Reconsidérer la résistance aux macrolides - Le Point Vétérinaire n° 261 du 01/12/2005
Le Point Vétérinaire n° 261 du 01/12/2005

MAMMITES À STREPTOCOCCUS UBERIS

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Ellen Schmitt–Van de Leemput*, Ruth Zadoks**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
53700 Villaines-la-Juhel
**Quality Milk Production
Services, Cornell University,
Ithaca, New York, états-Unis

Dans une étude réalisée en Mayenne sur 56 isolats de mammites, seuls 40 % des S. uberis classiquement déclarés résistants à la spiramycine le sont réellement.

Les mammites sont responsables de la majorité de la consommation d’antibiotiques en élevage laitier. Elles sont aussi les affections qui entraînent le plus d’automédication. Le traitement antibiotique des mammites cliniques ou sub-cliniques n’est pas toujours efficace. Le recours à l’identification bactérienne et à la recherche d’une antibiorésistance permet une prescription raisonnée des antibiotiques et améliore les chances de guérison [10]. L’identification bactérienne peut être réalisée rapidement et à faible coût à la clinique vétérinaire [11]. La recherche d’antibiorésistance peut aussi être effectuée par le praticien. La méthode couramment utilisée est alors celle de Kirby Bauer, plus connue sous le nom de technique des disques de diffusion (PHOTO 1). Toutefois, pour de nombreux antibiotiques et bactéries, ce test ne permet pas une identification fiable des souches résistantes et sensibles [4, 9, a, b]. Cette observation de divers auteurs est confirmée par une étude récente sur la résistance de Streptococcus uberis vis-à-vis de la spiramycine, de l'érythromycine et de la pirlimycine. D'après cette étude, il ne convient pas d’abandonner la méthode des disques de diffusion mais plutôt d’en revoir les critères d’interprétation.

Les techniques récentes fondées sur la génétique peuvent aider à élaborer des recommandations pour l’interprétation des résultats de la méthode des disques de diffusion. Ces procédés, plus fiables, sont toutefois trop coûteux pour être utilisés en routine.

Sources de la résistance

Les macrolides (érythromycine, spiramycine et tylosine notamment) ainsi que les lincosamides (comme la pirlimycine) sont largement utilisés dans le traitement des mammites. Ils sont regroupés dans une famille d’antibiotiques baptisée “macrolide, lincosamide and streptogramin” (MLS). La résistance aux MLS est assez fréquente (de l’ordre de 20 % en France [2]) et peut être liée à divers mécanismes :

- les bactéries peuvent modifier la cible du médicament avec une méthylase d’origine ribosomale codée par les gènes erm [12] ;

- elles peuvent aussi évacuer le médicament de leur cytoplasme grâce à des pompes spécifiques codées par les gènes mef [12] ;

- des mutations dans la cible du médicament, le ribosome, peuvent provoquer de hauts niveaux de résistance, mais ce phénomène est rare [7].

Pour les streptocoques isolés de mammites bovines, le gène de résistance le plus fréquent est le ermB [5]. MefA a aussi été détecté, notamment au laboratoire de l’université de Cornell (États-Unis). Les bactéries qui expriment le gène ermB sont résistantes à tous les antibiotiques de la famille des MLS utilisés en médecine vétérinaire. Les gènes de résistance (ermB et mefA) peuvent être identifiés à l’aide de la technique d’amplification génique (PCR) (PHOTO 2).

Corrélation entre résistance phénotypique et génotypique

Entre juillet et décembre 2004, 56 isolats de Streptococcus uberis sont collectés de cas de mammites dans 34 élevages de Mayenne. Les animaux de l’étude sont des vaches de race holstein ou normande, pour lesquelles une intervention est sollicitée. Atteintes de mammites cliniques ou sub-cliniques, elles n’ont pas reçu d’antibiotiques pendant le mois précédent. L’identification bactérienne est effectuée à la clinique vétérinaire à l’aide d’une méthode bactériologique sur milieux sélectifs [11]. Pour tous les isolats de Streptococcus uberis, elle est confirmée par PCR [3].

Douze, soit 21 % de ces isolats s’avèrent positifs pour le gène ermB, recherché par PCR (à l’université de Cornell [5]). Tous ont une zone d’inhibition de 0 mm par la technique des disques de diffusion pour la spiramycine et l’érythromycine. Les isolats qui ne portent pas le gène ermB ont des zones d’inhibition de plus de 30 mm pour l’érythromycine et de plus de 12 mm pour la spiramycine (voir le TABLEAU “Spiramycine : relation entre la taille du diamètre d’inhibition et la présence du gène ). Aucun isolat ne porte le gène mefA , ni ermA, autre gène de résistance connu chez les streptocoques.

En se fondant sur la présence des gènes d’antibiorésistance connus, l'étude conclut que les isolats avec une zone d’inhibition de 0 mm par la méthode du disque de diffusion sont réellement résistants aux MLS.

À l’inverse, toutes les souches qui ont des diamètres d’inhibition de plus de 12 mm pour la spiramycine et de 30 mm pour l’érythromycine peuvent être considérées comme sensibles aux MLS.

Pour la méthode des disques de diffusion, les diamètres des zones d’inhibition retenus pour la spiramycine par le Comité français de l’antibiogramme sont 18 et 24 mm. Ils correspondent à des concentrations de spiramycine respectivement de 1 et 4 mg/ml. Or, avec ces seuils, seules 40 % des souches classées résistantes à la spiramycine par la méthode des disques de diffusion portent un gène de résistance connu aux macrolides.

Absence totale d'inhibition = résistance

Dans une étude comparable, des écarts entre la résistance établie sur les concentrations minimales inhibitrices (CMI) par la technique de dilution en gel agar et celle identifiée par PCR ont aussi été décrits pour la résistance de Staphylococcus aureus à la pénicilline [4]. Une seule autre publication porte sur la résistance de Streptococcus uberis au groupe d’antibiotiques MLS [5]. Les CMI des différentes souches collectées ont été comparées à la présence de gènes de résistance, aux États-Unis. Sur de faibles effectifs, le gène ermB est retrouvé sur toutes les souches déclarées résistantes par les CMI. Il serait pertinent de multiplier de telles études, pour différentes zones de production de lait dans le monde. Dans l’étude réalisée en Mayenne, les CMI des isolats n’ont pas été déterminées, mais elles le seront dans un prochain volet. D’ores et déjà, il ressort que, avec la traditionnelle méthode des disques de diffusion, des bactéries qui présentent une zone d’inhibition de 0 mm (contact) sont génétiquement résistantes. Les macrolides sont alors contre-indiqués. Le pourcentage d'absence totale d'inhibition est moins élevé que prévu avec la traditionnelle méthode des disques, mais représente néanmoins une souche sur cinq (21 %).

La détermination des CMI est la technique de référence, mais la méthode des disques demeure celle réalisée en pratique courante (laboratoires de proximité, cabinets vétérinaires). Il est donc pertinent de chercher à établir des corrélations fiables entre les diamètres d’inhibition et les autres méthodes. Comparer les résistances phénotypiques (CMI, diamètres d’inhibition) et génotypiques (gènes de résistance) aide à améliorer la fiabilité de la technique des disques de diffusion.

L'amélioration des moyens traditionnels d’évaluation des résistances est une attente que les praticiens doivent transmettre aux scientifiques.

Si les tests ne sont pas toujours fiables pour les antibiotiques déclarés sensibles, comme le confirment ces observations, il reste qu’il convient de ne pas utiliser les antibiotiques reconnus comme résistants.

20 % des streptocoques résistent aux macrolides

Certes, certaines études [1, 6] décrivent l’absence de différence en termes de guérison entre des mammites traitées avec des antibiotiques pour lesquels les souches incriminées sont trouvées résistantes et celles traitées avec des antibiotiques auxquels les bactéries sont trouvées sensibles. Mais les échantillons étudiés dans ces travaux sont faibles, donc les statistiques peu interprétables et les critères d’inclusion à examiner avec attention. Lors de mammites subcliniques ou faiblement symptomatiques, certains auteurs conseillent de choisir le traitement sur la base des résultats de culture et d’antibiogrammes [8, 13, c]. Lors de mammites franchement “cliniques”, un traitement est mis en place par l’éleveur sans attendre les résultats du laboratoire (première intention). Il est idéalement choisi sur la base de la connaissance des bactéries qui circulent dans l’élevage. Les pathogènes qui circulent dans un élevage sont toutefois multiples selon notre expérience (environ300 échantillons de lait analysés chaque année), et variables selon la saison, le stade de lactation, etc. Le recours précoce à des antibiotiques intramammaires à large spectre est alors indiqué. En revanche, lors de récidive pendant la même lactation ou lors de mammites sub-cliniques, le traitement ne doit pas être instauré dans l’urgence. Plutôt que de traiter vite, mieux vaut traiter longtemps (pendant cinq jours) avec la médication la plus adaptée. Il convient alors de procéder à l’identification de la bactérie en cause et à un antibiogramme. L’expérience montre que le pourcentage de résistance des agents pathogènes mammaires n’est pas si faible et s’accroît (la résistance des streptocoques aux macrolides est par exemple passée de 5 % en 1980 à environ 20 % aujourd'hui [5]). La résistance des staphylocoques aux pénicillines est en outre indéniable, et des bactéries moins connues tendent à émerger sur le terrain des agents pathogènes mammaires (staphylocoques non aureus).

Les outils bactériologiques à la disposition des praticiens sont une réponse aux antibiorésistances. Ils satisfont les éleveurs, qui appellent alors plus précocement le praticien pour des mammites. À un stade précoce, le choix pertinent de l’antibiotique peut faire la différence en matière de guérison. La démarche “bactériologie-antibiogramme” raisonnée trouve aussi une justification dans l’image souhaitée de la qualité des produits laitiers.