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CARDIOLOGIE
Auteur(s) : Jean-François Rousselot*, Daniel Hervé**, Sylvain Prugnard***
Fonctions :
*414 A, chemin des Canniers, Quartier Lagoubran, 83190 Ollioules
**61 rue Émile-Raspail, 94110 Arcueil
***39, place du Jura, 01170 Gex
Une chatte européenne âgée de dix ans, stérilisée et vaccinée y compris contre le FELV, présente une asthénie marquée et une diarrhée hémorragique suraiguë.
L’examen clinique révèle une hypothermie sévère, un état subcomateux, des muqueuses pâles, une procidence des troisièmes paupières, une dyspnée de type restrictif. Les membres postérieurs sont paralysés et leurs extrémités sont froides. Le pouls fémoral est pratiquement inexistant. L’auscultation pulmonaire met en évidence de nombreuses crépitations, audibles de chaque côté de la cage thoracique. Le cœur est très difficile à entendre car l’intensité des bruits est diminuée. La fréquence cardiaque est rapide (250 bpm) et le rythme est irrégulier.
Les signes cliniques (dyspnée d’apparition brutale, paralysie, anomalies auscultatoires cardiaques) conduisent à suspecter une cardiomyopathie associée à un œdème pulmonaire et à une thromboembolie iliaque.
Avant tout autre examen et dans le but d’améliorer rapidement l’état général de l'animal, un traitement d’urgence qui associe furosémide, prednisolone et héparine (malgré le saignement digestif) est entrepris.
Le traitement est peu efficace. Une radiographie de profil, une échocardiographie et un électrocardiogramme sont réalisés. Des lésions pulmonaires sont visibles (PHOTO 1). L’œdème pulmonaire (densification interstitielle qui diminue sensiblement la netteté des bords cardiaques) concerne l’ensemble du territoire pulmonaire. La silhouette cardiaque est modifiée. L’indice de Buchanan (somme de la longueur et de la largeur du cœur), supérieur à 11 longueurs de vertèbres alors que la normale est inférieure à 8,5, confirme une cardiomégalie sévère, principalement gauche. Les modifications échographiques sont spectaculaires : l’atrium gauche est très dilaté et sa lumière est pratiquement comblée par une volumineuse masse sphérique, hyperéchogène, de surface irrégulière (PHOTOS 2 ET 3). Cette masse semble adhérente au plafond de l’atrium. La paroi libre du ventricule gauche est très épaissie (PHOTOS 2 ET 4), particulièrement au niveau du pilier mitral. En conséquence, la chambre de chasse du ventricule gauche est très déformée.
L’électrocardiographie (voir le TRACÉ) montre une tachycardie irrégulière avec une absence d’onde P et des ventriculogrammes en D2 discrètement élargis. Il s’agit d’une fibrillation atriale rapide associée à un bloc de branche gauche.
Tous les examens confirment l’hypothèse clinique de cardiomyopathie hypertrophique asymétrique, compliquée de fibrillation atriale rapide et de thromboembolie iliaque. Seul l’aspect échographique de la masse contenue dans l’atrium gauche surprend. Cette dernière est en effet très volumineuse et son échogénicité est plus marquée que celle d’un “simple” caillot. Son adhérence au plafond de l’atrium est également inhabituelle. Des remaniements marqués du caillot peuvent être responsables de cet aspect mais d’autres hypothèses (en particulier tumorales) sont envisageables.
En raison de son déclin rapide, l’animal est euthanasié puis l’autopsie du cœur est pratiquée. Le myocarde est très épaissi au niveau de sa paroi libre (PHOTO 5), la lumière du ventricule gauche est fortement diminuée. Le muscle présente plusieurs plages blanchâtres, zones probables de fibrose. La masse atriale n’est pas adhérente à l’endocarde atrial. En son centre, un noyau de la taille d’une noix a un aspect tissulaire blanchâtre et une consistance dure (PHOTO 6). Plusieurs caillots sanguins de consistance classique la recouvrent en périphérie.
La cardiomyopathie asymétrique (atteinte de la paroi libre du ventricule gauche) dont cette chatte était affectée a provoqué une dilatation marquée de l’atrium gauche et une fibrillation atriale rapide. La stase sanguine dans l’atrium a favorisé la formation d’un thrombus volumineux qui a occupé la quasi-totalité de la lumière atriale gauche.
La formation du caillot est liée à trois facteurs réunis lors de cardiomyopathie hypertrophique : la dilatation atriale avec stase sanguine, l’existence de micro-lésions endocardiques (“jet’s lesions”) et un état d’hypercoagulabilité. Cette thrombose atriale occasionne une forte gène au remplissage atrial qui, associée à l’obstruction ventriculaire diastolique (cardiomyopathie asymétrique) et à la chute de débit due à la fibrillation atriale, ont contribué à la constitution d’un œdème pulmonaire alvéolaire majeur responsable de la dyspnée. Le volume élevé du thrombus peut s’expliquer par plusieurs mécanismes :
- l’ancienneté de sa constitution avec une succession de strates de fibrine qui augmentent son diamètre ;
- son remaniement central qui a conduit à une fibrose ou à une métaplasie cartilagineuse, la partie superficielle pouvant “s’exfolier”. Une partie du thrombus a donc pu se fragmenter, pénétrer dans le ventricule gauche et être éjectée dans l’aorte lors de la systole, puis se bloquer au niveau de la quadrifurcation iliaque. Ce blocage a entraîné un arrêt de l’ondée sanguine fémorale et une paralysie par des mécanismes de neuromyopathie ischémique (occlusion artérielle distale et libération de substances vasoactives telles que la sérotonine qui réduit la circulation collatérale).
Les troubles digestifs hémorragiques sont très probablement consécutifs à l’état de choc et à une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) concomitante. La CIVD est due à l’association d’un état d’hypercoagulabilité (liée à la cardiomyopathie hypertrophique), suivie d’une fibrinolyse incontrôlée et d’une consommation massive de facteurs de coagulation plasmatiques. Le très mauvais état général du chat n’a pas permis de réaliser les examens qui auraient pu confirmer l’hypothèse de CIVD.