VÉTÉRINAIRE MIS EN CAUSE
Pratiquer
LÉGISLATION
Auteur(s) : Philippe Tartera
Une vache dépérit après avoir subi une injection épidurale réalisée dans des conditions techniques douteuses. Bien que la relation de causalité ne soit pas formellement établie, la réclamation de l'éleveur est prise en compte.
M. Éleveur possède une vache allaitante charolaise âgée de cinq ans qui présente, en fin de gestation, un prolapsus vaginal. Comme celui-ci ne rétrocède pas après le vêlage, il décide de la réformer. Il appelle le Dr Véto, qui réduit le prolapsus et pose une suture de Bühner le 19 mars. À la fin de l'hivernage, la vache est mise au pré avec son veau.
Le 11 août, la suture de Bühner lâche et le prolapsus récidive. Appelé une nouvelle fois, le Dr Véto réduit le prolapsus et pose une nouvelle suture de Bühner, le 19 août. L'intervention est réalisée à la faveur d'une anesthésie épidurale sacro-caudale. Le lieu d'injection n'est ni tondu, ni rasé, ni désinfecté. Le Dr Véto utilise une aiguille 20 x 13/10 mm non stérile, qui avait déjà servi auparavant. Une première dose de 10 ml d'une solution de lidocaïne à 2 % reste sans effet (le poids vif de l'animal est estimé à 750 kg). Le Dr Véto injecte alors 20 ml supplémentaires avec une aiguille à usage unique 40 x 12/10 mm. Le prolapsus peut être réduit et la suture posée. Une injection antibiotique est administrée.
À la fin de l'intervention, la vache s'affaisse et reste paralysée toute la journée. Elle se relève, mais éprouve de grandes difficultés pour se tenir debout et vacille fortement pendant plusieurs jours. Elle est de nouveau présentée au Dr Véto le 23 août. Ce dernier constate une parésie postérieure et une paralysie complète de la queue. Il met en place un traitement à base de vitamine B1 et d'anti-inflammatoires, mais l'état de la vache ne s'améliore pas. Elle reste isolée du troupeau, s'alimente moins et maigrit. Fin septembre, elle est rentrée à l'étable. Elle manifeste alors des signes d'hyperœstrus. Le prolapsus récidive, l'état se dégrade. Le Dr Véto conseille son abattage rapide.
M. Éleveur met en cause la responsabilité civile professionnelle du Dr Véto pour mauvaise réalisation de l'injection épidurale et présente une réclamation de 10 000 F (1 524,49 e).
A l'issue d'une expertise amiable contradictoire, une faute professionnelle est retenue à l'encontre du Dr Véto. M. Éleveur se voit proposer une indemnisation de 1 500 F (228,67 e) pour dépréciation de la vache. Cette estimation du préjudice est fondée sur la différence entre la valeur de réforme de l'animal avant le sinistre, soit 400 kg nets x 20 F HT (3,05 e) = 8 000 F HT (1 219,59 e), et le montant de la récupération obtenue après l'abattage, soit 6 500 F (990,92 e).
Dans ce dossier, deux conditions impliquant la responsabilité civile professionnelle (RCP) du Dr Véto sont réunies.
1 L'existence d'une faute professionnelle : les soins n'ont pas été attentifs et consciencieux. En effet, la réalisation d'une anesthésie épidurale nécessite classiquement une préparation du site d'injection (tonte ou, au moins, section des poils aux ciseaux, nettoyage et désinfection) et l'utilisation d'une aiguille d'injection stérile de 40 mm de longueur. Pour une intervention en région périnéale (chirurgie vulvaire, vaginale, rectale ou caudale), la dose de lidocaïne à 2 % recommandée est de 1 ml/100 kg, soit 7,5 ml pour une vache de 750 kg. Or, le praticien a injecté 30 ml au total, en utilisant une technique traumatisante et non stérile. Il est connu que l'emploi d'une technique non stérile peut conduire à la formation d'abcès dans le canal rachidien et à une paralysie permanente de la queue, et que l'injection de doses supérieures à 10 ml peut induire une incoordination marquée (mais transitoire) du train postérieur.
Pour sa défense, le Dr Véto a fait valoir qu'il était souffrant le jour de son intervention (pleurésie aiguë et hyperthermie à 39,8 °C). Ceci expliquerait d'une part le choix d'une dose anesthésique particulièrement élevée (afin de ne pas risquer d'être atteint par des coups de pied que son état de santé ne lui aurait pas permis d'éviter), et d'autre part le manque de technicité de son acte. Mais cette circonstance atténuante n'a pas été retenue pour dégager sa responsabilité.
2 L'existence d'un préjudice : l'amaigrissement de la vache, à l'origine de sa dépréciation.
L'existence d'une relation de causalité est plus discutable. Elle n'est sans doute que partielle. L'altération de l'état général de la vache observée fin septembre peut en effet être due à deux causes, qui ne s'excluent pas :
- une souffrance et un état d'excitation chroniques, consécutifs à l'hyperœstrus et au prolapsus vaginal récidivant ;
- les conséquences d'une irritation ou d'une infection localisée des nerfs de la « queue de cheval », voire une myélite ascendante, suite à la réalisation défectueuse de l'anesthésie épidurale.
Il a été impossible d'attribuer formellement l'ensemble des troubles à cette deuxième cause. Aucune constatation précise n'a été réalisée sur la fente vertébrale lors de l'abattage de l'animal.
D'un strict point de vue juridique, il aurait été nécessaire que la relation de causalité entre la faute et le sinistre soit prouvée pour engager la RCP du Dr Véto. Toutefois, dans le cadre de cette procédure amiable, le vétérinaire reconnu fautif n'a pu récuser une causalité seulement présumée.