PROFESSION
Article de synthèse
Auteur(s) : Grégoire Roncigli*, Yves Millemann**
Fonctions :
*SCP Vétérinaire Arquillière Madet Magnan
Mayot De Coninck
5 rue Paul Seramy, Z.A. les Jalfrettes
03500 Saint-Pourçain sur Sioule
**Département des productions animales
et de santé publique
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort
Le maillage vétérinaire rural en France se réduit comme une peau de chagrin. Depuis quelques années, des solutions sont envisagées pour pallier le manque de ruraux.
Le maintien d’un maillage vétérinaire rural conditionne celui d’un niveau sanitaire satisfaisant dans les élevages, et il contribue également à la santé publique au sens large (lutte contre les maladies réglementées, les zoonoses, etc.)(1).
Or, la population française s’urbanise progressivement depuis plus d’un siècle. Cet exode concerne aussi le métier de vétérinaire rural. Plusieurs solutions sont proposées par la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) et les écoles vétérinaires françaises pour tenter de pallier progressivement le manque de renouvellement des praticiens dans les zones rurales.
Cet article présente une synthèse bibliographique de la démographie vétérinaire française et aborde les problématiques qui en découlent, ainsi que les solutions proposées. L’élaboration et le déroulement d’une enquête visant à évaluer l’une de ces solutions, la formation de type tutorat, appuyée sur le dispositif national des stages tutorés soutenu par la Direction générale de l’alimentation (DGAL), sont ensuite exposés. Enfin, la dernière partie est consacrée aux résultats de cette étude : l’apport du tutorat à la pénurie de vétérinaires ruraux, les aspects attractifs de cette formation, mais aussi ceux perçus négativement.
En un siècle, certains départements ont vu leur population diminuer, en raison d’un exode rural progressif, engendré par les différentes révolutions industrielles et sociales [3].
Il en est de même pour la profession de vétérinaire. De moins en moins de praticiens exercent auprès des animaux de rente. En 2018, 51,5 % des vétérinaires soignaient exclusivement des animaux de compagnie [1]. Plus inquiétant, la même année, 201 vétérinaires dits ruraux ont cessé leur activité (retraite, arrêt temporaire ou complet, etc.) pour seulement 111 nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre. Cela représente une perte de 90 vétérinaires praticiens ruraux sur la seule année 2018.
Ce phénomène, notable depuis quelques décennies, s’accentue et les conséquences sur le terrain sont bien réelles.
L’objectif n’est pas de dresser une liste exhaustive de toutes les conséquences dues au manque de vétérinaires ruraux, mais d’en citer quelques-unes, afin de mettre en évidence les différents facteurs qui entrent en jeu.
Tout d’abord, la réalisation de la prophylaxie obligatoire dans certains départements devient de plus en plus complexe. Par exemple, dans l’Aude, un cabinet rural a été contraint de fermer, faute de praticiens [7]. Certains éleveurs étaient alors à plus d’une heure et demie du premier vétérinaire en mesure d’effectuer cette mission.
De même, le dépistage et la mise en place de plans d’éradication pour certaines maladies se heurtent à l’absence de moyens humains. Par exemple, le visna-maëdi ne fait l’objet d’aucun plan d’éradication depuis plus de quarante ans, en partie à cause d’un manque de vétérinaires nécessaires à sa détection et à sa prise en charge [6].
Enfin, si la situation n’évolue pas, il est facile d’imaginer d’autres conséquences telles que la réémergence de maladies potentiellement zoonotiques comme la brucellose ou la tuberculose, en raison d’un manque de moyens alloués à la prophylaxie, une dégradation du bien-être animal dans les élevages, ou encore des défauts de pharmacovigilance dans certains cheptels dus à l’éloignement du premier vétérinaire en mesure d’intervenir, etc.
Les impacts tant en santé animale qu’en santé publique vétérinaire demeurent importants.
La DGER et les quatre écoles vétérinaires françaises explorent plusieurs pistes pour assurer le maintien d’un maillage vétérinaire rural.
L’une des premières solutions s’inscrit dans “l’européanisation” du diplôme vétérinaire. Ainsi, une série de réformes progressives vise à harmoniser les cursus entre les quatre écoles, depuis une dizaine d’années. Outre une meilleure lisibilité du diplôme français pour nos voisins européens, le but est de garantir une formation rurale de qualité dans toutes les ENV [2].
Une piste récente consiste à modifier le système de sélection des étudiants, avant même leur entrée dans l’école, avec d’une part des épreuves de concours (notamment le concours A) modifiées, et d’autre part un numerus clausus qui fait la part belle au concours C (de 2018 à 2020) [2]. En outre, quelques places sont ouvertes, en 2020, à des étudiants issus d’une sélection post-bac(2).
Une dernière solution se rapporte à la formation fondée sur le tutorat [2, 4]. Entre 2014-2015 et 2019-2020, 149 étudiants ont effectué leur 5e année d’études en passant par le dispositif des stages tutorés. Cette formation se rapproche du système par alternance, la durée totale des stages étant portée à 18 semaines dans une structure unique avec un exercice rural.
Après cinq années d’existence, un premier bilan sur l’efficacité de la solution du tutorat a été tiré. L’évaluation de cette formation, qui s’inscrit dans le cadre d’une thèse vétérinaire, a permis d’en souligner les points forts et les faiblesses, dans un objectif d’optimisation [9].
Afin de récolter des données significatives, tous les étudiants, actuels et anciens, qui ont suivi la voie du tutorat de 2014-2015 à 2019-2020 ont été contactés. Un maximum d’étudiants inscrits en 5e année rurale plus classique, au cours de cette même période, ont aussi été interrogés.
À partir de la liste complète des participants communiquée par le comité de pilotage de la formation (CoPil), les vétérinaires tuteurs ont été contactés individuellement par courriel, et ceux ayant effectué une formation classique par l’intermédiaire de publications sur différentes pages Facebook.
Finalement, quatre sous-populations ont été constituées : les vétérinaires sortis de l’école ayant suivi la formation tutorat, ceux sortis de l’école ayant suivi une formation classique, les étudiants encore à l’école en formation tutorat, et les étudiants encore à l’école en formation classique.
Pour tenir compte des différences entre les sous-groupes, quatre questionnaires ont été mis au point. Cependant, pour conserver une certaine comparabilité, chaque questionnaire a dérivé d’un questionnaire unique qui a ensuite été légèrement modifié pour correspondre à chaque sous-population.
Après des questions d’ordre général (école d’origine, date de la 5e année, etc.), les choix d’orientation ont été listés (branche envisagée en 1re année par rapport à l’actuelle, formation ou exercice selon la date de sortie d’école, etc.). Une question supplémentaire a été posée aux confrères ayant suivi le stage tutoré : quelle formation auraient-ils choisi si le tutorat n’avait pas existé ? Elle visait à mettre en évidence un éventuel changement d’avis, influencé ou non par l’existence du tutorat.
Enfin, une série de questions ont porté sur le tutorat. Il s’agissait d’évaluer les aspects attractifs de cette formation en regard de ceux qui auraient pu amener le répondant à suivre une formation plus traditionnelle. Pour cela, chaque participant à l’enquête devait choisir au maximum trois items du questionnaire (élaboré au préalable avec la collaboration de plusieurs étudiants de chaque école), avant de les hiérarchiser dans la question suivante. Un encadré “remarques” était également proposé, afin de laisser les sondés exprimer au maximum leur avis sur la formation tutorat.
Au total, 109 personnes ont répondu aux différents questionnaires. Dans toutes les sous-populations, le taux de réponse est relativement bas. Cela pose une première limite d’interprétation à cette étude. En effet, sur les 149 étudiants ayant suivi la formation tutorat de 2014 à 2019, seuls 61 ont répondu (41 %). Ce pourcentage tombe à 7 % pour les étudiants ayant suivi une formation classique (48 réponses sur 674 répondants potentiels).
Le taux de réponse est plus élevé chez les étudiants encore à l’école (74 sur 199) que chez les praticiens sortis de l’école (35 sur 624). Cependant, la répartition au sein des écoles est assez homogène, bien qu’une majorité de répondants soient issus de l’ENV d’Alfort (38,35 %) (figure 2).
À la question « si le tutorat n’avait pas existé, quelle 5e année auriez-vous choisie ? », posée aux 56 répondants ayant suivi la voie du tutorat, seuls 52 affirment qu’ils auraient choisi une formation ou un exercice en rurale. Le tutorat aurait donc “attiré” 4 étudiants supplémentaires vers la pratique rurale. Bien que la faible taille de l’échantillon réduise la fiabilité de cette interprétation, ce point mérite d’être souligné.
L’évolution du projet professionnel entre la 1re et la 5e année est impossible à interpréter. En effet, l’augmentation globale de répondants souhaitant suivre une formation rurale (de 78 en 1re année à 97 au moment du questionnaire) est influencée par un biais de sélection, puisque les personnes interrogées ont toutes suivi une 5e année orientée vers l’exercice rural (figures 3).
Concernant les aspects attractifs de la formation tutorat, afin d’interpréter au mieux les réponses, chaque critère a été pondéré selon la hiérarchisation donnée par le répondant : le critère choisi en premier vaut 3 points, le dernier 1 point.
Le critère qui se démarque largement est « l’aspect pratique et professionnalisant de la formation », avec 94,5 % des choix et 271 points pondérés (sur 327 points possibles au maximum). Cette voie semble perçue comme « une entrée en douceur et beaucoup plus progressive dans le monde professionnel ». Le tutorat, grâce à son aspect « pratique » marqué, trouve là son plus gros atout.
Les deux critères suivants affichent des résultats assez proches : « la durée totale des stages » (45,9 % des choix et 85 points) et « une formation davantage axée sur l’exercice mixte » (44 % des choix et 86 points). Concernant la durée de stage, les remarques rejoignent celles du premier critère : après au moins six années presque exclusivement théoriques (à l’exception de la 4e année d’ENV), l’aspect “vétérinaire de terrain” de la formation tutorat apparaît très attirant. Aucun répondant de VetAgro Sup n’a choisi le critère “mixte” puisque les étudiants y disposent déjà d’une formation mixte autre que le tutorat. Le résultat obtenu sur ce critère l’est donc uniquement sur les trois autres écoles : l’aspect “mixte”, par opposition à la “rurale pure”, attire une quantité non négligeable de répondants.
Le critère perçu comme le plus négatif (58,3 % des choix et 68 points) est « le manque de diversité dû à la localisation unique des stages ». En effet, la crainte est de n’apprendre qu’une seule méthode, dans une seule structure, et de se restreindre à une filière de production (bovins allaitants, par exemple). Malheureusement, cet aspect est difficile à corriger puisque le côté “pratique” évoqué plus haut est lié à la longueur du stage au sein d’une même structure, mettant les employeurs en confiance et poussant à l’autonomie.
Les deux critères suivants sont « l’absence de participation aux enseignements des autres cursus de 5e année rurale » (33,3 % des choix et 36 points) et « la crainte d’une mauvaise ambiance à supporter 18 semaines » (27,1 % des choix et 30 points). Pour ce dernier critère, il est là encore difficile d’y remédier, une diminution de la durée totale du stage ne s’inscrivant pas dans l’optique de la formation tutorat. Concernant l’exclusion de certains enseignements dispensés dans les autres 5e année, une amélioration est envisageable. Elle nécessiterait cependant une organisation de la 5e année de tutorat très minutieuse et contraignante.
Le métier de vétérinaire rural subit un déclin progressif depuis quelques années, ce qui engendre des problématiques de terrain, susceptibles de s’accentuer dans les prochaines années.
Malgré un biais d’interprétation, dû à la taille réduite de l’échantillon, cette enquête propose une évaluation de la plus-value, ainsi qu’une ébauche de questionnement pour tenter d’améliorer une des solutions proposées : le tutorat. Il semble que quatre étudiants aient choisi de s’orienter vers l’exercice rural grâce à l’existence du stage tutoré. Perçue comme pratique et professionnalisante par la quasi-totalité des répondants, cette formation peut toutefois être encore améliorée. Des évolutions peuvent être envisagées, comme la réduction de 18 à 16 semaines obligatoires au sein d’une seule structure, et l’ajout de quatre semaines de stage dans une autre clinique avec des productions différentes. De plus, intégrer, au moins de façon optionnelle, les enseignements de la 5e année classique à l’emploi du temps annuel des étudiants en tutorat permettrait de rassurer certains élèves.
Un autre aspect pourrait venir compléter ce travail : une enquête auprès de tous les étudiants vétérinaires, c’est-à-dire également ceux qui ont opté pour une 5e année orientée canine ou équine, afin de comprendre exactement pourquoi l’exercice rural semble attirer de moins en moins. Bien que des études sociologiques aient déjà été réalisées, il apparaît important et même urgent de comprendre les raisons de cette désaffection, afin de pouvoir combattre, de la façon la plus efficace et la plus précise possible, la désertification en cours.
(1) Voir l’article de S. Gardon dans ce numéro.
(2) Arrêté du 1er août 2019 relatif au concours commun d’accès dans les écoles nataionales vétérinaires, JORF n° 0189 du 15 août 2019 (texte n° 20).
Aucun.
En 2021, les futurs bacheliers qui souhaiteront devenir vétérinaire pourront s’inscrire via Parcoursup dans les écoles nationales vétérinaires. Au total, 160 places seront disponibles, selon des modalités d’inscription prédéfinies (dossier scolaire et entretiens). Ils suivront une année de cycle préparatoire intégrée, dispensée dans les ENV. Ce mode de recrutement post-bac vise à augmenter le nombre de vétérinaires formés pour la pratique rurale, à favoriser l’ouverture sociale et à diversifier le recrutement des grandes écoles. En parallèle, 480 étudiants continueront à être recrutés dans les ENV par le concours A (post-classe préparatoire), le concours B (étudiants de licence et licence professionnelle dans les domaines des sciences de la Terre, des sciences de la vie et de la Terre et des sciences de la matière) et le concours C (titulaires d’un BTS, DUT, BTSA, DTSM ou BTSM dans le secteur industriel, comme la chimie, la biologie ou encore la qualité).
→ Il existe un manque croissant de vétérinaires praticiens ruraux.
→ La voie du tutorat apporte un élément de réponse à cette problématique (4 étudiants sur 61 se sont orientés vers l’exercice rural grâce à un stage tutoré).
→ Cette formation présente des attraits évidents, mais aussi de nombreux points à améliorer.