L’accompagnement du propriétaire d’un animal épileptique : consensus - Le Point Vétérinaire n° 399 du 01/10/2019
Le Point Vétérinaire n° 399 du 01/10/2019

NEUROLOGIE PRATIQUE

Dossier

Auteur(s) : Laurent Cauzinille*, Jérôme Couturier**, Stéphane Blot***, Laurent Fuhrer****, Kirsten Gnirs*****, Stéphanie Piazza******, Jean-Laurent Thibaud*******

Les explications et conseils fournis au propriétaire lors des consultations de son animal épileptique sont un facteur clé de la réussite d’une prise en charge à long terme.

L’épilepsie idiopathique est une affection nerveuse encore redoutée par les vétérinaires. En plus de la complexité du diagnostic et de la difficulté à faire comprendre la physiopathogénie aux propriétaires, la réponse thérapeutique est souvent incomplète et variable dans le temps. Après une démarche diagnostique rigoureuse qui aurait motivé des décisions thérapeutiques à détailler, il serait contreproductif de minorer l’accompagnement du propriétaire. Or, ce dernier vit une situation émotionnelle compliquée : l’animal qu’il a adopté pour partager de bons moments souffre d’une maladie chronique dont la gestion est particulièrement stressante et contraignante. Assister impuissant aux premières crises peut être choquant : après la violence des convulsions, l’animal peut rester désorienté pendant plusieurs heures, voire quelques jours. À ce propos, les réseaux sociaux sont les témoins d’un questionnement grandissant des propriétaires qui, se sentant isolés, se regroupent en communauté, à l’image d’associations de patients épileptiques en médecine humaine. Les demandes essentielles sont une information claire sur la conduite à tenir et un soutien éclairé. Le vétérinaire tient un rôle primordial dans cette prise en charge holistique avec écoute et méthode.

Afin d’optimiser le parcours de soins, un groupe de neurologues propose un consensus sur les "bonnes pratiques" d’accompagnement global du propriétaire d’un animal épileptique.

1 Accueil téléphonique

La manifestation d’une crise convulsive isolée est une urgence relative, c’est-à-dire qu’elle est une urgence pour le propriétaire, rarement pour l’animal sauf en cas de crises groupées, en série ou continues (status epilepticus). Lors de l’accueil téléphonique, il est impératif de rassurer le propriétaire. Ce dernier, souvent choqué, pense que son animal peut mourir à tout moment pendant la crise ou “avaler sa langue” ! Il est important de profiter de cet appel pour expliquer qu’une crise est généralement courte et s’arrête le plus souvent spontanément, inciter à adopter les bons gestes à avoir et indiquer que l’animal, même s’il est très agité, ne souffre pas, quand bien même il vocalise. Dans tous les cas, un rendez-vous doit être proposé dans les meilleurs délais (photo 1, figure 1).

2 Gestion immédiate

Accueil par l’auxiliaire spécialisé vétérinaire (ASV)

Le recueil des commémoratifs peut être commencé par l’ASV dans la salle d’attente si l’animal n’est pas connu de la clinique, afin de montrer de la compassion et de déstresser le propriétaire (photo 2).

Quand l’animal n’est pas ou plus en crise en arrivant à la clinique, mais qu’il est agité ou que le propriétaire est stressé, il convient de les isoler tous les deux, mais toujours sous surveillance, avant de les recevoir.

Prise en charge de la crise par le praticien

Dans le cas où une crise est en cours depuis plus de 5 minutes, il s’agit d’une réelle urgence. L’animal doit être pris en charge dès son arrivée. Si le clinicien est dans l’incapacité de gérer dans l’intégralité cet événement, il est préférable, après avoir administré un anticonvulsivant, de le référer vers une structure adaptée.

Obtention d’un abord veineux

Dans certains cas, la pose d’un cathéter est impérative :

– si l’animal est en phase postictale lors de l’arrivée, ou de la consultation, et que le propriétaire souhaite une surveillance ;

– s’il a fait plus de trois crises coup sur coup ;

– ou s’il est en status epilepticus.

Il permettra l’injection d’un anticonvulsivant par voie intraveineuse (IV) en cas de nouvelle crise (photo 3). Si l’animal est trop agité pour poser le cathéter, une administration intrarectale de diazépam (2 mg/kg) ou, mieux, une injection intramusculaire de midazolam (0,2 mg/kg) devrait permettre de le calmer. En cas de nouvelle crise, du midazolam (0,2 mg/kg), ou du diazépam (0,5 mg/kg), est administré, en IV cette fois.

Traitement de première intention

En association à l’anticonvulsivant, la molécule antiépileptique la moins dangereuse à administrer en même temps est le lévétiracétam (60 mg/kg en IV lente sur 5 minutes) ; elle peut être remplacée par le phénobarbital (18 mg/kg en IV lente sur 10 minutes si l’animal n’en recevait pas préalablement, 5 mg/kg s’il était déjà sous traitement).

Initiation de la démarche diagnostique

Ensuite, la démarche diagnostique pour déterminer la cause des crises épileptiformes doit être entamée : origine “structurelle” (secondaire ou cérébrale), "réactive" (extracrânienne ou métabolique) ou encore "idiopathique" (primaire ou essentielle) [1, 3, 5]. Quand les examens nécessaires à cette démarche ne sont pas réalisables in situ, l’animal est transféré, dès qu’il est stabilisé, vers une structure adaptée.

3 Consultation

Examen clinique

La consultation doit se dérouler selon le protocole standard : en reprenant de zéro, et non pas en se focalisant juste sur l’examen nerveux (photo 4). Le recueil de l’anamnèse se fait en présence ou non de l’animal selon son état d’agitation. Pouvoir le regarder interagir avec son environnement durant la prise des commémoratifs est toujours riche d’informations (marche sur le cercle, myoclonies aciales, déficits visuels ou moteurs, etc.). À la suite de l’examen général, un examen nerveux est conduit pour rechercher des déficits qui, s’ils existent, peuvent orienter vers une lésion intracrânienne.

Examens complémentaires

Des examens complémentaires doivent être proposés selon les hypothèses retenues :

– imagerie intracrânienne lors de suspicion de lésion structurelle ;

– analyses biologiques en cas de suspicion d’une origine réactive ;

– les deux pour aboutir, par exclusion, à un diagnostic d’épilepsie idiopathique si le client le souhaite.

Diagnostic

Cette première consultation est l’occasion d’expliquer la différence entre une crise convulsive (signe clinique d’activité électrique cérébrale anormale) et l’épilepsie (répétition de crises épileptiformes), les diverses origines possibles d’une crise, la façon de les rechercher et la conduite à tenir si une nouvelle crise se produisait [1, 3, 5].

L’âge de l’animal (plus de 6 mois, moins de 6 ans), la race (cane corso, berger belge, labrador, golden retriever, etc.), l’absence de déficit nerveux à l’examen nerveux interictal et une "normalité" rapportée par le propriétaire entre plusieurs crises sont en faveur d’une épilepsie idiopathique. Dans ce contexte, une proposition thérapeutique peut être faite sur cette simple hypothèse. Malgré tout, le diagnostic définitif d’une épilepsie idiopathique repose sur une exclusion des causes intracrâniennes et extracrâniennes et trois niveaux de certitude diagnostique d’épilepsie idiopathique ont été récemment définis :

– niveau I : animal de plus de 6 mois et de moins de 6 ans, ayant manifesté au moins deux crises, avec un examen nerveux interictal normal et un bilan biologique de base (numération et formule sanguines [NFS], biochimie, ionogramme, calcium, analyse urinaire) dans les normes ;

– niveau II (en plus des critères du niveau I) : acides biliaires préprandiaux et postprandiaux, imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale et analyse du liquide cérébro-spinal (LCS) normaux ;

– niveau III (en plus des critères du niveau II) : électroencéphalogramme interictal anormal. Cet examen reste très peu disponible à ce jour.

Traitements

Un antiépileptique est choisi en fonction des molécules disponibles en médecine vétérinaire, de leurs indications potentielles pour telle ou telle forme d’épilepsie, de leur efficacité, de leurs effets secondaires éventuels, de leurs contre-indications (le phénobarbital est à éviter chez un insuffisant hépatique) et de leur rapidité d’action (imépitoïne sur des crises rapprochées non groupées ou phénobarbital avec dose de charge) [2, 4]. Ces informations doivent être expliquées pour obtenir une adhésion du propriétaire et son consentement éclairé.

Prise en charge globale

Pour une prise en charge holistique de l’épilepsie idiopathique, il convient de considérer tous les facteurs favorisant la survenue des manifestations épileptiformes, afin d’en soustraire l’animal autant que faire se peut (bruits, luminosité, etc.). Les situations de stress ou d’excitation seront à éviter ; parfois, un psychosédatif peut avoir un intérêt. Une vie routinière sera préférée, avec une bonne observance de l’administration de l’antiépileptique. Une alimentation équilibrée riche en antioxydants et en triglycérides à chaîne moyenne, plutôt hypocalorique pour maintenir un statut pondéral dans la fourchette basse de la race, semble préférable. Par la suite, en tout début de crise, la prescription de diazépam à raison de 2 mg/kg par voie intrarectale est utile pour stopper la crise et, une ois celle-ci terminée, éviter la récidive. C’est aussi un bon moyen pour faire en sorte que le propriétaire se sente impliqué.

4 Information du propriétaire

Lors de cette consultation, une communication rassurante et une visibilité à court et moyen termes sont à développer dans l’échange avec le propriétaire (photo 5). Un objectif thérapeutique doit être fixé par le vétérinaire.

→ L’objectif “zéro crise” étant atteint dans moins d’un tiers des cas lors d’épilepsie idiopathique, le choix d’un "objectif de contrôle" optimal des crises, en deçà duquel la situation sera acceptable et au-delà duquel la situation demandera une adaptation du traitement, est décidé entre le propriétaire et le clinicien. Cet objectif peut être défini comme un succès complet, si l’intervalle entre les crises dépasse 3 mois, ou partiel, si la fréquence des crises est réduite de 50 % ou plus et que le chien ne souffre pas de crises répétées ou de status epilepticus. Dans le cas contraire, l’animal est mal contrôlé. Pour considérer être en situation d’épilepsie réfractaire, il convient d’avoir éliminé des erreurs d’observance, de sous-dosage, d’interaction médicamenteuse, et tout autre facteur favorisant le retour des crises.

→ La phase d’initiation du traitement demande plusieurs jours avant de réduire le risque de crises à venir. Elle est dépendante de la molécule sélectionnée (biodisponibilité, demi-vie, posologie, etc.), et de son mode d’administration (dose d’entretien précédée ou non d’une dose de charge).

→ La découverte ou non des effets indésirables est à discuter ; ils sont à rapporter impérativement au clinicien s’ils perdurent à moyen terme (au-delà de 2 semaines).

→ La tenue d’un calendrier des crises (fréquence, intensité, durée de la phase postictale, observance du traitement), qui peut se faire via une application comme Mon-animalepileptique. r, est indispensable pour analyser objectivement les effets du traitement.

→ En l’absence de nouvelle crise, le traitement est poursuivi pendant un minimum de 12 à 24 mois ; la nécessité ou non d’un suivi biologique (dosage sérique de l’antiépileptique, analyses biochimiques, etc.) est fonction du degré de médicalisation de l’animal, notamment de la ou des molécules choisies et du souhait du propriétaire.

→ En cas de crises trop fréquentes et d’un “objectif de contrôle” non atteint, il est conseillé de demander un rendez-vous afin d’adapter le traitement (augmentation de la dose, association d’autres molécules, etc.) et de déterminer si l’animal est seulement mal contrôlé ou véritablement réfractaire à la molécule qu’il reçoit.

À l’issue de cette consultation, un prochain rendez-vous peut être programmé 2 à 4 semaines plus tard pour effectuer un contrôle, sauf en cas d’aggravation pendant cette période, auquel cas l’animal est vu plus rapidement. Il est apprécié par tous les propriétaires de savoir que leur vétérinaire traitant est impliqué : ne pas hésiter à rappeler pour prendre des nouvelles, surtout si le propriétaire n’est pas revenu dans les 6 mois.

Quand le contrôle des crises n’est pas satisfaisant (objectif fixé non atteint), ou qu’une démarche diagnostique n’a pas été conduite jusqu’au bout au départ, ou que des signes cliniques absents en début de maladie sont apparus avec le temps, il est indispensable de faire revenir l’animal pour évaluer la nécessité d’effectuer des examens complémentaires et/ou instaurer un traitement plus adapté. La communication sur cette étape est primordiale, sinon les risques de déception seront grands. C’est le choix du propriétaire de ne pas avoir suivi une démarche diagnostique complète initialement. Mais, s’il est acceptable d’administrer un traitement probabiliste, celui-ci doit comprendre qu’en cas d’insatisfaction thérapeutique il est bien préférable de donner le traitement optimal sur une maladie qui a été “confirmée”.

Comme le propriétaire est souvent débordé d’informations au cours de cette primoconsultation, il est recommandé de lui laisser de la documentation à lire (plaquettes) ou à regarder (sites avec vidéos) tranquillement afin qu’il y (re) trouve les réponses à ses questions. Il est impératif de tout faire pour qu’il évite les forums ouverts aux conseils de non-professionnels.

5 Suivi

Le suivi est adapté à l’animal et à son épilepsie. Si un épileptique idiopathique est contrôlé (objectif fixé atteint avec le traitement), un suivi simple à mettre en œuvre peut être proposé. Deux visites par an sont conseillées : un bilan en même temps que les vaccins et une consultation spécifique épilepsie (éventuellement réalisée par un neurologue). En effet, la consultation vaccinale annuelle est l’occasion d’aborder beaucoup d’aspects de la santé de l’animal, l’épilepsie y est évoquée de manière succincte. Celle consacrée à l’épilepsie est nécessaire pour prendre le temps de faire un point exhaustif. C’est un moment d’échange avec le propriétaire qui peut ainsi avantageusement partager ses succès et ses difficultés. et se sentir véritablement accompagné dans cette maladie. Au cours de cette consultation, un bilan sanguin biochimique complet est effectué. Le dosage de l’activité des phosphatases alcalines (PAL) et alanine aminotransférase (Alat), enzymes soumises à l’induction enzymatique bénigne, doit être interprété avec prudence en cas de traitement au phénobarbital, car une augmentation n’est pas systématiquement un marqueur d’une insuffisance hépatique, mais d’une induction enzymatique physiologique. Il convient de privilégier le dosage de l’albumine et des acides biliaires pour surveiller la fonction hépatique. En effet, lors d’insuffisance hépatique, en plus des signes cliniques, une hypoalbuminémie et une augmentation des acides biliaires sont des bons indicateurs biochimiques.

En cas de traitement au phénobarbital ou au bromure de potassium, une phénobarbitalémie ou une bromémie sont réalisées impérativement lors d’échappement ou d’ajustement du traitement ; elles seront proposées à chaque visite aux propriétaires souhaitant un meilleur suivi de leur animal [2, 4].

Pour les cliniciens très impliqués, il peut être utile de demander au propriétaire d’envoyer un récapitulatif mensuel des crises ; cette fonction est disponible sur le suivi des crises de Mon-animal-épileptique.fr.

Dans le cas où l’objectif de contrôle de l’épilepsie n’est pas atteint ou a été perdu (augmentation de la fréquence, durée ou gravité des crises, prolongation ou aggravation de la phase postictale, etc.) ou d’effets indésirables non acceptables, un rendez-vous doit être pris pour évaluer la réponse thérapeutique et ajuster le traitement si nécessaire (photo 6).

La phase postictale est un élément primordial à prendre en compte dans la qualité de vie de l’animal. Une phase postictale trop longue ou très difficile témoigne d’un mauvais contrôle des crises. Un rendez-vous sera nécessaire pour réévaluer éventuellement le traitement.

Conclusion

L’adhésion du propriétaire à la prise en charge de son animal épileptique est liée à l’accompagnement prodigué par le vétérinaire. Ce suivi est une étape importante à prendre en considération dans la démarche. L’arbre décisionnel proposé à la fin de ce dossier a pour but d’aider à systématiser les étapes afin de faciliter la mise en place de cet accompagnement.

Références

  • 1. Berendt M, Farquhar RG, Mandigers PJ et coll. International veterinary epilepsy task force consensus report on epilepsy definition, classification and terminology in companion animals. BMC Vet. Res. 2015;11:182. doi. org/10.1186/s12917-015-0461-2.
  • 2. Bhatti SFM, De Risio L, Muñana K et coll. International veterinary epilepsy task force consensus proposal: medical treatment of canine epilepsy in Europe. BMC Vet. Res. 2015;11:176. doi.org/10.1186/ s12917-015-0464-z.
  • 3. Blot S et coll. Consensus du groupe d’étude en neurologie. Prat. Vet. 2016;136:194-197.
  • 4. Podell M, Volk HA, Berendt M et coll. 2015 Acvim Small animal consensus statement on seizure management in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2016;30 (2):477-490. doi: 10.1111/jvim.13841. Epub 2016 eb 22.
  • 5. Risio L, Bhatti S, Muñana K et coll. International veterinary epilepsy task orce consensus proposal: diagnostic approach to epilepsy in dogs. BMC Vet. Res. 2015;11:148. doi: 10.1186/ s12917-015-0462-1.

Conflit d’intérêts

Les auteurs sont membres du Groupe de travail en épileptologie vétérinaire, partenaire du laboratoire TVM