La fièvre familiale du shar-pei : diagnostic et évolution - Le Point Vétérinaire n° 268 du 01/09/2006
Le Point Vétérinaire n° 268 du 01/09/2006

MALADIE HÉRÉDITAIRE DU CHIEN

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Alexandre Balzer

Fonctions : Route de Gannat
03700 Bellerive-sur-Allier

La fièvre familiale du shar-pei est une affection rare dont les conséquences sont dramatiques. Une amyloïdose rénale se développe dans 25 % des cas.

La fièvre familiale du shar-pei est une maladie inflammatoire héréditaire, caractérisée par une mauvaise régulation des voies normales de l’inflammation. Cette affection est décrite dans la littérature anglosaxonne sous les noms de “familial shar-pei fever” (FSF), “Chinese shar-pei fever syndrom” ou encore “swollen hock syndrome” (SHS). Elle présente de nombreuses similitudes avec une affection humaine, la fièvre familiale méditerranéenne.

Une maladie évoluant sous forme de crises

La fièvre familiale du shar-pei est une maladie du chiot et du jeune adulte qui apparaît généralement avant l’âge de 18 mois sous forme de crises d’hyperthermie en dehors desquelles l’animal est asymptomatique. En règle générale, les épisodes de fièvre s’estompent progressivement avec l’âge. Aux États-Unis, la prévalence de cette affection chez le shar-pei est de 23 à 28 %, alors qu’elle n’est que de 1 % chez les chiens, toutes races confondues [1, 7].

Lors de crise, le signe clinique majeur est l’élévation de la température : elle peut atteindre 40 à 42 °C. Cette hyperthermie est souvent inexpliquée lors de la consultation. L’examen général ne révèle aucune anomalie. Parfois, l’animal piétine, et son abdomen est tendu et douloureux. La fièvre rétrocède spontanément en 12 à 36 heures, sans traitement.

En règle générale, les crises sont suffisamment espacées pour que l’animal soit présenté à la consultation en bonne forme. Les commémoratifs mettent seulement en évidence des épisodes d’abattement inexpliqués.

Un animal qui a subi plusieurs crises successives peut présenter un mauvais état général et être amaigri.

Dans 40 à 50 % des cas, les articulations tibio-tarsales révèlent une tuméfaction lors des épisodes de fièvre [1, 2]. Les tissus mous péri-articulaires sont enflés et chauds au toucher, et douloureux à la manipulation [1]. La radiographie met parfois en évidence des érosions de l’os sur la partie distale de l’articulation [6]. Le diagnostic est essentiellement clinique. Aucun test biologique spécifique de cette affection n’existe. Cependant, les signes cliniques sont évocateurs et souvent réunis. En dehors d’autres affections concomitantes, aucune modification biochimique n’est observée, hormis les crises d’hyperthermie. Seule une leucocytose peut parfois être notée lors d’une crise [4].

Une étiologie encore inconnue

La cause de la fièvre familiale du shar-pei n’est pas connue. Même si elle présente des similitudes avec la fièvre méditerranéenne de l’homme, l’affection animale n’en constitue pas un modèle [8]. Plusieurs hypothèses étiologiques ont été émises, mais aucune n’est validée. Les cas documentés ne concernent qu’un nombre restreint d’individus.

Chez le chien, les données actuelles sont en faveur d’une affection héréditaire, compatible avec une transmission sur un mode autosomal récessif [8]. Des études sont en cours pour mettre en évidence les gènes responsables de la maladie.

Le déficit en immunoglobuline A (IgA) est fréquent chez le shar-pei, ce qui le prédispose à des infections récurrentes associées à des fièvres intermittentes. Cependant, le taux d’IgA n’est pas significativement plus bas chez les animaux malades comparés aux animaux sains [6]. Une autre étude a mis en évidence une vasculite à médiation immune chez un animal atteint de fièvre familiale. Des dépôts de complexes immuns ont été retrouvés dans des biopsies de peau recouvrant le tarse de l’animal [10]. Une dernière étude a mis en évidence, chez un shar-pei malade, un taux élevé d’interleukine 6, une cytokine à l’origine de la production des protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Une réponse fébrile, une production d’anticorps et la synthèse de précurseurs de l’amyloïde en ont résulté [7].

Risque d’amyloïdose et fièvre familiale

Le risque d’amyloïdose est accru chez les shar-peis atteints de fièvre familiale (PHOTO 1) [2, 4]. L’amyloïdose est un trouble familial dans cette race, généralement secondaire à une infection ou à une inflammation chronique, à un phénomène néoplasique ou à un trouble immunologique [4]. La plupart des études mettent en relation l’apparition d’une fièvre familiale et celle deux à trois ans plus tard de lésions amyloïdes [1, 2, 4]. Entre 25 et 50 % des animaux atteints de fièvre familiale développent une amyloïdose [2, 4]. Il existe un risque élevé de lésions irréversibles, presque toujours rénales, mais aussi hépatiques ou spléniques [4]. Les lésions d’amyloïdose surviennent plus tôt dans la vie du chien lorsqu’il a été atteint de fièvre familiale. Les premiers symptômes cliniques apparaissent vers l’âge de quatre ans pour une espérance de vie de cinq à six ans [1].

La prévention et le traitement de l’amyloïdose sont primordiaux.

Le traitement de la fièvre est symptomatique. Elle peut être combattue avec un antipyrétique et un anti-inflammatoire non stéroidien classique. Dans les cas les plus sévères, le traitement est le même que lors d’un coup de chaleur (température supérieure à 40 °C) : diminution de la température corporelle par immersion dans l’eau froide, lutte contre l’œdème cérébral (corticothérapie à la dose de 1 mg/kg), réhydratation par perfusion. Le relais est pris par des antiinflammatoires non stéroïdiens pendant quelques jours. Aucun moyen ne permet à l’heure actuelle de prévenir ou de contrôler la fièvre familiale du shar-pei. Certains auteurs préconisent de limiter le stress de l’animal car il conduit à des poussées de température. Lorsqu’un diagnostic de fièvre familiale est posé, il convient de pratiquer des examens complémentaires en vue de dépister une éventuelle amyloïdose rénale. Il est conseillé de faire régulièrement (trois ou quatre fois par an) une analyse d’urine avec une réaction de Heller (PHOTO 2). Une biopsie rénale et hépatique est aussi un examen intéressant car les lésions apparaissent bien avant les signes cliniques d’insuffisance rénale. Le traitement de l’amyloïdose repose sur le contrôle et l’élimination de la cause. Cette approche n’est possible qu’en début d’évolution.

Chez l’homme, l’amyloïdose répond à la prescription de diméthylsulfoxide(1) (DMSO) et de colchicine(1). Il n’existe presque aucune donnée pour le chien. Il serait possible de ralentir l’évolution en administrant du DMSO(1) ou de la colchicine(1). Le premier est plus indiqué en cas d’amyloïdose installée et la seconde lors de fièvre familiale, en l’absence des premiers signes d’amyloïdose [3]. La colchicine(1) prévient davantage le dépôt de substance amyloïde. Cependant, il n’est pas prouvé que ce médicament diminue les dépôts chez le chien [3]. C’est une théorie extrapolée de la médecine humaine. La posologie recommandée est de 0,02 à 0,04 mg/kg [4]. Chez un homme qui souffre de fièvre familiale méditerranéenne, elle permet de réduire de 66 % le risque d’apparition d’amyloïdose [11]. Chez deux shar-peis atteints d’amyloïdose hépatique, une étude a montré un arrêt de l’évolution de l’insuffisance rénale pendant deux ans après l’administration de colchicine(1) [5]. Le DMSO(1) a plusieurs effets dont celui de solubiliser la substance amyloïde (in vitro) et de réduire l’inflammation. Ce traitement n’a pour l’instant été étudié que chez l’homme [2, 4, 9]. La posologie recommandée est de 80 mg/kg, trois fois par semaine, par voie sous-cutanée, intraveineuse ou orale [3].

En revanche, les corticoïdes sont contre-indiqués car ils favorisent le dépôt de la substance amyloïde dans le rein [3, 4].

La fièvre familiale du shar-pei est une entité bien documentée dans les pays anglo-saxons. En France, cette maladie est vraisemblablement sous-diagnostiquée, car mal connue. Peu de traitements existent actuellement, et il est important de prévenir les propriétaires de la gravité de l’affection et de suivre l’évolution chez l’animal atteint. Il convient aussi de conseiller l’éleveur chez lequel un cas a été diagnostiqué afin qu’il prenne les dispositions qui s’imposent.

  • (1) Médicament à usage humain.

L’amyloïdose rénale chez le chien

L’amyloïdose rénale se définit par le dépôt extracellulaire de substance amyloïde au niveau des glomérules rénaux.

Cliniquement, elle se traduit par une glomérulonéphrite et une insuffisance rénale chronique. En fait, la maladie évolue lentement, sans aucun symptôme. Après plusieurs mois, ou plusieurs années, une protéinurie apparaît : un test de Heller permet de la mettre en évidence. Il consiste à verser doucement une petite quantité d’urine dans un tube à essai contenant une quantité égale d’acide nitrique. À l’interface des deux liquides se forme un anneau blanc de précipitation des protéines (PHOTO 2). Cet examen est à la fois qualitatif (présence de protéines) et quantitatif puisque l’épaisseur de l’anneau est liée à la concentration de l’urine en protéines.

Lorsque la protéinurie augmente, l’albuminémie diminue jusqu’à un stade d’hypo-albuminémie où les symptômes de l’insuffisance rénale chronique apparaissent. C’est en général à ce stade que les propriétaires consultent.

Le diagnostic définitif repose sur l’analyse histologique d’une biopsie rénale. La substance amyloïde est mise en évidence macroscopiquement par une coloration au lugol (PHOTO 1), microscopiquement par une affinité tinctoriale pour le rouge Congo.

Le pronostic est sombre. En effet, l’évolution de l’amyloïdose rénale est plus ou moins rapide, mais irréversible. Les traitements proposés n’ont pour but que de ralentir cette évolution, mais elle aboutit toujours à un syndrome néphrotique. Il est donc intéressant de détecter précocement la protéinurie. Pour les races où une étiologie héréditaire est prouvée, comme le shar-pei, il serait donc intéressant de détecter les lignées atteintes pour les retirer de la reproduction.

En savoir plus

- Deschamps JY. Le syndrome néphrotique chez le chien et le chat. Point Vét. 2001;32 (numéro spécial):80-87.

- Testault I. Les maladies rénales héréditaires du chien et du chat. Point Vét. 2001;32 (numéro spécial):92-94.

  • 1 - Boyot-Fontanel D. Le shar-pei : étude des principales anomalies héréditaires et à prédisposition héréditaire. Thèse de doctorat vétérinaire. Alfort. 2004:54-57.
  • 2 - Di Bartola S, Tarr M, Webb D et coll. Familial renal amyloidosis in Chinese shar pei dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1990;197(4): 483-488.
  • 3 - Hansen P. L’amyloïdose rénale chez le chien et le chat : pathophysiologie, symptomatologie, diagnostic et traitement. Ann. Med. Vet. 1992;136:171-178.
  • 4 - Johnson S. Chronic hepatic disorders. In: Ettinger S, Feldman E. Textbook of veterinary internal medicine. 5th ed., vol. 2, WB Saunders, Philadelphie. 2000:1298-1325.
  • 5 - Loeven K. Hepatic amyloidoses in two Chinese shar pei dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1994;204 (8):1212-1216.
  • 6 - May C, Hammill D, Benett D. Chinese shar pei fever syndrome: a preliminary report. Vet. Rec. 1992;131:586-587.
  • 7 - Rivas AL, Tintle L, Kimball ES et coll. A canine febrile disorder associated with elevated interleukin-6. Clin. Immunol. Immunopathol. 1992;64(1):36-45.
  • 8 - Rivas AL, Tintle L, Meyers-Wallen V et coll. Inheritance of renal amyloidosis in Chinese shar-pei dogs. J. Hered. 1993;84(6):438-442.
  • 9 - Spyridakis L, Brown S, Barsanti J et coll. Amyloidosis in a dog: treatment with dimethylsulfoxide. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1986;189(6):690-691.
  • 10 - Tellier L. Immune-mediated vasculitis in a shar-pei with swollen hock syndrome. Can. Vet. J. 2001;42 (2):137-139.
  • 11 - Zemer D, Pras M, Sohar E et coll. Colchicine in the prevention and treatment of amyloidosis of familial Mediterranean fever. N. Engl. J. Med. 1986;314:1001-1005.