NÉONATALOGIE
Dossier
Auteur(s) : Amélie Mugnier*, Aurélien Grellet**, Hanna Mila***, Sylvie Chastant****
Fonctions :
*NeoCare
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31000 Toulouse
**NeoCare
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31000 Toulouse
***NeoCare
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31000 Toulouse
****(Dipl. ECAR)
*****NeoCare
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31000 Toulouse
La survie des nouveau-nés d’une portée est un enjeu essentiel pour les éleveurs. L’identification de paramètres permettant de la prévoir est un atout majeur.
Chez le chiot, comme chez le porcelet ou l’enfant, un faible poids de naissance est un facteur de risque majeur de mortalité et de morbidité néonatales (c’est-à-dire au cours des 21 premiers jours de vie dans l’espèce canine) (photo 1) [1-3]. Chez le chien, la définition même d’un petit poids de naissance est rendue complexe par la grande variabilité staturale rencontrée dans cette espèce.
Une étude épidémiologique à grande échelle a donc été menée avec deux objectifs :
- identifier les facteurs de risque de mortalité néonatale chez le chiot, donc vérifier l’impact du poids de naissance ;
- déterminer pour différentes races canines des valeurs seuils de poids de naissance, c’est-à-dire les valeurs en dessous desquelles le taux de mortalité néonatale est significativement augmenté.
Dans toute la France, des éleveurs ont été contactés par courriel, ou lors de manifestations canines, et invités à transmettre les valeurs de poids de naissance enregistrées dans leur élevage (photo 2). À la fin de la collecte des données, seules les races représentées par au moins 100 chiots ont été incluses dans l’analyse qui a été conduite en deux étapes.
Tout d’abord, des modèles linéaires mixtes généralisés ont été construits afin de vérifier l’influence du poids de naissance sur la mortalité néonatale, précoce (entre 0 et 2 jours de vie) et tardive (entre 2 et 21 jours), en prenant en compte certaines caractéristiques du chiot et de sa portée. Ce type de modèle comporte à la fois des facteurs fixes, pour lesquels le lien avec la mortalité est évalué, et des facteurs dits aléatoires. Ces derniers ont permis, dans cette analyse, de prendre en compte la variabilité de la mortalité néonatale, d’un élevage à l’autre et d’une femelle à l’autre. L’objectif était de tenir compte du fait que les chiots issus d’un même élevage et d’une même femelle sont potentiellement plus proches entre eux que des chiots provenant d’autres élevages ou nés d’une autre mère. Les facteurs fixes de l’analyse ont inclus le poids de naissance, la présence ou non de mort-nés dans la portée, la taille de la portée (nombre total de chiots nés vivants), l’hétérogénéité de la portée en termes de poids de naissance, et la taille de l’élevage.
La deuxième étape a consisté à identifier des valeurs seuils de poids de naissance par race. Deux méthodes statistiques ont été utilisées : l’analyse ROC (receiver operating characteristics, courbe de sensibilité/spécificité) et les arbres de décision (analyse Cart, pour classification and regression tree). Ces deux approches ont permis d’identifier des catégories de risque de mortalité néonatale (faible, modéré et élevé) (figure 1).
Les données concernant 6 694 chiots issus de 1 202 portées (nées entre 1994 et 2017) et appartenant à 27 races différentes ont été analysées. Elles ont été transmises par 75 éleveurs répartis sur le territoire français.
Les poids de naissance varient de 36 g (chez un chiot chihuahua) à 940 g (chez un terre-neuve), avec des moyennes par race comprises entre 120 et 630 g, respectivement pour le chihuahua et le terre-neuve (tableau 1). Le taux de mortalité néonatale chez les chiots nés vivants est de 9 % sur l’ensemble de la population (604 sur 6 694, intervalle de confiance à 95 % : 8,3 à 9,7). Il varie de 0 % chez le malamute à 21,5 % chez le bichon frisé (tableau 2).
Entre la naissance et 2 jours de vie (période néonatale précoce), seuls deux des facteurs évalués présentent une influence significative sur la mortalité : le poids de naissance et l’hétérogénéité des poids de naissance au sein de la portée. Les chiots nés petits, avec des frères et/ou des sœurs plus gros (portées hétérogènes), affichent un taux de mortalité néonatale précoce plus élevé que ceux nés avec un poids normal, ou nés petits mais peu différents des autres membres de la portée (11,6 % versus 2,3 %). Entre 2 et 21 jours de vie (période néonatale tardive), la mortalité n’est plus influencée que par le poids de naissance.
Compte tenu de l’influence importante du poids de naissance sur la mortalité néonatale, ce paramètre a fait l’objet d’une analyse approfondie. Il s’agissait de définir des valeurs critiques permettant d’identifier les individus présentant un risque accru de mortalité afin de pouvoir leur prodiguer des soins spécifiques.
Dans la population étudiée, chez les chiots classés dans la catégorie “risque élevé”, le taux de mortalité néonatale est de 61 %, au lieu de 11 % pour la catégorie “risque modéré” et 4 % pour la catégorie “risque faible”. Pour 12 races canines, des valeurs seuils de poids de naissance ont pu être déterminées, permettant ainsi de définir des catégories de risque de mortalité néonatale (faible, modéré et élevé) (figure 2). La comparaison des différentes races montre qu’elles ne présentent pas toutes la même sensibilité à la réduction du poids de naissance. Par exemple, le poids de naissance moyen est équivalent en race labrador et en race rottweiler (respectivement 410 g et 404 g), alors que les seuils critiques sont très différents, respectivement 247 g chez le labrador et 345 g chez le rottweiler. La race rottweiler est donc nettement plus sensible à une insuffisance de croissance intra-utérine.
Cette étude est réalisée sur une population de grande taille comportant plus de 6 000 chiots. Cependant, il n’est pas possible d’affirmer qu’elle est représentative de l’ensemble de la population canine française, les éleveurs ayant participé sur la base du volontariat, ce qui entraîne un possible biais de sélection de l’échantillon. Néanmoins, la mortalité néonatale chez les chiots nés vivants est de 9 % dans la population étudiée, ce qui est très proche du chiffre obtenu dans une étude ayant porté sur environ 25 % des chiots de race pure nés en France, et est cohérent avec les autres études portant sur le sujet [4, -6].
Les valeurs de poids de naissance varient entre une centaine de grammes chez le chihuahua à plus de 600 g chez le terre-neuve. L’analyse réalisée souligne l’importance de travailler spécifiquement par race, sans simplifier en les regroupant par format. En effet, des différences significatives de poids de naissance sont observées entre des races d’un même gabarit. Par exemple, chez trois races qui ont le même format, avec un poids à l’âge adulte compris entre 25 et 30 kg, les poids de naissance moyens sont statistiquement différents : 506, 464 et 395 g pour respectivement le berger allemand, le boxer et le golden retriever (tableau 1). Pour mieux comprendre ces différences, des études plus poussées sur le poids de naissance et ses déterminants dans l’espèce canine sont nécessaires. De plus, en raison de la sélection réalisée par l’homme, la morphologie des races est en constante évolution. Ainsi, des différences de poids de naissance
pour une race donnée pourraient être observées entre deux pays, voire entre deux lignées au sein d’un même pays.
Le poids de naissance a déjà été identifié comme l’un des paramètres influençant la mortalité néonatale dans l’espèce canine [7]. En effet, ces animaux ont peu de réserves corporelles à la naissance, ce qui s’accompagne d’une augmentation du risque d’hypoglycémie et d’hypothermie [8]. Dans l’étude, la mortalité néonatale précoce est également influencée par l’hétérogénéité des poids de naissance au sein de la portée. Ce dernier paramètre est largement étudié chez le porcelet (photo 3). Dans cette espèce, la conduite en bandes permet aux éleveurs d’homogénéiser les poids de naissance au sein des portées grâce à des adoptions croisées. Les porcelets de petits poids de naissance se retrouvent ainsi au milieu de porcelets de même gabarit. Ils ne sont donc plus désavantagés dans la compétition pour l’accès à la mamelle, et voient ainsi leurs chances de survie augmenter. Cette stratégie ne peut être employée chez la chienne, tant il est rare que plusieurs femelles mettent bas le même jour dans le même élevage. L’influence de paramètres tels que la parité ou l’âge de la mère mériterait en outre d’être explorée.
Effectuer une pesée des chiots à la naissance permet de repérer immédiatement les individus les plus à risque de mortalité néonatale grâce aux seuils définis par race (photo 4). La réalisation de cette mesure, qui ne nécessite aucune manipulation invasive, est peu coûteuse, rapide et facile à mettre en œuvre sur le terrain, avec un résultat immédiat. Les nouveau-nés ainsi identifiés pourront être rapidement pris en charge, avec une surveillance accrue et des soins adaptés de manière à augmenter leurs chances de survie. Outre la détermination des seuils critiques dans d’autres races, des études complémentaires doivent être envisagées pour identifier les facteurs conduisant à la naissance de chiots de petits poids au sein d’une portée, permettant ainsi de prévenir cette situation à risque.
Aucun.
L’équipe NeoCare remercie les 75 éleveurs canins qui ont transmis leurs données et sans lesquels ce travail n’aurait pu être mené. Une étude similaire est en cours chez le chat.