NEUROLOGIE PRATIQUE
Dossier
Auteur(s) : Laurent Cauzinille
Fonctions : Centre hospitalier vétérinaire Frégis
43, avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil
Épilepsie rebelle, race prédisposée, animal réfractaire, traitement inadapté : les origines de la réapparition de crises convulsives chez un animal en rémission sont nombreuses.
Le traitement des crises convulsives groupées, forme sous laquelle peut s’exprimer l’épilepsie essentielle chez certaines races, est un défi thérapeutique pour le clinicien et une épreuve émotionnelle pour le propriétaire. Il existe un consensus validé en épileptologie vétérinaire, proposé aux praticiens, qui permet de faciliter la prise en charge de cette affection [1]. Les recommandations d’installation précoce d’un traitement antiépileptique au bon dosage méritent d’être suivies au plus près afin d’éviter certaines erreurs préjudiciables à l’animal et d’obtenir un contrôle optimal de l’épilepsie. Ce principe est illustré par l’exemple d’un cane corso échappant en quelques mois à un traitement de première intention inadapté.
Un cane corso mâle entier, âgé de 2 ans et demi et pesant 63 kg, est traité pour une épilepsie idiopathioque. Il est référé par le vétérinaire traitant pour suspicion d’une pharmacorésistance à l’antiépileptique choisi (photo 1). L’animal, adopté à l’âge de 2 mois, n’a aucun antécédent médical autre que l’épilepsie.
Ce cane corso a présenté une première crise de type convulsif sans prodrome à l’âge de 1 an et 3 mois alors qu’il était assoupi, la tête sur les genoux de son maître. Il a soudainement levé la tête, le regard “étrange”, puis a commencé à se raidir, tête renversée, yeux révulsés. Une phase tonico-clonique des 4 membres a suivi, avec claquement de mâchoire et hypersalivation durant une dizaine de secondes. Son corps s’est ensuite relâché, sa conscience est revenue, bien qu’il soit demeuré hagard, la respiration alors bruyante et rapide. En moins de 10 minutes, son attitude s’est normalisée et il a demandé à sortir. Le reste de la soirée et la nuit se sont passés normalement. Une seconde crise identique à la première s’est déroulée dans la journée du lendemain. L’animal est alors présenté à son vétérinaire traitant. Les examens général et nerveux sont normaux. L’hypothèse d’une épilepsie idiopathique est avancée et un traitement à base de phénobarbital est initié (à raison de 60 mg matin, midi et soir pendant 10 jours, puis de 60 mg matin et soir). Aucun effet indésirable n’est rapporté après la mise en place du traitement.
Durant 3 mois, aucune anomalie n’est notée. Des crises réapparaissent à cette date avec une expression clinique plus ou moins identique, mais de façon récurrente, à quelques heures d’intervalle durant 24 heures. Le chien récupère de cet épisode avec un peu plus de difficulté, mais son état se normalise de nouveau en 2 à 3 jours. Le traitement n’est pas modifié (60 mg de phénobarbital, matin et soir).
Les crises reprennent 4 mois plus tard, mais cette fois sur une durée de 4 jours en continu, avec un intervalle allant d’une à plusieurs heures entre chacune d’elles. La posologie est alors augmentée à 90 mg matin et soir.
Le chien est reçu en consultation de neurologie 10 jours après ces derniers événements. Cette fois-ci, il aura fallu plus d’une semaine avant que son état général et son comportement se normalisent. Aucun autre trouble (digestif, cardiorespiratoire, etc.) n’est rapporté. Aucun effet indésirable particulier n’est décrit par le propriétaire. Les signes de lenteur, de désorientation et de réduction de l’activité de la semaine postictale sont mis sur le compte des crises elles-mêmes.
À l’examen général, la température, la palpation et l’auscultation sont normales.
À l’examen nerveux, le déplacement et le comportement du chien dans la salle de consultation, observés durant la prise des commémoratifs auprès du propriétaire, sont normaux. L’examen des réponses proprioceptives des membres ne montre pas de retard. L’examen des réponses et des réflexes des nerfs crâniens ne révèle aucune anomalie.
Trois hypothèses diagnostiques sont avancées.
1/ L’hypothèse prioritaire est celle d’une épilepsie idiopathique et repose sur les arguments suivants :
– jeune adulte (plus de 6 mois, moins de 6 ans) ;
– de race cane corso ;
– ayant présenté 3 séries de crises convulsives dont le nombre augmente à chaque épisode ;
– dont les crises apparaissent dans des circonstances calmes (somnolence ou sommeil) ;
– parfaitement normal entre les épisodes hormis les heures ou jours postictaux ;
– ne présentant aucune anomalie lors de l’examen nerveux.
2/ Moins probablement, une épilepsie réactive structurelle peut être envisagée, même si l’animal paraît normal entre les crises et qu’aucun déficit nerveux n’est mis en évidence lors de l’examen. Chez un jeune animal, les lésions structurelles les plus fréquentes sont les traumatismes crâniens, les encéphalites infectieuses ou dysimmunitaires, les anomalies congénitales de type malformation cérébrale, plus rarement les processus néoplasiques.
3/ Enfin, des crises réactionnelles, secondaires à un trouble métabolique, ne peuvent être exclues (encéphalose hépatique consécutive à la persistance d’une communication porto-systémique ou d’une anomalie microscopique de dysplasie hépatique entraînant un phénomène de shunt, une immaturité des voies de la glycémie ou du stockage glycémique), voire une exposition chronique à un produit convulsivant ou neurotoxique.
Pour atteindre le premier degré de confiance d’un diagnostic d’épilepsie idiopathique, un consensus a été rédigé par un groupe de neurologues européens [1]. Dans leur rapport, ils préconisent de réaliser une numération ormule, un ionogramme (sodium, potassium, chlore, calcium, phosphore), une analyse biochimique (transaminases, phosphatases alcalines, bilirubine totale, urée, créatinine, protéines totales, glucose, cholestérol, triglycérides, acides biliaires à jeun et/ou ammoniémie) et un bilan thyroïdien (thyroxine totale et libre, thyréostimuline). Ils ajoutent une analyse urinaire (densité, protéine, glucose, pH, culot) et la réalisation d’une échographie abdominale si des anomalies analytiques sont repérées.
La numération formule et le bilan biochimique complets réalisés par le vétérinaire traitant n’ont pas révélé d’anomalie. Un dosage des acides biliaires préprandiaux et postprandiaux, un ionogramme et un bilan thyroïdien ont été retenus par le propriétaire à l’admission pour écarter une origine métabolique, même si l’animal ne présente aucun signe d’encéphalose associé à ses crises convulsives et encore moins relié à des périodes postprandiales, comme c’est parfois le cas lors de persistance postnatale d’une communication porto-systémique. Le chien a par ailleurs une croissance normale et n’a jamais montré de troubles digestifs ou urinaires chroniques, autres signes cliniques occasionnellement rapportés en cas d’encéphalose hépatique. Le taux d’acides biliaires, l’ionogramme et le bilan thyroïdien ne révèlent aucune anomalie. C’est aussi pour ces raisons qu’une échographie abdominale n’est pas retenue, la recherche d’une malformation vasculaire hépatique n’étant pas confortée par des anomalies cliniques ou biochimiques chez ce chien.
La démarche diagnostique ayant mené à cette forte présomption d’épilepsie idiopathique, l’option thérapeutique prise par le vétérinaire traitant a été analysée.
Le choix du phénobarbital comme molécule de première intention pour traiter une épilepsie idiopathique est celui proposé par le consensus européen. La dose initiale à prescrire est de 5 mg/kg divisée en 2 prises à 12 heures d’intervalle afin d’obtenir une phénobarbitalémie dans une fourchette thérapeutique comprise entre 25 et 40 µg/ml. Sur la base d’un poids de 60 kg, le chien aurait dû recevoir 300 mg par 24 heures, soit 150 mg matin et soir. Or il a reçu 180 mg par 24 heures (trois fois 60 mg), ce qui revient à une dose d’attaque de 3 mg/kg, très en dessous de la dose recommandée. De plus, cette posologie a été revue à la baisse après 10 jours et descendue à 120 mg par 24 heures (deux fois 60 mg), c’est-à-dire 2 mg/kg. Classiquement, il est réquent que le praticien, redoutant les effets indésirables du phénobarbital en début de traitement (polyuro-polydipsie et augmentation de l’appétit), “sous-dose” ce médicament. Nonobstant, le chien s’est bien comporté durant les 3 mois suivants, sans faire de crises ni manifester d’effet indésirable. Lors de la deuxième série de crises, pourtant plus fortes et plus nombreuses, le dosage n’a pas été modifié. Puis de nouveau 4 mois ont passé, sans crise et sans effet secondaire. Lors du troisième épisode, le vétérinaire traitant a certainement suspecté un sous-dosage du phénobarbital puisqu’il a augmenté la posologie à 180 mg par 24 heures (deux fois 90 mg par jour), soit un dosage de 3 mg/kg. Un contrôle de la phénobarbitalémie, effectué lors de l’admission du chien 10 jours après l’augmentation de la dose (5,5 × 33 heures de demi-vie en moyenne, soit 7,5 jours au minimum), a affiché un résultat de 13 µg/ml, très en dessous de la fourchette thérapeutique qui débute à 25 µg/ml.
À ce stade, l’hypothèse reste celle d’une forme d’épilepsie idiopathique du cane corso dont le traitement a été sous-dosé, donc parler de pharmacorésistance n’est pas approprié. En conséquence, la dose de phénobarbital est ajustée à 5 mg/kg par 24 heures (deux fois 150 mg, photo 2), car les crises convulsives chez cette race se manifestent souvent par salves pouvant durer quelques jours, voire parfois directement en status epilepticus. Il est aussi proposé au propriétaire d’administrer un anticonvulsivant dès les premières crises (diazépam à raison de 1 mg/kg, soit 6 ampoules de 10 mg, par voie intrarectale) et d’ajouter du lévétiracétam (20 mg/kg, trois fois par jour) durant 3 à 4 jours afin de potentialiser le traitement antiépileptique et de minimiser le nombre et les jours de crises durant la période d’instabilité. Il n’est pas rare que, dans cette race, les séries de crises soient espacées de plusieurs mois. Une bithérapie phénobarbital/lévétiracétam en continu n’est généralement pas nécessaire avec cette réquence de crises, qui devraient pouvoir être contrôlées en monothérapie chez ce chien. Un suivi de la phénobarbitalémie à 15 jours est conseillé pour réajuster la dose si nécessaire, afin de rester dans la moyenne haute de la ourchette thérapeutique. Enfin, en cas de contrôle insuffisant, le passage à une bithérapie continue serait à envisager (ajout quotidien de bromure ou de lévétiracétam).
Le cas clinique décrit est intéressant à plusieurs titres : pour l’hypothèse diagnostique d’épilepsie idiopathique, pour la raison du mauvais contrôle thérapeutique à ne pas confondre avec de la pharmacorésistance, et pour les options thérapeutiques proposées.
La race cane corso est fréquemment rencontrée en épileptologie. Elle fait partie d’une part des races canines prédisposées à l’épilepsie, et d’autre part de celles dont les manifestations convulsives ont une expression assez particulière : d’emblée de nombreuses crises sur plusieurs heures, voire plusieurs jours, suivies de longues périodes de rémission avant un nouvel accès.
Dans l’occurrence relatée, l’épilepsie réactive structurelle cérébrale est écartée en raison du comportement normal de l’animal entre les crises et de l’absence de signe d’atteinte prosencéphalique à l’examen nerveux. En outre, une origine toxique ou des manifestations secondaires à une anomalie métabolique sont exclues puisque les bilans sanguins sont normaux. De ce fait, l’hypothèse diagnostique d’épilepsie idiopathique est nettement la plus probable. Quand le propriétaire et/ou le vétérinaire sont des “puristes”, pour accéder au deuxième niveau de confiance de ce diagnostic, un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) et une ponction du liquide céphalorachidien auraient pu être réalisés, en plus d’une échographie abdominale. Bien que ces examens n’aient pas été retenus par le propriétaire, l’hypothèse d’épilepsie idiopathique est renforcée par l’âge du chien lors des premières manifestations convulsives (entre 6 mois et 6 ans), la normalité du comportement entre les épisodes et de l’examen nerveux, le fait que les crises se produisent quand l’animal est calme, voire assoupi. Il n’a donc été nécessaire que d’ajouter un bilan fonctionnel hépatique (taux d’acides biliaires préprandiaux et postprandiaux), un ionogramme et un bilan thyroïdien pour se rapprocher davantage du premier degré de confiance.
Dès les premières crises, un traitement antiépileptique a été mis en place. Cette très bonne décision du vétérinaire traitant, dès la première consultation, a sans doute limité une évolution potentiellement exponentielle chez un cane corso.
Dans la prise en charge thérapeutique d’une épilepsie idiopathique, le clinicien a pour objectif de contrôler les crises de l’animal. C’est-à-dire non seulement augmenter l’intervalle entre les crises (indirectement diminuer leur nombre), mais aussi réduire leur intensité et leur nombre quand elles se répètent de façon groupée durant une période d’instabilité allant jusqu’à plusieurs jours et, enfin, diminuer la durée de la phase postictale durant laquelle le chien apparaît généralement désorienté, ataxique, prostré ou agité, etc. Tous ces objectifs doivent être expliqués au propriétaire. Cela permet de positiver dans le cas où seule une partie d’entre eux est atteinte, par exemple lorsque le nombre de crises ne diminue pas.
Pour un animal ayant d’emblée fait 2 crises en moins de 24 heures, et de surcroît un cane corso, le choix du phénobarbital en première intention est tout à fait approprié. Toutefois, il est fondamental de ne pas sous-doser le traitement initial. S’il est important de limiter les effets indésirables et de minimiser le coût de la mise en place du traitement pour le propriétaire, cela ne doit pas se faire au détriment de l’efficacité du médicament. Le phénobarbital, toujours initié à une dose minimale de 2,5 mg/kg deux fois par jour, est une molécule peu onéreuse.
Un dosage sérique après 2 semaines de traitement permet de vérifier que le minimum de la fourchette thérapeutique est atteint. Dans le cas où le chien se trouverait toujours en deçà, une nouvelle augmentation serait alors à prévoir, même si le contrôle des crises, lors du dosage initial, paraissait satisfaisant.
Les potentiels effets indésirables en début de traitement (sédation, polyuro-polydipsie et augmentation de l’appétit) ont tendance à s’estomper en 2 semaines pour le premier, plus lentement et de façon “animal-dépendant” pour les deux derniers.
Ils sont malheureusement parfois un mal nécessaire au bon contrôle des crises et nécessitent des adaptations dans la vie quotidienne. Par exemple, si la polyuro-polydipsie devient vraiment gênante, il faut veiller à sortir souvent le chien, envisager un retrait de l’eau en fin de journée et proposer une dernière sortie tardive. Si la polyphagie devient également problématique, une réduction des calories dans l’alimentation est à mettre en œuvre(1). À ce propos, il faut rappeler que la dose est calculée à partir du poids du chien, et que tout surpoids influe sur la phénobarbitalémie en la diminuant, avec pour conséquence un moins bon contrôle des crises. Si l’un de ces effets indésirables est trop gênant pour le propriétaire, mieux vaut soit sous-doser le phénobarbital, peut-être au détriment de la qualité du contrôle, soit diminuer le phénobarbital et ajouter une seconde molécule antiépileptique. Mais il ne faut surtout pas uniquement substituer une molécule à une autre.
L’utilisation domestique du diazépam est à envisager chez un animal qui fait des crises nombreuses, à la suite les unes des autres. Son effet anticonvulsivant permet de les espacer. Cependant, comme la demi-vie est courte chez le chien, au-delà d’une troisième crise, il est préférable de faire hospitaliser l’animal : l’utilisation intraveineuse ou en perfusion continue de diazépam ou de midazolam est une technique plus efficace pour prévenir le retour des crises. L’implication du propriétaire permet aussi de retarder, voire d’éviter une prise en charge hospitalière, toujours coûteuse pour lui et chronophage pour le vétérinaire, et passe par un contrôle réussi du traitement.
Chez les chiens dont l’épilepsie s’exprime par des crises groupées durant plusieurs jours, une tendance actuelle est de conseiller aussi, lors des phases d’instabilité (donc dès les premières crises), un antiépileptique à demi-vie courte qui va monter en puissance rapidement. Le choix du phénobarbital n’est alors pas une option puisque sa longue demi-vie fait que la phénobarbitalémie augmente et se stabilise seulement en une quinzaine de jours. En revanche, le lévétiracétam, en raison de sa courte demivie, est souvent recommandé dans ce contexte pendant les quelques jours de la période de crises. Un dosage de 20 mg/kg trois fois par jour est conseillé dans ce cas, à arrêter quelques jours plus tard, une fois que les crises ont cessé. Aucun protocole n’est encore précisément défini pour valider cette option de bithérapie transitoire.
L’hypothèse d’une épilepsie idiopathique doit être avancée ace à un animal jeune adulte (plus de 6 mois, moins de 6 ans) qui développe des crises convulsives plus ou moins répétées, plutôt quand il est au calme ou assoupi, et avec des périodes interictales normales. Le traitement antiépileptique choisi doit être proposé à un dosage efficace. Il ne doit surtout pas être sous-dosé pour chercher à minimiser les effets secondaires ou pour réduire le coût du traitement. Le respect de ce principe permet d’éviter le retour des épisodes sous la forme de séries de crises nombreuses, violentes et longues, comme chez le cane corso du cas décrit. Elles ont nécessité une hospitalisation, le propriétaire se sentant totalement démuni devant un animal de 60 kg qui “crise” toutes les heures. Par ailleurs, l’usage domestique du diazépam et d’un second antiépileptique de courte demivie durant les jours d’instabilité constituent un moyen pour le propriétaire d’essayer de gérer au mieux, par lui-même, ces périodes. L’épileptologie est une spécialité rigoureuse : respecter la démarche diagnostique et les protocoles thérapeutiques établis par l’International veterinary epilepsy task orce permet au praticien de réduire le risque de perte de chance et de conforter la confiance du propriétaire.
L’auteur participe aux tables rondes sur l’épilepsie des laboratoires TVM, Boehringer Ingelheim et Royal Canin.