La vache meurt dans le cornadis. Le vétérinaire s’estime responsable. - Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002
Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002

ACCIDENT DE CONTENTION

Pratiquer

LEGISLATION

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : 6 impasse Salinié, 31100 Toulouse

À la suite de son écornage, une vache s’effondre dans le cornadis. La notion de “garde juridique” n’est pas retenue. L’accident est considéré comme un aléa non indemnisable.

1. Les faits

Écornage fatal

En décembre 2001, comme tous les ans, le Dr Véto se rend chez M. Éleveur pour procéder à l’écornage en série d’une vingtaine de vaches charolaises âgées de trois ans. Cette intervention est réalisée dans des conditions identiques chaque année. Les vaches sont contenues au cornadis et ne sont pas tranquillisées. Une mouchette fixée au nez de l’animal est accrochée latéralement, afin que la flexion de l’encolure dégage l’accès à la première corne. Un garrot élastique est posé à la base des cornes. La première corne est sectionnée par devant à l’aide d’une scie rotative électrique. La mouchette est alors détachée pour être fixée de l’autre côté et la seconde corne est sectionnée de la même façon.

Dès la fin de son écornage et avant que la mouchette n’ait pu être détachée, l’une des vaches tombe brutalement, l’encolure fléchie restant prisonnière du cornadis. Elle est dégagée rapidement par dévissage des boulons du cornadis, mais sa mort est constatée.

Le Dr Véto estime être civilement responsable de la mort de l’animal car il s’agit d’un accident de contention, survenu alors qu’il avait la garde de l’animal au sens juridique. Il déclare donc le sinistre à son assureur.

Le cadavre est examiné à la demande de l’assureur. Les muqueuses sont légèrement cyanosées, mais aucune spumosité n’est observée au niveau des orifices nasaux et de la bouche, comme c’est souvent le cas lors de mort par étouffement. Une dissection de la partie antérieure de l’encolure permet de mettre en évidence une luxation atlanto-occipitale.

2. Le jugement

Un aléa inhérent à l’intervention

La mort instantanée de la vache est donc attribuée à un traumatisme sévère de la nuque, qui a lésé soudainement et irrémédiablement les tissus nerveux centraux. Cet accident est dû à la chute brutale et imprévisible de l’animal, dont l’encolure se trouvait bloquée dans le cornadis et fléchie. Il est survenu lors de l’écornage, dès la fin de la section de la seconde corne, alors que la vache était encore contenue en position d’écornage.

L’accident est considéré comme un aléa inhérent à l’intervention. Aucune faute professionnelle n’est retenue à l’encontre du Dr Véto et M. Éleveur ne perçoit pas d’indemnisation pour la perte de sa vache.

3. Pédagogie du jugement

Responsabilité contractuelle

Au cours de son activité professionnelle, le praticien peut engager une responsabilité civile de nature contractuelle ou délictuelle. La responsabilité contractuelle est celle qui est classiquement mise en jeu dans le cadre du “contrat de soins”. Elle est engagée lorsque le dommage causé à l’animal résulte d’une faute professionnelle commise par le praticien, en rapport avec les soins médicaux délivrés. La charge de la preuve revient au propriétaire de l’animal. La responsabilité délictuelle est mise en œuvre lorsque le dommage causé à l’animal, ou par l’animal, n’est pas en relation directe avec les soins. Elle est fondée sur la notion de “garde juridique”(1).

Les accidents liés à la contention peuvent être sujets à interprétation. Le vétérinaire est le seul responsable de la contention de l’animal et cette dernière n’est pas strictement de nature médicale. Il serait possible de considérer les accidents de contention comme relevant de la responsabilité délictuelle, le vétérinaire étant tenu automatiquement responsable des dommages sans que le propriétaire de l’animal ait à rapporter l’existence d’une faute. En fait, la jurisprudence rattache les accidents de contention à la responsabilité contractuelle, considérant que la contention mise en œuvre est indissociable de l’acte vétérinaire à accomplir.

Ainsi, dans cette affaire, l’assureur a estimé que c’était la responsabilité civile contractuelle qui devait être recherchée. Le Dr Véto aurait pu être tenu pour responsable s’il n’avait pas pris toutes les précautions habituelles pour éviter les accidents prévisibles lors des écornages en série chez les bovins. Or, son intervention s’est déroulée dans un cadre tout à fait classique et habituel pour ce type de soins. La contention en position debout au cornadis est la plus largement utilisée dans ce cas : c’est celle qui permet de travailler dans les meilleures conditions de technique et de sécurité, tant pour les animaux que pour les intervenants. La tranquillisation des bovins n’est pas absolument indispensable car l’écornage à la scie rotative est très rapide (moins d’une seconde par section), ce qui limite la douleur, et parce qu’il convient d’éviter que l’animal ne se couche alors que son encolure est maintenue dans le cornadis. Le couchage des bovins au cornadis provoque une mort très rapide par strangulation et représente la grande majorité des accidents de contention lors d’écornage en série.

Alors qu’il est envisageable de prévenir une mort par strangulation lors de couchage des bovins au cornadis, en ayant à sa disposition immédiate le matériel nécessaire au démontage rapide du cornadis, il est en revanche impossible d’éviter la mort instantanée par luxation atlanto-occipitale due à un affaissement brusque et imprévisible de l’animal dont l’encolure est en position fléchie.

  • (1) Lorsqu’un professionnel “se sert” d’un animal, il en prend temporairement le contrôle et la responsabilité, même en présence du propriétaire. C’est à lui de prendre toutes les dispositions nécessaires pour la protection de l’animal et des personnes qui l’entourent. Le “gardien” de l’animal est présumé responsable en cas de dommages, sans que la victime ait à prouver une faute. Il ne peut s’exonérer qu’en cas de faute de la victime, du fait d’un tiers ou de force majeure.