Traumatisme perforant du thorax chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 247 du 01/07/2004
Le Point Vétérinaire n° 247 du 01/07/2004

TRAUMATOLOGIE CANINE

Pratiquer

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Julien Guillaumin*, Ludovic Pelligand**, Marie-Hélène Crigel***, Véronique Viateau****

Fonctions :
*Service d’urgences et de soins
intensifs (Unité SIAMU)
ENVL, 1 av. Bourgelat
BP83, 69280 Marcy-l’Étoile
**Surgery and Anesthesia Service
The Royal Veterinary College
Northuberland Hall, Room 112
Hawkshead lane
North Mymms, Hatfield, Herts
AL97TA, United Kingdom
***Service de chirurgie et d’anesthésiologie
ENVA, 7 av. du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort

Un yorshire-terrier présente des plaies thoraciques perforantes suite à une morsure par un autre chien. Le suivi permet de suspecter une hémorragie intrathoracique et une thoracotomie exploratrice est alors entreprise.

Un yorkshire-terrier mâle âgé de deux ans et demi, pesant 4,5 kg, est admis en urgence suite à une morsure par un congénère, qui a entraîné une hémorragie abondante en regard du thorax vingt minutes avant son admission.

Cas clinique

1. Gestion de l’animal aux urgences

Admission et triage

L’examen clinique général révèle :

- un animal debout et conscient, mais qui marche peu, ceci est à relier avec une douleur vive qui rend les manipulations délicates ;

- une discordance ;

- des plaies thoraciques de chaque côté du thorax, plus étendues à gauche (1 cm environ) qu’à droite, associées à gauche à un emphysème sous-cutané ;

- une tachycardie (FC = 180 bpm), un pouls frappé et synchrone, des muqueuses roses pâles, un temps de recoloration capillaire inférieur à deux secondes ;

- une déformation de la paroi costale gauche ;

- une palpation abdominale tendue (le chien a uriné après la morsure).

Le chien a donc subi un traumatisme thoracique perforant. Il est en état de choc compensé : la réanimation est donc prioritaire pour éviter une dégradation rapide de son statut cardiovasculaire.

Réanimation

À ce stade, seuls les examens complémentaires nécessaires à une réanimation de qualité sont réalisés.

• L’électrocardiogramme montre des complexes QRS hypovoltés, compatibles avec un traumatisme thoracique.

• L’hématocrite est de 45 % et le taux de protéines est estimé à 60 g/l au réfractomètre.

• Un prélèvement urinaire révèle une hématurie franche qui peut faire suspecter des hémorragies vésicales, sans rupture de l’intégrité de la vessie.

L’animal ne se trouvant pas dans un état critique, une stabilisation médicale est instaurée et les choix thérapeutiques ultérieurs dépendront de son suivi.

Le chien est placé sous oxygénothérapie via une sonde nasale (débit de 100 ml/kg/min). La fluidothérapie est débutée à l’aide de soluté de Ringer-lactate (5 ml/kg/h par voie intraveineuse), après la mise en place d’un abord veineux.

Les zones des plaies sont tondues et une antisepsie est effectuée (povidone iodée, Bétadine® dermique 10 %(1)) (PHOTO 1). Un pansement occlusif est appliqué autour du thorax. Une antibioprophylaxie (céfalexine, Rilexine®) est instaurée, à raison de 30 mg/kg par voie intraveineuse, puis de 15 mg/kg deux heures et quatre heures plus tard. Des agents analgésiques (chlorhydrate de morphine, Morphine Aguettant®(1), 0,1 mg/kg par voie intraveineuse, administrée à la demande) permettent de contrôler la douleur qui est vive.

Bilan lésionnel

L’observation d’une discordance lors de traumatisme perforant thoracique doit faire envisager la possibilité de lésions :

- pleurales : épanchement pleural (hémothorax ou chylothorax), pneumothorax (ouvert ou fermé) ;

- pulmonaires : contusions pulmonaires sévères, lacérations pulmonaires, torsion de lobe pulmonaire ;

- diaphragmatiques : hernie diaphragmatique.

Les clichés radiographiques du thorax de face et de profil, effectués une fois l’animal stabilisé, révèlent un pneumothorax marqué, de multiples fractures costales, une densification des lobes pulmonaires caudaux et du lobe accessoire, compatible avec des hémorragies pulmonaires, ainsi qu’un emphysème sous-cutané modéré (PHOTOS 2 ET 3). La radiographie de l’abdomen ne montre aucune anomalie.

Suivi

Le suivi de l’animal en soins intensifs est effectué selon un protocole SOAP (voir l’ENCADRÉ “Le protocole SOAP”).

• À T0 + 3 h, l’examen clinique de l’animal ne révèle pas de modifications notables ; l’hématocrite est à 32 % ; l’estimation du taux de protéines à 40 g/l et une radiographie montrent un début de résorption du pneumothorax : le traitement conservateur est poursuivi.

• À T0 + 11 h, l’hématocrite se stabilise.

• À T0 + 18 h, l’état général de l’animal est stable mais son hématocrite est à 17 %.

Cette chute de l’hématocrite, associée aux images radiographiques pulmonaires, fait suspecter une hémorragie intrathoracique persistante. Une thoracotomie exploratrice est alors décidée.

2. Intervention chirurgicale

Anesthésie

• L’animal est anesthésié selon un protocole qui associe :

- une prémédication à l’aide de diazépam(1) (Valium®, 0,25 mg/kg par voie intraveineuse). La dépression cardiovasculaire et respiratoire entraînée par une benzodiazépine est minime et une couverture analgésique a été instaurée dès l’admission de l’animal ;

- l’animal est pré-oxygéné au masque sous 100 % d’O2, à un débit de 5 l/min, avant l’induction au propofol (Rapinovet®, 4 mg/kg par voie intraveineuse) ;

- un relais gazeux après intubation au moyen d’isoflurane (Forène®) véhiculé par de l’oxygène pur. La concentration de cet anesthésique volatil est ajustée en fonction de la réponse aux stimulations chirurgicales durant l’anesthésie.

En l’absence de vide pleural (thoracotomie), les mouvements des côtes et du diaphragme ne sont plus corrélés à l’expansion pulmonaire. La ventilation de l’animal étant alors fortement compromise, une ventilation à pression positive (ventilateur EMC modèle 2000 par Halowell®) est couplée au circuit anesthésique.

• L’animal reçoit une transfusion de 20 ml/kg de sang total frais citraté. La fluidothérapie est ensuite poursuivie à l’aide de NaCl, à un débit de 10 ml/kg/h.

Mode opératoire

L’abord thoracique gauche débute par une large incision cutanée paracostale en regard de la déformation pariétale et en arrière de la trace de morsure (de 1 cm de long). L’incision du muscle cutané du tronc (PHOTOS 4 ET 5) révèle de nombreuses déchirures des muscles intercostaux, de la deuxième à la huitième côte. Un prélèvement en vue d’une culture bactériologique est effectué à ce stade.

L’exploration thoracique montre un lobe caudal gauche sévèrement contus et hémorragique (PHOTO 6). Une lobectomie est alors réalisée après une double ligature des artères et des veines du lobe caudal gauche, et après une section et une plicature de la bronche. Un drain thoracique, constitué d’une tubulure de perfusion fenêtrée, est placé après rinçage de la cavité thoracique et vérification de l’étanchéité de la suture bronchique.

La reconstruction de la paroi costale s’effectue à l’aide de sutures (polypropylène déc. 2,5 : Ethicon®) qui s’appuient sur les côtes situées de part et d’autre des déchirures intercostales (PHOTO 7), après parage des tissus. L’incision est rincée et refermée plan par plan (plans musculaire et sous-cutané : polydioxanone déc.2, Ethicon® et plan cutané : polyamide monofil déc. 2, Ethicon®) sur drains de Penrose.

Le vide pleural est restauré grâce au drain thoracique.

L’exploration de la plaie située sur la paroi thoracique droite montre un délabrement marqué des tissus sous-cutanés, sans brèche thoracique associée. La plaie est parée, rincée et suturée (plan sous-cutané : polydioxanone déc. 2, Ethicon® ; plan cutané : polyamide monofil déc. 2, Ethicon®).

Surveillance anesthésique

• Le monitoring peropératoire inclut :

- un électrocardiogramme ;

- une mesure de la température centrale à l’aide d’une sonde œsophagienne ;

- une mesure de la diurèse via une sonde urinaire à demeure, après vidange totale de la vessie au début de la procédure chirurgicale ;

- une mesure non invasive de la pression artérielle (Dynamap NIBP Dynamap MPS®, Johnson and Johnson) ;

- un monitoring des gaz artériels (1036 pH/Blood Gas Analyser. Instrumentation Laboratory) : en raison de la taille de l’animal, ces prélèvements sont effectués à partir des capillaires sublinguaux.

• La pression artérielle et la diurèse sont suivies régulièrement (voir la FIGURE “Suivi de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque”).

• La gazométrie reflète la fonction respiratoire (voir le TABLEAU “Suivi des gaz sanguins artériels au cours de l’intervention chirurgicale”) et permet également le suivi du statut acido-basique de l’animal.

Gestion postopératoire

La douleur postopératoire est minimisée par :

- un bloc intercostal (3 mg/kg de lidocaïne injecté lors de la fermeture de la plaie opératoire) étendu sur deux espaces intercostaux, crânialement et caudalement au site de thoracotomie ;

- du méloxicam, administré une demi-heure avant le réveil (Métacam® 0,1 mg/kg), et 0,1 mg/kg de morphine(1) par voie intraveineuse après extubation ;

- un patch de fentanyl(1) (Durogesic® 25) est appliqué à la fin de l’opération. Un titrage morphinique (injection de faibles doses de morphine(1) à raison de 0,05 mg/kg par voie intraveineuse lente, jusqu’à effet) est instauré en attendant l’action du patch transcutané de fentanyl(1).

Le lendemain de l’intervention chirurgicale, le drain thoracique est soumis à une aspiration discontinue à la seringue et extrait entre 10 et 20 ml/j de liquide sérohémorragique pendant les premiers jours, puis se tarit au quatrième jour. L’animal sort le cinquième jour. Le prélèvement bactérien ayant montré la présence d’Acinetobacter spp., résistant à la céfalexine mais sensible à l’association sulfamides/ triméthoprime, l’antiobiothérapie postopératoire de céfalexine (Rilexine®) est arrêtée et le chien est rendu à son propriétaire avec un traitement à base d’une association sulfamide/ triméthoprime.

Le contrôle clinique lors du retrait des fils ne montre aucune anomalie. L’animal ne garde aujourd’hui aucune séquelle apparente de son traumatisme.

Discussion

• Les traumatismes thoraciques perforants sont le plus souvent dus à des morsures, à des plaies par balle (plus rarement par arme blanche) et, exceptionnellement, à des empalements sur des corps étrangers ou suite à un accident de la voie publique [2, 7].

• Les signes cliniques engendrés sont majoritairement respiratoires [2, 7]. La dyspnée et/ou la discordance sont à corréler avec la douleur (déchirures musculaires intercostales, fractures de côtes), ainsi qu’avec les lésions intrathoraciques associées (pneumothorax, contusions pulmonaires, etc.). Un emphysème sous-cutané plus ou moins marqué est souvent présent et constitue l’un des signes d’appel du pneumothorax ouvert [3]. Un état de choc [2] (hypoxique, distributif : hypovolémique ou neurogénique, ou cardiogénique) peut être observé, ce qui aggrave le pronostic. Des complications peuvent en outre survenir dans les deux à quatre premiers jours qui suivent le traumatisme : l’exploration immédiate ne les prévient pas toujours. Pratiquée trop tôt, elle ne permet pas toujours un bilan complet.

L’animal qui présente un traumatisme perforant du thorax souffre de lésions multiples et diversement associées. La fréquence décroissante de ces traumatismes varie selon les études, mais l’ordre choisi ici reflète la tendance générale [3, 7, 9, 10, 11].

1. Le pneumothorax

Le pneumothorax est ouvert lorsque la brèche dans la paroi thoracique est en continuité avec l’effraction cutanée. La gravité de la dyspnée qui en résulte dépend de l’étendue de celle-ci : une ventilation adéquate ne peut être maintenue que lorsque la plaie a un diamètre inférieur de 2/3 à celui de la trachée. L’inspection de la paroi doit donc être minutieuse et comprend une tonte si une plaie cutanée est suspectée. Des lésions des voies respiratoires ou du parenchyme pulmonaire peuvent participer à la constitution du pneumothorax. Dans quelques rares cas, les traumatismes des tissus mous empêchent l’évacuation de l’air inspiré (pneumothorax sous tension) [2, 3]. Il en résulte rapidement une hypoventilation et un collapsus cardiovasculaire [2, 3].

Toute plaie cutanée dans cette région doit être immédiatement protégée par un pansement occlusif [2] après une tonte et une antisepsie locale (povidone iodée).

Les radiographies permettent de suivre l’évolution du pneumothorax au fil du temps. Il est néanmoins dangereux d’effectuer ces clichés tant que l’état de l’animal n’a pas été stabilisé [3]. Certaines études ont en outre montré un intérêt à les différer de quelques heures, que ce soit lors d’apparition retardée de pneumothorax ou pour la détection des signes radiographiques de contusions pulmonaires, qui peuvent mettre quelques heures à s’installer [2, 3, 8, 16]. La réalisation des clichés thoraciques entre trois et six heures après le traumatisme semble être un bon compromis.

Un drainage thoracique n’est nécessaire qu’en présence d’un pneumothorax sévère, réfractaire à l’oxygénothérapie, ou d’un pneumothorax sous tension : une thoracocentèse (diagnostique et thérapeutique) est alors effectuée en première intention, suivie, si plus de deux thoracocentèses par vingt-quatre heures sont nécessaires, par la pose d’un drain thoracique [3, 9].

L’exploration chirurgicale n’est nécessaire qu’en présence d’un pneumothorax réfractaire au drainage ou de plaies massivement contaminées [3].

2. Les contusions pulmonaires

Les contusions pulmonaires résultent du déplacement des côtes lors de fracture ou du traumatisme perforant initial. Elles se traduisent par l’extravasation de sang et de plasma dans les alvéoles pulmonaires et le tissu interstitiel et sont à l’origine d’une diminution de la compliance et de la ventilation pulmonaires et d’un shunt artérioveineux [2, 3, 8, 14]. Les contusions mineures (en fonction de critères cliniques, radiographiques et gazométriques) se résolvent le plus souvent en trois à dix jours [3].

Lors de traumatisme perforant, une antibiothérapie à large spectre par voie générale et des bronchodilatateurs (par voie générale ou mieux, par inhalation) sont suffisants. L’administration précoce de méthylprednisolone à forte dose (30 mg/kg) n’est plus recommandée dans cette indication et doit être évitée. La thoracotomie exploratrice n’est indiquée que pour l’exérèse du tissu pulmonaire atteint, lors d’hémorragies persistantes.

3. L’hémothorax

Les saignements qui proviennent de contusions pulmonaires sont souvent limités [3]. Les saignements causés par un traumatisme des artères intercostales peuvent, en revanche, entraîner un hémothorax abondant et une hypovolémie si la perte sanguine dépasse 20 à 30 % du volume sanguin circulant [2, 3].

Une détresse respiratoire ne survient que lorsque le volume de l’épanchement dépasse 50 ml/kg : les animaux qui présentent un hémothorax meurent donc d’hypovolémie et non d’hypoventilation [4].

Le traitement du choc hypovolémique à l’aide d’une fluidothérapie appropriée lors de lésions intrathoraciques soulève de nombreuses difficultés. Beaucoup de travaux expérimentaux chez l’animal et d’essais cliniques chez l’homme montrent les effets néfastes de l’administration précoce de volumes élevés de cristalloïdes. Ces derniers augmentent en effet le volume, le débit et la durée de l’hémorragie [16]. Leur utilisation prolonge en outre la baisse de l’hématocrite par hémodilution et peut aussi aboutir à une dilution des facteurs de coagulation. L’administration de volumes modérés de solutés cristalloïdes (20 à 30 ml/kg/h) est désormais recommandée et celle de colloïdes ou de sang est à privilégier [1, 8, 16]. L’objectif est de maintenir une pression artérielle moyenne entre 60 et 80 mmHg. L’exploration chirurgicale est indiquée seulement en présence d’une baisse rapide de l’hématocrite [13].

4. Fractures de côtes et déchirures des muscles intercostaux

Des fractures de côtes et des déchirures des muscles intercostaux sont souvent associées à des lésions intrathoraciques étendues [3]. Un volet costal peut être présent (fractures bifocales de deux côtes adjacentes ou plus [1, 2, 12]), avec un mouvement paradoxal du volet lors des mouvements respiratoires de l’animal [1]. La palpation systématique de la paroi costale permet de rechercher la présence éventuelle de déformations associées à ces lésions. La reconstruction de cette paroi [15] n’est nécessaire que lorsque le déplacement des côtes fracturées est susceptible de léser secondairement les tissus sous-jacents : elle n’est pas conseillée de manière systématique en présence d’un volet costal [12].

Les lésions de la paroi costale sont responsables d’une douleur intense [1, 12] qui perturbe l’expansion thoracique et l’expectoration et favorise l’atélectasie et l’infection. Elle doit donc être traitée [12] (anesthésie tronculaire, couchage de l’animal sur le côté atteint, etc.).

5. Traumatismes cardiaques

Les traumatismes cardiaques sont le plus souvent dus à l’onde de choc [3]. Les anomalies peuvent survenir dans les quarante-huit heures qui suivent le traumatisme. Elles sont toutefois le plus souvent asymptomatiques et sont détectées par un électrocardiogramme (ECG): arythmies (surtout ventriculaires), qRs hypovolté, élévation du segment s-T ou modification de l’onde T. Un épanchement péricardique, voire une tamponnade, sont possibles et se traduisent dans 50 % des cas par une alternance électrique sur l’ECG. L’échocardiographie permet leur diagnostic.

Dans de nombreux cas, les anomalies cardiaques ne nécessitent pas de traitement particulier, excepté l’oxygénothérapie et la résolution des déséquilibres électrolytiques. Elles se résolvent en quelques heures, voire en quelques jours. Les arythmies sévères sont traitées à l’aide d’anti-arythmiques. Les épanchements péricardiques nécessitent une péricardiocentèse et, plus rarement, une péricardiectomie.

6. Traitement

Les lésions pariétales et intrathoraciques décrites ci-dessus sont systématiquement associées à une contamination et à un délabrement tissulaire d’autant plus importants qu’elles sont provoquées par des plaies de morsure [11]. L’antibioprophylaxie à l’aide d’un antibiotique à large spectre (association amoxicilline et acide clavulanique, clindamycine, etc.), le parage des tissus lésés, le rinçage et le drainage, sont donc des mesures essentielles pour prévenir les complications septiques, graves dans cette localisation.

L’évolution dans le temps des paramètres cliniques, biologiques et des images radiographiques, permet d’adapter le traitement et de préciser l’indication opératoire.

• La thoracotomie exploratrice est inutile en présence de lésions pariétales et intrathoraciques circonscrites, qui répondent au traitement conservateur, ce qui est souvent le cas lors de plaies par balles [6].

• L’exploration des plaies et la thoracotomie sont en revanche plus souvent nécessaires lors de plaies de morsure [11] ou par empalement. L’intervention est différée jusqu’à la stabilisation de l’état de l’animal (vingt-quatre à quarante-huit heures) et est indiquée en présence [3, 11] :

- de contaminations massives associées à des délabrements tissulaires étendus ;

- de lésions intrathoraciques qui ne peuvent être traitées de manière conservatrice (torsion de lobes, certaines plaies bronchiques ou trachéales) ;

- de plaies cutanées en continuité directe avec le thorax ;

- de lésions pariétales susceptibles d’engendrer des lésions intrathoraciques secondaires ou une douleur invalidante à moyen terme (déchirures musculaires étendues avec séparation de côtes ou fractures de côtes déplacées vulnérantes).

• La thoracotomie est exceptionnellement indiquée en urgence, lors :

- d’une aggravation, en dépit des mesures de réanimation mises en œuvre [3] (hémorragies massives, pneumothorax sous tension, plaies trachéales étendues) ;

- de plaies par empalement, pour lesquelles un déplacement du corps étranger peut aggraver les lésions.

L’animal étudié dans cet article présentait plusieurs lésions qui justifiaient une exploration chirurgicale :

- une hémorragie persistante et une atteinte irréversible d’un lobe pulmonaire ;

- des risques de contamination massive (plaies de morsure) ;

- un pneumothorax ouvert, souvent associé à un délabrement pariétal marqué.

7. Anesthésie

L’anesthésie d’un tel animal est délicate. Les saignements pulmonaires et le pneumothorax conduisent à classer le risque anesthésique en ASA IV. L’affection systémique non compensée met en effet la vie de l’animal en danger (voir l’ENCADRÉ “Classification ASA (American Society of Anesthesiologists)”).

Les principales difficultés sont :

- la chute de l’hématocrite et l’hypovolémie consécutives aux pertes sanguines ;

- la douleur due à la thoracotomie ;

- la dépression respiratoire d’un animal qui présente un traumatisme thoracique majeur ;

- le risque d’hypothermie.

Le monitoring de l’animal est donc essentiel dans une telle situation.

Le suivi de la pression artérielle (PA) permet de surveiller la volémie, ainsi que la composante algique de l’intervention chirurgicale. En début d’opération, une faible valeur de PA est due, d’une part aux agents anesthésiques, d’autre part à l’hypovolémie attribuable aux pertes préopératoires.

La transfusion de 20 ml/kg de sang frais citraté avant l’anesthésie a permis de compenser les pertes en globules rouges et en protéines plasmatiques subies par l’animal depuis sa morsure, de façon partielle et temporaire. Le pic d’hypertension du début de la courbe (11 h 49) est la conséquence d’un phénomène algogène (incision cutanée). La douleur est alors contrôlée à l’aide de chlorhydrate de morphine, (0,1 mg/kg par voie intraveineuse). Il convient en outre de veiller à ce que la pression moyenne ne chute pas en deçà de 50 mm de mercure, limite en dessous de laquelle la perfusion rénale est compromise ; or ce niveau est presque atteint 20 minutes après l’injection de morphine(1). La diminution du pourcentage d’anesthésique volatil et l’augmentation du rythme de fluidothérapie permettent de retrouver une pression artérielle et une diurèse correcte. En effet, la diurèse est évaluée à 1,6 ml/kg/h en début d’intervention (norme : supérieure à 2 ml/kg/h). Après les manœuvres thérapeutiques, la diurèse est réévaluée à 6 ml/kg/h en fin d’intervention chirurgicale. La fluidothérapie a été efficace, mais l’hématocrite (17 % après transfusion) et la valeur du taux de protéines (48 g/l) révèlent une hémodilution marquée.

D’autres pics d’hypertension, provoqués par des stimuli nociceptifs (manipulation des lobes pulmonaires et de la paroi thoracique lors de la fermeture), sont combattus à l’aide de chlorhydrate de morphine(1) (0,1 mg/kg par voie intraveineuse à trois reprises : 13 heures, 13 h 20 et 14 heures).

L’analyse des gaz artériels est le paramètre qui reflète le plus justement la fonction respiratoire [5]. La gazométrie permet également le suivi du statut acidobasique de l’animal.

Lors de l’ouverture du thorax (12 h 30), l’animal est en acidémie (pH = 7,145). Cette acidose a une composante métabolique (bicarbonates = 17,8 mmol/l) et respiratoire (PaCO2 = 51,1 mmHg) : acidose “mixte”.

Sa pression partielle en O2 (PaO2 = 90 mmHg) est suffisante, quoique plus basse que la valeur attendue. En effet, la pression partielle en O2 d’un animal anesthésié qui respire de l’oxygène pur devrait s’élever au-dessus de 200 mmHg sur sang mêlé.

L’hypercapnie est reliée à une hypoventilation. Le volume d’air qui circule dans les poumons est insuffisant pour éliminer le CO2 produit par l’organisme. Le volume/minute du ventilateur est augmenté en élevant la fréquence et le volume courant (volume de chaque cycle ventilatoire).

L’acidose métabolique est corrigée en jouant sur deux paramètres. En augmentant le rythme de fluidothérapie et en diminuant la profondeur anesthésique, la perfusion rénale est rétablie, ce qui permet le maintien de l’homéostasie acidobasique. Des bicarbonates sont injectés par voie intraveineuse pour compenser l’acidose métabolique. Le déficit en HCO3- est calculé selon la règle (24 - HCO3 mesuré) x poids x 0,3. Un tiers de cette dose est injecté en bolus et un autre tiers en infusion lente.

L’analyse gazométrique est répétée une demi-heure plus tard. La gravité de l’acidose est moindre (pH = 7,2), mais elle reste mixte. Le contrôle révèle une dépression respiratoire plus marquée (hypercapnie et hypoxémie majorées). Le volume/minute délivré par le ventilateur est augmenté en jouant à la fois sur la fréquence et sur le volume d’insufflation.

Les difficultés rencontrées (hypoxémie et hypercapnie) sont essentiellement dues à une inadéquation entre la ventilation et la perfusion pulmonaire [3, 14], en raison de l’atélectasie des lobes pulmonaires. Une heure plus tard, lors de la fermeture de la paroi thoracique, le lobe contus ayant été enlevé et le vide pleural reconstitué, la fonction respiratoire redevient normale. Cela est attesté par la mesure gazométrique normale de quatorze heures.

Dans ce cas, les causes des pertes thermiques sont multiples (petit format qui augmente le rapport surface/volume corporel, ouverture de la cavité thoracique qui favorise les pertes thermiques). Le chien est placé sur un tapis chauffant et un générateur d’air chaud est positionné sous les champs. La température chute à 34,5 °C après thoracotomie, mais remonte rapidement grâce au dispositif mis en place. L’animal se réveille aux alentours de 37° C.

Ce cas clinique illustre le fait qu’une plaie mineure de la paroi thoracique n’exclut pas la présence de lésions internes majeures. Le pronostic doit être modulé en fonction de la gravité du tableau lésionnel. Les plaies par balle offrent ainsi le meilleur pronostic ; les plaies par morsures ont un pronostic plus réservé. Un état de choc, un volet costal et un traumatisme crânien ou abdominal associé sont autant d’éléments qui aggravent le taux de mortalité. Les mesures de réanimation d’un animal qui présente un traumatisme thoracique perforant sont prioritaires :

- traitement du choc hypovolémique à l’aide d’une fluidothérapie appropriée ;

- correction de l’hypoxie et des troubles acidobasiques associés (occlusion des plaies, oxygénothérapie +/- thoracocentèse +/- drainage thoracique +/- analgésie locorégionale) ;

- prévention des complications infectieuses : antisepsie locale et systémique précoce, mais aussi parage et rinçage des plaies dès que l’état de l’animal le permet.

À l’avenir, le recours plus régulier à la thoracoscopie permettra des explorations chirurgicales moins invasives.

  • (1) Médicament à usage humain.

ATTENTION

L’observation d’une discordance lors de traumatisme perforant thoracique doit faire envisager la possibilité de lésions :

– pleurales : épanchement pleural, pneumothorax ;

– pulmonaires :contusions pulmonaires sévères, lacérations pulmonaires, torsion de lobe pulmonaire ;

– diaphragmatiques : hernie diaphragmatique.

Le protocole SOAP

La gestion d’un animal en soins intensifs est délicate car son état de santé évolue rapidement ; aussi convient-il de réévaluer celui-ci fréquemment selon le traitement mis en place.

Le recueil des paramètres Subjectifs (état général, réponses aux stimuli, évaluation de la douleur, etc.) et Objectifs (paramètres vitaux, examen clinique, résultats des examens complémentaires) permet d’Analyser l’état de l’animal et son évolution et de proposer un Plan pour le traitement et la fréquence du suivi. Cette démarche est résumée sous le terme de SOAP (utilisé outre-Atlantique comme cadre pour n’importe quelle consultation).

Ce protocole permet de détecter de nouveaux déséquilibres ou des anomalies passées inaperçues lors de l’admission, de surveiller la réponse au traitement et de mettre en place de nouvelles mesures de suivi et de monitoring.

Classification ASA (American Society of Anesthesiologists)

ASA I : pas de maladie systémique.

ASA II : maladie systémique modérée.

ASA III : maladie systémique sévère qui limite l’activité de l’animal sans mettre en danger sa survie.

ASA IV : maladie systémique sévère et décompensée qui met en danger la survie de l’animal.

ASA V : animal moribond (pronostic de survie inférieur à vingt-quatre heures).

Points forts

L’effraction cutanée est souvent sans commune mesure avec la gravité des lésions pariétales ou intrathoraciques sous-jacentes.

En présence d’un traumatisme thoracique perforant, la réanimation et la stabilisation de l’animal sont prioritaires.

Lors de traumatisme thoracique perforant, la réalisation de clichés radiographiques du thorax, voire de l’abdomen, et un électrocardiogramme sont nécessaires.

Toute chute de l’hématocrite précoce et marquée ou persistante doit faire envisager une exploration chirurgicale.

Les points de contrôle anesthésiques lors de thoracotomie suite à un traumatisme sont :

– le monitoring cardiovasculaire ;

– le monitoring respiratoire (y compris les gaz du sang) ;

- les relevés de température corporelle ;

– l’analgésie.

  • 2 - Bjorling D. Thoracic trauma. In : Saunders manual of small animal practice. 2nd ed. Ed. WB Saunders, Philadelphia. 1999 : 687-693.
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