ANTIBIOTHÉRAPIE BOVINE RESPIRATOIRE
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NOUVEAUTÉS
Auteur(s) : Éric Vandaële
Fonctions : 4, square de Tourville
44470 Carquefou
Le nouveau protocole curatif de la marbofloxacine présente des atouts, notamment une moindre sélection de résistance. Mais il ne s’agit surtout pas d’une métaphylaxie.
Vétoquinol vient de commercialiser une nouvelle solution injectable à 10 % de marbofloxacine, Marbocyl® S, spécifiquement dédiée à la maîtrise des infections respiratoires des bovins. Il ne faut évidemment pas chercher la nouveauté dans la molécule, la marbofloxacine, une fluoroquinolone développée avec succès par le laboratoire depuis 1995 en France, ni même dans la formulation galénique, puisque la solution injectable est sur ce plan très similaire à celle déjà disponible depuis 1997. Cette solution injectable élargit néanmoins indéniablement l’arsenal thérapeutique du vétérinaire dans la mesure où, pour la première fois, une seule injection à forte dose d’une fluoroquinolone « garantit » une efficacité clinique contre les infections respiratoires bovines à pasteurelles, aux alentours de 85 % dans les essais cliniques contrôlés figurant dans le dossier d’AMM.
Le nouveau protocole de traitement s’appuie sur des concepts pharmacocinétique/pharmacodynamie (PK/ PD), de mieux en mieux mis à profit par les laboratoires pour les fluoroquinolones. Car l’activité bactéricide, vis-à-vis des germes Gram négatif surtout, est à la fois rapide et dose-dépendante. Aucune autre classe d’antibiotique n’agit aussi rapidement pour éradiquer les agents pathogènes en quelques heures (élimination de plus de 99,99 %). Ce concept n’est d’ailleurs pas vraiment nouveau puisqu’il est exploité depuis 2001 par Pfizer pour la danofloxacine (A180®) (voir l’ENCADRÉ “Les modèles PK/PD au service des fluoroquinolones”).
La véritable nouveauté de Marbocyl® S vient surtout du fait que, pour la première fois, une seule injection à forte dose (8 mg/kg de marbofloxacine), qui n’agit que pendant quelques heures, s’avère efficace sans nécessiter une seconde injection. Avec la danofloxacine (A180®), des taux de guérison similaires sont obtenus. Toutefois, le schéma thérapeutique prévoit alors de renouveler l’injection après 48 heures si les signes cliniques persistent (soit dans un tiers à la moitié des cas selon les essais cliniques).
La modélisation PK/PD montre une éradication des souches sensibles de pasteurelles en moins de six heures, parfois en moins de deux heures, avec une dose unique de 8 mg/kg de marbofloxacine (voir la FIGURE “Modèle PK/PD de la marbofloxacine à 8 mg/kg”).
Ce protocole en une seule injection, par voie intramusculaire selon le résumé officiel des caractéristiques du produit (RCP) ou intraveineuse « hors RCP », est aussi certainement celui qui, avec la marbofloxacine, est le moins susceptible de sélectionner des résistances. La sélection des résistances dans la population des germes pathogènes comme dans la flore commensale est en effet corrélée à la durée du traitement. Ici, il ne peut pas être plus court ! En outre, une administration à forte dose de cet antibiotique permet d’éradiquer les populations qui présentent des résistances de bas niveau (voir la FIGURE “Augmenter les doses diminue les résistances”).
En 2001, le taux de résistance à la marbofloxacine de l’ensemble des germes pathogènes bovins (pasteurelles, colibacilles digestifs et mammaires, salmonelles, streptocoques et staphylocoques mammaires) reste faible : de 3,4 % selon le suivi réalisé par Vétoquinol depuis 1994, jusqu’à 13,4 % pour les E. coli d’origine digestive [a].
Le nouveau protocole Marbocyl® S à 8 mg/kg est donc à la fois plus efficace, plus pratique pour l’éleveur et présente un risque moindre de sélection d’antibiorésistance. Ce protocole constitué d’une unique injection peut-il conduire à reconsidérer la stratégie curative, préventive ou métaphylactique des infections respiratoires des jeunes bovins ? Jusqu’à présent, chez ces animaux les plus fréquemment affectés par les infections respiratoires, la bonne approche est sans doute celle de la métaphylaxie raisonnée. La bonne pratique consiste alors à bien surveiller les jeunes bovins et à traiter tous les animaux par un antibiotique d’action longue dès que des signes de maladie apparaissent chez une petite partie des animaux, en général 10 %. La surveillance clinique est alors réalisée pendant les périodes à risque, après l’allotement notamment, et selon les facteurs d’ambiance (climat, bâtiment, etc.). Elle devrait inclure la mesure de la température corporelle d’une partie du lot, bien que celle-ci ne soit pas si facile à apprécier si l’animal s’est échauffé dans la case en voulant échapper au thermomètre.
L’efficacité des formulations longue action actuelles permet donc à la fois de traiter en curatif les animaux en début d’infection et de prévenir l’extension de la maladie pendant quelques jours.
Lorsque la surveillance s’avère impossible et que tous les facteurs d’ambiance concourent à l’apparition rapide de la maladie respiratoire, la chimioprévention reste toutefois une alternative possible.
Même si elle est employée en injection unique, la marbofloxacine n’est pas un traitement métaphylactique. Sa durée d’action de quelques heures ne permet pas de protéger des bovins sains au sein d’un lot « qui commence à tousser ». Sa rapidité d’action conduit à la réserver aux animaux « infectés », dès les premiers signes d’infection (notamment une hyperthermie). Vétoquinol propose ainsi une nouvelle approche qui consiste à traiter très précocement les seuls animaux malades, c’est-à-dire ceux qui présentent une hyperthermie, sans doute le signe le plus précoce de l’infection. Avec une telle approche, l’extension de la maladie aux animaux sains serait aussi brutalement stoppée, puisque les animaux infectés n’auraient pas le temps de contaminer leurs congénères.
Toutefois, une telle stratégie nécessite une surveillance clinique individuelle des jeunes bovins dans des lots qui peuvent parfois être importants. Dans le cadre d’une métaphylaxie, il est aussi possible de combiner une injection unique de marbofloxacine à 8 mg/kg chez les bovins en début de maladie avec une injection d’un antibiotique à action longue (macrolide, florfénicol, tétracyclines) chez les animaux apparemment sains. En revanche, il n’est pas conseillé d’associer une fluoroquinolone bactéricide avec un antibiotique longue action bactériostatique chez les mêmes animaux. Car, hormis le coût du traitement, les modèles in vitro de ce type d’association montrent qu’une grande partie de l’activité bactéricide rapide de la fluoroquinolone risque d’être perdue. Enfin, la marbofloxacine ne présente pas d’intérêt en chimioprévention.
Les fluoroquinolones sont réputées efficaces contre Mycoplasma bovis. Mais, de notre point de vue, la modélisation PK/PD qui aboutit à privilégier une seule injection de marbofloxacine contre des germes Gram négatif ne peut pas aisément être extrapolée à Mycoplasma bovis. Vis-à-vis de ce germe particulier, les protocoles les plus efficaces semblent être ceux qui favorisent une longue durée d’action plutôt que des doses élevées. L’ancien protocole de Marbocyl® 10 % à 2 mg/kg/j pendant trois à cinq jours a été validé contre M. bovis. Et, en métaphylaxie, quelques antibiotiques bactériostatiques « longue action », comme la tulathromycine (Draxxin®), bénéficient aussi de cette indication dans leur RCP.
À l’inverse, lors de mammites colibacillaires aiguës, le nouveau protocole en une seule injection à 8 mg/kg présente certainement un intérêt, même si cette indication ne figure pas, pour le moment, dans le RCP de Marbocyl® S. Les colibacilles sont en effet des bactéries Gram négatif sensibles aux fluoroquinolones et vis-à-vis desquelles la dose-dépendance de cette classe d’antibiotique a été bien démontrée.
Les temps d’attente de trois jours dans la viande et le lait ont aussi été adaptés au nouveau protocole à 8 mg/kg. Mais ce n’est pas le plus important en matière d’antibiothérapie respiratoire.
Frapper fort pour agir vite. Les fluoroquinolones sont des armes antibiotiques exceptionnelles. Leur rapidité d’action bactéricide est si élevée qu’une injection peut s’avérer suffisante pour éradiquer certains germes pathogènes (Gram négatif surtout). Ce sont désormais les nouvelles approches dites de PK/PD (pharmacocinétique/ pharmacodynamie) qui conduisent à la révision des schémas thérapeutiques avec de nouvelles posologies à la fois plus efficaces et moins susceptibles de sélectionner des résistances.
Pour les fluoroquinolones, cette approche PK/PD est fondée sur des doses qui permettent d’obtenir des quotients inhibiteurs (QI = Cmax/CMI90) supérieurs à 8 et des aires sous la courbe inhibitrice (AUIC = AUC/ CMI90) supérieures à 125 (voir le TABLEAU “Les indicateurs prédictifs d’efficacité de la marbofloxacine à 8 mg/kg”).
Chez Vétoquinol, la modélisation PK/PD a conduit à développer une nouvelle formulation à 10 % de marbofloxacine, Marbocyl® S, destinée au traitement des infections respiratoires à pasteurelles des bovins en une seule injection intramusculaire unique à 8 mg/kg (4 ml/50 kg), soit quatre fois plus que la dose quotidienne habituelle de 2 mg/kg (1 ml/50 kg) avec l’ancienne formulation Marbocyl® 10 %. Ce type d’approche PK/PD avait déjà conduit Pfizer à développer en 2001 la danofloxacine à 6 mg/kg (A180®) par les voies intraveineuse ou sous-cutanée contre les infections respiratoires à pasteurelles, les entérites colibacillaires des veaux, et plus récemment contre les mammites aiguës colibacillaires.
a - Valle M, Acar JF, Meunier D et coll. Marbofloxacine susceptibility of pathogenic bacterian. Session antimicrobials use and resistance in humans and in animals, 43th ICAAC Chicago, Septembre 2003.