CHIRURGIE OBSTÉTRICALE BOVINE
Se former
CONDUITE À TENIR
Auteur(s) : Axel Schönfelder*, Jacqueline Muder**
Fonctions :
*Huberstr. 3
04229 Leipzig, Allemagne
**Nonnenstr. 28,
04229 Leipzig, Allemagne
Torsion utérine sévère, nécrose ou putréfaction de l’organe : l’ovario-hystérectomie n’est pas indiquée seulement lors d’un retournement de matrice irréversible. Diverses précautions accroissent les chances de succès.
Le recours à une ovario-hystérectomie chez la vache n’est pas fréquent. Le plus souvent, l’intervention est pratiquée lors d’affections ou de complications d’affections aiguës qui mettent en jeu le pronostic vital. L’utérus est tellement endommagé que si une ovario-hystérectomie n’est pas réalisée, la survie de l’animal est impossible. L’euthanasie sans traitement est une possibilité, mais l’éleveur peut souhaiter une autre solution pour diverses raisons. Peu de données précises sur les indications, les soins postopératoires et les complications de cette intervention sont disponibles, car elle est rarement mise en œuvre. Il est cependant possible d’en donner un aperçu grâce à l’expérience hospitalière de la faculté vétérinaire de Leipzig (Allemagne).
Lorsque les chances de succès sont bonnes, les arguments économiques plaident pour la réalisation d’une ovario-hystérectomie . En effet, l’euthanasie constitue une perte sèche, alors qu’une vache sans ovaires ni utérus peut encore réaliser une bonne lactation. L’animal peut ensuite être engraissé et réformé.
Diverses maladies et blessures figurent dans la liste des indications de l’ovario-hystérectomie :
- la torsion utérine ;
- le fœtus autolysé ;
- les blessures utérines, impossibles à suturer de façon satisfaisante ;
- les ruptures utérines après une intervention obstétricale complexe ;
- le prolapsus utérin [1, 4, 9, 12, 13].
Or toutes ces affections n’évoluent pas toujours de façon satisfaisante après une ovario-hystérectomie . La gravité de la maladie ou de la blessure utérine observée doit être prise en compte avant de décider de recourir à cette intervention. En pratique, des indications absolues de l’ovario-hystérectomie peuvent être distinguées de celles dites “relatives”.
Selon l’expérience des auteurs, les indications absolues regroupent des situations cliniques et des blessures susceptibles de conduire à la mort de l’animal en l’absence de chirurgie. Une baisse de la vascularisation utérine lors de torsion en fait partie : la lumière des artères utérines situées dans le ligament large est réduite, la résistance locale au flot sanguin s’accroît. Le phénomène est proportionnel au degré de torsion [7].
Une ovario-hystérectomie peut aussi être indiquée seulement de façon relative : elle permet alors d’arrêter la progression d’une maladie, en raccourcit la durée ou diminue le risque de complications (voir l’ENCADRÉ “Indications de l’ovario-hystérectomie ”).
Lors de torsion utérine, la gravité de la présentation clinique est facile à grader [5, 6]. Pourtant, il est difficile de définir ensuite les situations où une ovario-hystérectomie est indiquée, notamment lors de torsion au stade 3(1) [5, 6]. Toutes les vaches à ce stade de torsion ne meurent pas. En revanche, l’ovario-hystérectomie est indiquée si l’utérus prend une couleur gris-blanc et que la paroi est en état de putréfaction. Aux stades inférieurs de torsion, une ovario-hystérectomie n’est pas indiquée car le pronostic de retour en production (chances de gestations ultérieures) est bon.
En raison des multiples précautions conseillées pour assurer le succès de l’intervention (voir ci-dessous), celle-ci requiert un environnement hospitalier (public ou privé) (PHOTO 1). Les chances de succès en conditions de terrain sont faibles. Les vaches sont robustes et supportent bien des délais d’intervention élevés : certaines qui présentent une torsion depuis deux ou trois jours ont été opérées avec succès à Leipzig selon la procédure décrite ci-dessous.
Pour une ovario-hystérectomie dans le cadre d’une torsion, la procédure commence comme une césarienne par voie basse : la vache est couchée et l’incision est ventro-latérale (voir la FIGURE “Position de la vache et zone d’incision”). Cette voie n’est pas usuelle, mais la décision de recourir à une ovario-hystérectomie est prise en partie d’après le résultat de la palpation rectale de l’utérus. Si l’organe est ferme, non dépressible manuellement, la vache est une candidate potentielle à l’intervention. La césarienne en vue d’une détorsion est alors pratiquée par voie basse en décubitus. Si après détorsion, la suture utérine paraît impossible à réaliser en raison de l’état de l’organe, l’incision cutanée initiale est étendue caudalement en direction de l’espace fémoral pour pratiquer une ovario-hystérectomie . À ce stade, l’évaluation de l’état clinique de l’animal participe à la décision opératoire. Pouls, température, fréquence respiratoire ne sont que des éléments d’appréciation fragmentaires : l’impression générale l’emporte pour la décision finale. Des vaches en décubitus permanent avant l’intervention ont été opérées avec succès. Le soutien hydro-électrolytique par la perfusion peropératoire est capital (20 à 30 l de NaCl 0,9 %) lorsque l’état clinique laisse à désirer.
Après injection d’un tocolytique (clenbutérol à la dose de 0,3 mg/kg par voie intraveineuse, Planipart®), une sédation est pratiquée (xylazine à la dose de 0,1 mg/kg, par voie intraveineuse, Rompun® par exemple), complétée par une anesthésie épidurale, avec de la lidocaïne à 2,465 % (Lurocaïne®), à la dose totale d’environ 70 ml. Elle permet d’immobiliser les membres postérieurs. L’efficacité de l’anesthésie est vérifiée en appliquant un stimulus nociceptif dans un espace interdigité postérieur et en constatant l’absence de rétraction du membre. Pour l’intervention, les vaches sont placées sur le côté droit, et la patte postérieure gauche est ramenée et fixée dorsalement. Les points de pression trop importants doivent être évités. Des rembourrages sont placés en conséquence (paille, matelas d’une épaisseur de 10 cm).
Après nettoyage, rasage et désinfection de la zone chirurgicale, une anesthésie locale est réalisée, par infiltration sous-cutanée et intramusculaire locale (100 ml de lidocaïne 2 %). Des antibiotiques sont ensuite administrés : enrofloxacine (Baytril® 10 % à la dose de 2,5 mg/kg), et amoxicilline potentialisée par l’acide clavulanique (Synulox® RTM, 8,75 mg/kg). Cette association est justifiée, particulièrement pour des fœtus morts et/ou décomposés car des Proteus spp. et Streptococcus spp. sont régulièrement isolés dans ce cas [10, 11]. Un anti-inflammatoire non stéroïdien est aussi administré (flunixine méglumine, Finadyne®, à la dose de 2,2 mg/kg). Une perfusion de soluté isotonique de chlorure de sodium (poche de 10 l) est mise en place.
La technique chirurgicale de l’ovario-hystérectomie est détaillée ci-dessous dans le contexte d’une torsion utérine. Dans les autres indications, les mêmes principes sont si possible appliqués. Les points simples sont généralement à privilégier, tant sur les ligaments larges que sur le vagin, selon notre expérience. Ils sont plus faciles à placer avec précision et plus sûrs en cas de rupture.
Dans le cas d’un prolapsus utérin, la ligature en masse, solution de facilité, est à proscrire. Il convient de chercher les vaisseaux et de les suturer un par un, si possible.
Lors de torsion, la cavité abdominale est ouverte par une incision ventro-latérale, étendue caudalement d’environ 20 cm dans l’espace situé en regard du fémur, entre la base de la mamelle et la zone d’insertion du membre postérieur gauche.
Si le degré de torsion est important, l’utérus peut rarement être extériorisé. En outre, lorsque le liquide amniotique est encore dans l’utérus et que la paroi utérine est œdématiée, il est presque impossible de percevoir le fœtus. Un drainage est réalisé, ce qui permet d’évacuer le liquide amniotique et d’éventuelles poches de sang utérin, à l’aide d’une canule de grand diamètre (4 mm) reliée à une tubulure. Le trou d’insertion de la canule est suturé avec un point en croix. Le retrait du liquide facilite la palpation fœtale et la manipulation, qui permet à l’utérus d’être repositionné dans la plaie de laparotomie.
Après incision de la paroi utérine et extraction fœtale, si le fœtus n’a pas été extrait par les voies naturelles, l’utérus est refermé avec des sutures classiques incluant la muqueuse, puis il est détordu et extériorisé.
Il est important de suturer le ligament large entièrement car la vascularisation utérine s’y trouve, en partie sous forme d’un large réseau vasculaire. Les artères utérines droite et gauche y figurent, ainsi que l’artère ovarique (secondaire), le rameau utérin de la veine ovarique et les veines utérines droite et gauche (veines secondaires).
Deux rangées d’une quinzaine de points simples sont placées sur chacun des ligaments larges : l’une adjacente à l’utérus et l’autre distante de celui-ci (voir la FIGURE “Sutures et ligatures sur le ligament large”). Ces points sont réalisés avec un fil résorbable tressé décimale5 (polyglactin 910, Vicryl®). Ils se chevauchent et chacun n’incorpore pas plus de 3 cm de ligament large, depuis l’angle crânial de ce ligament jusqu’au plafond du vagin, juste caudalement au relief externe du col. Les ligaments larges sont ensuite coupés entre les deux rangées de sutures- ligatures.
Pour occulter la lumière utérine, deux pinces hémostatiques particulières, dites “de Schönfelder” (Asanus Medizintechnik, Tuttlingen, Allemagne), sont mises en place côte à côte sur le vagin (PHOTO 2). Elles sont plus grandes, plus résistantes et plus pratiques que d’autres modèles de pinces traditionnelles commercialisées. Elles permettent une bonne présentation du vagin et elles en facilitent la suture.
Cinq points de suture en croix (polyglactin 910, décimale 7, Vicryl®) sont préparés côte à côte sur le vagin au-dessus des pinces hémostatiques. Ils ne sont serrés (fortement) et noués que dans un deuxième temps, après le retrait des pinces (un surjet est également possible). Le vagin est ensuite coupé transversalement environ 1 cm crânialement à la ligne de points de suture précédente. L’utérus peut alors être extrait, avec les ovaires (PHOTO 3). Sans attachement utérin, le vagin se rétracte rapidement dans la cavité pelvienne et ne peut plus être extériorisé. Selon l’expérience de la faculté vétérinaire de Leipzig, il n’est pas nécessaire d’ôter la muqueuse vaginale exposée sur le moignon utérin, comme le pratiquent certains confrères pour favoriser la cicatrisation. La cavité pelvienne est rincée avec du chlorure de sodium isotonique jusqu’à obtention d’un liquide péritonéal clair. Un dispositif choisi (siphonage, etc.) permet de faire en sorte qu’il ne reste pas trop de liquide dans la cavité (moins de 0,5 l). La plaie de laparotomie est fermée classiquement, plan par plan.
L’antibiothérapie est poursuivie pendant cinq jours et l’administration de flunixine pendant trois jours (mêmes dosages qu’en phase peropératoire). Il en est de même pour un utérus infecté. Dans ce cas, l’accent est mis sur la perfusion, qui facilite l’évacuation des toxines par le rein et soulage le foie.
Jusqu’à la reprise de l’alimentation, la perfusion de chlorure de sodium isotonique est laissée en place (poche de 10 l), additionnée de glucose 1 000 g/j et d’une préparation à base d’acides aminés (Amynin®, Merial, Munich, Allemagne, non disponible en France) à visée hépatoprotectrice (facultatifs). Deux fois par jour, 60 g de précurseurs de glucose (propionate de sodium) sont administrés, per os. Du jus de rumen peut compléter le traitement si la vache tarde à reprendre une rumination correcte : 5 l administrés par sondage orostomacal.
En phase postopératoire, à la faculté de Leipzig, les vaches sont gardées dans des stalles. Plusieurs constantes cliniques vitales sont suivies (pouls, température, ingestion, miction et défécation), ainsi que l’hématocrite et le taux de magnésium sanguin. Une correction est mise en œuvre seulement si nécessaire. L’hématocrite baisse parfois de façon importante, mais pas en dessous de 10 %, selon l’expérience des auteurs. Une transfusion n’a donc jamais été jugée nécessaire.
Une reprise de saignements sur le moignon vaginal et des complications infectieuses associées peuvent survenir : un seul cas a été constaté dans notre expérience. Un examen bactériologique et un antibiogramme sont alors recommandés, et l’antibiothérapie est adaptée en conséquence.
Aucune difficulté à uriner ni urovagin, complications envisageables, n’ont été observés.
Dans deux cas, des fèces très dures ont dû être extraites manuellement après l’intervention (à une reprise), sans conséquences ultérieures pour la défécation.
Le praticien ne doit pas hésiter à conseiller une ovario-hystérectomie lorsqu’elle est indiquée. Le manque de structure hospitalière bovine à proximité disposant de suffisamment de moyens pour prendre toutes les précautions utiles à cette intervention peut toutefois constituer un frein.
(1) Au stade 3 de torsion, le produit du degré de torsion par la durée de torsion est supérieur à 405.
Les indications absolues de l’ovario-hystérectomie sont :
- un utérus nécrotique ou en passe de le devenir ;
- une rupture utérine d’origine variée (notamment liée à une nécrose), impossible à suturer (étendue, sur le corps utérin, mais surtout au niveau de la bifurcation utérine) ;
- une grave infection : un pyomètre ou un processus phlegmoneux affectant la paroi utérine ;
- une réduction de la vascularisation utérine, risquant d’engendrer une nécrose.
Les indications relatives de cette intervention sont :
- un prolapsus utérin récurrent ;
- des complications de torsion utérine (au stade 3): un utérus endommagé et un risque d’infertilité ultérieur important [6, 8] ;
- des septicémies lors de fœtus macéré.