LA PARATUBERCULOSE DES PETITS RUMINANTS
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EN QUESTIONS-RÉPONSES
Auteur(s) : Hervé Petit
Fonctions : FNGDSB149,
rue de Bercy
75595 Paris Cedex 12
La paratuberculose des petits ruminants est méconnue en France. Une enquête révèle qu’elle est présente dans les grands bassins de production ovine du sud de la France et chez les caprins sur tout le territoire.
La paratuberculose ou “maladie de Johne” est une maladie infectieuse, contagieuse, à allure enzootique, qui affecte les ruminants domestiques ou sauvages. Elle est due à la multiplication dans la muqueuse de l’intestin d’une mycobactérie, Mycobacterium avium paratuberculosis (voir l'ENCADRÉ “Étiologie de la paratuberculose”). Chez les bovins, le tableau clinique est généralement évocateur : diarrhée profuse, amaigrissement et chute de production, avec une évolution apyrétique.
La paratuberculose a été décrite pour la première fois en France chez des moutons en 1935 par Thierry et Getas, et chez des caprins par Cottereau et Poulenard en 1964.
Chez les petits ruminants, le diagnostic de paratuberculose est difficile à établir en raison d’une symptomatologie fruste. Le recours au laboratoire est indispensable. La prévalence exacte de la paratuberculose dans ces espèces n’est pas connue, mais il semble que cette affection soit largement répandue dans le cheptel français, et à l’origine de pertes non négligeables. Dans les élevages confrontés à cette maladie, les éleveurs sont conduits à réformer des animaux de façon précoce. Son impact est donc essentiellement économique. Le traitement est inefficace et l’éradication longue, difficile et coûteuse.
Une enquête a été menée auprès de tous les groupements de défense sanitaire (GDS) de France, sur les cas connus de paratuberculose dans les cheptels ovins et caprins, afin de collecter l’ensemble des informations actuellement disponibles sur ce sujet particulièrement peu documenté.
La paratuberculose atteint essentiellement les ruminants domestiques (bovins, ovins, caprins), mais également sauvages comme le cerf, le chevreuil, le daim, le lama, le buffle, le yack et le chameau.
Elle a une répartition mondiale, mais elle semble toucher plus particulièrement l’Europe (surtout l’Europe du Nord) et l’Amérique du Nord. Peu de données sont disponibles sur la prévalence de la maladie en France.
Les animaux excréteurs sont les adultes en phase clinique, mais également certains animaux infectés asymptomatiques.
Les animaux sensibles sont essentiellement les jeunes, le plus souvent pendant les premiers jours ou les premières semaines de vie.
Le mode de transmission de la paratuberculose est principalement horizontal, par voie orofécale. La transmission via le lait ou le colostrum est également fréquente. Une contamination verticale in utero a aussi été décrite.
Les premiers symptômes apparaissent après une phase d’incubation d’une durée de deux à quatre ans en moyenne.
Le tableau clinique est plus fruste chez les petits ruminants que chez les bovins. Chez ces derniers, la paratuberculose se traduit cliniquement par une diarrhée généralement profuse, un amaigrissement avec un appétit conservé et une chute de production. Chez les petits ruminants, la diarrhée est généralement absente, surtout chez les caprins. Tout au plus est-il possible d’observer un ramollissement des fèces. Le praticien est donc amené à envisager la paratuberculose chez une chèvre ou un mouton âgé de deux ans ou plus, qui présente un amaigrissement avec maintien de l’appétit et chute de production. En fin d’évolution, un poil terne et des œdèmes peuvent apparaître.
Le diagnostic clinique est difficile. Le recours à l’autopsie se révèle donc généralement utile. Le diagnostic de certitude nécessite des tests de laboratoire :
- des méthodes de diagnostic indirect ou méthodes sérologiques : immunodiffusion en gélose, Elisa ;
- des méthodes de diagnostic direct : bactérioscopie sur matières fécales ou sur prélèvements d’intestin grêle ou de nœuds lymphatiques mésentériques, culture, PCR.
Les données recueillies auprès des GDS ont permis d’établir des cartes synthétiques des cas d’élevages ovins et caprins connus comme atteints de paratuberculose.
• Tous les GDS ont répondu. Cette mobilisation révèle la forte demande des éleveurs pour des outils, notamment vaccinaux, de maîtrise de la paratuberculose.
• Les grands bassins de production habituellement décrits sont aisément retrouvés sur les cartes d’effectifs de cheptels (voir les FIGURES “Effectifs de cheptels ovins selon les départements” et “Effectifs de cheptels caprins selon les départements”), ce qui permet de préjuger favorablement de la fiabilité de l'information recueillie au cours de cette enquête.
• Trente-huit départements (soit 43 %) déclarent n'avoir aucune information sur la paratuberculose chez les ovins (voir la FIGURE “Pourcentage de cheptels ovins connus infectés au cours des dix dernières années”).
Les autres soulignent l'aspect incomplet de leurs connaissances. L'affection est mal connue et sans doute fortement sous-diagnostiquée.
Parmi les GDS qui ne peuvent fournir aucune information, nombreux sont ceux qui sont néanmoins convaincus de la présence de la paratuberculose dans leur département. Bien que non étayées, ces déclarations méritent d’être prises en compte.
Selon la répartition des cas connus, la maladie ne semble pas prépondérante au nord d'une ligne Bordeaux-Lyon. En revanche, la plupart des départements du sud susceptibles d'avoir des informations y sont confrontés, avec des taux d'atteinte des cheptels qui dépassent parfois 10 %.
En croisant cette carte avec celle des effectifs ovins, un impact économique majeur peut être suspecté pour tout le bassin ovin du sud-ouest de la France.
• Comme pour les ovins, de nombreux GDS déclarent n'avoir aucune information sur la paratuberculose chez les caprins. Les autres soulignent l'aspect incomplet de leurs connaissances (voir la FIGURE “Pourcentage de cheptels caprins connus infectés au cours des dix dernières années”).
Néanmoins, avec trente-trois départements (soit 37 %) qui ne peuvent fournir aucune information, la méconnaissance globale de la maladie apparaît légèrement moindre que chez les ovins. Cela peut être lié au type de production dans l'espèce caprine, les quelques troupeaux de chèvres profitant de “l'effet moteur” des adhérents bovins laitiers des GDS, notamment dans les départements où cette production est majoritaire. Les forts pourcentages de cheptels infectés mis en évidence en Bretagne et en Normandie illustrent cette tendance, plusieurs campagnes de dépistage généralisé ayant été mises en œuvre dans ces régions.
La répartition des cas connus apparaît très différente de celle observée chez les ovins : à l'exception de l'extrême nord, la maladie semble quasiment ubiquiste en France, avec un petit nombre de cas signalés dans la plupart des départements susceptibles d'avoir l'information. En Bretagne, en Normandie et en Corse, les pourcentages de cheptels infectés sont nettement plus élevés, jusqu’à 65 % en Corse.
Le croisement de cette carte avec celle des effectifs caprins montre que la maladie est signalée dans tous les départements des principaux bassins de production, susceptibles d'avoir l'information.
• Cette différence notable entre les aires apparentes de répartition géographique dans les deux espèces incite à rechercher des explications. Deux hypothèses principales peuvent être émises :
- une sensibilité d'espèce plus grande chez les caprins (bien qu’elle n'ait jamais été rapportée) ;
- une aptitude à exprimer la maladie plus élevée chez les caprins, en relation possible avec la pression zootechnique plus forte imposée par la production laitière à ces animaux. Cette hypothèse coïncide avec le ressenti exprimé par de nombreux responsables de GDS, mais ne se trouve pas confortée par l'examen des réponses des grands bassins de production laitière ovine (Pyrénées-Atlantiques, Lacaune, Corse). De nombreux autres facteurs interfèrent sans doute. En dehors du Sud-Ouest, la paratuberculose semble constituer une préoccupation beaucoup plus répandue en production caprine qu'en production ovine, selon les GDS (ce qui peut également expliquer sa connaissance plus grande dans l'espèce caprine).
• Il convient de mettre en garde contre une interprétation erronée des résultats de cette enquête. Les pourcentages de cheptels connus infectés de paratuberculose ne doivent en aucun cas être assimilés à une notion de prévalence. Compte tenu des éléments énoncés plus haut (grande méconnaissance de la maladie, “recensement” des cas notoirement incomplet), ils ne peuvent qu'être inférieurs à la réalité et ce, vraisemblablement, dans une très forte proportion. Cela tend à être confirmé par le fait que les taux les plus élevés de cheptels atteints sont tous issus des quelques sondages réalisés sur de grands effectifs (Bretagne, Normandie, Corse pour les caprins, Midi-Pyrénées pour les ovins). La paratuberculose est actuellement fortement sous-diagnostiquée chez les petits ruminants, et les chiffres actuellement connus ne reflètent au mieux que la “partie émergée de l'iceberg”.
Chez les caprins, sur 98 données recueillies, les techniques d’analyses utilisées sont majoritairement la sérologie Elisa (76 %), loin devant la culture fécale (14 %), la coloration de Ziehl (5 %) et les autres techniques sérologiques (5 %) (voir la FIGURE “Techniques d'analyses : répartition”).
Le dépistage a concerné la totalité de l’effectif reproducteur dans 19 % des cas et un échantillon variable du troupeau dans 71 % des cas. Plusieurs séries d’analyses successives ont été réalisées sur certains troupeaux. Dans 10 % des cas décrits, seuls quelques cas suspects de paratuberculose ont été testés et confirmés en laboratoire.
Dans les 94 élevages ayant conduit un dépistage sur tout ou partie de l’effectif (hors confirmations de diagnostic), 12,3 % en moyenne des animaux analysés se sont révélés positifs (voir la FIGURE “Pourcentages d'animaux positifs”).
Dans 82 % de ces élevages, le nombre de résultats positifs est inférieur à 20 % des animaux testés. Le taux de positifs décrit un pic autour de 5 à 6 %. Dans l’espèce ovine, les quatre réponses recueillies (deux en production laitière et deux en production viande) rapportent des dépistages par sérologies Elisa.
Les 133 descriptions recueillies concernent majoritairement des élevages caprins laitiers, au nombre de 121 (soit 91 %). Seuls huit cheptels ovins viande (6 %) et trois troupeaux ovins laitiers (2 %) ont été décrits (voir la FIGURE “Répartition des cas décrits par type de production”).
L’analyse des différents critères ci-après concerne donc essentiellement les caprins, le nombre d’observations recueillies pour l’espèce ovine étant insuffisant pour permettre une interprétation statistique.
Dans l’espèce caprine, 98 données permettent d’établir la moyenne des troupeaux décrits à 212 reproducteurs. Ce chiffre recouvre en fait une grande disparité, toutes les tailles étant à peu près représentées entre 15 et 1 200 animaux, avec néanmoins la grande majorité des élevages entre 50 et 350 individus. Les troupeaux de petite taille (50 à 100 reproducteurs) sont les plus courants (26,5 % des cas décrits) (voir la FIGURE “Taille des troupeaux caprins : répartition”).
Dans l’espèce ovine, la taille des onze troupeaux décrits se répartit régulièrement entre 9 et 800 reproducteurs.
• Chez les caprins, il s’agit majoritairement d’interventions poussées, qui comportent le plus souvent un appui technique sous la forme de visite(s) et/ou financier par l'intermédiaire de la caisse sanitaire (voir la FIGURE “Interventions des GDS : répartition”).
Dans les cas décrits pour l’espèce ovine, le suivi semble globalement moins rapproché puisque, six fois sur onze, l’intervention du GDS se limite à de simples renseignements et à l’enregistrement de résultats d’analyses de laboratoire.
• Pour les cas décrits dans l’espèce caprine, les GDS ont déboursé un total de 78 865 € répartis sur 61 élevages, soit une moyenne de 1 293 €. Les aides consenties peuvent atteindre des sommes élevées (7 800 €), mais restent généralement inférieures à 2 000 €, avec 33 % des sommes inférieures à 200 € et un nombre de cas qui diminue au fur et à mesure que les montants augmentent.
Chez les ovins, cette rubrique a été renseignée uniquement pour les trois élevages laitiers, qui ont bénéficié respectivement de 36, 69 et 756 €.
• Sur les cheptels caprins pour lesquels cette donnée a pu être évaluée, le taux de réformes moyen consécutif à la présence de la paratuberculose est de 19 % (voir la FIGURE “Répartition des taux de réformes”). Dans la grande majorité des cas, ce taux reste inférieur à 20 %, avec un pic entre 10 et 20 % (60 % des réponses). Néanmoins, les dégâts sont parfois nettement plus importants, avec des taux beaucoup plus élevés qui peuvent même conduire à l’abattage total du troupeau (trois cas signalés).
Dans les trois cheptels ovins viande pour lesquels une estimation a été faite, ce taux de réforme a été évalué à 10 %.
• En production caprine, le montant total des pertes subies a pu être évalué pour 41 élevages décrits.
La moyenne s’établit à 5 229 €, avec des disparités très grandes : de 373 à 15 000 €. Des pertes s’élevant à 25 000 et 30 000 € sont même signalées. En Corse, d’une manière générale, le coût de la paratuberculose dans un élevage est estimé au minimum à 3 000 €, correspondant à la perte de vingt reproducteurs d’une valeur moyenne de 150 €.
Les principales composantes à prendre en compte sont les suivantes :
- pertes de production laitière ;
- animaux morts ;
- réformes ;
- frais de renouvellement du cheptel ;
- frais de dépistage et de prévention (visites, analyses, vaccins dans le passé, éventuellement désinfection).
Dans l’espèce ovine, des pertes d’un montant respectif de 4 000 et 4 432 € ont été estimées dans deux cheptels à production laitière.
Deux enseignements principaux peuvent être tirés de cette enquête. Le premier est que la paratuberculose revêt une importance économique majeure pour les élevages ovins et caprins dans lesquels elle sévit.
Le second est que cette affection est particulièrement mal connue et sous-diagnostiquée chez les petits ruminants. Deux raisons au moins peuvent expliquer cette situation :
- la difficulté de diagnostiquer la maladie, tant sur le plan clinique qu’en laboratoire ;
- le manque de moyens efficaces pour la combattre. En effet, l’application de mesures uniquement sanitaires dans les effectifs ovins et caprins atteints est aussi irréaliste qu’inefficace. L’absence de vaccin commercialisé en France fait de la lutte contre la paratuberculose des petits ruminants un combat perdu d’avance. Les éleveurs ont donc tendance à subir la maladie comme une fatalité, plutôt que d’entreprendre un diagnostic et des mesures d’assainissement quasiment impossibles à mettre en œuvre et vouées à un probable échec.
L’agent responsable de la paratuberculose est Mycobacterium avium subsp. paratuberculosis (MAP), encore appelé bacille de Johne. Il appartient à l’ordre des Actinomycétales à la famille des Mycobacteriacae.
Mycobacterium paratuberculosis est un germe Gram+. Bien que difficilement colorable par cette méthode, la coloration de Ziehl-Nielsen est positive, au même titre que tous les bacilles acido-alcoolo-résistants.
La particularité de Mycobacterium paratuberculosis tient à son exigence en mycobactine dans le milieu de culture. Sa culture est longue.
La paratuberculose des petits ruminants est mal connue en France. Respectivement 43 et 37 % des GDS départementaux déclarent n’avoir aucune information sur la paratuberculose chez les ovins et chez les caprins.
Un fort pourcentage d’infections est mis en évidence chez les caprins en Normandie et en Bretagne en raison d’un dépistage systématique de la paratuberculose dans ces régions.
Dans les 94 élevages ayant conduit un dépistage sur tout ou partie de l’effectif (hors confirmations de diagnostic), 12,3 % en moyenne des animaux analysés se sont révélés positifs.
La paratuberculose semble détectée dans des élevages caprins de toute taille.
Chez les caprins, trois cas d’abattage total du troupeau sont signalés.
Dans l’espèce ovine, des pertes d’un montant respectif de 4 000 et 4 432 € ont été estimées dans deux cheptels à production laitière.