PATHOLOGIE DE LA REPRODUCTION DES CARNIVORES DOMESTIQUES
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CAS CLINIQUE
Auteur(s) : Tanguy Lefranc
Fonctions : Clinique vétérinaire
26, avenue Roosevelt
56000 Vannes
Décrite chez la chatte, l'hyperplasie fibro-épithéliale mammaire est une affection hormonodépendante. Elle peut s'accompagner d'un pyomètre, ce qui complique le traitement chirurgical.
Une chatte croisée chat des forêts norvégiennes, âgée de onze mois, non stérilisée et vivant en appartement, est présentée à la consultation pour un gonflement des mamelles survenu une semaine après la fin des premières chaleurs. L'animal est correctement vacciné et aucun antécédent médical n'est rapporté. Son appétit et son comportement ne sont pas altérés selon la propriétaire.
L'animal est en bon état général. La température rectale est de 38,4 °C. L'hydratation et l'embonpoint sont normaux (absence d'énophtalmie et de persistance du pli de peau). Une légère augmentation de volume du parenchyme mammaire, qui paraît induré à la palpation, est observée.
En raison de la difficulté à établir un diagnostic précis au stade de l'examen clinique, l'hypothèse d'une lactation de pseudogestation ne pouvant être écartée, un traitement symptomatique est instauré : glucocorticoïdes à dose anti-inflammatoire (prednisolone Microsolone(r) à la posologiede 0,5 mg/kg par voie orale, deux fois par jour pendant une semaine), amoxicilline (Amoxival 40(r) : 10 mg/kg par voie orale, matin et soir pendant dix jours), cabergoline (Galastop(r)(1), à raison de 5 mg/kg, une fois par jour pendant six jours) et diète hydrique pendant vingt-quatre heures.
Dix jours plus tard, l'état général de l'animal s'est aggravé. La chatte est anorexique depuis trois jours, apathique et déshydratée à 8 % (pli de peau très persistant, pouls filant et rapide, sécheresse des muqueuses). Le volume des troisième et quatrième mamelles a augmenté de manière spectaculaire, à gauche comme à droite (PHOTO 1), et le revêtement cutané sous-jacent est nécrosé et ulcéré.
La palpation abdominale provoque l'émission de pertes vulvaires purulentes (PHOTO 2). L'examen échographique confirme l'existence d'un pyomètre : les parois des cornes utérines sont distendues (diamètre variant entre 10 et 15 mm) et délimitent un contenu peu échogène (PHOTO 3).
L'animal est placé sous perfusion afin de corriger la déshydratation.
Du lactate de Ringer est administré selon le calcul suivant :
poids en g x pourcentage de déshydratation/ = 3000 x 8 / 100
ce qui correspond à administrer une poche de 250 ml en six heures.
Les besoins d'entretien sont ensuite comblés à raison de 60 ml/kg par jour (mélange d'un tiers de NaCl 0,9 % et de deux tiers de soluté de glucose 5 %, soit 60 ml de NaCl 0,9 % et 120 ml de glucose 5 %).
Une antibiothérapie par voie intraveineuse (céfalexine : Rilexine poudre injectable(r), 30 mg/kg) est également mise en place afin d'éviter l'apparition d'un choc septique.
Une ablation mammaire est réalisée, suivie par une ovariohystérectomie par la ligne blanche (PHOTO 4). Si l'ablation mammaire n'avait pas été décidée, un abord par les flancs, plus à même de respecter le tissu mammaire, aurait été préféré.
Après trois jours d'hospitalisation, l'animal est en bon état et a recouvré l'appétit.
Douze jours après l'intervention, le retrait des fils de suture se déroule sans complication.
Un mois après, aucun incident n'est survenu.
L'analyse anatomopathologique révèle la présence d'une hyperplasie fibro-épithéliale du tissu mammaire (PHOTO 5), associée à un follicule kystique (PHOTO 6). Des corps jaunes persistants sont présents sur l'un des deux ovaires.
Les lésions ovariennes les plus fréquentes chez le chat sont les kystes folliculaires et sont le plus souvent d'origine œstrogénique. En revanche, les kystes lutéaux sont beaucoup plus rares [5].
L'hyperplasie fibro-épithéliale ou fibro-adénomateuse des mamelles (HFM) est une affection spécifique chez le chat, décrite pour la première fois en 1912 par Petit et Germain. Une centaine de cas ont été signalés depuis.
Les auteurs s'accordent à conclure à une atteinte préférentielle des jeunes chattes gestantes ou cyclées [1, 3, 4, 6, 7]. L'HFM a été observée plus rarement chez des chattes prépubères [1, 5] ou après une gestation ou une pseudogestation [1, 2, 6], voire dans l'année qui a suivi une ovariohystérectomie [2].
Des chats de tous âges, mâles ou femelles, traités à des fins contraceptives ou antiprurigineuses par l'administration d'acétate de mégestrol [7] ou de médroxyprogestérone [1], peuvent également développer une HFM.
Le déterminisme de l'HFM est très probablement en rapport avec la régulation hormonale. Le rôle des hormones progestatives, qu'elles soient endogènes ou exogènes, semble prédominant [6, 1, 5]. La chute rapide du taux de progestérone plasmatique stimulerait la production de prolactine par l'hypophyse, ce qui entraînerait la croissance du tissu mammaire [2].
Sur des frottis vaginaux, des cellules épithéliales kératinisées évocatrices d'un taux d'œstrogènes élevé ont été observées [5].
Des récepteurs à la progestérone ont en outre été mis en évidence au sein du tissu mammaire chez deux chattes atteintes d'HFM [3].
Une croissance très intense et rapide d'une, voire de plusieurs mamelles, pouvant provoquer des difficultés locomotrices et respiratoires, a été décrite [1].
Selon certains auteurs, le phénomène n'est pas douloureux (absence de modifications comportementales, en particulier de diminution de l'appétit, et bonne tolérance à la manipulation des lésions) [6]. D'autres signalent une forte inflammation à l'origine d'une douleur marquée [5].
La sécrétion mammaire peut être de type lactée [1], séro-hémorragique [5] ou être absente [6, 7].
L'analyse histopathologique montre une hyperplasie de l'épithélium et du parenchyme mammaires [1, 6].
Des complications septiques et nécrotiques sont fréquemment constatées. La rapidité de l'évolution de l'affection rend préférable la mise en place d'une antibiothérapie à large spectre en première intention (céphalosporines, quinolones), en attendant les résultats d'un antibiogramme et/ou d'une biopsie. En outre, la croissance rapide du tissu mammaire [2, 1], le léchage [5] et le frottement sur le sol [7] provoquent des ulcères.
Une septicémie ou une thrombo-embolie peuvent aggraver dramatiquement le pronostic de l'HFM [6, 2, 5].
Divers traitements médicaux ont été proposés, en rapport avec les mécanismes pathogéniques supposés, sans qu'ils soient toutefois couronnés de succès, comme l'administration de testostérone [2, 5], d'antiprogestatifs (aglépristone(1) à 10 mg/kg, trois fois à quarante-huit et à soixante-douze heures d'intervalle [6]) ou d'antiprolactine (bromocriptine(2) à 0,25 mg/j par voie orale pendant cinq à sept jours [2]).
Le traitement chirurgical consiste à réaliser une ovariohystérectomie, effectuée si possible par le flanc [5] afin d'éviter l'abord à proximité du tissu mammaire hyperplasique [1, 5]. Il peut contribuer à la régression des lésions une à deux semaines plus tard [6].
Des diurétiques et des corticostéroïdes (prednisolone, à raison de 0,5 mg/kg par voie orale, deux fois par jour pendant une semaine, puis à doses régressives) peuvent être administrés pour réduire l'engorgement mammaire jusqu'à la stérilisation.
Il est nécessaire d'éviter les manipulations et les traumatismes de la mamelle, afin de limiter les risques de thrombo-embolie. Par conséquent, il convient de ne pas effectuer de mammectomie [5], sauf dans le cas d'ulcération ou de nécrose particulièrement développée, comme dans le cas décrit [6].
Le pronostic est réservé, puisque plus d'un animal sur dix meurt dans les trois jours qui suivent la chirurgie [5]. Le consentement éclairé du propriétaire est donc indispensable avant d'intervenir.
Ce cas d'HFM est particulier, puisqu'il s'accompagne de l'existence d'un pyomètre, ce qui n'avait encore jamais été décrit à notre connaissance. Une sécrétion exacerbée de progestérone par un kyste lutéal est sans doute à l'origine de la concomitance de ces affections et aurait pu être prévenue par une stérilisation précoce.
Lors d'hyperplasie mammaire, il convient de suspecter, outre la lactation de pseudogestation, une hyperplasie fibro-épithéliale.
Le traitement est l'exérèse chirurgicale et il s'accompagne d'un soutien médical.
La stérilisation chirurgicale précoce des chattes permet d'éviter cette affection.
Le pronostic est généralement réservé, même après un traitement chirurgical.
Les causes d'hyperplasie fibro-épithéliale des mamelles sont probablement hormonales (hyperprogestéronémie) ou iatrogènes (administration d'acétate de mégestrol ou de médroxyprogestérone).
Remerciements à Anne Izembart, de l'institut d'histopathologie de Nantes.