NÉONATALOGIE
Dossier
Auteur(s) : Sylvie Chastant
Fonctions : (Dipl. ECAR)NeoCare
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31000 Toulouse
La survie des nouveau-nés d’une portée dépend de leur alimentation lactée. Dans certains cas, la mère ne peut y subvenir et il est possible d’y remédier.
Un défaut de production de lait chez les femelles des carnivores domestiques est soit absolu (la mère produit une quantité de lait négligeable), soit relatif (la quantité de lait produite est simplement insuffisante au regard de la taille de la portée). Il peut s’agir d’un déficit de synthèse ou d’un défaut d’expulsion du lait. Le diagnostic est établi via l’observation du faible développement (épaisseur) du tissu mammaire, l’absence de lait à la mulsion et, surtout, en considérant les plaintes des jeunes ou, de façon plus objective, la faiblesse de leur prise de poids (d’où l’intérêt d’un suivi des chiots et des chatons). Le défaut d’éjection pur est le plus souvent lié à une anxiété ou à une douleur aiguë (par exemple après une césarienne ou en cas de mammite) ; le tissu mammaire est épaissi, mais aucune sécrétion (ou très peu) n’en est exprimée.
Les stratégies pour augmenter la quantité de lait disponible pour les jeunes sont doubles. Du côté de la mère, elles visent à tenter d’intensifier la production. Il s’agit de s’assurer au préalable qu’elle dispose des apports suffisants pour la synthèse des éléments du lait, puis d’accroître la synthèse/libération de prolactine (responsable de la synthèse du lait) et d’ocytocine (responsable de l’éjection du lait lors de la tétée). Les mesures médicamenteuses doivent être associées à une prise en charge plus globale de la femelle. En ce qui concerne les nouveau-nés, dans tous les cas, des nutriments doivent être fournis, complétés d’un apport immunitaire si le déficit de production concerne le colostrum (1).
Les besoins nutritionnels liés à la lactation, hydriques et alimentaires (2), doivent être couverts, voire anticipés, car durant le dernier tiers de la gestation, la croissance des fœtus est exponentielle :
- les apports hydriques (photo 1), fournis en permanence et à volonté (l’eau est le composant principal du lait), doivent rester propres et inaccessibles pour les chiots ou les chatons afin de prévenir les noyades ;
- les apports alimentaires doivent être suffisants, via la mise à disposition à volonté d’un aliment très énergétique riche en protéines et en calcium (de type croquettes de sevrage pour chiots), en particulier si la portée est nombreuse ou si la note d’état corporel de la mère à la mise bas est insuffisante (moins de 5 à 6 sur une échelle de 9). En raison d’un comportement maternel excessivement développé, la femelle peut parfois refuser de quitter la case de mise bas (ou tout lieu où se trouvent les nouveau-nés) et de se nourrir. Dans ce cas, il faut stimuler la consommation alimentaire en présentant la gamelle directement à la femelle.
Il est primordial de rechercher, et de prendre en charge le cas échéant, les affections intercurrentes (en particulier les infections, et notamment la métrite post-partum) qui sont responsables d’une diminution de la synthèse de lait. Un part languissant est également un facteur de risque (photo 2).
La prolactine est synthétisée par l’antéhypophyse. Sa production est stimulée par la sérotonine et inhibée par la dopamine. Elle peut donc être augmentée à l’aide des médicaments dopaminergiques, utilisés en particulier comme antiémétiques.
Le métoclopramide (Emeprid®, Métomotyl 5®) a une action antagoniste centrale des récepteurs dopaminergiques D2. Il passe la barrière hémato-méningée et peut provoquer des signes extrapyramidaux (agitation, anxiété, prostration, tremblements, agressivité, vocalises, positions et mouvements anormaux). Une surveillance du comportement de la mère vis-à-vis des chiots ou des chatons est donc nécessaire. Il est possible de commencer par administrer de faibles doses (0,2 à 0,5 mg/kg trois fois par jour per os ou par voie parentérale) pendant 24 à 48 heures [5]. Si la production laitière n’augmente pas, ou pas suffisamment, il convient de les majorer progressivement en observant l’apparition d’éventuels effets indésirables (qui surviennent le plus souvent à des doses supérieures à 2 mg/kg/jour). La posologie peut atteindre 1 à 5 mg/kg toutes les six à huit heures [3, 7, 8].
La dompéridone (sans spécialité vétérinaire actuellement disponible), autre antagoniste périphérique de la dopamine, est moins couramment utilisée pour augmenter la production laitière chez les carnivores domestiques. Pourtant, son très faible passage de la barrière hématoméningée diminue le risque d’apparition d’effets extrapyramidaux. Son effet indésirable majeur chez la chienne est la diarrhée. En l’absence d’essai contrôlé, la posologie varie entre 0,1 et 2,2 mg/kg per os deux fois par jour chez la chienne, et 1,5 à 2 mg/kg per os chez la chatte [8, 9].
Notons que l’efficacité de ces traitements, en termes de production de lait, n’a fait l’objet d’aucune évaluation scientifique. C’est le cas également des produits à base de plantes, conseillés pour “soutenir l’allaitement” chez la femme. Le métoclopramide et la dompéridone passent dans le lait (avec un ratio lait/plasma de 1,8 pour le premier et de 0,2 à 1 pour la seconde dans l’espèce humaine), mais aucune toxicité n’est rapportée chez l’enfant. Il en est de même chez le chiot ou le chaton, là encore sans validation scientifique.
Les séances d’acupuncture sur les points LI4 et SI1 sont réputées stimuler la lactation [7].
Les contacts des nouveau-nés avec la mère (lien physique avec le tissu mammaire, sollicitation des trayons par les tétées même peu productives, bruits émis par les jeunes) stimulent la production de lait.
De la même façon, des manipulations locales, comme le massage des mamelles ou la traite (même en quantité limitée), contribuent à stimuler la production laitière, à l’instar des autres espèces.
Il est important de porter attention à l’environnement dans lequel évolue la femelle (photo 3). Dans certains cas, l’administration d’anxiolytiques est à envisager. Les neuromédiateurs, de type adrénaline, inhibent la libération de la prolactine, ainsi que celle de l’ocytocine. L’administration de tranquillisants est indiquée, en particulier les phénothiazines comme l’acépromazine (Calmivet®, 10 à 50 microgrammes/kg par voie intramusculaire ou sous cutanée). L’importance des effets est très variable selon les individus. Les doses doivent être aussi minimes que possible pour ne pas entrainer de sédation afin que la femelle puisse continuer à s’alimenter, s’abreuver et prendre soin de sa portée. S’agissant d’un neuroleptique, le comportement de la femelle est à surveiller ; et enfin, la molécule est à proscrire chez les animaux mutés sur MDR1 car cette famille de molécules entraîne une augmentation du relargage de prolactine. Ils ont donc un effet direct (via la prolactine) et indirect (via la réduction de l’anxiété) sur la production laitière et l’éjection du lait [3, 8].
Des publications proposent également de recourir à un benzamide, le sulpiride, un antipsychotique neuroleptique à usage humain, puissant antagoniste des récepteurs sérotoninergiques [8]. La posologie n’est pas déterminée chez les carnivores domestiques. En médecine humaine, la dose pour obtenir des effets galactogènes est de 50 mg per os deux à trois fois par jour.
Néanmoins, s’agissant de drogues neurotropes, elles ne sont utilisées qu’en seconde intention. Aucune donnée n’est disponible chez le chien et le chat quant au passage dans le lait (il est faible chez la femme et aucune conséquence de l’ingestion du lait n’est décrite chez les enfants de mères traitées) [8].
Le cas échéant, diverses molécules peuvent être utilisées pour réduire la douleur. Le tramadol (morphinique muagoniste, palier 2) affiche une bonne efficacité à raison de 2-5mg/kg chez la chatte et de 5-10 mg/kg chez la chienne, au rythme de 2x/jour par voie orale pendant 3 jours. Chez la chienne uniquement, le paracétamol (principalement antiinflammatoire, palier 1) peut également être employé (10-15 mg/kg 2x/jour per os) pendant 3 jours, avec une association possible avec le tramadol. Signalons que l’usage du paracétamol se fait hors AMM chez le chien, de même que celui du tramadol chez le chat. La durée du traitement est volontairement limitée à 3 jours pour engager à rechercher une cause de douleur spécifique et un traitement autre si la douleur persiste au-delà dans un contexte de post partum (Dr Géraldine Jourdan, ENVT, communication personnelle).
La gestion du stress est, là aussi, un facteur à considérer (voir plus haut). En cas de besoin, l’administration d’ocytocine se révèle efficace, à raison de 2 à 5 UI par voie intramusculaire ou sous-cutanée (selon les publications, la posologie va jusqu’à 20 UI chez la chienne, mais de faibles doses suffisent) [3, 6, 7]. L’éjection facile du lait est obtenue dans les deux à trois minutes qui suivent l’injection (photo 4). Par exemple, il est possible de séparer les jeunes de la mère pendant une à deux heures avant de réaliser l’injection d’ocytocine, puis de les remettre à téter. De tels repas peuvent être organisés de trois à six fois par jour. Néanmoins, se pose alors la question pratique et/ou légale de la réalisation de cette injection par le vétérinaire (plutôt que par le propriétaire de la chienne), dans la mesure où elle implique d’hospitaliser la mère avec sa portée, une situation peu probable et chronophage pour une insuffisance de production lactée. Une administration en spray nasal semble efficace chez la chienne, mais cette forme galénique n’est pas disponible en France actuellement, y compris en médecine humaine.
Les chiots ou les chatons sont laissés avec la mère, à la fois pour stimuler la production laitière via la tétée et les contacts avec les mamelles, et pour le nursing des jeunes (léchage maternel encourageant la défécation et la miction, l’attachement puis la socialisation ensuite).
Un suivi de poids quotidien dès la naissance permet de mettre en évidence de façon objective une insuffisance de consommation de lait. Une pesée est réalisée tous les jours a minima, après la stimulation de la défécation/ miction et avant le repas. Le suivi de la croissance de chaque individu de la portée nécessite donc une identification préalable avec des colliers de laine de couleur ou en scoubidou. Ces marquages sont changés au fur et à mesure de la croissance des jeunes. Les valeurs obtenues sont enregistrées dans un tableau ou sur un graphique. La croissance est considérée comme suffisante si le chiot ne perd pas de poids au cours des deux premiers jours de vie ; ensuite, elle est approximativement de 2 à 4 g/kg de poids adulte attendu et par jour de vie. Chez le chiot, le poids attendu est d’une fois et demie le poids de naissance à J7 et trois fois à J21 a minima. Le chaton doit prendre 10 g entre J0 et J2, puis 10 à 15 g/j jusqu’à J21. Des courbes de référence par race sont disponibles (3) (figure).
Ce suivi du poids va permettre d’objectiver l’efficacité des mesures mises en place chez la mère. Les traitements sont poursuivis 24 à 48 heures après que les jeunes ont atteint un rythme de croissance normal.
Administration d’un substitut colostral puis lacté
Chez le chiot comme chez le chaton, le transfert passif de l’immunité passive a lieu au cours des douze premières heures de vie [2]. Si la production laitière est insuffisante dans les premières heures post-partum, un substitut colostral doit être administré, associant idéalement des apports nutritionnels et immunitaires (4).
Au-delà de cette période, les apports nutritionnels peuvent être assurés par la tétée d’une femelle en lactation, mais plus couramment par l’administration de lait maternisé. Il ne s’agit que d’une complémentation - la dose journalière totale n’est donc pas administrée - de façon à ce que les jeunes continuent de téter leur mère. L’objectif est en effet qu’elle assure finalement l’alimentation de sa portée de façon autonome. Un examen clinique, avec a minima une prise de température rectale, est réalisé avant chaque complémentation chez les chiots susceptibles d’être sousalimentés (retard de croissance, plaintes ou atonie) : le biberon n’est alors proposé que si la température est supérieure à 35 °C [7, 9]. De façon paradoxale, il est conseillé de choisir d’alimenter les chiots ou les chatons les plus lourds avec du lait maternisé et de laisser les plus petits avec la mère, pour les laisser bénéficier de la quantité (limitée) de lait maternel disponible.
Pour favoriser le développement d’une production laitière après la parturition, certaines mesures peuvent être prises dès la gestation :
- fournir à la femelle, à partir de la sixième semaine de gestation, un aliment riche en énergie et en protéines (2). Veiller à l’accès à l’eau. Son état corporel doit être bon au moment de la mise bas (note de 5 ou 6 sur 9 après une prise de poids de 15 à 25 % au cours de la gestation chez la chienne et de 25 à 50 % chez la chatte) [1, 4] ;
- familiariser la femelle avec l’endroit prévu pour la mise bas, en s’assurant qu’il induit aussi peu d’inconfort psychologique que possible (photo 5) ;
- favoriser la chute de la concentration sanguine en progestérone en fin de gestation, car la progestérone est un inhibiteur de la prolactine. En cas de traitement pour une insuffisance lutéale, l’administration de progestérone est interrompue à J58 après l’ovulation. Lors de césarienne programmée, si l’injection préalable d’aglépristone ne semble pas avoir d’incidence sur le taux de mortalité immédiate des chiots, la question se pose de son intérêt pour la mise en place rapide de la lactation puisqu’elle interrompt brusquement l’action de la progestérone sur les tissus cibles.
Les qualités maternelles des chiennes et des chattes, qui incluent la production laitière ainsi que le comportement de nursing, sont l’une des clés de la croissance harmonieuse des jeunes, voire de la prévention de la mortalité néonatale. Chez de nombreuses femelles, des troubles anxieux apparaissent ou s’exacerbent après la mise bas. À l’instar de ce qui est réalisé chez les ruminants ou la truie, une sélection fondée sur ces qualités maternelles serait probablement intéressante pour améliorer le bien-être et la santé post-partum des mères et des jeunes.
(1) Voir « Les solutions alternatives au colostrum » dans ce dossier.
(2) Voir la fiche « Alimentation et lactation » dans ce dossier.
(3) Voir « L’évaluation du risque de mortalité selon le poids de naissance du chiot » dans ce dossier.
(4) Voir « Les solutions alternatives au colostrum canin ou félin » dans ce dossier.
Aucun.