La nutrition parentérale : objectifs et indications - Le Point Vétérinaire n° 241 du 01/12/2003
Le Point Vétérinaire n° 241 du 01/12/2003

RÉANIMATION/NUTRITION CLINIQUE DU CHIEN ET DU CHAT

Se former

COURS

Auteur(s) : Isabelle Lesponne*, Patrick Verwaerde**, Nathalie Priymenko***

Fonctions :
*15, allée G.-de-Coignard
31100 Toulouse
**UP d’Anesthésiologie/ Réanimation, ENVT,
23, chemin des Capelles
31100 Toulouse
***UP d’Alimentation, ENVT,
23, chemin des Capelles
31100 Toulouse

Chez un chien ou chez un chat qui présente un risque de dénutrition, la nutrition parentérale est une alternative à la nutrition entérale, lorsque celle-ci s’avère impossible ou médicalement contre-indiquée.

La dénutrition constitue rarement une priorité chez un animal hospitalisé et la prise en charge thérapeutique s’articule essentiellement autour de la maladie elle-même. La nutrition parentérale, forme d’alimentation artificielle qui utilise les voies non digestives, peut être une solution face aux effets rapidement néfastes de la dénutrition. Après avoir étudié les conséquences d’un état de dénutrition, les objectifs et les indications de la nutrition parentérale sont abordés.

Conséquences d’un état de dénutrition

1. Adaptation au jeûne

• Chez un animal sain, l’adaptation métabolique au jeûne se fait en trois temps.

Un hypermétabolisme caractérise les deux premières phases de jeûne (de J0, premier jour de jeûne, à J7), avec une glycogénolyse hépatique, puis une lipolyse et une utilisation simultanée des acides aminés. À plus long terme (à partir de la deuxième semaine de jeûne), un hypométabolisme apparaît : la protéolyse se ralentit, ce qui préserve les protéines de structure.

• Chez un animal malade, une cascade de réactions est observée, liée à l’adaptation au stress (chirurgie, froid, brûlure, etc.), telles qu’une diminution de la sécrétion d’insuline (et/ou une insulinorésistance : diminution de la sensibilité des tissus à l’insuline) et une augmentation rapide de la protéolyse et de la lipolyse [1, 13].

2. Conséquences biochimiques d’un état de dénutrition

Lors de dénutrition, trois grandes conséquences biochimiques sont observées.

Diminution de l’immunocompétence

La dénutrition constitue la cause la plus fréquente d’immunodéficience secondaire chez l’homme [10]. Il se produit alors une modification de la réponse immunitaire à médiation cellulaire, de la production d’IgA sécrétoires, de la fonction du complément, de l’affinité des anticorps et de la production de cytokines.

La malnutrition provoque également un déficit, réversible, des fonctions immunitaires par le biais d’une inefficacité partielle des macrophages et d’une diminution de l’activité des cellules naturel killer.

Des déficits en certains nutriments (zinc, fer, pyridoxine, vitamine A, cuivre, sélénium) peuvent, à eux seuls, altérer le système immunitaire d’un individu.

Diminution des synthèses et réparations tissulaires

Ces phénomènes dépendent du statut nutritionnel local mais aussi systémique.

Au niveau local, les acides aminés et les glucides sont nécessaires à la synthèse du collagène et d’autres molécules de structure. De l’énergie est aussi nécessaire pour des synthèses (ARN, ADN et ATP), pour la migration des fibroblastes et pour le métabolisme des cellules épithéliales et endothéliales.

Au niveau de l’organisme, certains organes et tissus ont des besoins énergétiques et protéiques augmentés lors de processus pathologique (le foie et la moelle osseuse par exemple). En outre, le transport de ces substrats et de l’oxygène jusqu’aux sites lésés requiert souvent un supplément d’activités musculaire, respiratoire et cardiaque. Les traumatismes tissulaires et la cicatrisation altèrent le cycle corporel normal de turn-over protéique (moins de synthèses et plus de dégradations) [10].

Une modification du métabolisme intermédiaire des xénobiotiques

Les activités cellulaires sont dépendantes et régulées par l’action coordonnée des protéines, lipides, vitamines, minéraux (substrats) et par des enzymes, coenzymes et cofacteurs ; tous les nutriments sont essentiels pour assurer le maintien des structures et des fonctions cellulaires. La dénutrition modifie donc la synergie métabolique responsable des gradients ioniques, des potentiels de membrane, de la production de composés phosphatés riches en énergie et des défenses anti-oxydantes. Un déficit calorico-protéique peut entraîner une diminution des biotransformations hépatiques de certains antibiotiques, une diminution des concentrations en protéines plasmatiques responsables du transport des xénobiotiques(1) à travers le corps et une diminution des flux sanguins rénaux et hépatiques. Une diminution de la métabolisation et de l’élimination rénale et/ou hépatique des médicaments peut en résulter. La dénutrition peut donc augmenter ou diminuer l’effet thérapeutique des xénobiotiques, même correctement administrés.

3. Conséquences cliniques d’un état de dénutrition

Les manifestations cliniques de la dénutrition sont la conséquence des processus précédemment cités.

D’un point de vue général, un état de dénutrition engendre une augmentation de la sensibilité de l’organisme aux infections, une baisse de la vitesse de cicatrisation des plaies, une perte de poids, ainsi qu’une modification potentielle de l’effet des xénobiotiques administrés à l’animal malade (voir la figure« Conséquences générales d’un état de dénutrition chez un animal malade »).

D’un point de vue anatomo-fonctionnel, tous les grands systèmes corporels de l’animal malade semblent affectés (voir le tableau 1 « Conséquences cliniques de la dénutrition chez un animal malade »).

Comme chez l’homme, la dénutrition est un facteur qui majore la morbidité et la mortalité des animaux hospitalisés, quelle que soit leur affection [3, 10, 13]. Il convient donc d’éviter tout état de dénutrition en mettant en place un soutien nutritionnel par alimentation parentérale, lorsque cela s’avère nécessaire.

Objectifs de la nutrition parentérale

Les objectifs de tout soutien nutritionnel sont [6, 8, 15] :

- de minimiser les changements métaboliques en maintenant l’hydratation, en atténuant les déséquilibres acidobasiques et les déséquilibres électrolytiques et en apportant les nutriments spécifiques requis par l’affection responsable de l’hospitalisation ;

- de fournir les nutriments adéquats afin de faciliter la récupération, de supprimer la réponse d’hypermétabolisme, d’équilibrer la balance glucidique, de réduire ou d’inverser le catabolisme protéique et la balance azotée négative, de maintenir l’intégrité et la fonctionnalité du tractus gastro-intestinal, et d’optimiser la réponse immunitaire ;

- de maintenir la masse et le poids corporels ;

- d’éviter les complications liées à une reprise non raisonnée de l’alimentation, regroupées sous le terme de refeeding syndrome. Ce syndrome, plus fréquent chez l’homme que chez l’animal, se caractérise surtout par l’apparition d’une hypophosphatémie (avec son corollaire clinique) grave car potentiellement responsable d’une hémolyse. En médecine vétérinaire, le refeeding syndrome peut être l’une des conséquences d’une réalimentation (surtout par voie parentérale) chez un animal malade dont l’absorption digestive est souvent diminuée et les pertes (rénales ou non) augmentées [10] (voir l’ENCADRÉ « Le refeeding syndrome »).

La nutrition parentérale présente donc les mêmes objectifs que la nutrition entérale. Dans quelles circonstances convient-il de l’instaurer ?

Indications de la nutrition parentérale

1. Évaluation du statut nutritionnel et critères décisionnels

Différents critères permettent d’évaluer le statut nutritionnel d’un animal et, si ce statut est mauvais, de décider objectivement de la mise en place d’un soutien nutritionnel. Il s’agit de critères cliniques et biologiques, et liés à l’anamnèse.

Critères liés à l’anamnèse

• Chez l’animal, un support nutritionnel est indiqué si la perte de poids aiguë est supérieure ou égale à 10 % [4, 9, 14] ou si la perte de poids chronique est supérieure ou égale à 20 %. Certains auteurs soulignent qu’une perte de poids aiguë de 10 à 15 % (en quelques jours) est liée essentiellement à une déshydratation. Les conséquences de la perte de poids sont d’autant plus dramatiques que celle-ci est rapide ; une perte de poids de 40 à 50 % compromet directement la survie d’un animal [1].

• L’anorexie a souvent une cause multifactorielle, car elle peut être en rapport avec la maladie elle-même ou avec l’hospitalisation, surtout chez les chats (stress, peur). Les animaux hospitalisés peuvent en outre être soumis à un jeûne forcé, plus ou moins long, en prévision d’anesthésies pour des examens complémentaires (endoscopies, etc.) ou des interventions chirurgicales. Une période d’anorexie ou de dysorexie d’au moins trois à cinq jours (supérieure ou égale à trois jours chez le chat, supérieure ou égale à cinq jours chez le chien [5]) constitue un motif de mise en place d’un soutien nutritionnel chez l’animal.

Critères cliniques

• L’examen clinique général permet de repérer certains signes évocateurs de dénutrition, tels que des modifications de l’aspect du pelage (alopécie diffuse, poil sec) ou la présence de collections liquidiennes (ascite, œdème) qui peuvent être induites par une hypoprotidémie ou une hépatomégalie (lors de lipolyse intense).

• L’estimation visuelle des réserves se traduit par l’attribution d’un score nutritionnel à l’animal (body condition score : BCS). Ce score varie de 1 (cachexie) à 5 ou 9 selon les échelles (obésité marquée) [10, 11]. Il reflète les réserves musculaires et adipeuses du chien ou du chat.

• Les « situations à risque » sont celles qui, à elles seules, justifient la mise en place d’un soutien nutritionnel, par voie entérale ou parentérale selon les circonstances (voir le tableau « Situations à risque [...] ») : soit lorsque les pertes énergétiques et/ou protéiques sont augmentées par rapport à la normale, soit lorsque les apports exogènes (alimentaires) sont insuffisants pour couvrir les besoins caloriques et protéiques de l’animal, c’est-à-dire si l’alimentation est difficile, voire impossible, par voie orale.

Critères biologiques

Plusieurs critères biologiques sont utilisés pour évaluer le statut nutritionnel d’un animal.

• L’albuminémie est aujourd’hui le seul paramètre couramment utilisé. La malnutrition, en diminuant l’anabolisme protéique, se répercute sur les concentrations plasmatiques en albumine. Une hypo-albuminémie (< 2,1 g/dl chez le chien et < 2,5 g/dl chez le chat) est associée à un risque accru de complications chirurgicales et médicales (cicatrisation défectueuse, infection). Cependant, chez l’animal, ce marqueur manque de sensibilité (sa longue demi-vie plasmatique, de 8,5 jours chez le chien, rend ce paramètre interprétable uniquement lors de malnutrition « chronique ») et de spécificité (traduction de pertes protéiques excessives et de synthèses protéiques diminuées, d’une manière générale) [1, 4, 14].

• L’évaluation des fonctions immunitaires permet de repérer les altérations immunitaires spécifiques qui incluent, notamment, une atrophie des organes lymphoïdes et une diminution du pool de granulocytes neutrophiles de la moelle osseuse. La quantification des lymphocytes périphériques totaux reste peu spécifique [2].

• Les autres paramètres utilisables à ce jour [7, 10] sont les concentrations plasmatiques en protéines totales, en créatine-kinase (paramètre peu spécifique mais qui permettrait, lors de suivi, d’apprécier l’efficacité de la nutrition entérale ou parentérale), ainsi que l’urémie et la kaliémie (concentrations dépendantes des apports exogènes par la nourriture).

Il est également possible d’étudier la concentration plasmatique en insuline-like growth factor-1 (IGF-1), marqueur du statut nutritionnel plus sensible que l’albuminémie ; des valeurs de la concentration en IGF-1 inférieures aux valeurs usuelles sont corrélées à des restrictions alimentaires (supérieures ou égales à quatre jours) chez le chien, cette diminution étant réversible à la reprise de l’alimentation.

• Les méthodes d’avenir sont les tests d’hypersensibilité retardée (recherche d’une altération de l’immunité), les tests des fonctions lymphocytaires, les dosages protéiques en phase aiguë de jeûne (protéines down-régulées telles que la préalbumine et up-régulées telles que la céruloplasmine, capacité de transport du fer) et les tests d’expression génique (gènes impliqués dans le métabolisme enzymatique et hormonal) [10].

2. Circonstances de recours à la nutrition parentérale

Il convient de mettre en place une nutrition parentérale lorsque la stimulation de la prise volontaire (nursing, alimentation par les propriétaires (PHOTO 1), médicaments orexigènes) et l’alimentation forcée (gavage à la seringue, nutrition entérale par sonde naso-œsophagienne ou de stomie) sont inefficaces ou contre-indiquées. La nutrition entérale est en effet contre-indiquée dans certains cas [10] :

- lors d’intolérance ou d’impossibilité de pose d’une sonde naso-œsophagienne ou oro-gastrique (fractures de la face, gêne mécanique non supportée, etc.) ;

- lorsqu’une anesthésie générale pour la mise en place d’une sonde de gastrostomie ou de jéjunostomie est impossible (individus à risque anesthésique élevé).

Plusieurs types d’algorithmes décisionnels de choix du support nutritionnel sont proposés en médecine vétérinaire (voir la FIGURE « Exemple d’algorithme de choix du type de support nutritionnel »).

Les affections qui justifient un recours à la nutrition par voie non digestive sont surtout les atteintes gastro-intestinales, les pancréatites (PHOTO 2), les atteintes multisystémiques telles que les polytraumatismes, les insuffisances hépatique ou rénale (PHOTO 3), même si cette dernière maladie ne représente que 2 % des indications de la nutrition parentérale centrale dans l’étude rétrospective de 1993 [14] (voir les TABLEAUX 3 « Indications de mise en place d’une nutrition parentérale [...] » et tableau 4« Indications comparées de la nutrition parentérale chez l’homme et chez l’animal »).

Les effets délétères d’un état de malnutrition chez un animal malade surviennent en quelques jours et compliquent rapidement le tableau clinique initial et majorent la morbi-mortalité associée. Le soutien nutritionnel constitue en soi un élément thérapeutique essentiel de la prise en charge médicale des animaux hospitalisés. L’alimentation parentérale est indiquée lors de troubles graves qui limitent la prise ou l’assimilation de nourriture (spontanée ou artificielle) par voie digestive ou lorsque celle-ci est médicalement contre-indiquée. Sa mise en œuvre pratique sera envisagée dans un prochain article.

  • (1) Produit chimique, ménager ou industriel, étranger à l’organisme et qui se comporte comme un toxique ou un allergène vis-à-vis de celui-ci.

Le refeeding syndrome

Sous ce terme est regroupé un ensemble de complications liées à une reprise non raisonnée de l’alimentation, après une période d’anorexie.

→ Épidémiologie

• Chez l’homme, le « syndrome de reprise de l’alimentation » peut se manifester par une faiblesse musculaire, de la tétanie, une rétention hydrosodée, des arythmies ou des dysfonctionnements myocardiques, des convulsions, une anémie hémolytique, voire la mort par détresse cardio-respiratoire.

• Chez l’animal, le refeeding syndrome, beaucoup plus rare, se rencontre surtout lors de la (mauvaise) mise en place d’une alimentation par voie parentérale. Les manifestations cliniques sont surtout liées à deux phénomènes biochimiques, l’hypokaliémie et l’hypophosphatémie : faiblesse musculaire, ventroflexion du cou (chat), etc.

→ Mesures préventives

Il convient de réaliser des ionogrammes, de se conformer aux besoins énergétiques de base de l’animal, de le supplémenter en vitamines hydrosolubles (ex. : thiamine) et de réaliser un monitoring cardiaque durant la période de nutrition artificielle.

D’après [8].

Points forts

→ La dénutrition engendre une augmentation de la sensibilité aux infections, une baisse de la vitesse de cicatrisation, une perte de poids et modifie l’effet des médicaments administrés. La morbidité et la mortalité sont augmentées.

→ Tout soutien nutritionnel raisonné a pour objectifs de minimiser les changements métaboliques causés par la malnutrition, de fournir les nutriments adéquats pour faciliter la récupération lors de maladie et de maintenir la masse et le poids corporels.

→ Des critères tels que la perte de poids, la durée d’anorexie, le repérage de « situations à risque », ainsi que des données biologiques, permettent de décider de la mise en place d’un soutien nutritionnel.

→ Les principales indications de la nutrition parentérale sont les affections digestives (chirurgie digestive, pancréatite, hépatopathie), les polytraumatismes, les insuffisances rénale et hépatique.