TOXICOLOGIE
Fiche toxicologie
Auteur(s) : Laurence Tavernier
Fonctions : CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
En tant que drogue licite, la nicotine peut facilement se retrouver dans l’environnement des animaux de compagnie. Or sa banalité ne doit pas en faire oublier le danger.
La nicotine est le principal alcaloïde du tabac, Nicotiana tabacum, qui en contient entre 2 et 8 %. L’ingestion de la plante elle-même reste anecdotique, les animaux étant surtout exposés aux produits du tabac. Les cigarettes prédominent (10 à 15 mg de nicotine par unité environ, avec une fourchette qui va de 6 à 20 mg, voire 30 mg), sachant que les mentions qui figurent sur les paquets correspondent à la dose de nicotine inhalée et non à la dose totale dans chaque cigarette. Puis viennent le tabac à rouler et parfois les cigares (100 à 444 mg de nicotine par unité). Les préparations pour narguilé (tabamel ou “tabac à chicha”) contiennent environ 30 % de tabac. La nicotine est aussi présente dans les solutions pour inhalation destinées aux cigarettes électroniques (flacons de 10 à 50 ml contenant jusqu’à 20 mg/ml) ou dans des médicaments d’aide au sevrage tabagique comme les gommes à mâcher (2 à 4 mg), les pastilles (1 à 2,5 mg), les dispositifs transdermiques (15 à 114 mg par patch) ou les sprays (179,5 mg par flacon).
Dans les cas recensés par le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des dix dernières années, l’intoxication par le tabac ou d’autres sources de nicotine, sans être extrêmement réquente, fait l’objet d’interrogations régulières.
Il s’agit essentiellement d’accidents domestiques, les animaux ayant eu accès aux produits du tabac laissés à leur portée (paquets de cigarettes, mégots dans le cendrier, etc.). Les espèces concernées sont donc majoritairement des animaux domestiques : chiens (87 % des cas), chats (9 %) et parfois nouveaux animaux de compagnie (psittacidés, rongeurs, lapin ou furet).
La DL50 de la nicotine chez le chien est estimée à 9,2 mg/kg, mais des signes de toxicité peuvent se manifester dès 1 mg/kg.
La nicotine simule l’effet de l’acétylcholine au niveau des récepteurs postsynaptiques, dits nicotiniques, du système nerveux central, des ganglions sympathiques et parasympathiques, ainsi que des jonctions neuromusculaires des muscles squelettiques. À faible dose, elle a un effet stimulant. Lorsque la dose est plus forte, cet effet initial est ensuite stoppé par une dépolarisation persistante des récepteurs nicotiniques, qui bloque ces derniers.
Les signes d’appel surviennent généralement dans l’heure qui suit l’ingestion.
– Troubles digestifs : vomissements (stimulation centrale), salivation, défécations (augmentation du péristaltisme).
– Troubles cardiovasculaires : dans la phase initiale, une bradycardie (parfois associée à une fibrillation atriale) et une vasoconstriction périphérique sont observées. Au ur et à mesure du blocage des récepteurs, la fréquence cardiaque redevient normale, puis au contraire une tachycardie se déclare, parfois accompagnée d’arythmies ventriculaires. Si la dose est élevée, une vasodilatation est possible.
– Troubles neurologiques : une stimulation du système nerveux central est observée, avec agitation, tremblements, voire convulsions. En pratique, des troubles de l’équilibre ou de la somnolence sont régulièrement rapportés. À forte dose, ils évoluent vers une phase de dépression, à l’origine d’une paralysie descendante. La mort peut survenir à la faveur d’une défaillance respiratoire, consécutive à la paralysie du diaphragme et des muscles respiratoires. Une mydriase est possible, mais un myosis peut aussi être présent.
La recherche de nicotine, bien que réalisable sur le contenu gastrique, l’urine, le sang, le rein et le foie, n’est généralement pas nécessaire. En effet, l’intoxication survient réquemment dans un contexte domestique, où le toxique ingéré est identifié, et sa rapidité limite l’intérêt de la recherche analytique. Dans la prise en charge de l’intoxication, un monitoring cardiaque est recommandé, de même qu’une mesure de la pression artérielle.
Il n’existe pas d’antidote à la nicotine. Le traitement éliminatoire, à mettre en place précocement, comprend :
– des vomitifs (ou un lavage gastrique) comme l’apomorphine à raison de 0,1 mg/kg par voie souscutanée (SC, la plus efficace chez le chien, contre-indiquée chez le chat), la xylazine (0,4 mg/kg SC) ou la médétomidine (30 à 90 µg/kg SC), voire l’eau oxygénée à 10 volumes (1 à 4 ml/kg per os, attention à l’irritation induite, surtout chez le chat). Les vomissements spontanés précoces sont à respecter. Pour les liquides de cigarettes électroniques, l’efficacité des vomissements est limitée par le faible volume ingéré. Lors d’ingestion d’un patch, une extraction sous endoscopie peut être envisagée ;
– du charbon végétal activé (1 à 4 g/ kg per os) si l’état de conscience est suffisant pour éviter le risque de ausse route ;
– une fluidothérapie et une acidification des urines, sous réserve que l’animal ne soit pas en état d’acidose, qui favorisent l’élimination de la nicotine.
Le traitement symptomatique inclut :
– des antivomitifs tels que le maropitant (1 mg/kg par voie intraveineuse [IV] ou SC) ou le métoclopramide (0,2 à 0,5 mg/kg par voie intramusculaire [IM] ou SC) si les vomissements sont excessifs ou deviennent improductifs. Les antiacides sont à éviter car ils pourraient favoriser l’absorption de la nicotine, qui est ralentie par l’acidité gastrique ;
– lors de tremblements intenses ou de convulsions, du diazépam (0,5 à 2 mg/kg, par voie intrarectale ou IV), voire des barbituriques (phénobarbital à la dose de 2 à 10 mg/kg IM, SC ou IV) sont indiqués, à renouveler selon la réponse au traitement ;
– de l’atropine (0,02 à 0,04 mg/kg, IV ou IM) ou du glycopyrrolate (0,01 mg/kg) est administré en cas de bradycardie, des bétabloquants (propranolol à raison de 0,02 à 0,06 mg/kg, en IV lente jusqu’à la dose d’effet) lors de tachycardie ;
– la mise sous oxygène, voire sous respiration assistée, s’impose en cas de défaillance respiratoire.
Il dépend essentiellement de la dose de nicotine ingérée. Il peut donc être amélioré par les vomissements précoces, spontanés ou provoqués, qui permettent d’en éliminer une partie.
Pour les faibles quantités, le pronostic est généralement bon, avec une récupération dans les 5 à 6 heures qui suivent l’ingestion.
En cas de dose massive, le pronostic est réservé, voire sombre si la prise en charge n’a pas été précoce. Il s’améliore si l’animal peut être stabilisé au cours des 4 heures suivant l’ingestion, ou s’il survit plus de 12 heures après le début des signes cliniques.
Aucun.
1. Avis de l’Anses (2015). Évaluation des dangers de la nicotine. Rapport d’expertise collective. https://www.anses.fr/fr/system/files/SUBCHIM2014sa0130Ra.pdf
2. Osweiler GD, Hovda LR, Brutlag AG, Lee JA. Nicotine/Tobacco. In: Blackwell’s five-minute veterinary consult. Clinical companion. Small animal toxicology. Wiley-Blackwell. 2010:306-312.
3. Peterson ME, Talcott PA. Small animal toxicology, 3rd edition, Saunders Elsevier. 2013:911p.