Bilan lésionnel d’un chien ou d’un chat polytraumatisé - Le Point Vétérinaire n° 261 du 01/12/2005
Le Point Vétérinaire n° 261 du 01/12/2005

TRAUMATOLOGIE CANINE ET FÉLINE

Se former

COURS

Auteur(s) : Frédéric Meige*, Patrick Verwaerde**, Sébastien Sarrau***, André Autefage****

Fonctions :
*Unité pédagogique
de chirurgie-anesthésie
-réanimation. Département
des sciences cliniques
des animaux de compagnie,
de sport et de loisirs
ENVT, 23, chemin des Capelles,
31076 Toulouse cedex 03
**Unité pédagogique
de chirurgie-anesthésie
-réanimation. Département
des sciences cliniques
des animaux de compagnie,
de sport et de loisirs
ENVT, 23, chemin des Capelles,
31076 Toulouse cedex 03
***Unité pédagogique
de chirurgie-anesthésie
-réanimation. Département
des sciences cliniques
des animaux de compagnie,
de sport et de loisirs
ENVT, 23, chemin des Capelles,
31076 Toulouse cedex 03
****Unité pédagogique
de chirurgie-anesthésie
-réanimation. Département
des sciences cliniques
des animaux de compagnie,
de sport et de loisirs
ENVT, 23, chemin des Capelles,
31076 Toulouse cedex 03

Après avoir stabilisé les fonctions vitales de l’animal polytraumatisé, recourir au moyen mnémotechnique CRASH-PLAN garantit d’effectuer un bilan lésionnel systémique et locomoteur complet.

Lors de l’admission d’un animal polytraumatisé, la première étape consiste à détecter et à traiter toutes les détresses vitales susceptibles d’aggraver le pronostic vital immédiat(1).

Lorsque l’état de l’animal est stabilisé, il est alors possible d’envisager un examen clinique exhaustif afin de repérer toutes les lésions susceptibles d’aggraver le pronostic vital ou fonctionnel à moyen ou long terme.

La raison primordiale de cet enchaînement repose sur le temps que requiert ce bilan lésionnel, trop long pour être réalisé en première intention. Afin de n’omettre aucune lésion et pour respecter un ordre de gravité, le moyen mnémotechnique du CRASH-PLAN utilisé par les anglo-saxons apparaît comme la méthode la plus pratique et la plus efficace. Elle permet d’effectuer un bilan lésionnel systémique (CRASH) et un bilan lésionnel locomoteur (PLAN).

Bilan des lésions systémiques : CRASH

1. C : cardio-vasculaire

Examen clinique

L’examen de la fonction cardiovasculaire est réalisé une deuxième fois(1) avec davantage de précision. Il permet d’évaluer l’efficacité du remplissage vasculaire instauré, de détecter la présence éventuelle d’un souffle cardiaque trop discret pour être décelé lors de l’évaluation initiale et de rechercher des anomalies du rythme cardiaque.

Cet examen clinique de la fonction cardio-vasculaire peut être accompagné d’examens complémentaires qui mettront notamment en lumière des anomalies sans répercussion clinique majeure mais susceptibles d’aggraver une instabilité hémodynamique initiale.

Investigations complémentaires

• Idéalement, un contrôle électrocardiographique devrait être réalisé à l’admission de tout animal victime d’un accident de la voie publique, s’il présente des signes radiologiques de traumatisme thoracique (contusions pulmonaires, pneumothorax, etc.) associés à des fractures de membres, et renouvelé vingt-quatre ou quarante-huit heures après le choc [46]. En effet, 10 à 96 % des chiens victimes de traumatismes présentent des arythmies cardiaques liées à une myocardite traumatique [15, 41, 46, 50]. Leur diagnostic s’établit avant tout par la réalisation d’un électrocardiogramme (ECG) ou, mieux, par un suivi continu d’ECG sur vingt-quatre heures [50].

• L’échographie cardiaque est préconisée lors d’anomalies à l’auscultation cardiaque ou lors d’instabilité hémodynamique persistante associée à des troubles du rythme. L’échographie demeure l’examen d’imagerie clé, non seulement pour évaluer la contractilité myocardique, mais aussi pour identifier des épanchements ou des hématomes péricardiques.

• La mesure de pression artérielle peut s’effectuer de façon invasive (cathétérisme artériel) ou non invasive (méthode Doppler ou oscillométrique). Elle permet de suivre l’hémodynamique de l’animal hospitalisé en état critique. Sa mesure et sa correction éventuelle (réanimation liquidienne, dobutamine(1), etc.) évitent les complications d’une hypotension prolongée [44].

• L’apport de la radiographie thoracique dans l’évaluation des lésions cardiaques est limité. Elle peut révéler une cardiomégalie qui indique une affection cardiaque préexistante, ou dans de rares cas un épanchement péricardique hémorragique. Exceptionnellement, un pneumopéricarde est observé.

Principales lésions rencontrées et premières mesures thérapeutiques

Les lésions cardiaques les plus fréquemment rencontrées chez les animaux polytraumatisés sont les contusions du myocarde. En effet, les lésions de lacération ou de déchirures cardiaques (myocarde, péricarde, gros vaisseaux) sont rares et, en général, rapidement fatales.

La myocardite traumatique correspond à une contusion du myocarde à l’origine d’un défaut de conduction de l’influx électrique. Elle se traduit par des troubles du rythme. En général tardifs, ils apparaissent le plus souvent dans les vingt-quatre heures, et jusqu’à quarante-huit heures après l’accident [42, 43, 50].

Les signes électrocardiographiques à rechercher sont des complexes ventriculaires ectopiques, (voir la FIGURE “Électrocardiogramme réalisé chez un chien…”), une surélévation (> 0,15 mV) ou une dénivellation (< 0,20m V) du segment S-T en DII et une tachycardie ventriculaire ou sinusale [36].

La plupart des arythmies liées aux myocardites traumatiques ne nécessitent pas de traitement spécifique, dans la mesure où elles n’entraînent pas de signe clinique témoin d’une perturbation hémodynamique (hypotension, faiblesse, muqueuses pâles, pouls filant, temps de recoloration des muqueuses > 2 s, etc.) [43]. Elles se résolvent spontanément, généralement en trois à dix jours [43]. En cas de myocardite traumatique, il convient de reporter toute intervention chirurgicale majeure de quelques jours, jusqu’à ce que l’ECG soit normal.

Les troubles du rythme « dangereux » (signes cliniques d’insuffisance circulatoire, tachycardie ventriculaire, extrasystoles ventriculaires (ESV) polymorphes, ESV précoces, etc.) sont traités avec des anti-arythmiques. La plupart de ces arythmies sont traitées par la lidocaïne par voie intraveineuse à une dose d’environ 2 mg/kg chez le chien. Une administration continue de lidocaïne est possible pour un contrôle de l’arythmie sur une plus longue durée à une dose de 10 à 70 µg/kg/min [43].

L’hypokaliémie et, d’une manière générale, tous les désordres électrolytiques doivent être corrigés préalablement lorsque des troubles du rythme sont présents.

Des antiarythmiques par voie orale sont utilisés pour prendre le relais de la lidocaïne, en particulier la mexilétine(2) (Mexitil®) à une dose de 4 à 8 mg/kg trois fois par jour, le sotalol(2) (Sotalex®) à 2 mg/kg deux fois par jour. L’amiodarone(2) (Cardarone®), bien que très efficace dans le contrôle des arythmies, est rarement utilisé en raison des nombreux effets indésirables qui lui sont associés de manière quasi systématique.

L’indication d’un traitement antiarythmique est beaucoup plus rare chez le chat. La lidocaïne doit être utilisée à des doses plus faibles (0,5 à 1 mg/kg).

2. R : respiratoire

Examen clinique

Une première évaluation clinique de la fonction respiratoire est réalisé à l’admission de l’animal, durant la prise en charge initiale du polytraumatisé(1). Un second examen clinique plus approfondi de la respiration est effectué chez l’animal stabilisé.

Investigations complémentaires

L’examen de la fonction respiratoire nécessite le recours systématique à la radiographie thoracique. En effet, 44 % des chiens [26] et 38,7 % des chats [22] présentés à la suite de fractures traumatiques présentent des lésions radiologiques du thorax. Les études de Selcer sur le chien [46] et de Griffon sur le chat [22] ont montré que respectivement 77 % et 40 % des animaux avec des traumatismes thoraciques identifiés radiologiquement ne présentaient aucun signe clinique (voir la FIGURE “Répartitions des lésions radiologiques thoraciques (…)” et le TABLEAU “Principaux signes radiographiques à rechercher sur une radiographie thoracique lors de polytraumatisme”).

Principales lésions rencontrées et premières mesures thérapeutiques

• Les contusions pulmonaires engendrent essentiellement de la tachypnée ou une dyspnée inspiratoire [18, 24, 30]. Lors de lésions sévères, une orthopnée, une épistaxis ou une hémoptysie peuvent être observées. Les images radiologiques de contusions pulmonaires (PHOTOS 1A ET 1B) peuvent apparaître immédiatement ou quelques heures après le traumatisme. Le traitement initial vise à corriger la présence d’une éventuelle détresse respiratoire (oxygénation, ventilation positive(1)).

Il n’existe pas de traitement spécifique à l’efficacité reconnue. L’administration des corticostéroïdes à forte dose (30 mg/kg) reste très controversée [24]. Les diurétiques ne sont pas recommandés, excepté lors d’une hypervolémie iatrogène ou d’un œdème pulmonaire associé [24]. L’antibioprophylaxie systématique favoriserait la sélection de germes résistants et ne diminuerait pas l’incidence des rares pneumonies secondaires [18, 30].

Le pronostic dépend de la sévérité des contusions pulmonaires. Les signes radiologiques régressent spontanément entre trois et sept jours [24] (PHOTO 2).

• Lors de pneumothorax traumatique (PHOTO 3), le traitement dépend [35, 53] :

- du volume d’air expansé ;

- de la source lésionnelle : brèches des structures bronchiques ou pulmonaires, solution de continuité de la paroi thoracique, etc. ;

- de son évolution immédiate : pneumothorax sous tension (accumulation d’air lors de l’inspiration sans fuite possible lors de l’expiration), récidive après vidange, etc. ;

- de ses signes cliniques.

Les pneumothorax fermés (sans brèche thoracique) asymptomatiques ne nécessitent généralement pas de traitement car ils se résolvent spontanément en vingt-quatre à quarante-huit heures. En présence d’une tachypnée sévère (fréquence respiratoire supérieure à quatre-vingts mouvements par minute chez le chien) ou d’autres signes de détresse respiratoire, une vidange du pneumothorax doit être réalisée par thoracocentèse [50]. Si plusieurs thoracocentèses successives sont nécessaires pour maintenir le vide pleural ou si le volume d’épanchement aérique est élevé, il est alors vivement conseillé de poser un drain thoracique [33].

• Les fractures de côtes isolées peu déplacées ne nécessitent pas de soin spécifique [39]. Un traitement antalgique systémique et/ou local doit toutefois systématiquement être mis en place. Les fractures déplacées peuvent faire l’objet d’une intervention chirurgicale. Si plusieurs côtes adjacentes présentent une fracture double, il se produit un volet costal, reconnaissable cliniquement par un mouvement paradoxal du volet lors de la respiration [39]. Le traitement initial consiste à mettre en œuvre les mesures de réanimation adaptées : oxygénothérapie, fluidothérapie, analgésie, thoracocentèse, etc. Le traitement spécifique n’est pas standardisé. Il est possible de stabiliser le volet costal par contention externe (pansement attelle fixé aux côtes par des points transcutanés) ou par fixation interne (broches, cerclages) [36]. Le traitement conservateur (absence de stabilisation) est aussi possible dans un grand nombre de cas [39].

• Lors de hernie diaphragmatique (PHOTO 4), le traitement initial consiste à stabiliser l’animal (oxygénothérapie, fluidothérapie, analgésie, etc.) et à le placer au calme dans une cage sous oxygène le temps de la réanimation et dans l’attente d’un traitement chirurgical. Une étude publiée en 1987 indiquait un taux de mortalité plus élevé lorsque la correction chirurgicale de la hernie était réalisée dans les vingt-quatre heures suivant le traumatisme [5]. Une étude récente [20] montre, au contraire, qu’une intervention chirurgicale réalisée dans les vingt-quatre heures après l’accident n’affecte pas le taux de survie si l’animal est convenablement réanimé. Dans tous les cas, la présence d’un estomac dilaté dans le thorax ou d’une détresse respiratoire qui s’aggrave malgré l’oxygénothérapie constitue une urgence chirurgicale [5, 28].

3. A : abdomen

Examen clinique

• L’inspection est la première étape de l’examen clinique. Elle permet de repérer l’éventuelle présence de plaies ou de traumatismes pénétrants de l’abdome. Des ecchymoses (PHOTO 5), des tuméfactions ou des hernies traduisent souvent l’existence d’un traumatisme abdominal sévère. La détection d’une distension abdominale peut être le signe d’un épanchement abdominal de grand volume (supérieur à 40 ml/kg). Une rougeur périombilicale suggère l’existence d’un hémopéritoine.

• La palpation abdominale suit l’inspection. Elle s’effectue doucement et vise à mettre en évidence et à localiser une éventuelle douleur abdominale ou une masse. La vessie est palpée pour connaître son état de réplétion mais, chez un chien ou un chat polytraumatisé, cette palpation ne permet pas d’exclure une rupture des voies urinaires. Bien qu’il soit un critère diagnostique peu sensible, le signe du flot permet de suspecter un épanchement abdominal (sang, urine, etc.).

Investigations complémentaires

Toute anomalie (ecchymoses, douleur abdominale, signe du flot positif, etc.) à l’examen clinique de l’abdomen doit conduire à des investigations complémentaires afin d’écarter une lésion viscérale potentiellement grave.

• La radiographie abdominale sans produit de contraste est un examen peu sensible et peu spécifique chez le polytraumatisé pour le diagnostic des lésions viscérales (voir le TABLEAU “Principaux signes radiologiques à rechercher sur une radiographie abdominale lors de polytraumatisme”).

• L’échographie abdominale est un examen sensible lors de traumatisme abdominal fermé [6, 23, c]. Chez un animal dont l’hémodynamique est instable, l’échographie permet, rapidement et de façon non invasive, de confirmer ou d’infirmer la présence d’une hémorragie abdominale. Lors de rupture d’un organe plein (foie, rate, rein, etc.), la surface de l’organe apparaît irrégulière et la capsule est interrompue. Les lésions organiques propres peuvent néanmoins être difficiles à visualiser à l’échographie. Il convient alors de rechercher les conséquences de ces lésions :

- épanchement abdominal (uropéritoine lors de rupture vésicale, hémopéritoine lors de lacérations hépatiques ou de rupture splénique) ;

- péritonite lors de rupture digestive ;

- hématome vésical, hépatique, splénique ou rétropéritonéal.

La technique FAST (focused assessment sonography for trauma) est une méthode diagnostique facile et rapide, validée en médecine vétérinaire. Elle permet de détecter, dès l’admission de l’animal polytraumatisé et avec un minimum d’expérience échographique, la présence d’un liquide intra-abdominal anormal [6, 16, 45]. Sur un animal en décubitus latéral, des coupes échographiques (transversales et longitudinales) sont réalisées au niveau de quatre régions précises de l’abdomen : région caudale à l’appendice xiphoïde, région caudo-ventrale en avant du pubis sur la ligne médiane, flanc abdominal gauche et flanc abdominal droit en arrière des dernières côtes [6].

• La suspicion d’un épanchement abdominal doit conduire le clinicien à effectuer une paracentèse. Celle-ci peut avoir lieu sous contrôle échographique (PHOTO 6) [17, 55].

En fonction de l’aspect macroscopique du liquide recueilli, des dosages biochimiques spécifiques peuvent être pratiqués avant la réalisation d’une cytologie (voir la FIGURE “Conduite diagnostique lors d’un épanchement abdominal d’origine traumatique”). Si aucun liquide n’est recueilli, une ponction-lavage péritonéale permet de réaliser une cytologie sur le prélèvement recueilli [17, 55].

Principales lésions rencontrées et premières mesures thérapeutiques :

• Lors de traumatisme pénétrant [19, 48], toute plaie abdominale doit être explorée chirurgicalement pour vérifier l’absence de communication avec la cavité péritonéale. Si la plaie est superficielle, un parage chirurgical est réalisé. En revanche, si la plaie se révèle intra-abdominale, il est alors recommandé d’effectuer une laparotomie exploratrice afin d’écarter la présence de lésions viscérales susceptibles d’évoluer défavorablement (péritonite septique par exemple, après une perforation digestive) dans les heures ou les jours qui suivent.

• La plupart des hémopéritoines traumatiques sont dus à des lésions spléniques ou hépatiques. Le traitement consiste, dans un premier temps, à rétablir la volémie par une fluidothérapie voire une transfusion. Un pansement légèrement compressif placé autour de l’abdomen peut être mis en place afin de limiter les saignements. Si l’état de l’animal se détériore malgré la fluidothérapie, il convient alors d’envisager une laparotomie d’urgence [12, 34, 54].

• La palpation ou la visualisation radiographique de la vessie et la capacité de l’animal à uriner ne permettent en aucun cas d’exclure une rupture des voies urinaires [4, 31, 40]. La vessie est l’organe le plus souvent atteint (les lésions urétrales ou urétérales sont plus rares lors de polytraumatisme) [40, 47].

Le diagnostic immédiat n’est pas toujours évident car lessymptômes (syndrome urémique, distension abdominale ou tuméfactions inguinales/périnéales, etc.) apparaissent assez tardivement (de quelques heures à quelques jours) [14]. Le diagnostic repose sur la détection d’un épanchement abdominal urineux (échographie, ponction abdominale) et sur la réalisation d’une urétrocystographie rétrograde (PHOTO 7) puis d’une urographie intraveineuse.

Expérimentalement, la rupture vésicale est mortelle chez le chien entre 47 et 90 heures [14]. Les ruptures vésicales, urétérales et les avulsions de l’urètre nécessitent un traitement chirurgical après stabilisation de l’animal [31]. Les déchirures partielles de l’urètre requièrent la pose d’une sonde urinaire pendant deux à quatre semaines dans l’attente d’une cicatrisation par seconde intention [2, 4].

4. S : spine

Examen clinique

L’examen du rachis repose sur l’examen neurologique habituel. Chez un animal polytraumatisé, l’interprétation de l’examen neurologique peut facilement être faussée : état de choc entraînant une dépression des réponses des tests neurologiques, fractures de membres engendrant une douleur intense et mimant un déficit proprioceptif, etc. En cas de doute, il convient donc de renouveler l’examen neurologique quelques heures après le premier examen.

• L’inspection comprend l’observation de la position des membres, de la tête et du corps. Une position d’opisthotonos, avec une hyperextension des membres thoraciques associée à une paralysie flasque des membres pelviens, est caractéristique d’un syndrome de Schiff-Sherington. Ce syndrome traduit une atteinte grave de la moelle épinière entre T3 et L3. Si l’animal est présenté en décubitus, il convient d’essayer de le mettre debout, quitte à le soutenir pour décharger les membres fracturés. Ceci doit être réalisé avec précaution, afin de ne pas aggraver une éventuelle fracture vertébrale. La mise en position debout permet de vérifier que l’animal est capable de porter son poids sur ses quatre membres, qu’il présente des mouvements volontaires normaux et qu’il est capable de se déplacer.

• La palpation-mobilisation des processus épineux des vertèbres thoraciques, lombaires, sacrées et coccygiennes révèle une éventuelle douleur rachidienne ou une anomalie d’alignement. Chez le chat, en particulier, il ne faut pas oublier de palper la jonction sacro-coccygienne. Cette région est en effet fréquemment le siège de fracture-luxation vertébrale (PHOTO 8). Le cou est mobilisé prudemment dans toutes les positions pour repérer une cervicalgie. Les membres sont palpés et mobilisés afin d’évaluer le tonus musculaire. La présence d’un membre flasque, hypotonique ou hypertonique doit faire suspecter une lésion neurologique (cérébrale, médullaire ou périphérique).

• Les réactions posturales sont réalisées de façon habituelle. Elles confirment la présence ou l’absence d’une lésion neurologique (du thalamocortex, du tronc cérébral, de la moelle épinière ou des nerfs périphériques). L’interprétation d’un déficit d’une réaction posturale sur un membre fracturé, ou sévèrement contusionné, reste malgré tout peu fiable.

• Les réflexes médullaires fournissent la localisation de la lésion neurologique. Le réflexe périnéal évalue l’intégrité du nerf honteux, responsable de la continence fécale et urinaire.

• En cas de paralysie, les sensibilités superficielle et profonde de chaque membre atteint doivent être vérifiées en pinçant fortement les doigts de l’animal. La sensibilité profonde est dite conservée si et seulement si l’animal manifeste la perception encéphalique du stimulus nociceptif (détournement de la tête, gémissement, modification du diamètre pupillaire). En cas d’absence de réaction, le pronostic est considéré comme réservé. Un traitement chirurgical, s’il est indiqué, doit alors être rapidement mis en place (dans les vingt-quatre à quarante-huit heures).

Investigations complémentaires

• En cas de suspicion de traumatisme rachidien, des radiographies sans préparation des vertèbres concernées sont effectuées selon deux incidences orthogonales. Elles permettent de diagnostiquer des fractures et/ou des luxations vertébrales (PHOTO 9). Des radiographies en position forcée peuvent être réalisées afin de mettre en évidence une éventuelle instabilité vertébrale. Cependant, lors de traumatisme vertébral, il convient de manipuler l’animal avec précaution afin de ne pas aggraver les lésions.

• Une myélographie peut être envisagée chez le polytraumatisé dont les fonctions vitales sont stabilisées si une atteinte médullaire avec déficit neurologique marqué (parésie ou paralysie) est suspectée. Cet examen permet un diagnostic d’éventuelles affections compressives médullaires (hernie discale traumatique, hématome, etc.) qui nécessite le cas échéant une décompression chirurgicale.

Principales lésions rencontrées et premières mesures thérapeutiques

• Actuellement, le seul traitement pharmacologique susceptible d’améliorer le pronostic lors de traumatisme médullaire est la méthylprednisolone à fortes doses [1]. L’administration de méthylprednisolone doit s’effectuer dans les huit heures qui suivent le traumatisme [7]. Le protocole consiste en une injection à 30 mg/kg pendant la première heure puis en une perfusion à la dose de 5,4 mg/kg/heure pendant les vingt-trois heures suivantes [7, 8].

• Lors de fractures-luxations vertébrales, il convient de pratiquer le plus rapidement possible une réduction et une stabilisation chirurgicales, associées parfois à une décompression vertébrale. Elles doivent être réalisées en fonction du statut neurologique de l’animal, de la conservation ou non de la sensibilité profonde des membres (pronostic réservé si absence de sensibilité profonde), et de l’étendue du déplacement des vertèbres (une luxation vertébrale complète entraîne inévitablement une lésion irréversible par section de la moelle épinière).

5. H : head

Examen clinique

L’examen de la tête comprend d’abord un examen externe à la recherche de plaies cutanées, de traces de sang (otorragie, épistaxis, etc.).

La cavité buccale est observée pour détecter des fractures de dents, de fentes palatines traumatiques (surtout chez le chat).

Il convient de repérer d’éventuelles lésions de l’appareil masticateur : fractures de mâchoires, luxations temporo-mandibulaires, disjonction de la symphyse mandibulaire. Le crâne est palpé pour détecter toute fracture.

L’examen ophtalmologique ne doit pas être oublié.

L’évaluation des nerfs crâniens complète l’examen neurologique rachidien.

Investigations secondaires

Des radiographies sont indiquées lors de suspicion de fractures, de luxations temporo-mandibulaires, d’atteinte des bulles tympaniques (otorragie, syndrome vestibulaire) ou de fractures du crâne. Si la radiographie ne permet pas de visualiser correctement la lésion suspectée, notamment à cause de superpositions osseuses, un examen tomodensitométrique peut-être réalisé.

Principales lésions rencontrées et premières mesures thérapeutiques

• Les fentes palatines, fréquentes chez les chats victimes de chutes, cicatrisent le plus souvent spontanément. Cependant lorsque la fente est large, il est recommandé d’effectuer un traitement chirurgical après stabilisation de l’animal [37].

• La plupart des fractures des mandibules sont ouvertes dans la cavité buccale. La plaie doit donc être traitée le plus rapidement possible : parage, rinçage et fermeture. Une antibioprophylaxie est aussitôt instaurée. Dans l’attente d’une ostéosynthèse, la gueule de l’animal est temporairement immobilisée en position fermée par une muselière constituée de bandes adhésives. Une sonde de nutrition (sonde naso-œsophagienne ou d’œsophagostomie) peut être posée [25].

Bilan des lésions locomotrices : PLAN

1. P : pelvis (bassin)

Examen clinique

Une fracture du bassin doit être suspectée chez tout animal polytraumatisé qui manifeste une douleur vive à la manipulation ou qui refuse de se déplacer sur ses membres postérieurs [9, 11, 52].

• Inspection : l’aspect externe du bassin est observé à la recherche de lésions cutanées, périnéales et génitales. La présence de tuméfactions, en zone pubienne et/ou périnéale, peut être expliquée par un hématome ou par une collection urineuse à la suite d’une rupture des voies urinaires.

• Palpation : les crêtes iliaques, les ailes de l’ilium, les tubérosités ischiatiques et les grands trochanters sont palpés afin de repérer une asymétrie (luxation sacro-iliaque, fracture acétabulaire avec enfoncement) ou une douleur. Un toucher rectal permet de mettre en évidence des fractures, de vérifier la largeur physiologique de la filière pelvienne et d’avertir d’un éventuel risque de perforation rectale par un fragment osseux.

Investigations complémentaires

• Radiographies du bassin : en cas d’anomalie lors de l’examen clinique, deux clichés radiographiques (face et profil) du bassin sont pris. La position en “grenouille” est souvent plus facile à réaliser que la position standard, car elle s’avère moins douloureuse lors de fractures.

• La présence de fractures du bassin doit amener le clinicien à rechercher et à écarter un certain nombre de lésions associées qui concernent surtout le tractus urinaire, les nerfs issus du tronc lombo-sacré, et le tractus intestinal.

• Lésions du tractus urinaire : une étude menée sur cent chiens atteints de fractures du bassin [47] montre que 39 % d’entre eux présentent des lésions urinaires. Dans 16 % des cas, il s’agit d’une rupture des voies urinaires (vessie, urètre et uretère) et dans 23 % de lésions moins graves (hématomes vésicaux, hydrouretères, etc.). S’il y a suspicion de lésions urinaires, les examens complémentaires à envisager sont une échographie vésicale, une urétrocystographie rétrograde et une urographie intraveineuse.

• Les lésions nerveuses apparaissent principalement à la suite de fracture du sacrum, de luxation sacro-iliaque, de fracture de l’ilium ou de fracture du corps de l’ischium (fracture acétabulaire caudale). L’étude de Jacobson [29], effectuée sur trente-quatre chiens et chats atteints de fractures du bassin, a montré que 11 % des animaux présentaient une atteinte des nerfs périphériques lombo-sacrés (principalement nerf sciatique et nerf honteux). Les déficits neurologiques observés sont plus ou moins marqués. En cas de suspicion d’atteinte nerveuse périphérique, une électromyographie permet de préciser le diagnostic.

• Lésions du tractus intestinal [51] : les perforations du rectum par fragment osseux peuvent être observées et objectivées par toucher rectal, par colographie ou coloscopie. Les rétrécissements de la filière pelvienne par des déplacements osseux importants doivent être traités chirurgicalement pour éviter la survenue ultérieure d’un mégacôlon ou d’une dystocie (PHOTO 10).

2. L : limbs (membres)

Examen clinique

L’examen orthopédique doit être complet. Il vise à détecter les lésions musculo-tendineuses ou ostéo-articulaires. Il doit porter sur chaque membre et veiller à n’oublier aucun segment. En effet, en présence d’une fracture du fémur, il est facile de passer à côté d’une fracture du tibia non déplacée ou d’une entorse sévère du jarret [9, 10, 56].

• Inspection : lors de polytraumatisme, les plaies sur les membres sont assez fréquentes. Il convient de vérifier pour chacune qu’il ne s’agit pas d’une fracture ouverte ou d’une plaie articulaire (PHOTO 11). Les tuméfactions et les modifications des repères anatomiques sont notées. Une remontée du grand trochanter par exemple, peut être le signe d’une luxation de hanche, d’une fracture du col du fémur ou d’une fracture épiphysaire de la tête du fémur.

• Toutes les articulations doivent être palpées. La mobilisation des articulations permet de recueillir des signes éventuels de douleur ou d’instabilité. La continuité de tous les segments osseux doit être vérifiée par palpation et mobilisation de leurs extrémités.

Investigations complémentaires

L’examen radiographique des segments lésés donne confirmation de la présence de fractures ou de luxations. En cas de suspicion d’instabilité articulaire, des positions en contraintes sont réalisées, généralement sous anesthésie générale, en comparant avec l’articulation controlatérale. Ces examens radiologiques ne doivent être réalisés qu’après stabilisation de l’état de l’animal.

Principales lésions rencontrées et premières mesures thérapeutiques

Dans l’attente d’un traitement orthopédique adéquat, toutes les fractures (sauf celles du fémur et parfois de l’humérus) doivent être immobilisées par contention externe, après vérification de l’absence de plaie articulaire ou de fracture ouverte.

• Les fractures ouvertes et les plaies articulaires nécessitent une prise en charge immédiate. La plaie est protégée, puis tondue. Un rinçage avec un soluté isotonique (qui peut être additionné d’une solution iodée à 1 % ou de chlorhexidine à 1/5000) et un parage chirurgical avec fermeture sont effectués dans les six heures suivant le traumatisme. Une antibioprophylaxie (céfalexine par exemple) est mise en place [13, 21].

• Lors de luxations, si l’état de l’animal le permet, il convient de réaliser une réduction par taxis externe sous anesthésie générale dans les vingt-quatre heures. Si la réduction est impossible ou incoercible, un traitement chirurgical est alors nécessaire [27, 32, 56].

• Les fractures articulaires et les décollements épiphysaires nécessitent un traitement chirurgical dans la plupart des cas. Celui-ci doit s’effectuer dans les deux jours qui suivent la fracture [9, 10, 27, 56].

• Les fractures segmentaires des os longs qui peuvent être traitées par contention externe (attelle, résine, plâtre) se limitent aux fractures incomplètes et aux fractures d’un seul segment osseux sur un segment osseux double (fractures diaphysaires de l’ulna, d’un métatarse ou d’un métacarpe). Les autres fractures nécessitent une ostéosynthèse [32].

3. A et N : artères et nerfs

• Lors d’un traumatisme sur un membre, il convient de vérifier que le membre est convenablement irrigué et innervé.

• La vascularisation distale du membre est objectivée par la prise du pouls carpien ou métacarpien. La vitalité des territoires traumatisés peut être évaluée par la présence de saignements, mis en évidence, par exemple, par la coupe d’une griffe.

• Sur le membre pelvien, la plupart des lésions nerveuses est associée aux fractures du bassin et concerne principalement le nerf sciatique. Sur le membre thoracique, des lésions des racines nerveuses du plexus brachial par étirement ou arrachement peuvent être rencontrées lors des accidents de la voie publique principalement (PHOTO 12). Les fractures distales de l’humérus peuvent être accompagnées de lésions du nerf radial au niveau du site de fracture. Il est donc important de vérifier systématiquement la présence d’une sensibilité superficielle cutanée des différents dermatomes du membre boiteux et de détecter toute diminution des réflexes médullaires (puisqu’il s’agit de lésions nerveuses périphériques). Les réactions posturales sont la plupart du temps négatives en raison de la douleur et de l’impotence fonctionnelle dues à la fracture.

Le bilan lésionnel exhaustif d’un animal polytraumatisé fait non seulement appel à un examen clinique complet mais aussi à de nombreux examens complémentaires. Ce bilan permet, d’une part, d’établir le pronostic vital en identifiant les lésions associées aux détresses respiratoires et circulatoires et, d’autre part de préciser le pronostic fonctionnel de récupération et de déterminer les premières mesures thérapeutiques. Si le recours aux examens d’imagerie médicale est souvent indispensable, il ne doit en aucun cas précéder la mise en place d’une réanimation adaptée.

  • (1) Voir “Prise en charge initiale du polytraumatisé” du même auteur. Point Vét. 2005 ; 260 : 2-7.

  • (2) Médicament à usage humain.

Points forts

Le recours à la radiographie thoracique doit être systématique lors de la prise en charge d’un animal polytraumatisé.

L’échographie constitue un examen sensible lors de traumatisme abdominal.

Lors de traumatisme médullaire, l’administration de méthylprednisolone doit s’effectuer dans les huit heures qui suivent le traumatisme.

La présence de fractures du bassin doit conduire le clinicien à vérifier l’absence de lésions urinaires et nerveuses.

L’évaluation de l’innervation et de la vascularisation d’un membre fracturé doit être systématique.

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