Le virus influenza D : un nouvel agent du complexe respiratoire bovin ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 385 du 01/05/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 385 du 01/05/2018

VIROLOGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Justine Oliva*, Elias Salem**, Gilles Meyer***, Mariette Ducatez****

Fonctions :
*J. Oliva et E. Salem ont contribué
à parts égales à cet article
m.ducatez@envt.fr
**J. Oliva et E. Salem ont contribué
à parts égales à cet article
m.ducatez@envt.fr
***Unité mixte de recherche Institut national
de la recherche agronomique (INra) –
École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT)
Interactions hôtes-agents pathogènes (IHAP)
23 Chemin des Capelles, 31076 Toulouse, France
****Unité mixte de recherche Institut national
de la recherche agronomique (INra) –
École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT)
Interactions hôtes-agents pathogènes (IHAP)
23 Chemin des Capelles, 31076 Toulouse, France

Les voies de transmission sont à l’étude, le spectre d’hôtes est extrêmement large.

Les virus influenza appartiennent à la famille des Orthomyxoviridae. Jusqu’à récemment, trois genres de virus influenza étaient connus : A (IAV), B (IBV) et C (ICV). De plus, les bovins ne semblaient ni susceptibles ni réceptifs aux virus influenza. Ce constat a récemment changé avec la découverte du virus influenza D.

UN VIRUS DÉCOUVERT CHEZ LE PORC

En 2011, un nouveau virus influenza a été isolé chez des porcs présentant des signes cliniques respiratoires ressemblant à l’infection par IAV dans l’Oklahoma (États-Unis). Des analyses par microscopie électronique ont mis en évidence la présence d’un virus similaire aux Orthomyxoviridae, mais les analyses par RT-PCR ont montré qu’il ne s’agissait ni d’IAV ni d’IBV ni d’ICV. Hause et coll. ont alors séquencé le génome de ce virus avec une technique à haut débit sans a priori (Ion Torrent). Ils ont découvert une identité de 50 % avec les virus du genre influenza C humain (hu-ICV), en se fondant sur des alignements de séquences des gènes viraux et des analyses phylogénétiques. Ces résultats suggéraient que ce virus correspondait à un nouveau genre, qui a alors été appelé virus influenza D (IDV) (photos 1a et 1b) [8].

SPECTRE D’HÔTES ÉTONNAMMENT LARGE

Après les premiers travaux américains chez le porc, IDV a également été isolé aux États-Unis chez des bovins atteints de broncho-pneumonie infectieuse (BPI). La séroprévalence était considérablement plus élevée que chez le porc (13 à 94 %, selon les études) [4, 9]. Il a alors été suggéré que les bovins constituent le réservoir naturel de ce virus. D’autres espèces se sont également avérées sensibles ou réceptives à IDV. En effet, le virus a été détecté chez les petits ruminants, mais pas chez les volailles testées sur le continent américain [17]. Plus récemment, nous avons montré la présence d’anticorps anti-ICV ou -IDV chez les dromadaires (au Kenya) [18]. En 2018, une étude américaine a également mis en évidence que les chevaux pouvaient être séropositifs pour IDV [16]. Le spectre d’hôtes important associé à IDV suggère un ou plusieurs récepteurs cellulaires communs à plusieurs espèces de mammifères, ce qui a été confirmé par une étude de structure sur la glycoprotéine de surface, l’hémagglutinine estérase fusion, du virus [20].

UN VIRUS “MONDIALISÉ”

IDV circule largement dans le monde. Jusqu’à présent, sur le continent américain, il a été détecté non seulement aux États-Unis, mais aussi au Canada et au Mexique. En Europe, il a été rapporté en France, mais aussi en Italie et en Irlande. En Asie, il est présent en Chine et au Japon. L’Afrique l’a détecté au Maroc, au Togo, au Bénin et au Kenya (figure) [1, 2, 4, 6-9, 11-19, 23].

Il semblerait qu’IDV circule depuis au moins 2003 : en effet, une étude au Nebraska a trouvé une séroprévalence de 80 % dans des sérums bovins de cette année-là [13].

POTENTIEL ZOONOTIQUE EN QUESTIONNEMENT

Des études sérologiques chez l’homme ont également été effectuées afin de déterminer le potentiel zoonotique d’IDV. Une cohorte canadienne de 2009 a montré une séroprévalence de 1,3 % [8]. Deux autres études sur des cohortes de personnes exposées au bétail ont révélé des séroprévalences de 1 %… ou de 94 à 97 % [3, 22] ! Ces différences s’expliquent peut-être en partie par une crossréactivité sérologique entre IDV (séropositivité très élevée chez l’homme) et ICV. En outre, une étude d’infection expérimentale chez le furet, qui est le meilleur modèle pour étudier la pathogénicité des virus influenza chez l’homme (signes cliniques et distribution des récepteurs très similaires), a montré que le virus se répliquait très bien chez cet animal.

Ces résultats suggèrent qu’IDV pourrait représenter un risque de santé publique en cas de transmission à l’homme.

QUEL POUVOIR PATHOGÈNE CHEZ LES BOVINS ?

Rapidement après sa découverte, plusieurs arguments ont été proposés pour imputer à IDV un rôle dans les BPI [1, 2, 6, 11, 16, 18]. L’argument principal est la détection plus fréquente du virus chez des veaux atteints de BPI par rapport à des veaux sains [14]. En second lieu, IDV est détecté seul dans les poumons de veaux atteints de BPI (données personnelles et [10]), alors que les principaux agents pathogènes respiratoires sont systématiquement recherchés par polymerase chain reaction (PCR) quantitative (virus respiratoire syncytial bovin, parainfluenza bovin 3, Pasteurella multocida, Mannheimia haemolytica, Mycoplasma bovis, Histophilus somni, coronavirus bovin, herpesvirus bovin 1). À l’inverse, la séroprévalence élevée chez les bovins adultes indiquerait que ce virus aurait plutôt un pouvoir pathogène modéré, dans la mesure où la fréquence de détection d’IDV lors de BPI se situe autour de 4 %. L’impact d’IDV comme agent initiateur de BPI n’a jamais été investigué, même si différents agents pathogènes respiratoires sont fréquemment associés à IDV dans les prélèvements respiratoires étudiés [1, 2, 6, 11, 14, 16, 18].

En conditions expérimentales, une équipe américaine a infecté par voie intranasale des veaux de 4 mois (séronégatifs pour IDV) pour étudier son pouvoir pathogène. Les veaux ont présenté des signes respiratoires modérés traduisant une atteinte de l’appareil respiratoire supérieur (jetage nasal, toux sèche, abattement, écoulement oculaire). Une excrétion virale a été observée dans les sécrétions respiratoires pendant 8 à 10 jours, et des lésions d’intensité et d’extension minimes ont été notifiées dans la trachée et les cornets nasaux lors des autopsies. La même étude a montré qu’IDV se transmettait par contact direct entre veaux inoculés et veaux sentinelles présents dans la même étable [5].

Plus récemment, nous avons réalisé une infection expérimentale de veaux par nébulisation avec une souche d’IDV récemment isolée en France, issue d’un veau atteint de BPI. Les veaux ont exprimé des signes cliniques respiratoires d’intensité modérée se caractérisant par de la tachypnée, de la toux et pour certains d’entre eux une dyspnée de type expiratoire. Il n’a pas été observé d’abattement ni de perte d’appétit chez les individus infectés. Les veaux ont excrété le virus pendant 10 jours en moyenne. IDV a pu être détecté dans les lavages broncho-alvéolaires à 2, à 7 et à 14 jours postinfection. Ces résultats préliminaires confirment le tropisme respiratoire d’IDV et son pouvoir pathogène modéré dans ces conditions expérimentales.

LA TRANSMISSION D’IDV À L’ÉTUDE

Une première démonstration de transmission par contact direct a été réalisée chez le veau aux États-Unis [5]. Lors de l’expérimentation menée par notre équipe, un groupe de trois veaux non infectés a été placé au contact indirect (séparés de 3 m) de veaux infectés, dans l’objectif d’évaluer la transmission par voie aérienne. En parallèle, IDV a été recherché dans des aérosols (prélèvements d’air par un biocollecteur Coriolis) dans la partie sentinelle (veaux à 3 m de distance de leurs homologues inoculés), dans la zone tampon, et à proximité des veaux infectés. Les analyses sont en cours pour évaluer cette possible voie de transmission indirecte.

CONTRÔLE ET PRÉVENTION

Une équipe américaine a inactivé une souche d’IDV. Cette souche inactivée a été testée comme candidat vaccin chez des veaux [10]. Les veaux vaccinés puis infectés par la souche homologue du vaccin présentaient des signes cliniques plus modérés que les animaux non vaccinés.

En revanche, IDV se répliquait plus faiblement dans l’appareil respiratoire supérieur chez les veaux vaccinés. Ce vaccin conférait donc une protection partielle face à une souche homologue d’IDV. Les veaux expérimentaux avaient cependant ingéré du colostrum maternel. Il est donc difficile de conclure si cette protection partielle est due aux vaccins ou aux anticorps maternels interférant avec la vaccination et le développement d’une immunité active.

Une autre équipe américaine a développé un vaccin à ADN, en exprimant la protéine de surface HEF (hemagglutinin-esterase fusion) d’IDV. L’efficacité de ce vaccin contre deux souches distinctes d’IDV a été expérimentée chez des cobayes. IDV ne s’est pas répliqué chez les animaux vaccinés, mais l’a été chez les animaux non vaccinés, après infection par voie intranasale. Toutefois, l’effet de la vaccination sur les signes cliniques n’a pas pu être mesuré puisque les cobayes, en infection expérimentale, ne développent pas de maladie [21]. En l’absence de certitude sur le pouvoir pathogène de ce virus et sur sa prévalence réelle, la question d’une éventuelle stratégie de contrôle ne se pose pas encore. Un programme de surveillance est cependant mis en place à l’échelle européenne (projet de l’Autorité européenne de sécurité des aliments [EFSA]) destiné à préciser la prévalence du virus et les caractéristiques antigéniques et génétiques des souches d’IDV circulantes.

Conclusion

Les BPI chez les jeunes bovins sont d’origine plurifactorielle, incluant des agents infectieux relayés par des facteurs liés à la conduite d’élevage et à l’environnement. De nombreux agents pathogènes sont impliqués, qui peuvent être artificiellement divisés en agents pathogènes majeurs (reproduction expérimentale de la maladie avec signes cliniques sévères) ou modérés (il est alors difficile de reproduire la maladie). Pour les virus à pouvoir pathogène modéré, ils interviennent soit en favorisant les infections secondaires bactériennes, soit en agissant en coopération avec d’autres virus et/ou bactéries (photo 2). En l’état des connaissances, il semblerait qu’IDV puisse jouer ce rôle. Notre équipe de recherche (UMR1225 INRAENVT) à Toulouse continue ses études pour mieux appréhender le rôle d’IDV dans le complexe respiratoire bovin. Des expériences de co-infections entre agents pathogènes respiratoires visent aussi à évaluer le coût-bénéfice d’une éventuelle stratégie de vaccination.

Références

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Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’histoire épidémiologique du virus influenza D (IDV) remonte à 2011, lorsqu’un nouveau virus influenza a été isolé chez des porcs présentant des signes cliniques respiratoires ressemblant à l’infection par un virus influenza A (IAV), dans l’Oklahoma (États-Unis).

→ La séroprévalence chez les bovins étant plus importante que chez les porcs, il a été suggéré que les bovins constituent le réservoir naturel de ce virus.

→ Rapidement après sa découverte, plusieurs arguments ont été proposés pour imputer à IDV un rôle dans les broncho-pneumonies infectieuses bovines.