SUIVI SANITAIRE EN ELEVAGE BOVIN
Éclairer
NOUVEAUTÉS
Auteur(s) : Béatrice Bouquet
Fonctions : Clinique vétérinaire
42, place du Grand-Marché
80100 Abbeville
Cet outil informatique de suivi des affections et des traitements en élevage séduit une firme privée, des praticiens et un groupement de défense sanitaire.
Le logiciel Estel aide au suivi vétérinaire des affections et à l’utilisation raisonnée des médicaments dans les élevages (bovins, surtout production laitière et engraissement actuellement). Créé en 1996 à Redon (Ille-et-Vilaine), il a été testé ces dernières années en Haute-Normandie. Satisfaits des services rendus par ce logiciel, les praticiens de l’association Vétestel loi 1901 qui gèrent ce logiciel travaillent actuellement à son développement. Un partenariat a été conclu avec la firme Isagri, qui commercialise pour les éleveurs des logiciels de suivi parcellaire, comptable ou zootechnique (inventaire électronique, etc.). Les clients éleveurs de cette firme se verront proposer Isalait, sachant que les “ponts informatiques” entre les deux systèmes Isalait et Estel sont opérationnels. Les éleveurs “Isagri” réalisent eux-mêmes leurs saisies “Estel”, par exemple sur des ordinateurs de poche, et transfèrent leurs données du registre sanitaire vers leur vétérinaire traitant, équipé d’Estel.
Ces derniers mois, au cours d’une série de réunions cantonales et dans son bulletin d’information, le GDS (groupement de défense sanitaire) de Seine-Maritime (GDMA) a en outre vanté à ses adhérents l’intérêt d’Estel pour valoriser le registre d’élevage avec l’aide du vétérinaire. Pour donner un coup de pouce au projet dans la région, il offre de réaliser mensuellement les saisies pour les éleveurs non équipés d’Isalait.
Estel fonctionne avec une base “4D”. Certaines données ne sont accessibles que depuis l’ordinateur du praticien. D’autres peuvent être échangées. Pour chaque élevage, le praticien (ou l’éleveur, ou le GDS en Haute-Normandie) saisit chaque mois les affections observées et les médicaments utilisés à partir de feuilles de type “registre”, remplies par l’éleveur au fur et à mesure des traitements et des événements sanitaires. La saisie est informatique chez les éleveurs “Isalait”. D’autres “ponts informatiques” avec des systèmes de saisie pourraient être mis en place dans les prochains mois (registre numérisé Vét’élevage du SNGTV, etc.).
Pour alléger encore le système, l’association Vétestel souhaiterait que les éleveurs inscrits au contrôle laitier puissent récupérer leurs données déjà saisies dans les logiciels du contrôle laitier (par exemple, les entrées et sorties d’animaux, les vêlages, les niveaux de production de lait, etc., avec le logiciel Synel dans le nord de la France). Des démarches sont en cours pour y parvenir.
Grâce à Estel, des bilans de l’utilisation du médicament et des affections observées dans l’élevage sont effectués chaque année. “Estel ne fera pas forcément consommer moins de médicaments dans les élevages, mais il permettra de mieux les utiliser, et ainsi d’augmenter leur productivité”, explique Gerrit Boender, président de l’association Vétestel et praticien à Duclair (Seine-Maritime). Les bilans incluent une comparaison par rapport aux autres élevages de la clientèle/de la région/de France qui recourent aux services d’Estel. Le site Internet Estel(1) a été remanié cette année pour en faire, davantage qu’une vitrine, une véritable passerelle pour l’échange de données :
- de l’éleveur (équipé d’Isagri) ou du GDS (Seine-Maritime, Eure) qui saisissent les données vers le praticien qui les analyse ;
- du praticien vers l’association, et inversement (pour partager les données qui permettent de situer les éleveurs entre eux ou pour demander l’ajout de nouveaux médicaments dans la base, etc.).
L’accès au site Internet est protégé. Certains domaines sont réservés aux praticiens titulaires d’une licence Estel.
Afin de pouvoir donner des alertes sanitaires à temps avec Estel, les membres de l’association recommandent désormais à tous les praticiens utilisateurs d’envoyer leurs données plus fréquemment à l’association (chaque mois pour aboutir à des bilans trimestriels et non annuels), l’objectif étant d’améliorer la réactivité du réseau.
Le bilan annuel “Estel” est formalisé (voir la FIGURE “Exemple de courbe issue d’un bilan Estel : coût en anti-œdémateux”) : un compte rendu papier est remis à l’éleveur à l’issue d’une visite. Le praticien signale à l’éleveur les anomalies (erreurs) d’enregistrement qu’il a relevées. Puis il décrit trois événements significatifs de l’exploitation (exemple : beaucoup de fièvres de lait, trop de traitements intramammaires en lactation, etc.), en s’appuyant sur des courbes choisies. Il compare ensuite ce compte rendu au bilan précédent (toujours les mêmes points critiques ? Des événements inhabituels ?) et propose des axes de travail (plan de prévention, autres actions correctrices GDS par exemple).
Début 2004, Estel a été cité dès le préambule du rapport Gerbaldi, commandé par l’État sur le thème de la veille sanitaire : « Il convient de rappeler (…) que de nombreux réseaux d’épidémiosurveillance ont déjà été créés dans différentes filières. (…) Des initiatives plus récentes (ex. : réseau Estel en Haute-Normandie qui pourrait servir de support à une veille sanitaire) sont là pour prouver que, fort heureusement, sur le terrain, les partenaires ressentent la nécessité d’avancer et de créer ensemble des outils de surveillance efficaces adaptés à des problématiques précises. »
Estel, imaginé par des praticiens pour éviter les dérives dans l’utilisation du médicament en élevage bovin est dans l’air du temps. « Les risques potentiels liés à l’utilisation du médicament vétérinaire (résidus antibiotiques) sont considérés, à quelques nuances près, comme devant être pris en compte au niveau de la veille sanitaire. » Les médias commencent à s’emparer du thème (voir notamment le reportage chez un praticien sur la chaîne de télévision Canal + en 2003). La loi impose la tenue d’un registre d’élevage depuis 2000, document que le rapporteur Gerbaldi voudrait voir mieux exploité pour qu’il devienne la « base de la veille sanitaire au quotidien ». En outre, un bilan sanitaire d’élevage est rendu obligatoire dans le projet de décret relatif aux conditions de prescription et de délivrance des médicaments vétérinaires lorsqu’il n’y a pas d’examen de l’animal avant la prescription.
Actuellement, le suivi “Estel” est intégralement à la charge des éleveurs, sauf en Seine-Maritime. Le tarif de facturation hors taxe conseillé en Haute-Normandie est de 120 € pour le forfait gestion, de 60 € pour l’analyse bilan et de 120 € pour la visite annuelle. Cette visite est subventionnée à 50 %, à concurrence de 60 € , par le GDS régional en Haute-Normandie uniquement.
Le recours à Estel reste entièrement volontaire. « Ce ne sont pas toujours les éleveurs que l’on croit, les plus performants par exemple, qui acceptent une analyse Estel », témoignent les testeurs hauts-normands du logiciel. Une licence Estel serait rentabilisée par le praticien à partir de cinq élevages en analyse.
« Estel a permis à des praticiens de mettre en évidence des situations de consommation complètement aberrante du médicament, témoigne Isabelle Coupey (Loire), animatrice de Vétestel et ancienne animatrice de l’association régionale des GDS de Haute-Normandie : des cocktails d’antibiotiques injustifiés ou des fortunes dépensées en poudre de perlimpinpin conseillée par le voisin. »
Pour atteindre des objectifs d’épidémiosurveillance large, Estel doit se développer. Outre la citation dans le rapport Gerbaldi, la logistique commerciale d’Isagri pourrait porter : la firme compte déjà dix mille clients équipés d’outils informatiques de gestion de troupeau : autant d’éleveurs à qui proposer Estel en complément, si leur praticien est équipé… Isagri a prévu un démarchage commercial Estel dans huit départements cette année (Mayenne, Maine-et-Loire, Loire-Atlantique, Vendée, Manche, Ain, Pas-de-Calais et Nord) où le nombre d’éleveurs utilisateurs de ses services est déjà élevé. « Vetestel et Isagri partenaires pour développer l’activité conseil des vétérinaires » vante la plaquette publicitaire d’Isagri… Isagri fournit aussi la maintenance, aux éleveurs comme aux praticiens. En revanche, les ajouts de médicaments ou d’affections dans le glossaire, ou les modifications de structure, restent gérés par les adhérents de l’association. Seul le praticien peut analyser les données saisies par l’éleveur… De même, les enregistrements effectués au GDS de Seine-Maritime restent anonymes (transit des feuilles de saisie chez le praticien, qui leur attribue un code élevage). D’autres GDS en France, notamment dans l’Est, semblent fortement intéressés par Estel. Cependant, le logiciel, conçu pour les praticiens, reste entre les mains de l’association.
Depuis janvier dernier, huit nouvelles clientèles ont acheté une licence Estel. Sur la trentaine de clientèles rurales en Seine-Maritime, un tiers dispose désormais de cet outil. Au total, en France, cent dix ateliers bovins sont déjà suivis et plus de trente mille enregistrements de traitements sont effectués chaque année. Les utilisateurs sont majoritairement en Haute-Normandie, mais aussi en Ille-et-Vilaine (Redon, foyer “historique”, ou exercent les vétérinaires concepteurs), dans la Mayenne et en Maine-et-Loire. L’animatrice de l’association, Isabelle Coupey, cherche également à établir des contacts en Rhône-Alpes.
Pour la seconde fois, une formation “Estel” a été organisée le 4 mai dernier dans les locaux du Crihan, qui abrite divers serveurs vétérinaires (listes de messagerie notamment) (PHOTO 1). Elle a débuté concrètement par des arguments propices à convaincre les éleveurs de l’intérêt de ce nouveau “service vétérinaire”. Une enquête des GDS auprès des éleveurs hauts-normands en 2000 a montré que ces derniers attendent davantage de conseils de la part de leur vétérinaire traitant. Le prix du service “Estel” ne semble pas être un obstacle. C’est surtout le sérieux de la saisie et la rigueur d’utilisation qui pénalisent l’efficacité du système par la suite.
D’autres outils sanitaires de suivi d’élevage ont été conçus par des vétérinaires (Vétoexpert, Vétosurv, Garbovet, etc.), sans compter le logiciel “d’État” Sigal, de surveillance des maladies réglementées, en cours de mise en place. La coexistence de tous ces outils ne facilite pas la compréhension mais illustre la nécessité d’outils modernes d’épidémiosurveillance. « Une veille sanitaire performante est constituée de plusieurs réseaux d’épidémiosurveillance », estime le rapporteur Gerbaldi.
(1) Adresse du site Internet Estel : www.vetestel.org