymphes gorgées introduites par des oiseaux infestés, ou si c’est l’augmentation du transport d’ongulés parasités par des tiques adultes, donc l’intensification des activités humaines, qui est responsable de cette installation.
Hyalomma marginatum est présente dans la péninsule ibérique, mais aussi en Italie, en Turquie, autour de la mer Noire et au Maghreb(1) (figure).
Vecteur de Babesia caballi, agent d’une piroplasmose équine, comme le sont aussi Rhipicephalus bursa et Dermacentor marginatus, tiques endémiques en France, H. marginatum est surtout connue pour être un des principaux vecteurs du virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC), maladie humaine caractérisée par des symptômes sévères et un taux de mortalité parfois élevé [1]. Deux cas autochtones de FHCC, dont un mortel dû à une piqûre de tique (l’autre était consécutif à une infection nosocomiale), ont été signalés en septembre 2016 en Espagne [9]. Plusieurs années auparavant, du génome viral avait été détecté dans une autre région du pays et dans une autre tique vectrice, H. lusitanicum [3]. La FHCC est donc présente en Espagne, mais cela était sans conséquence pour sa voisine française tant que le vecteur n’y était pas installé.
Hyalomma marginatum est connue en Corse depuis très longtemps (photos 1a et 1b). En revanche, les rares mentions de la présence de cette tique en France continentale n’étaient jusqu’alors pas convaincantes : l’identification restait incertaine ou bien des tiques immatures accidentellement introduites par des oiseaux migrateurs étaient observées [10]. De récentes données prouvent que cette espèce est désormais installée sur le pourtour méditerranéen français. De faibles effectifs ont d’abord été retrouvés dans quelques troupeaux, à l’occasion d’une étude conduite de 2007 à 2010 pour rechercher Anaplasma phagocytophilum dans les tiques infestant les chevaux en Camargue [2]. D’autres sites, dont l’un très infesté, ont ensuite été identifiés autour de Montpellier, toujours sur les chevaux. Ces derniers étant, d’après une étude récemment réalisée en Corse, l’hôte préférentiel de H. marginatum, une enquête a été effectuée au printemps 2017 auprès d’environ 80 structures hippiques (pensions, élevages, organisateurs de randonnées équestres, etc.) situées dans six des sept départements du littoral méditerranéen français (Bouches-du-Rhône non incluses) afin de mieux connaître la distribution actuelle de l’espèce (données non publiées) [6]. Comme H. marginatum est une tique exophile, seules les structures dont les animaux ne sont pas gardés en permanence en box ou en paddock, mais pâturent au moins en partie sur des parcelles naturelles, boisées ou même forestières, ont été visitées. Hyalomma marginatum a été retrouvée des Pyrénées-Orientales au Var en passant par l’Aude, l’Hérault et le Gard. Elle n’a en revanche pas été collectée dans les Alpes-Maritimes, alors que le climat de la partie littorale du département lui convient très probablement. De façon plus générale, les observations font penser que H. marginatum n’occupe pas encore la totalité de sa niche écologique. La tique a parfois été retrouvée de façon localisée (autour du massif des Maures dans le Var, dans les Corbières dans l’Aude), parfois de façon plus large (Pyrénées-Orientales et Hérault). Dans quelques cas, une seule tique adulte a été collectée malgré l’examen de 10 à 25 chevaux. Il n’est alors pas certain que l’espèce soit vraiment installée dans ces élevages, la présence d’un seul adulte pouvant être le témoin du détachement sur place d’une nymphe transportée par un oiseau et qui, une fois métamorphosée en adulte, est retrouvée sur un cheval.
Les oiseaux, et notamment les passereaux (merles, rouges-gorges, grives, etc.) qui passent beaucoup de temps au sol font partie, aux côtés des petits mammifères (lièvres, lapins, hérissons, etc.), des hôtes des stades immatures de H. marginatum. La tique aurait pu être introduite en France par des oiseaux migrateurs. Les phases immatures (larve et nymphe) durent 2 à 3 semaines : les oiseaux parasités en Afrique du Nord ou en Espagne ont le temps de gagner la France (voire le Royaume-Uni et l’Allemagne [7, 8]). L’introduction de nymphes de H. marginatum en France continentale peut être ancienne. Pourquoi n’est-ce que récemment que des populations stables et importantes de la tique ont pu s’implanter en France ? Le changement climatique en cours explique-t-il cette installation ? La métamorphose nymphale semble n’intervenir en laboratoire que lorsqu’un certain nombre de degrés-jours (cumul des températures quotidiennes moyennes au-dessus de la température minimale de développement, qui est de 14 à 16 °C) a été atteint [4].
L’espèce étant présente en Espagne, elle a pu aussi être introduite en France à l’occasion du transport d’animaux infestés par des tiques adultes (chevaux et bovins à destination des structures équestres camarguaises, par exemple). Dans les Pyrénées-Orientales, elle a pu traverser la frontière sur des sangliers ou des chevreuils infestés en Espagne. L’implication des hôtes du stade adulte a été considérée comme un risque plus probable de dissémination du sud vers le nord des Balkans des populations de tiques d’Europe de l’Est que ne l’est celle des oiseaux infestés par les tiques immatures [4].
Le même type de questions se pose pour H. scupense identifiée en Corse dans une vingtaine de communes en 2014-2015 [5]. Elle transmet Theileria annulata (agent de la theilériose bovine tropicale). Comment et pourquoi cette tique commune au Maghreb, mais dont les trois stades infestent normalement les bovins, ce qui rend peu probable l’introduction par des oiseaux migrateurs, a-t-elle pu s’installer sur l’île ? Cela reste indéterminé.
Ainsi, les déplacements et les installations de nouvelles espèces de tiques dans des régions jusque-là indemnes sont parfaitement envisageables, car si les tiques ne se déplacent pas sur de longues distances par leurs propres moyens, ce n’est en rien un obstacle insurmontable.
Aucun.