ENCÉPHALOPATHIES SPONGIFORMES SUBAIGUËS TRANSMISSIBLES
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NOUVEAUTÉS
Auteur(s) : Béatrice Bouquet
Fonctions : Clinique vétérinaire
42, place du Grand-Marché
80100 Abbeville
Le récent arrêté de lutte génétique contre la tremblante ovine est appliqué depuis quelques mois, à grand renfort de génotypages et de mises sous surveillance.
La France a élaboré un outil de lutte génétique contre la tremblante, en particulier dans les foyers de la maladie. L’arrêté ministériel du 27 janvier 2003 définit ainsi les notions de troupeaux suspects et atteints de tremblante ovine et les conditionsdemisesous surveillance et de déclaration d’infection [12]. François Schelcher, de l’école vétérinaire de Toulouse, a souligné quelques aspects de ce texte lors des dernières Journées des groupements techniques vétérinaires à Nantes [11].
La sensibilité et la résistance des ovins à la tremblante sont liées aux allèles du gène PRNP codant la protéine prion (PrP). Les trois codons 136, 154 et 171 du gène peuvent respectivement coder pour l’alanine ou la valine (136) ; l’arginine ou l’histidine (154) ; la glutamine, l’arginine ou l’histidine (171). Par convention, un allèle est désigné par les trois lettres des acides aminés codés respectivement en 136, en 154 et en 171 (A pour alanine, V pour valine, R pour arginine, Q pour glutamine, H pour histidine). La combinaison de deux allèles correspond au génotype PrP.
L’arrêté du 27 janvier 2003 qualifie les génotypes qui ont au moins un allèleVRQ (VRQ/X) comme très sensibles. En effet, chez les homozygotes VRQ, l’accumulation de PrPres (protéine anormale) est précoce (voir le TABLEAU « Génotypes PrP et sensibilité selon l’arrêté ministériel du 27 janvier 2003… »). En outre, dans les mêmes conditions d’exposition, la durée d’incubation semble plus faible et l’incidence annuelle plus élevée que pour les autres génotypes. Dans l’état actuel des connaissances, ces données doivent toutefois être considérées comme dépendantes des souches de prion en cause. L’objectif est donc d’éliminer l’allèle VRQ le plus vite possible pour éviter le risque d’ovins homozygotes VRQ (très sensibles).
Les femelles ARR/ARQ sont classées dans la catégorie « résistantes » alors que les mâles de ce même génotype sont classés dans la catégorie « sensibles ». Cette différence s’explique par les mesures génétiques prises dans les troupeaux et par des contraintes pratiques. À l’échelle d’une population, le risque de dissémination de l’allèle de sensibilité ARQ est en effet beaucoup plus grand pour un mâle que pour une femelle. En outre, dans les troupeaux infectés, l’utilisation exclusive de béliers homozygotes ARR permet, même chez les femelles hétérozygotes ARR, une large diffusion de l’allèle ARR dans leur descendance. En outre, dans certaines races, la très faible fréquence des femelles homozygotes ARR n’aurait pas permis un renouvellement dans des conditions satisfaisantes si les femelles ARR/X avaient été considérées comme sensibles et donc éliminées des troupeaux.
La question de la résistance des ovins ARR/ARR est étroitement liée à la stratégie d’assainissement dans les foyers de tremblante ovine.
Une étude cas-témoins à l’échelle européenne a démontré qu’aucun animal ARR/ARR n’a été détecté sur 2 000 cas de tremblante, alors que les ARR/ARR représentaient 15,5 % des 9 141 animaux sains [4]. Le suivi de troupeaux expérimentaux atteints de tremblante, en Écosse et en France, n’a pas permis de détecter d’ovins homozygotes ARR, même très âgés, qui soient atteints de tremblante. Un cas de tremblante naturelle a toutefois été décrit chez un mouton suffolk japonais de génotype ARR/ARR [8], mais ce résultat n’est pas complètement validé, une erreur de typage génétique restant possible. Dans des conditions expérimentales, trois ovins ARR/ARR sur dix-neuf, inoculés par voie intracérébrale avec un homogénat d’encéphale bovin atteint d’encéphalopathie spongiforme bovine, ont été cliniquement touchés [6]. Le nombre d’ovins ainsi exposés expérimentalement reste toutefois faible.
À ce jour, aucun cas n’a été observé lors d’inoculation par voie orale, voie probable de contamination naturelle.
Dans les conditions naturelles, le développement d’une encéphalopathie spongiforme transmisssible (EST) chez des ovins ARR/ARR n’a pas été démontré, mais ne peut donc plus être exclu. Cependant, dans l’hypothèse d’une réceptivité même partielle, l’incidence précise d’une EST devrait être évaluée afin d’évaluer les risques potentiels.
Un éleveur soumis à un arrêté préfectoral portant déclaration d’infection (APDI) pour la tremblante doit éliminer tous les ovins de génotype « hypersensible » (VRQ/X) de son exploitation dans le mois qui suit. Il peut garder les femelles classées « sensibles » pendant deux campagnes d’agnelage, lorsque « la proportion d’animaux reproducteurs âgés de plus de six mois génétiquement sensibles et très sensibles est supérieure à un taux défini » (donnée précisée dans une note de service). La première génération d’ovins issus des femelles sensibles et résistantes et nés dans les cinq mois après l’APDI est génotypée. Les agneaux sensibles ou très sensibles sont euthanasiés dans le délai d’un mois.
Si un ovin atteint de tremblante a séjourné sur plusieurs exploitations depuis sa naissance, celle où il est né et toutes celles où il a mis bas (pour les brebis) sont placées sous un arrêté préfectoral de mise sous surveillance (APMS). Pendant trois ans, ces élevages doivent déclarer les mouvements d’animaux et la mort des ovins âgés de plus de douze mois. Des tests rapides sont en outre pratiqués chez les ovins âgés de plus de douze mois morts ou euthanasiés et réformésàl’abattoir. Un résultat positif entraîne alors un APDI. Pour les filières à organisation pyramidale, dans lesquelles sélection et production d’ovins sont séparées, les APMS peuvent alors se multiplier « en chaîne » sans basculer systématiquement en APDI…
Un APMS dit « de suspicion » est établi lors de suspicion clinique initiale (troubles nerveux non rapportés à une autre cause) ou pour une exploitation dans laquelle un animal mort ou abattu a présenté un test rapide positif, dans l’attente de la confirmation des résultats.
L’APMS « origine » est réservé aux exploitations de naissance des animaux atteints de tremblante, lorsqu’elles diffèrent de l’élevage où ils ont été trouvés positifs (voir paragraphe précédent).
L’APMS « issus » concerne les exploitations où ont été vendus ou cédés les ovins élevés, durant leurs douze premiers mois de vie, avec l’animal atteint de tremblante, alors que celui-ci était âgé de moins d’un an. Il impose un génotypage des ovins « issus », avec un marquage, et l’euthanasie des animaux « sensibles » et « très sensibles ».
Dans une exploitation sous APDI, les agneaux âgés de moins de six mois peuvent être exemptés de génotypage et envoyés à l’abattoir, sous réserve que, pour ceux âgés de moins de deux mois, il y ait retrait de la tête et des intestins et que, pour ceux âgés de deux à six mois, il soit établi avec certitude qu’au moins un des parents est ARR/ARR. Dans un avisde novembre 2002, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) n’a préconisé le retrait de l’intestin et des amygdales que chez les agneaux porteurs d’un allèle VRQ.
En outre, pour faire face au risque de transmission horizontale de la tremblante, notamment indirecte par l’environnement, les brebis « sensibles » en sursis deux ans dans les exploitations sous APDI sont interdites de pâture collective.
Dans un foyer, la destruction du lait est demandée, au titre de l’arrêté du 18 mars 1994 qui interdit la livraison pour la consommation de lait provenant de femelles malades, quelle que soit la maladie !
Les caprins ont fait l’objet d’un arrêté spécifique également publié le 27 janvier dernier et restent soumis à l’abattage total lorsqu’un cas apparaît dans une exploitation car le polymorphisme du gène PrP et ses relations avec la sensibilité ou la résistance sont mal connus dans cette espèce…
Le récent arrêté qui concerne les ovins s’appuie en grande partie sur les tests individuels de génotypage (12 à 25 euros l’unité, 75 000 tests réalisés à l’issue d’une première campagne) et sur les tests rapides de détection de la PrPres, souvent plus chers que l’animal… Un coût non négligeable du programme est représenté par le dédommagement des éleveurs pour les moutons euthanasiés.
Une directive européenne sur la tremblante est en passe d’être appliquée mais, jusqu’à présent, seuls deux pays de l’Union (autres que la France) se sont engagés dans des plans génétiques d’éradication de la tremblante : les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Au Royaume-Uni, l’objectif est d’augmenter la prévalence de l’allèle ARR chez les agneaux abattus. L’engagement dans le plan de lutte génétique en application cet automne est facultatif. Dans ce pays, des génotypes« complexes » d’origine inexpliquée ont été identifiés [3]. Ainsi, 0,08 % des 473 584 ovins génotypés à la mi-juin 2003 portaient « trois ou quatre allèles » du gène PrP : ARR/ARR/ARQou encore ARR/AHQ/VRQ/VRQ ! De quoi compliquer encore la tâche du législateur…
2 - Bassereau Benjamin. Tremblez moutons ! La lutte génétique est en bonne voie. Semaine Vét. 2002 ; 1077 : 24.
9 - Minery S et coll. Utilisation de la génétique pour éradiquer la tremblante dans les élevages de brebis laitières des Pyrénées-Atlantiques. 9es rencontres 3R 4-5 décembre 2002, 93-96 iSBN 2-84148-045-3 Paris France INRA.
10 - Palhiere I et coll. Génétique de la résistance à la tremblante des ovins : état des lieux et application pour l’amélioration génétique des populations ovines françaises. 9es rencontres 3R 4-5 décembre 2002, 3-9ISBN 2-84148-045-3 Paris France INRA.
11 - Schelcher F et coll. Les encéphalopathies spongiformes transmissibles du mouton et de la chèvre. Actualités. Journées nationales GTV Nantes. 2003 : 535-542.