SANTÉ PUBLIQUE
Article original
Auteur(s) : Sébastien Gardon
Fonctions : ENSV
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
Le maintien du maillage sanitaire est un élément clé en santé publique vétérinaire pour assurer une surveillance efficace. La fragilité du système et l’apparition de déserts sanitaires ont conduit à envisager certaineas adaptations.
La surveillance sanitaire des élevages est en enjeu majeur pour le maintien des activités agricoles dans les territoires. Elle a des impacts au niveau national (exportations, économie des filières, etc.), mais aussi sur la santé publique vétérinaire au sens large (sécurité sanitaire des aliments, santé des troupeaux et surveillance des maladies potentiellement zoonotiques). Les nombreux sujets sanitaires impliquant une collaboration entre l’État et les vétérinaires font l’objet de missions organisées autour d’un partenariat public-privé. Au sein de ce partenariat, les vétérinaires jouent un rôle essentiel et assurent un maillage territorial nécessaire à la protection de la santé publique. En ce début de xxie siècle, des évolutions socio-économiques viennent perturber l’organisation sanitaire fondée sur le traditionnel trépied État-vétérinaire-éleveur. Ainsi, l’apparition tendancielle de “déserts vétérinaires” et une difficulté croissante à mobiliser les praticiens pour la réalisation de missions sanitaires sont constatées. Le trépied État-vétérinaire-éleveur est donc mis à mal, l’État se doit de le renforcer compte tenu des nombreux enjeux, sanitaires, économiques ou sociétaux, en particulier lors de l’apparition de maladies infectieuses (ré) émergentes (maladie de Schmallenberg, influenza aviaire, fièvre catarrhale ovine, tuberculose, etc.) [1].
Face aux nombreux défis du xxie siècle au sein d’un environnement mondialisé, les États généraux du sanitaire, en 2010, ont posé les fondements d’une nouvelle organisation afin d’optimiser la gouvernance et le financement de la politique sanitaire, dans les domaines animal et végétal.
La politique sanitaire en santé animale repose sur un processus de gouvernance au sein duquel évoluent principalement trois types d’acteurs : les vétérinaires, les éleveurs et l’administration. Ce “trépied sanitaire” est constitué de trois mondes sociaux différents, au sein desquels les individus partagent des activités et des expériences collectives et un univers de discours commun, suscitant un sens de l’appartenance et des interrelations formelles et informelles pour défendre des objectifs partagés, bien que des réalités hétérogènes puissent se cacher derrière ces différentes catégories d’acteurs. Ce processus de gouvernance complexe, polycentrique et multiscalaire, est dit “multiniveaux” [7]. Il prend notamment racine dans la volonté de régionalisation de la politique sanitaire, qui devrait permettre une meilleure prise en compte du local. Les treize grandes régions instituées au 1er janvier 2016 sont néanmoins très étendues et ne peuvent pas constituer le niveau opérationnel du sanitaire. Se pose alors la question de savoir sur quelles antennes de proximité s’appuyer à l’échelle infraterritoriale. Si l’échelon départemental semble aujourd’hui en capacité d’assumer ce rôle pour la filière bovine, il peut être remis en question pour les filières aviaire et porcine, selon la densité des élevages au niveau départemental. Une organisation à l’échelle nationale pourrait être envisagée pour ces filières, lorsque la densité d’élevages n’est pas suffisante pour justifier une organisation départementale.
Ce système de gouvernance multiniveaux complexe est encore en cours de mise en place, dix ans après les États généraux du sanitaire (figure). Si un réseau d’action publique national autour du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (Cnopsav) semble aujourd’hui bien institué, avec un rôle de “parlement sanitaire” au sein duquel ses différents membres coconstruisent la politique sanitaire française, il n’en est pas de même au niveau régional. Le Conseil régional d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (Cropsav) est une instance de dialogue et de concertation qui, pour l’heure, semble assez “floue” pour les acteurs opérationnels au plan local. Par ailleurs, les Associations sanitaires régionales (ASR) n’ont pas encore été constituées et reconnues par l’autorité administrative, et les schémas régionaux de maîtrise des dangers sanitaires qui doivent en découler ne constituent donc pas encore des outils opérationnels de pilotage d’une politique sanitaire régionale. De la même manière, en ce qui concerne les vétérinaires sanitaires, les Organismes vétérinaires à vocation technique (OVVT) ont mis du temps à se constituer, mais devraient maintenant gagner en puissance pour épauler les Directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) dans la formation et l’encadrement technique des vétérinaires sanitaires. Leur rôle est primordial, notamment en ce qui concerne l’animation du réseau des vétérinaires sanitaires au niveau opérationnel et pour leur donner un rôle plus actif dans la définition de la politique sanitaire territoriale, permettant alors de rééquilibrer les rôles et les responsabilités des acteurs au sein du trépied sanitaire. Pour motiver les vétérinaires sanitaires, il est nécessaire qu’ils ne soient pas de simples “exécutants”, mais des acteurs pleinement engagés et concertés dans le processus d’action publique, en amont comme en aval, afin de pouvoir exercer leur position de responsabilité.
Enfin, la loi NOTRe adoptée en 2015(2) a également apporté son lot d’incertitudes. En effet, les départements, qui financent souvent une partie des politiques sanitaires départementales en santé animale, sont impactés par la suppression de la clause de compétence générale et de leur compétence en développement économique. Se pose alors la question de la légalité de leurs financements en faveur de l’agriculture et de la santé animale, dans un contexte où les régions ne semblent pas vouloir s’emparer prioritairement de cette problématique.
Ce nouveau schéma de la gouvernance sanitaire française nécessite une forte appropriation par les acteurs, selon les contextes locaux, d’autant qu’il n’est pas encore totalement opérationnel. Il ne paraît pas clair à l’ensemble des vétérinaires sanitaires, qui peuvent s’interroger sur la manière dont les décisions sont prises et sur la pertinence des choix de lutte contre les dangers sanitaires, entre enjeux de santé animale et de santé publique, qui leur semblent prioritaires, et enjeux économiques et commerciaux, qui leur semblent être mis au premier plan aujourd’hui par les décideurs politiques. Les vétérinaires sanitaires sont cependant des acteurs sensibles aux arguments économiques, ils ont un « pragmatisme économique, reflet de leur activité de vétérinaire praticien » qui leur permet d’intégrer cette composante [6]. Un effort particulier d’explication et de retour sur les résultats et les finalités des actions engagées semble important pour que ces vétérinaires sanitaires soient en mesure de comprendre et d’expliquer aux éleveurs les choix effectués en termes de lutte sanitaire.
En prenant l’exemple de l’organisation particulière des filières porcine et aviaire, d’autres questions émergent : comment organiser le réseau des vétérinaires sanitaires pour assurer une réactivité en cas de crise sanitaire ? Faut-il - et si oui comment - lever les freins à l’exercice de l’habilitation sanitaire pour les vétérinaires exerçant au sein de ces productions (nombre maximal de cinq départements d’intervention en tant que vétérinaire sanitaire, double statut salarié et libéral) ? Comment coconstruire la politique sanitaire de ces filières au niveau local ? Ces questionnements nous amènent à penser que, à l’instar de la filière bovine, la création d’un échelon régional, intermédiaire entre les niveaux national et infrarégional, est indispensable. Pour cela, chacun des acteurs, vétérinaires sanitaires via la Fédération régionale des groupements techniques vétérinaires (FRGTV), éleveurs via un Organisme à vocation sanitaire (OVS) reconnu au sein de la filière concernée (porcs ou volailles) et administration via le Service régional de l’alimentation (Sral), doit être en capacité de se structurer pour représenter le monde social auquel il appartient, au sein des instances régionales de coopération et de concertation (ASR, Cropsav). C’est ensuite selon les caractéristiques de l’élevage au sein de la région, sur la base d’un diagnostic territorial partagé, que pourrait être décidée la structuration des niveaux infrarégionaux de gestion opérationnelle de la politique sanitaire, en tenant compte de la situation de chaque département (taille, caractéristiques, situation de l’élevage), car certains de ces niveaux ne se justifient pas toujours. La question du double statut, salarié et libéral, des vétérinaires sanitaires de ces filières devrait faire l’objet d’une réflexion engageant l’ensemble des acteurs concernés. Quant à l’organisation du réseau et à la réactivité en cas de crise sanitaire, il semble nécessaire de construire des données fiables sur lesquelles il sera possible d’établir un diagnostic à l’échelle nationale et locale. Ces données permettront d’objectiver des points de faiblesse. Les OVVT, en relation avec l’administration, pourront alors proposer un plan d’action. Des exercices de gestion de crise, dans ce domaine, pourraient être intéressants.
Enfin, il faut également aborder la question de la place des vétérinaires sanitaires canins au sein de la gouvernance sanitaire en santé animale. S’il apparaît a priori assez logique que le vétérinaire sanitaire canin fasse partie du maillage vétérinaire, au même titre que le vétérinaire sanitaire rural, il existe cependant des freins à cette intégration : manque de compétence pour les animaux de production associé à un manque de pratique et d’intérêt, rémunération qui ne serait pas à la hauteur de leur activité canine, concurrence avec des cabinets ruraux qui ne voient pas d’un bon œil ces confrères qui pourraient leur prendre une part de leur activité. Des solutions, adaptées à certaines situations locales, ne sont toutefois pas à exclure, par exemple en zone périurbaine avec l’augmentation du nombre de particuliers qui adoptent des animaux d’élevage tels que des poules ou des petits ruminants.
À travers l’étude de trois dynamiques locales, nous avons repéré l’établissement par les acteurs de modèles particuliers d’organisation sanitaire.
D’un côté, le département du Lot (région Occitanie) représente un modèle pertinent de l’organisation sanitaire, en raison de la façon dont les différentes crises sanitaires ont pu être gérées et de la bonne répartition des vétérinaires sur ce territoire.
Le développement des groupes vétérinaires conventionnés dans la région des Monts du Lyonnais (Auvergne-Rhône-Alpes) renvoie à une conception alternative de l’exercice vétérinaire en zone rurale, en renforçant la confiance entre les éleveurs et les vétérinaires(3) Cette relation apparaît comme un élément clé de la conservation du maillage sanitaire. Ce modèle des groupes vétérinaires conventionnés peine toutefois à se généraliser sur l’ensemble du territoire (encadré 1). Pour Philippe Sulpice, animateur de la Fédération des éleveurs et vétérinaires en convention (Fevec), ce sont des cabinets vétérinaires avec un collectif d’éleveurs réuni en général sous la forme d’une association. Selon lui, ces groupes correspondent à une forme de contractualisation « globale, collective, formalisée », comme en témoigne l’exemple de la Drôme et de l’Ardèche qui, face à des problématiques rencontrées par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), où certains élevages ont passé un hiver sans vétérinaires et ont connu des pertes d’animaux dues à des torsions de matrice, les éleveurs se sont regroupés pour passer un contrat avec trois vétérinaires(4)
Enfin, soulignons l’importance de l’intervention des collectivités territoriales dans un département où apparaît le risque de désertion des vétérinaires sanitaires. En effet, le conseil départemental des Alpes-Maritimes a conventionné quatre vétérinaires pour les inciter à maintenir une activité de soins en zone de montagne, et il intervient également financièrement dans le cadre des opérations de prophylaxie (encadré 2, photo 1). Cependant, la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) est parfois contrainte d’intervenir, par l’intermédiaire de ses techniciens, car les aides financières du département sont parfois insuffisantes pour maintenir un nombre assez élevé de vétérinaires sanitaires.
Tous ces acteurs locaux ont ainsi créé des situations particulières pour gérer le sanitaire à l’échelle d’un département ou d’un territoire, afin de prévenir ou de répondre au problème du délitement du maillage vétérinaire. Si nous avons mis en évidence précédemment le contexte et les grandes dynamiques à un niveau “macro” au sein desquelles les vétérinaires évoluent, il faut à présent décrire et analyser, à un niveau “micro”, les facteurs qui peuvent constituer des freins et/ou influencer la motivation des vétérinaires sanitaires à s’engager dans les missions de service public qui leur sont confiées.
En premier lieu, il est important de souligner l’influence du territoire rural sur l’exercice vétérinaire. La désaffection supposée des vétérinaires pour l’activité rurale n’est pas sans conséquences pour le maillage sanitaire, avec entre autres une difficulté de mobilisation des vétérinaires par l’administration pour la réalisation de missions relatives à la santé publique vétérinaire, en particulier en cas de crises sanitaires. En effet, le partenariat public-privé repose sur le maillage des structures privées d’exercice vétérinaire sur le territoire, le délitement du tissu des structures privées amène donc à une réflexion sur les facteurs d’attractivité du territoire, le renouvellement des générations et la pérennité économique des structures existantes.
Il s’agit alors de s’interroger sur le moindre attrait pour l’exercice rural de la part des vétérinaires sortant des écoles (ENV). L’installation en milieu rural est perçue comme un projet de vie par les vétérinaires rencontrés, conscients des enjeux liés à l’attractivité du territoire. Ainsi, le cadre de vie, la proximité d’une ville et l’aménagement du territoire apparaissent primordiaux pour ancrer durablement les nouvelles générations de vétérinaires dans les zones rurales. Le changement générationnel et la féminisation de la profession sont marqués par de nouvelles attentes des praticiens, qui recherchent un équilibre vie privée-vie professionnelle, avec la possibilité pour le conjoint de trouver un emploi et des infrastructures pour les enfants. Les étudiants recrutés sont plutôt d’origine aisée et citadine. Le cursus de formation prévoit la réalisation de stages en milieu rural, ce qui permet aux étudiants d’acquérir des compétences et des connaissances dans le domaine des animaux d’élevage et de découvrir ce milieu, ses contraintes et ses avantages, comme l’ont souligné Emmanuelle Soubeyran, directrice générale de VetAgro Sup, et Jérôme Coppalle, de la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER), lors du colloque de Marseille en septembre 2019. Ces stages, comme le dispositif de tutorat en cinquième année d’école, sont décrits comme primordiaux, mais insuffisants pour faire naître des vocations, soit parce qu’ils concernent un public déjà convaincu, soit parce qu’ils ne permettent pas une appréhension de toutes les facettes ou attraits de l’exercice en milieu rural(5). La jeune génération serait moins impliquée dans les enjeux sanitaires que ses aînés, peut-être parce qu’elle n’a pas été confrontée aux grandes campagnes de lutte ou de prophylaxie contre les dangers sanitaires de première catégorie. Enfin, il faut aussi prendre en compte le lien entre la bonne santé économique de l’élevage et l’implantation ou la pérennisation de vétérinaires ruraux. Le vétérinaire prestataire de services multiples auprès des éleveurs est en effet dépendant de l’existence d’une clientèle suffisante pour assurer la santé économique de son cabinet.
Pour redonner de l’attrait à l’habilitation sanitaire, d’autres leviers éventuels sont à mettre en avant pour motiver les vétérinaires : la rémunération des services rendus, le sens des missions de service public et la reconnaissance du rôle de la profession dans ce domaine. Afin de conserver un maillage territorial réactif, les missions confiées aux vétérinaires sanitaires doivent être rémunératrices, motivantes et reconnues, notamment par l’administration. L’inadéquation entre la rémunération et certaines missions est soulignée par l’ensemble des acteurs. Outre des tarifs de prophylaxie peu rémunérateurs, des missions comme la veille épidémiologique ne sont absolument pas rémunérées. Cette situation historiquement acceptable est aujourd’hui critique aux yeux de certains vétérinaires, avec la diminution de la part des prophylaxies dans l’activité des entreprises vétérinaires, qui est passée d’environ 30 % du chiffre d’affaires à moins de 5 % entre 1990 et 2004 (photo 2) [4]. Les vétérinaires sanitaires estiment qu’il leur est difficile, à l’heure actuelle, de désorganiser le fonctionnement de leur entreprise pour répondre à une demande urgente de l’État, lors d’une crise sanitaire par exemple, étant donné que leur activité de vétérinaire sanitaire de base est extrêmement réduite. Bien que les missions de service public les plus courantes soient peu ou pas rémunératrices, les vétérinaires sanitaires continuent de remplir leur rôle, car l’aspect financier n’est pas le plus important à leurs yeux, d’après les enquêtes menées dans les territoires. En effet, le contenu des missions confiées est un vecteur majeur de motivation. Les vétérinaires sanitaires souhaitent s’investir dans des missions qui ont un sens pour eux, c’est-à-dire dans la lutte contre des maladies d’intérêt majeur en santé publique. En revanche, ils sont moins enclins à lutter contre des maladies qualifiées de “commerciales”, car ayant moins d’impact en santé publique. Dans le but de redonner du contenu à l’habilitation et au mandat sanitaire et de disposer d’un maillage vétérinaire dynamique, de nouvelles missions pourraient être dévolues aux vétérinaires sanitaires, notamment sur les thèmes de la sécurité sanitaire des aliments, de la santé et de la protection animales, de la préservation de l’environnement, ou encore de la surveillance des zoonoses, moyennant une formation adaptée.
Enfin, l’un des principaux freins à la mobilisation des vétérinaires sanitaires est le manque de reconnaissance du travail accompli et de communication avec l’administration, ainsi que le manque de consultation et d’information des vétérinaires sanitaires sur les orientations sanitaires choisies. Mais à l’heure actuelle, l’administration se trouve parfois démunie pour répondre à cette quête de reconnaissance, ce qui participe à la distension des liens avec ses vétérinaires sanitaires.
Il s’agit ici de s’interroger sur les relations et la communication entre l’administration et les vétérinaires sanitaires. En effet, afin que le trépied État-vétérinaire-éleveur soit solide, il est nécessaire que le relationnel soit dynamique et efficace, avec une communication fluide entre les différents acteurs. De nombreuses raisons de cet affaiblissement du lien entre les vétérinaires sanitaires et l’administration ont été discutées au cours de ces études. Tout d’abord, les différentes réformes de l’État, avec notamment la révision générale des politiques publiques, ont conduit à la perte du mot “vétérinaire” avec la disparition des anciennes Directions départementales des services vétérinaires. Certaines DDPP ou DDCSPP n’ont pas d’interlocuteur vétérinaire auprès des vétérinaires sanitaires [2]. Cela entraîne chez ces derniers une perte d’identité et une difficulté dans les échanges et les relations, avec un éloignement de l’administration perçue comme de “culture” différente.
Ensuite, le nombre de plus en plus restreint de missions sanitaires, la modification de la sociologie vétérinaire de plus en plus individualiste, et l’administration qui n’apparaît pas, du point de vue des vétérinaires sanitaires, toujours consciente de la réalité du terrain, sont également des facteurs qui ont participé à cet éloignement. Le lien semble difficile à maintenir et à renouer, avec une impuissance de la part de l’administration à mobiliser les vétérinaires dans les occasions de rencontre, notamment au cours des formations continues obligatoires.
Les relations entre l’administration et les vétérinaires sanitaires se révèlent toutefois différentes selon l’échelle administrative considérée. En effet, les vétérinaires entretiennent davantage de relations à l’échelle départementale, que ce soit au cours de la veille sanitaire, en temps de crise, ou en cas de problèmes de bien-être animal. Même si les relations restent très dépendantes des liens interpersonnels et si elles se compliquent en temps de crise et deviennent plus conflictuelles lors des inspections de pharmacies vétérinaires, les vétérinaires sanitaires entretiennent globalement des rapports de bonne qualité avec la DDPP. Inversement, les relations entretenues avec l’administration centrale sont plus distantes, peu fréquentes, ou présentent plusieurs points de friction. Les vétérinaires considèrent qu’ils ne sont pas assez sollicités dans les prises de décision politique et qu’il y a un manque de considération et de reconnaissance de la part de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), la communication étant parfois défaillante et pas suffisamment transparente. À l’échelon régional, les rapports avec les vétérinaires se révèlent très peu nombreux, voire inexistants, cet échelon de la gouvernance sanitaire n’étant pas encore vraiment fonctionnel.
Quant à la communication entre l’administration et les vétérinaires, elle semble relativement bonne mais présente quelques défaillances. Une absence de remontée fluide d’informations des vétérinaires sanitaires vers l’administration centrale est mise en évidence, ainsi que des dysfonctionnements concernant la rapidité de la circulation du flux d’informations entre l’administration centrale et les vétérinaires. Ces derniers ressentent parfois un manque de transparence et de communication lors des crises sanitaires. Enfin, il apparaît nécessaire de moderniser et de développer des outils informatiques permettant une amélioration de la qualité et de la vitesse de circulation du flux d’informations.
Le positionnement social des vétérinaires est en constante évolution. En observant l’histoire de la profession et la succession des différentes politiques de recrutement au sein des ENV mises en parallèle avec les changements sociétaux, les vétérinaires d’aujourd’hui ont plus de mal à trouver leur place, alors qu’ils étaient jadis perçus comme des notables dans les campagnes françaises [5]. Les études mettent en évidence l’ambiguïté de leur positionnement, notamment dans le cadre des missions sanitaires dans lesquelles ils interviennent en tant qu’agents habilités par et pour le compte de l’État auprès de leur clientèle. Le vétérinaire, montrant de l’empathie envers ses clients, devient un acteur captif du monde agricole, tout en remplissant son rôle d’agent habilité. Cette position tout à fait particulière le met au centre du trépied État-vétérinaire-éleveur et lui confère un rôle essentiel : grâce à sa relation de proximité, à sa connaissance du terrain et surtout des deux autres acteurs avec lesquels il a développé des liens forts et durables, le vétérinaire est l’interlocuteur privilégié et réussit, en s’appropriant les cadres formels de la surveillance, à devenir facilitateur dans la mise en place des politiques publiques. L’administration, quant à elle, peut s’appuyer sur ce réseau de sentinelles pour effectuer la surveillance et transmettre les informations. L’État a conscience que ce réseau est précieux et qu’il a tout intérêt à le conserver.
Avec la mise en place de la nouvelle gouvernance, les services de l’État, le monde agricole et la profession vétérinaire sont impliqués dans le sanitaire, avec une répartition des attributions plus ou moins clairement définie et cadrée. Chacun des acteurs doit encore trouver sa place au sein de cette nouvelle organisation et cette gouvernance, qui se veut participative et collaborative, doit monter en puissance et prendre alors tout son sens.
Sans intégrer le système conventionné dans son entièreté, le mode de fonctionnement libéral au paiement à l’acte en médecine rurale est de plus en plus remis en cause ces dernières années. De nouvelles solutions sont à étudier, afin de valoriser l’acte et le conseil vétérinaires. Cela n’est toutefois pas aussi tranché pour les éleveurs, chez lesquels il existe des partisans du “vétérinaire pompier”, vendeur de médicaments à faible coût, opposés à la contractualisation. Ainsi, la mise en place d’un contrat avec le vétérinaire n’est pas leur premier souci. Même dans les zones de faible maillage, les premières préoccupations sont liées au prix du produit et à la diminution de la demande en viande. Les agriculteurs veulent également s’adapter aux nouveaux modes de consommation et aux changements climatiques engendrés par les sécheresses successives. L’activité vétérinaire rurale se fonde principalement sur des interventions payées individuellement, ou via le paiement à l’acte. De ce fait, la mise en place de contrats bouleverse cette manière de travailler, il faut déconstruire le modèle préétabli afin de proposer à l’éleveur un service totalement nouveau [3]. Déterminer le prix le plus juste, pour un contrat qui doit être adapté aux impératifs de rentabilité du vétérinaire ainsi qu’aux attentes de l’éleveur, n’est pas chose aisée. Cela suppose une évaluation minutieuse.
(1) Cet article reprend pour partie les résultats de travaux menés ces dernières années à l’ENSV sur les problématiques de maillage vétérinaire, et notamment l’enquête « Vétérinaires praticiens : les “bons petits soldats” du sanitaire ? Rôle du vétérinaire dans l’organisation sanitaire en France : quelles réponses possibles face aux enjeux nationaux et aux contraintes locales » menée en 2018 par F. Baldacchino et coll. dans le cadre d’un Groupe d’études de politiques publiques (ENSV, VetAgro Sup, Sciences Po Lyon) pour le compte de la DGAL (Bispe).
(2) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
(3) Voir l’étude « La contractualisation entre éleveurs et vétérinaires » r éalisée par V. Carolus et coll. dans le cadre d’un Gepp (ENSV, VetAgro Sup, Sciences Po Lyon) pour la DGAL, la FNSEA et le SNVEL, en mars 2019.
(4) Intervention lors du colloque sur le maillage vétérinaire à Marseille le 27 septembre 2019.
(5) Voir l’article de Grégoire Roncigli sur le tutorat dans ce numéro.
Aucun.
Les Groupes vétérinaires conventionnés (GVC) datent du début des années 1980. La volonté initiale était de construire un système qui prenne en charge la globalité de l’élevage sur le plan sanitaire, sans distinguer les soins classiques du travail de suivi ou de prévention, ou même des urgences. L’objectif est de mutualiser les coûts et les risques et d’offrir un service sanitaire complet aux éleveurs, par le paiement d’un forfait annuel. Il existe actuellement une dizaine de groupes vétérinaires conventionnés adhérents à la Fevec, qui regroupe 45 vétérinaires dont 37 font de la pratique rurale exclusive, en majorité en région Auvergne Rhône-Alpes. Le conventionnement repose sur deux contrats : l’un entre l’éleveur et l’association, l’autre entre l’association et le cabinet vétérinaire. En adhérant à l’association, l’éleveur signe une charte qui l’engage à devenir le “premier infirmier de son troupeau”.
Le département des Alpes-Maritimes a mis en place un système de contractualisation dès les années 1990. Comme l’a expliqué Muriel Pastor-Chassain, chef de service au conseil départemental des Alpes-Maritimes, le dispositif repose sur une indemnité compensatoire prise en charge par le département. Le vétérinaire doit réaliser au moins 30 visites d’exploitations par an, et en retour touche une part fixe de 1 200 à 1 300 € par mois, avec une base variable mais un seuil à 100 visites, ce qui permet à un cabinet de financer un aide-vétérinaire. Par ailleurs, une visite est facturée sur une base de 60 €, afin de compenser le coût des transports. À cela s’ajoute une aide pour les prophylaxies animales. Au final, le département paie 100 % des actions sanitaires pour un animal introduit dans une exploitation, avec à la clé une présence vétérinaire sept jours sur sept. À ce jour, cinq vétérinaires sont conventionnés, et les indemnités versées tous les deux mois au cabinet.
Malgré tout, le système est fragile. Outre l’aspect économique conditionné à un engagement politique d’une collectivité territoriale, la convention mise en place avec le département n’est pas à proprement parler légale, comme l’a souligné Véronique Ludenni, vétérinaire dans les Alpes-Maritimes depuis 1993. En effet, depuis la loi NOTRe de 2015, les départements ne sont plus autorisés à subventionner des politiques sanitaires. C’est aux régions que revient leur mise en place et l’accompagnement des territoires sur ces aspects, mais elles rechignent pour le moment à le faire. En outre, ce système de subventionnement n’est pas applicable partout. Dominique Gauthier, directeur du laboratoire départemental d’analyses, a ainsi précisé que les Hautes-Alpes n’ont pas les mêmes moyens que les Alpes-Maritimes pour la lutte sanitaire, et que l’argent est surtout utilisé contre les moustiques et la fièvre de West Nile. Selon lui, les laboratoires départementaux d’analyses « ne demandent d’ailleurs pas à être rentables, juste à être financés ».
La région connaît un contexte très particulier, avec les Alpes-Maritimes au littoral très urbanisé, où vit 95 % de la population. Côté agriculture, la région se démarque par un élevage ovin avec des troupeaux extensifs, et une faible disponibilité de fourrage sur le littoral, qui cohabite avec un élevage de bovins également extensif, sans oublier les transhumances de troupeaux. Véronique Luddeni a ainsi rappelé que la région Paca est un territoire de montagne. Dans ce contexte, elle est de garde un week-end et une nuit sur deux : « Je supporte ça parce que j’ai un tempérament hyperactif. » De son côté, Laure Payan, vétérinaire dans le Vaucluse, a pour clients des petits éleveurs (de moutons) et pour elle les actes sanitaires ne sont pas rentables. Il est donc difficile de mettre en place une contractualisation avec eux. Pour Caroline Giorgi, chargée de mission au Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, le défi est de savoir « comment faire pour attirer un vétérinaire quand il n’y en a plus ». D’après Véronique Luddeni, au-delà des problèmes sociaux et humains rencontrés dans un cabinet satellite, il existe aussi des enjeux de bien-être et de biodiversité à travers les problématiques de maillage, mais « comment est-il possible d’avancer sur ces solutions si l’éleveur et le vétérinaire ne peuvent pas payer ? ». Enfin, Claire-Lise Bonnaud, présidente du GDS 83, s’inquiète : « L’an prochain, une nouvelle campagne de prophylaxie se prépare, comment allons-nous pouvoir l’assumer ? »
Source : colloque sur le maillage sanitaire en région Paca, préfecture de Marseille, 27 septembre 2019.
→ La gouvernance sanitaire, qui associe différents acteurs à plusieurs niveaux, a été globalement repensée depuis les États généraux du sanitaire de 2010, afin de tenir compte de l’évolution des filières et des modes de production.
→ Dans les territoires, les situations vis-à-vis du maillage sanitaire sont très contrastées et dépendantes de contextes d’action évolutifs.
→ Ces configurations locales poussent les acteurs à trouver des solutions et à renforcer les modes de collaboration entre les vétérinaires et les services de l’État, y compris en intégrant mieux les enjeux de formation dans les écoles vétérinaires.