Fluidothérapie et remplissage vasculaire - Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006
Le Point Vétérinaire n° 263 du 01/03/2006

SOINS INTENSIFS CHEZ LE CHIEN ET CHEZ LE CHAT

Se former

COURS

Auteur(s) : Julien Guillaumin

Fonctions : Emergency service
College of veterinary medicine
Cornell University
14850, Ithaca, NY, États-Unis

La couverture des besoins d’entretien ou la correction d’une hypovolémie reposent sur le choix raisonné des solutés de fluidothérapie : cristalloïdes hypo-, iso- ou hypertoniques, ou colloïdes.

Les principales raisons pour lesquelles un animal nécessite la perfusion de solutés exogènes sont :

- la correction des pertes de fluides corporels, par exemple lors d’hémorragie ou de vomissements et de diarrhées ;

- la redistribution des fluides corporels lors de formation d’un troisième secteur, de stagnation du sang dans le réseau capillaire lors de choc septique ou de gêne au retour veineux lors de syndrome dilatation/torsion de l’estomac ;

- la couverture des besoins d’entretien, notamment en cas d’anorexie.

Lors d’hémorragie, l’animal perd des fluides circulants (hypovolémie), d’où une déshydratation extracellulaire. La délivrance en oxygène tissulaire (voir la FIGURE “ Délivrance tissulaire en oxygène”) est alors perturbée par la diminution de la précharge, ce qui déclenche les mécanismes de maintien de l’homéostasie : augmentation de la fréquence cardiaque, vasoconstriction périphérique, activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (voir le TABLEAU “ Signes cliniques associés à une perte sanguine”). Si elle n’est pas corrigée rapidement, cette hypovolémie peut se révéler mortelle pour l’animal.

Lors de la formation d’un troisième secteur, la translocation des fluides diminue le volume circulant et une hypovolémie relative s’installe. Celle-ci doit être corrigée de la même façon que l’hypovolémie absolue afin de maintenir l’équilibre cardiovasculaire de l’animal.

Bases physiques de la fluidothérapie

1. Répartition de l’eau dans le corps

L’eau contenue dans le corps représente 60 % du poids vif de l’animal. Les deux tiers de cette eau se trouvent dans le milieu intracellulaire. Le tiers restant est dans le milieu extracellulaire, lui-même divisé en milieu interstitiel, qui contient les trois quarts de l’eau extracellulaire, et en milieu vasculaire où se trouve un quart de l’eau extracellulaire.

Par exemple, un chien de 10 kg contient 6 litres d’eau corporelle, répartis en 4 litres d’eau intracellulaire et 2 litres d’eau extracellulaire, dont 1,5 litre dans le milieu interstitiel et seulement 500 ml dans le milieu circulant. Ce chien a toutefois un volume sanguin de 900 ml car le sang contient des cellules, des macromolécules, etc. Le volume sanguin d’un chien est d’environ 9 % du poids vif (6 % chez le chat), soit environ 90 ml/kg (60 ml/kg chez le chat).

2. Passage entre les différents milieux

Passage entre les milieux extracellulaire et intracellulaire

La répartition des solutés dans les différents milieux, intracellulaire et extracellulaire, est principalement régie par l’équilibre de Gibbs-Donnan, alors que les mouvements d’eau entre ces milieux répondent au principe du maintien de l’équilibre osmolaire.

• L’équilibre de Gibbs-Donnan décrit les mouvements de diffusion des ions à travers la membrane plasmique entre le cytoplasme et le milieu extracellulaire. Selon la loi de l’électroneutralité, à chaque instant, les charges négatives (anions) et positives (cations) de part et d’autre de la membrane plasmique doivent être en nombre égal. Or le milieu intracellulaire contient de nombreuses molécules chargées négativement auxquelles la membrane plasmique est imperméable (anions phosphates organiques : ATP, AMP, etc. ; protéines, etc.). Il contient également des ions auxquels la membrane plasmique est perméable, tels que K+, Na+, Cl-. La concentration de ces ions n’est pas la même de part et d’autre de la membrane, ce qui provoque un gradient de concentration. Deux phénomènes surviennent alors normalement : d’une part, une entrée d’eau à l’intérieur des cellules afin de maintenir l’équilibre des concentrations des protéines à l’intérieur de la cellule et, d’autre part, un mouvement des ions suivant leur gradient de concentration. La pompe Na/K-ATPase intra­membranaire lutte contre ce gradient de concentration et maintient l’électroneutralité en faisant sortir du Na+ de la cellule et rentrer du K+.

• Selon les lois de l’osmose, à travers une membrane semi-perméable, l’eau circule du milieu le moins concentré vers le milieu le plus concentré et, à chaque instant, l’osmolarité du milieu intracellulaire doit être égale à celle du milieu extracellulaire (voir “l’ENCADRÉ Notion et calcul d’osmolalité”). Ainsi, dans le cas d’une perte d’eau pure, le milieu extracellulaire devient hypertonique par rapport au milieu intracellulaire. L’eau sort de la cellule afin de rétablir l’équilibre osmolaire :

- si des solutés isotoniques sont administrés par voie intraveineuse, ils ne passent pas dans le milieu intracellulaire ;

- si des solutés hypertoniques sont perfusés, il y a “appel” d’eau du milieu intracellulaire vers le milieu extracellulaire ;

- si le soluté est hypotonique, le volume du milieu intracellulaire est augmenté par un apport d’eau pure.

Passage entre les milieux vasculaire et interstitiel

La membrane qui sépare le milieu vasculaire et le milieu interstitiel est une membrane biologique semi-perméable : les compositions ioniques des milieux sont les mêmes car la membrane laisse passer l’eau libre, les électrolytes, les petites molécules, comme l’urée, et éventuellement le glucose, mais pas les protéines de poids moléculaire plus élevé. Les forces qui interviennent dans les échanges entre ces milieux sont [10] :

- la pression hydrostatique (filtration) qui est fonction du débit cardiaque et de la résistance vasculaire périphérique, et s’exerce sur la paroi des capillaires. La filtration correspond à la différence entre la pression hydrostatique à l’intérieur du capillaire et celle à l’extérieur dans le milieu interstitiel ;

- la pression oncotique (absorption) qui est due aux molécules qui ne filtrent pas, ou mal, au niveau des capillaires (essentiellement des protéines plasmatiques). Chez les mammifères, leur concentration est d’environ 70 g/l de plasma et la pression que ces molécules osmotiquement actives (dites “oncotiques”) génèrent est d’environ 25 mmHg. L’albumine est responsable de 70 à 80 % de cette pression car sa concentration est élevée et son poids moléculaire relativement faible.

La pression hydrostatique est estimée à 32 mmHg chez l’homme. La pression oncotique n’étant que de 25 mmHg, le liquide filtre du capillaire vers le milieu interstitiel et entraîne avec lui les molécules dissoutes auxquelles la paroi de l’endothélium vasculaire est perméable.

3. Pouvoir d’expansion volémique

Le pouvoir d’expansion volémique (PEV) est une notion qui intègre la quantité de liquide qui reste dans le milieu intravasculaire après perfusion de ce liquide. Le terme de “PEV” est largement utilisé en médecine humaine et a été introduit en médecine vétérinaire il y a une dizaine d’années [9].

Par exemple, le glucose à 5 % se comporte comme de l’eau pure une fois le glucose métabolisé : pour un volume de 100 ml de sérum glucosé administré par voie intraveineuse, après environ 30 minutes (temps nécessaire à la redistribution des fluides), il ne reste que 8,33 ml de fluide dans les veines de l’animal. Le PEV est de 8,33 %.

Il existe trois catégories de solutés :

- les solutés qualifiés d’“isotoniques”, dont le PEV est d’environ 25 % car ces fluides restent dans le milieu extracellulaire et s’y répartissent ;

- les solutés qui contiennent des substances colloïdes, dont le PEV est de 100 à 150 % car les grosses molécules responsables du pouvoir oncotique restent dans le secteur intra­vasculaire ;

- les solutés hypertoniques qui ont un PEV d’environ 400 % car ils “attirent” l’eau pure dans le secteur intravasculaire, afin d’équilibrer les concentrations ioniques.

Plusieurs solutés de remplissage vasculaire sont ainsi disponibles en médecine vétérinaire :

- les cristalloïdes : hypotoniques, isotoniques ou hypertoniques ;

- les colloïdes naturels ou artificiels : l’albumine(1), l’hydroxyéthylamidon(2) (HEA), les dextrans(2), les gélatines(1), les transporteurs d’oxygène comme l’Oxyglobin® ;

- les produits sanguins autres que l’albumine(1): sang frais total et plasma frais congelé, notamment.

Choc hypovolémique

1. Volume de cristalloïdes isotoniques

• Lors de choc hypovolémique, le remplissage vasculaire à l’aide de cristalloïdes isotoniques nécessite la perfusion de grands volumes de solutions car le PEV des cristalloïdes isoto­niques est faible. Le volume habituellement requis est de 80 à 90 ml/kg chez le chien et de 50 à 60 ml/kg chez le chat [10].

• Ce volume élevé est égal à la totalité du volume sanguin, ou encore aux besoins en fluides pour deux jours chez le chien et pour une journée chez le chat. Il est en outre parfois nécessaire de perfuser rapidement l’animal. Il convient donc de s’assurer de l’existence d’une réelle hypovolémie par le suivi des paramètres de la volémie et/ou de la perfusion.

• Les six paramètres de la volémie sont la couleur des muqueuses, le temps de recoloration capillaire, la fréquence cardiaque, la qualité du pouls, la température des extrémités et le statut mental. Parmi les paramètres de la perfusion, la pression artérielle et la lactatémie peuvent être contrôlées.

• Il est nécessaire de s’assurer de l’absence de contre-indications majeures à la fluidothérapie massive, comme une insuffisance cardiaque, un choc cardiogénique, un œdème périphérique ou une baisse de la pression oncotique, etc.

• En cas de choc modéré, des volumes moindres (20 ml/kg chez le chien et 10 ml/kg chez le chat) peuvent être perfusés durant quinze à vingt minutes (PHOTO 1). Les paramètres de la perfusion sont alors vérifiés et un nouveau bolus est perfusé si nécessaire. Cela permet d’éviter de perfuser des volumes élevés non nécessaires et limite l’œdème interstitiel qui, en augmentant la distance entre les vaisseaux et les cellules, diminue l’extraction de l’O2 et aggrave l’hypoxie cellulaire.

• En cas de choc sévère, éventuellement associé à une déshydratation extracellulaire marquée, ce volume peut être perfusé rapidement en quelques minutes, par exemple à l’aide d’une poche à contre-pression (PHOTO 2).

• Les solutés glucosés sont contre-indiqués pour un remplissage vasculaire rapide en raison de leur faible PEV qui prédispose à l’intoxication à l’eau. L’eau contenue dans les solutés glucosés se repartit en effet principalement dans le milieu intracellulaire, ce qui peut être à l’origine d’un œdème cérébral et de troubles digestifs et nerveux (abattement, convulsions, voire mort).

2. Choix entre le NaCl 0,9 % et le Ringer lactate

Les effets biologiques de ces deux solutés cristalloïdes isotoniques diffèrent en raison de leur composition (voir le TABLEAU “Compositions comparées du NaCl 0,9 %, du Ringer lactate et du sang”).

• Le NaCl 0,9 % contient des concentrations de Na et de Cl plus élevées que le sang, ce qui en fait un soluté légèrement hypertonique (PEV de 22 %). Il est également légèrement plus acide que le plasma car la natriurèse entre en action dans les minutes qui suivent l’injection et provoque l’élimination du sodium. Les bicarbonates entrent dans la cellule pour rétablir l’équilibre des charges, ce qui provoque une acidose hyperchlorémique [18].

• Le Ringer lactate contient du potassium, du calcium et des ions lactates. Le taux de Na+ est légèrement plus faible que dans le plasma : le Ringer lactate est donc légèrement hypotonique (PEV de 19 %). Le lactate est un précurseur hépatique des bicarbonates, ce qui en fait un système tampon intéressant. En milieu aérobie, les lactates contenus dans le Ringer lactate sont métabolisés par le foie en pyruvates. Ensuite, par conversion par le cycle de l’acide citrique ou par gluconéogenèse, ils sont à l’origine de bicarbonates [10].

• En pratique, le NaCl 0,9 % et le Ringer lactate sont tous deux fréquemment utilisés en réanimation. Lorsque des volumes élevés sont nécessaires, le Ringer lactate semble un choix plus judicieux. Son administration, même à forte dose, ne semble pas modifier les valeurs mesurées de la lactatémie.

• Le Ringer lactate est déconseillé lors d’insuffisance hépatique, de conditions anaérobies, d’acidose lactique et, globalement, lors d’acidose sévère.

Les colloïdes

1. Les différents colloïdes

Les colloïdes sont des solutés à fort PEV (voir le TABLEAU “Caractéristiques de quelques solutions de remplissage”). Différents types de colloïdes sont disponibles en médecine vétérinaire.

• Les dextrans(2) sont des polymères obtenus à partir du glucose. Leurs effets indésirables sont rares : des altérations de l’hémostase secondaire et de l’agrégation des plaquettes sont décrites chez le chien [12]. Chez l’homme, les effets secondaires peuvent être graves : choc anaphylactique sévère et lésions tubulaires rénales qui aboutissent à une insuffisance rénale aiguë. De telles complications n’ont pas été documentées chez le chien et chez le chat [10].

• Les gélatines(1) fluides sont des produits du collagène animal (le plus souvent de bœuf). Les effets indésirables sont faibles (choc anaphylactique surtout). La possibilité de transmission d’agent pathogène non conventionnel limite toutefois leur emploi chez l’homme. Le Plasmion®(1) est utilisé en médecine humaine et le Plasmibel® est interdit depuis 1998 en médecine vétérinaire.

• Les HEA(2) sont des solutions de polysaccharides naturels modifiés dérivés de l’amylopectine. Leurs propriétés et leurs effets indé­sirablesdépendentdeleurdegré d’hydroxyéthylation. Des troubles de l’hémostase primaires ont été rapportés, par diminution du facteur de Von Willebrand ou de son transporteur le facteur VIII, maisle mécanisme exact est encore partiellement méconnu [10]. Des études récentes ont également montrés qu’ils pouvaient engendrer des lésions tubulaires rénales [8]. Des recommandations sur les doses sont disponibles en médecine vétérinaire (voir le TABLEAU “Posologies recommandées des colloïdes chez le chien et chez le chat”) [15, 22].

Ils sont classés selon leur poids moléculaire (200 000 pour l’Hyperhes®(2)), leur degré d’hydroxyéthylation, leur concentration, ainsi que leur solution de transport (NaCl 0,9 % ou “type Ringer lactate”). Ils sont différenciés en hetastarchetpentastarch. Le degré d’hydroxyéthylation détermine la vitesse de dégradation du produit et est reflété par le taux de substitution molaire : 0,5 pour un penta­starch, 0,7 pour un hetastarch. Les pentastarchs sont donc plus rapidement dégradés que les hetastarchs et sont associés à moins de complications que les HEA couramment utilisés aux États-Unis (hetastarch) en raison de leur faible degré de substitution et de leur bas poids moléculaire [3].

• L’albumine(1) est difficile d’accès en France et a un coût prohibitif. Son utilisation est controversée car la seule albumine disponible est l’albumine humaine(1). Sa capacité d’augmentation de la pression oncotique semble néanmoins intéressante.

• En France, l’accès aux transporteurs d’oxygène (Oxyglobin®) peut être limité car il dépend de l’importateur et de la production aux États-Unis. Leur intérêt repose sur leur disponibilité immédiate par rapport à des produits sanguins, mais leur coût est élevé.

• En raison de leur disponibilité limitée en France dans le cadre de l’urgence, il est illusoire de donner des lignes de conduite sur l’utilisation des produits sanguins (sang total, plasma frais congelé) pour le remplissage vasculaire. Ils semblent néanmoins intéressants en théorie lors de choc hypovolémique par perte sanguine aiguë sévère ou lors de choc hypoxémique consécutif à une anémie chronique sévère.

2. Choix entre colloïde ou cristalloïde isotonique

• En médecine humaine, il n’existe pas de différences en termes de remplissage vasculaire et de survie, chez des patients hypovolémiques, lors de l’utilisation de colloïdes ou de solutés cristalloïdes isotoniques, si chaque soluté est perfusé selon les doses prescrites [22].

En revanche, une analyse rétrospective du Cochrane Data Base montre un taux de complications supérieur de 4 % lors d’administration des colloïdes [19]. Les cristalloïdes sont donc recommandés lors d’état de choc d’origine hypovolémique.

Une étude récente chez l’animal a montré que les cristalloïdes sont responsables d’une expansion volémique plus rapide et plus élevée par rapport aux colloïdes ou au NaCl hypertonique [20].

• Dans certains cas, les colloïdes sont cependant préférés, notamment lors de sepsis ou chez les animaux atteints de dysfonctionnements multi-organiques (MODS). En effet, lors de l’emballement du système inflammatoire en réaction à la présence de substances inflammatoires (syndrome de réponse inflammatoire systémique ou SIRS) ou infectieuses (sepsis), la diminution du tonus veineux et capillaire prédispose à la stagnation du sang dans les capillaires [7]. L’augmentation de la perméabilité des membranes vasculaires suite à l’inflammation des tissus induit en outre un œdème interstitiel. Un remplissage vasculaire efficace est alors nécessaire et l’utilisation des colloïdes se justifie afin de prévenir la fuite des liquides hors des vaisseaux [16].

Les colloïdes sont également davantage utilisés lors d’hypo-albuminémie et de baisse de la pression oncotique.

Soluté cristalloïde hypertonique

• Le NaCl hypertonique draine l’eau dans le secteur intravasculaire. Son PEV est de 300 à 400 % et un faible volume est suffisant pour obtenir un effet de remplissage élevé : c’est le concept anglo-saxon de small volume ressuscitation [13]. Les petits volumes nécessaires peuvent être perfusés à l’aide d’un pousse-seringue (PHOTO 3).

• La concentration optimale de chlorure de sodium hypertonique est de 7,5 %. Des effets toxiques ont été décrits pour la concentration à 10 % et celle de 5 % est moins efficace.

• La dose maximale à perfuser communément rapportée est de 10 ml/kg. Cela correspond au maximum à 40 ml/kg de cristalloïdes isoto­niques et peut parfois se révéler insuffisant. L’injection doit en outre se faire par bolus lent (1 ml/kg/min au maximum) afin de limiter les effets secondaires. Son action est rapide mais comme pour tout cristalloïde, elle est fugace [20] (voir le TABLEAU “Caractéristiques du NaCl 7,5 %”).

• Son administration doit être réservée à des cas aigus, sans déshydratation extracellulaire préexistante (syndrome dilatation-torsion de l’estomac par exemple), et son action doit être complétée par des cristalloïdes isotoniques ou des colloïdes. Un mélange avec du dextran 70 existe (Rescueflow®)(2).

• Ses effets secondaires sont :

- une acidose hyperchlorémique ;

- une augmentation de la perte sanguine en cas d’hémorragie non contrôlée ;

- une hémolyse ;

- une diminution de l’agrégation plaquettaire et des temps de coagulation.

Hémorragie active

• Lors d’hémorragie non contrôlée, notamment en cas de traumatisme perforant, de rupture splénique ou de blessures par balle, il existe une controverse sur le choix du fluide. Certains urgentistes réfutent même l’utilité de la réanimation liquidienne avant le contrôle de l’hémorragie. En effet, selon des études expérimentales, le remplissage vasculaire favorise l’hémorragie par restauration de la pression artérielle [4, 2, 11, 21]. La coagulopathie de dilution empêche en outre l’arrêt de l’hémorragie et le caillot est fragilisé par les volumes élevés de fluides.

Ces résultats expérimentaux sont néanmoins difficiles à transposer en clinique. Une seule étude clinique menée sur les traumatismes thoraciques pénétrants aux États-Unis semble les confirmer [1], mais elle est extrêmement controversée [5].

• Ces études ont abouti au concept d’“hypotension contrôlée”, appelée aussi “réanimation liquidienne retardée”, qui veut que lors de la réanimation, la pression artérielle moyenne (PAM) doit être maintenue juste au dessus de 60 mmHg avant le colmatage de la brèche vasculaire [4].

• En revanche, en Europe, plusieurs études ont démontré la diminution de la morbidité et de la mortalité lors de la correction préhospitalière de l’hypotension [6]. Cette différence peut être due au recrutement différent des cas car l’étude européenne s’est focalisée sur les traumatisés crâniens [6]. Les solutés de choix sont alors les colloïdes et le mélange cristalloïde hypertonique et colloïde.

Besoins d’entretien et correction de la déshydratation

• Les besoins d’entretien du chien et du chat sont de 40 à 60 ml/kg/j, soit environ 2 ml/kg/h de soluté isotonique [10, 18]. Ces données correspondent à une estimation par rapport à un animal de taille moyenne. Les volumes à perfuser sont cependant dépendants de la surface corporelle et non de la masse. Il convient donc de diminuer les volumes pour les chiens de grande taille et de les augmenter pour les chiens de petite taille [10]. Un tableau plus précis est ainsi disponible et peut être utilisé, notamment chez les animaux de petite taille [10].

• Les besoins d’entretien sont couverts par un mélange de solutés hypotonique et isotonique. Ainsi, un mélange constitué d’un tiers de NaCl 0,9 % ou de Ringer lactate (pour l’hydratation du compartiment extracellulaire), associé à deux tiers de sérum glucosé (Glucose 5 %, pour l’hydratation du compartiment intracellulaire), associé à 20 mEq/l de potassium, peut être administré [10].

• Le sérum glucosé perfusé seul aboutit à un déséquilibre électrolytique car il ne contient pas d’ions.

• En cas d’hypokaliémie, la dose de potassium doit être augmentée, sans pour autant dépasser 0,5 mg/kg/h.

• La déshydratation extracellulaire est évaluée classiquement selon des règles connues (voir le TABLEAU “Évaluation de la déshydratation extracellulaire chez le chien et chez le chat”), mais celles-ci varient selon les auteurs. Elle peut être estimée notamment par la persistance du pli de peau et s’exprime en pourcentage du poids vif. Une déshydratation de 5 % traduit une perte totale en solutés estimée à 500 ml pour un chien de 10 kg. La déshydratation intracellulaire se traduit par une perte de poids, par une polydipsie et par une hypernatrémie.

• La correction de la déshydratation se fait en 24 heures selon le calcul suivant : `

Poids vif x (% de déshydratation) x 10 = volume de remplacement en ml.

Par exemple, pour un chien de 10 kg déshydraté à 5 % :

correction de la déshydratation = 10 x 5 x 10 = 500 ml de solution électrolytique (Ringer lactate par exemple).

BE + correction de la déshydratation = 1 l.

Une déshydratation à 5 % nécessite un volume de fluide équivalent à deux fois les besoins d’entretien.

• Les pertes (vomissements, diarrhées, évaporation buccale d’eau par polypnée, etc.) doivent être prises en compte dans le calcul des besoins de l’animal. Lors de brûlures, de maladie chronique débilitante ou de cancer, les besoins en eau doivent être également parfois fortement surestimés [10].

Comment perfuser et quand s’arrêter ?

1. Méthode de perfusion

• La voie intraveineuse est la voie de choix pour le remplissage vasculaire, notamment lors de perfusion rapide, d’état de choc ou lors de perfusion de solutés irritants comme les bicarbonates (PHOTO 4). Elle est indispensable lors de réanimation. Lorsque les veines sont difficiles à ponctionner, le praticien peut s’aider de techniques de dénudation veineuse, et/ou choisir une veine de plus gros calibre. Lorsqu’il est nécessaire de perfuser rapidement un animal, l’utilisation d’un cathéter court de gros diamètre, de fluides de faible viscosité et d’une poche de pression, permet d’augmenter le débit selon la loi de Poiseuille.

L’emploi de plus en plus fréquent de pompes à perfusion permet de perfuser de façon précise et continue dans le temps. Il devrait se développer parallèlement à la médicalisation chez le chien et chez le chat.

• La voie intra-osseuse est une excellente alternative lors de difficultés à poser un cathéter, notamment chez un animal de très petite taille comme un nouveau-né. Elle permet un “pré-remplissage” rapide afin d’obtenir une voie veineuse pérenne plus facilement. Tous les fluides qui passent dans une veine peuvent ainsi passer dans un cathéter médullaire [17].

• La voie sous-cutanée n’est d’aucun intérêt lors de réanimation, mais constitue une bonne alternative pour couvrir les besoins d’entretien. Environ 10 ml/kg de solutés isotoniques (NaCl ou Ringer lactate) peuvent être déposés à chaque point d’injection, sous la peau dont l’élasticité est surprenante [10]. Cette méthode de fluidothérapie permet de réduire les coûts d’hospitalisation et de soins. Elle est néanmoins à réserver à des cas ciblés.

2. Arrêt de la fluidothérapie

L’arrêt de la fluidothérapie est dicté par une règle simple : cette technique devient inutile dès que les déséquilibres hydriques ont disparu.

La réévaluation de l’animal est effectuée tous les quarts d’heure à toutes les douze heures en fonction de l’état clinique de celui-ci, de la cause et de la sévérité des déséquilibres. En pratique, le praticien appuie son évaluation sur :

- les signes cliniques : arrêt des pertes, normalisation des paramètres de la volémie (pression artérielle, fréquence cardiaque, pression veineuse centrale, etc.) et de l’élasticité cutanée, etc. ;

- les signes sanguins : normalisation des paramètres électrolytiques, acidobasiques, ainsi que de l’hématocrite et des protéines totales, etc. ;

- les signes comportementaux : reprise d’un comportement alimentaire et dypsique normal.

La fluidothérapie en médecine vétérinaire est un domaine qui évolue rapidement grâce aux études expérimentales et cliniques. Le praticien dispose aujourd’hui d’une grande diversité de moyens, qui concernent à la fois les solutés, le diagnostic (électrolytes, cathéters centraux et suivi de la pression veineuse centrale, etc.) et le matériel (pompe à perfusion, poche à contre-pression, etc.).

  • (1) Médicament humain réservé à l’usage hospitalier.

  • (2) Médicament à usage humain.

Notion et calcul d’osmolalité

L’osmolalité est exprimée en mOsm/kg (et l’osmolarité en mOsm/l). La norme de l’osmolalité est d’environ 300 mOsm/kg, sachant qu’un compartiment est considéré comme hyperosmolaire à plus de 350 mOsm/kg.

L’osmolalité peut être calculée grâce à la formule suivante (glucose et BUN en g/l) :

Osmolalité (mOsm/kg) = 2 x [Na +K] +glucose/0,18 + BUN/0,028 BUN (g/l) = urée (g/l) x 0,47 (car seulement 47 % de l’urée est sous la forme de nitrogène).

Attention, en fonction des unités, d’autres formules peuvent être définies.

Les membranes cellulaires sont perméables à l’urée et au K+. Le glucose intervient peu dans le calcul de l’osmolarité efficace chez le chien et chez le chat sains.

Chez le chien sain, l’approximation suivante est valable : Osmolalité = 2 x [Na].

À lire également

- Goy-Thollot I, Jandrey K. L’état de choc chez le chien et le chat : classification et physiopathogénie. Point Vét. 2005 ; 36(259): 30-34.

- Portier K. Déséquilibres acidobasiques d’origine métabolique chez le chien, le chat et le cheval. Point Vét. 2005 ; 36(258): 28-30.

Points forts

Le glucose à 5 % est contre-indiqué pour le traitement de l’état de choc.

La “dose-choc” de soluté isotonique (NaCl 0,9 % ou Ringer lactate) est de 80ml/kg chez le chien et de 50 ml/kg chez le chat.

Le quart de cette dose (20 ml/kg) peut être perfusé en quinze minutes lors de choc hypovolémique modéré. Lors de choc hypovolémique sévère, la totalité de la dose peut être perfusée en quelques minutes à l’aide d’une poche à contre-pression.

Les solutés colloïdaux sont indiqués pour un remplissage vasculaire rapide. Leur rémanence dans le milieu vasculaire est supérieure à celle des cristalloïdes.

Seul un faible volume de NaCl hypertonique est suffisant pour obtenir un effet de remplissage élevé. La dose maximale à perfuser est de 10 ml/kg. L’injection doit se faire par bolus lent (1 ml/kg/min au maximum).

  • 4 - Burris D. Controlled resuscitation for uncontrolled hemorrhagic shock. J. Trauma. 1999;46:216-223.
  • 7 - Commitee MotACoCPSoCMCC. American College of Chest Physicians/Society of Critical Care Medicine Consensus Conference. Definitions for sepsis and organ failure and guidelines for the use of innovative therapies in sepsis. Critical Care Medicine. 1992;20:864-874.
  • 10 - Dibartola SP. Fluid Therapy in Small Animal Practice. WB Saunders Company ed., Philadelphia. 2000:611p.
  • 14 - Moore KE, Murtaugh RJ. Pathophysiologic characteristics of hypovolemic shock. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2001;31:1115-1128.
  • 15 - Orliaguet G. Remplissage vasculaire en réanimation pédiatrique. Conférences d’actualisation SFAR. Elsevier, Paris. 1997:619-632.
  • 19 - Schierhout G, Roberts I. Fluid resuscitation with colloid or crystalloid solutions in critically ill patients : a systematic review of randomised trials. BMJ. 1998;316:961-964.
  • 22 - Télion C, Carli, P. État de choc et remplissage. Conférences d’actualisation SFAR. Elsevier, Paris. 2001:39-48.
  • 23 - Wingfield WE. Fluid and electrolyte therapy In : Wingfield WE et Raffe MR. The Veterinary ICU Book. 2nd ed. Teton New Media, Jackson Hole. 2002:166-188.