CONDUITE D’ÉLEVAGE CHEZ LES VACHES LAITIÈRES
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CONDUITE À TENIR
Auteur(s) : William Araujo
Fonctions : 281, avenue du Béarn
40330 Amou
Les vaches laitières au tarissement et les génisses prêtes à vêler doivent faire l’objet d’une attention particulière, par exemple lorsque certaines affections métaboliques sont observées en lactation.
La fin du tarissement et l’entrée des jeunes vaches en production sont des périodes charnières pour la vie productive, à court et à moyen terme. Cétoses, déplacements de caillettes, rétentions placentaires, fièvres vitulaires et œdèmes mammaires sont des affections pour lesquelles une intervention en lactation est souvent trop tardive pour être efficace à l’échelle du troupeau.
Les lots non productifs sont encore assez régulièrement délaissés par les éleveurs. La marge de progrès est donc importante, fournissant l’occasion pour le vétérinaire de proposer des conseils au cours de ses visites en suivi de troupeau. Pour les cas sévères, une visite spécifique peut être proposée. La démarche est efficace si elle respecte une certaine méthode. Diverses façons d’ordonner l’intervention sont possibles [a, b]. Nous proposons dans notre étude celle que nous pratiquons. Les aspects hiérarchiques, sanitaires et mammaires sont abordés successivement, mais tous trois convergent parfois sur une (ré) évaluation du bâtiment et surtout de la ration. Des conseils plus spécifiques sont formulés si la visite est liée (c’est-à-dire est due ou bien donne lieu) à l’identification d’un trouble métabolique en lactation. Ces aspects sont traités dans la dernière partie de cet article. Quelques critères chiffrés simples d’appréciation sont proposés, sachant que l’objectivation d’une anomalie est le préalable indispensable à toute démarche de correction.
Les réallotements sont une source de stress sociaux chez les vaches, susceptibles in fine de nuire à la production [d]. L’introduction d’un bovin dans un lot conduit à bousculer l’ensemble de la hiérarchie. C’est une source potentielle de perturbation, surtout pour cet animal.
Les éleveurs pratiquent déjà souvent l’acclimatation des génisses en les introduisant dans le troupeau quelques jours avant vêlage, se fondant d’ailleurs plutôt sur des justifications autres qu’éthologiques : rapprocher la génisse pour surveiller facilement son vêlage, l’habituer à la ration.
Une génisse est toujours dominée à son arrivée dans le troupeau en production. Une mauvaise acclimatation a souvent des conséquences limitées à cette génisse, mais les effets peuvent se manifester sur le long terme : elle est chassée de l’auge, voire de sa logette, elle est exposée aux coups, elle est la dernière à passer à la traite, d’où un faible démarrage de production et parfois une mauvaise première lactation, une perte d’état, une infertilité. Ces effets peuvent avoir des conséquences sur la seconde lactation, voire entraîner une réforme anticipée.
À l’inverse, certaines vaches multipares taries, de retour en production, peuvent perturber assez fortement les autres vaches en production, en voulant par exemple (re) prendre leur place de “dominante” de façon énergique.
La prise en compte de cette problématique hiérarchique est d’autant plus cruciale lors de traite automatisée, le nombre de postes de traite étant réduit à un ou deux. Les soucis de hiérarchie sont visibles à l’examen dynamique du logiciel de traite, en se penchant un peu sur le détail des ordres et des fréquences de traite. Cela nécessite d’y consacrer du temps, alors que les éleveurs « robotisés » ont pour objectif de passer moins de temps autour de leur troupeau, d’où l’intérêt d’une sensibilisation par un tiers (le vétérinaire).
Une fois l’existence de heurts hiérarchiques identifiée, même de façon subjective en l’absence de critères quantitatifs, quelques conseils ou principes peuvent être formulés pour limiter le stress induit par le retour ou l’entrée en production [d].
• La proximité des vaches taries avec le troupeau en lactation dans un ancien bâtiment est, autant que possible, privilégiée. Lors de la construction d’un nouveau bâtiment, elle doit être absolument prise en compte (voir la FIGURE “Proposition d’assortiment des lots ).
• Le raccourcissement de la période de tarissement à 40 j peut être suggéré. Il est plus ou moins facile à suivre.
Il peut être effectué par l’éleveur :
- volontairement si l’élevage est en dépassement de quota en fin de campagne ;
- involontairement si les vaches ont un mauvais retour de cyclicité ovarienne pour des raisons métaboliques.
Ce conseil ne peut être appliqué que pour des vaches au-delà de la deuxième lactation, en bon état corporel, et ayant présenté une bonne persistance de production à la lactation précédente, soit 15 l de lait produits par jour en fin de lactation pour une prim’holstein.
• Le mélange des génisses avec les multipares en fin de tarissement est vivement encouragé, pour les 20 derniers jours avant l’entrée ou le retour de ces animaux en production. Cette pratique permet d’établir une préhiérarchie.
Le risque que les génisses se fassent bousculer en fin de gestation, donc qu’elles avortent à cause de cette pratique, est à relativiser. En effet, le nombre de génisses est souvent important par rapport au nombre de vaches taries multipares.
Le praticien doit conseiller de basculer les génisses dans ce lot prévêlage, dès qu’elles sont confirmées gestantes, à condition que leur croissance soit satisfaisante. Il est aussi possible de se limiter à un contact par barrière interposée.
Dans l’idéal, il convient de conseiller d’établir deux lots au tarissement :
- un lot de multipares qui sont dans leur premier mois de tarissement et de génisses dignostiquées gestantes si leur croissance est suffisante ;
- un lot de préparation au vêlage des multipares et de fin de gestation des génisses.
Une seule et même ration convient aux deux catégories de bovins que sont les vaches taries et les génisses préparées à vêler à l’âge de 24mois. La ration suivante peut par exemple être proposée :
- 6 kg de matière sèche d’ensilage de maïs ;
- 5 kg de foin ;
- 1,5 kg de tourteau de soja ;
- 160 g d’aliment minéral et vitaminique (AMV).
En effet, les génisses, malgré leurs besoins théoriquement supérieurs, sont limitées à ce stade par leur capacité d’ingestion.
Le surengraissement est une problématique à part qui peut nécessiter d’autres conseils, non détaillés dans notre étude.
Concernant les infections mammaires précoces, il convient de revoir l’hygiène du logement, les conditions de vêlage (part languissant), et de discuter des spécialités intramammaires employées hors lactation. Les examens bactériologiques à l’échelle du troupeau peuvent être utilisés pour établir un profil d’infection, à raison de trois à cinq prélèvements congelés sur des vaches présentant des mammites précoces ou sur celles avec des taux cellulaires compris entre 500 000 et 800 000 dans la première partie de la lactation. Un contrôle des comptages cellulaires individuels (CCI) sur les trois premiers contrôles laitiers (CL) est aussi effectué pour objectiver des contaminations rapides ou des non-guérisons à la suite du tarissement.
L’antibiotique administré par le canal du trayon prévient efficacement les infections du début de la période sèche, mais ce n’est pas le cas pour les contaminations lors de la préparation au vêlage. Pendant cette période, les facteurs hygiéniques et alimentaires sont primordiaux.
Pendant la phase finale dite “de différenciation”, au cours des deux à trois dernières semaines avant le part, les nouveaux mammocytes se multiplient et deviennent fonctionnels. Le développement mammaire s’accompagne alors d’un besoin supérieur en énergie (1,5 à 2unités fourragère lait ou UFL). Ces remaniements histologiques de la glande et l’augmentation de diamètre du canal du trayon rendent la vache particulièrement sensible aux contaminations par les germes d’environnement : entérobactéries et Streptococcus uberis. Il est indispensable de revoir la conduite alimentaire en préparation du vêlage : les œdèmes mammaires, les pertes de lait, la lipomobilisation intense, les carences minérale ou vitaminique sont autant de facteurs qui peuvent diminuer la résistance des individus, d’autant plus que l’occurrence des troubles métaboliques en début de lactation chez ces animaux augmente la fréquence des mammites cliniques [f].
Vis-à-vis du risque de mammites liées à l’environnement, comme pour les vaches laitières, le paillage doit être suffisant en ante-partum (6 kg/vache/an) pour une densité normale (8 m2 par vache). Le curage des locaux doit être régulier et la température de la litière à 10 cm de profondeur peut être un critère de contrôle (elle doit être inférieure à 40 °C).
Dans les cas où les mamelles sont saines, les conditions de conduite d’élevage précédemment citées sont favorables et que peu d’infections précoces sont constatées, des obturateurs de trayons peuvent être prescrits, sans adjoindre d’antibiotiques au tarissement, en veillant à respecter les bonnes pratiques recommandées par ses concepteurs pour leur utilisation (Orbeseal®).
L’étude de la période sèche débouche systématiquement sur une prescription raisonnée, voire individualisée pour la lutte contre les infections mammaires pendant la période hors lactation. Une telle démarche valorise le conseil du vétérinaire en charge du suivi de l’exploitation.
Le confort de la vache est important pour sa production [a]. Tout ce qui peut diminuer l’appétit d’une vache en fin de gestation et en début de lactation entame ses capacités de production et augmente les risques métaboliques. Cela est encore insuffisamment pris en compte.
Le confort des sols doit être particulièrement apprécié en ante-partum, suffisant et surtout adapté aux conditions dont bénéficie ensuite la vache en production. Le sol doit être assez souple pour amortir le poids de la génisse sur ses onglons car elle supporte à la fois son propre poids et celui du fœtus, et souffre, en fin de gestation, d’une circulation sanguine difficile en raison de la présence du placenta et de l’encombrement fœtal. Le sol doit également être assez résistant pour renforcer les onglons si le post-partum est prévu pour se dérouler sur un sol dur (logettes avec caillebotis) [a]. La mise en place d’un tapis en salle de traite diminue la pression sur les pieds des génisses qui passent souvent en dernier en salle de traite. Le respect du confort du pied est d’autant plus crucial que la ration est très énergétique, à l’origine d’un risque d’acidose et de fourbure sous-jacent, que l’âge des génisses au vêlage est important (30 mois plutôt que 24), car les génisses vêlant tard ont un engraissement un peu plus important.
Les lots de taille réduite, isolés en ante-partum, fournissent l’occasion d’effectuer une inspection systématique des pieds, assortie d’un parage si nécessaire. Des installations correspondantes doivent être prévues.
Une visite sur les lots ante-partum peut être l’occasion de conseiller fortement la création d’un box de vêlage. Celui-ci, proche des autres lots d’animaux en ou hors lactation, équipé pour l’alimentation et la contention est capital pour le bon déroulement du vêlage, pour la vache, pour l’éleveur, et parfois le vétérinaire.
La phase de différenciation des mammocytes (cf. supra) s’accompagne de besoins alimentaires accrus par rapport aux dépenses d’entretien, de la croissance fœtale, voire de la croissance propre de la nullipare.
Si la vache à l’entrée au tarissement a des besoins nutritionnels proches du plancher minimal (11 à 15 kg de MS ingérée en fin de production), il convient d’assurer une transition avec les besoins de début de production, en particulier chez les primipares. Il est illusoire de réussir une transition, entre une ration équilibrée à 7 kg de lait en fin de gestation et une ration équilibrée à 25 kg de lait en début de production, en seulement deux jours. Les trois dernières semaines doivent y être consacrées. Pour une prim’holstein de 680 kg, les besoins en UFL sont compris entre 6,5 et 9, et les protéines digestibles dans l’intestin (PDI) entre 500 et 600 g. Par exemple, pour une ration hivernale, il suffit d’utiliser comme base la ration des vaches taries et de faire varier les quantités et les compléments [c].
Par souci de simplification, les éleveurs préfèrent souvent conduire l’alimentation des vaches taries, et a fortiori des génisses, de façon complètement différente de celle des vaches en lactation : elles sont mises en pâture sur des parcelles éloignées, ou placées dans des endroits sans accès au silo, ou sans possibilité d’affouragement à la dessileuse. Si ce système est conservé, il convient de conseiller une transition sur trois semaines avant le part pour les fourrages.
Une chute de l’ingestion en fin de gestation (de l’ordre de moins 30 %) a été démontrée, ce qui rend la problématique particulièrement délicate. De même que pour les vaches en production, une place de 60 à 70 cm par vache à l’auge et un point d’abreuvement pour dix vaches doivent être respectés.
Une ration de vache tarie se calcule au même titre qu’une ration de production [1, 2, e]. Le champ de possibilité reste assez large (voir le TABLEAU “Exemples de rations pour vaches taries” et l'ENCADRÉ “Exemple de mise en œuvre de calcul de ration ante-partum”) [a].
La ration doit comporter un aspect dynamique (augmentation progressive de la densité énergétique : plus 1,5 à 2 UFL en fin de tarissement) pour respecter la modification qualitative des papilles ruminales, l’adaptation de la flore, la prévention de l’acidose et la différenciation des mammocytes. Dans les conditions optimales, une vache doit reprendre du poids ou gagner un demi point d’état corporel pendant le tarissement (de trois à trois et demi). Le praticien peut inciter l’éleveur à noter l’état corporel des vaches aux moments cruciaux que sont l’entrée en tarissement, le vêlage et la fin du deuxième mois de lactation. Il doit aussi garder en tête son rôle de contrôle car l’éleveur a tendance à s’habituer à l’état corporel de ses vaches, en excès ou par défaut. Le vétérinaire apporte une vision extérieure, réétalonnant l’œil de l’éleveur.
En définitive, la conduite idéale est différentielle. Elle demande un certain investissement en temps. Eu égard aux préoccupations éthologiques précédemment exposées et à ces facteurs alimentaires, le bâtiment doit permettre suffisamment de souplesse pour mettre en place plusieurs lots de taries qui varient dans l’année en fonction du nombre de vaches à vêler.
Si la démarche d’intervention ante-partum peut théoriquement être proposée spontanément, elle vient bien souvent suite à l’identification d’un trouble ultérieur en lactation. Outre les préoccupations générales précédentes, elle s’assortit alors d’un examen particulier de certains points à risque (essentiellement alimentaires) et de conseils spécifiques de prévention de ces troubles. Les fréquences acceptables de troubles de la santé autour du vêlage peuvent guider le choix du danger à combattre (voir le TABLEAU “Détermination de la situation sanitaire de l’élevage par rapport à la médiane”) [1]. Indépendamment de cette appréciation assez mathématique d’un trouble, la perception de l’éleveur doit être prise en compte : ce qui paraît essentiel pour le praticien peut être sans importance aux yeux de l’éleveur. L’inverse est également vrai. Le travail du praticien est alors davantage un travail de prise de conscience. Un calcul du coût économique de telle affection identifiée dans l’élevage peut être proposé pour motiver l’éleveur à corriger une anomalie qui ne le préoccupait pas jusqu’alors(1).
Pour aider à identifier ou à corriger trois types de troubles métaboliques dont l’origine se situe en général en ante-partum (cétose et déplacement de caillette, rétention placentaire, fièvre vitulaire), quelques critères de contrôle et/ou de correction sont proposés (voir le TABLEAU “Critères de contrôle et de correction de trois types de troubles dans les lots ).
Le praticien a en définitive toute légitimité pour proposer à l’éleveur un service de conseil, portant y compris et surtout sur les lots ante-partum. Cela répond à une approche préventive et globale des troubles de la santé en élevage laitier, pour lesquels notre formation et notre expérience peuvent être un plus. Seule manque parfois la connaissance des critères d’appréciation, mais des outils modernes peuvent aider à les compiler par avance. En pratique, le besoin de ces visites ante-partum chez les éleveurs peut être anticipé, tout comme sont anticipés depuis plus longtemps leurs besoins en obstétrique, en suivi de reproduction, etc.
(1) Pour ce calcul, un logiciel est disponible gratuitement en ligne sur le site de l’École vétérinaire de Nantes.
Contexte : examen faisant suite à une visite de suivi de reproduction dans un élevage landais, comportant 80 vaches en lactation.
Anomalies observées : 33 % de rétentions placentaires sur les vêlages des quatre derniers mois et cinq endométrites sur sept contrôles effectués en post-partum, donc infertilité au bout de quelques mois.
Étude des lots taris et des génisses gestantes : logettes confortables, ration comportant 10 kg d’ensilage de maïs, de l'ensilage d’herbe à volonté (début épiaison, mal conservé, semblant sec), 100 g d’AMV 15-15 contenant de la vitamine E et du sélénium, et 800 g de tourteau de soja 48. De la paille est distribuée au râtelier (peu consommée). Aucune transition alimentaire n’est mise en place au vêlage.
Calcul de la ration : mise en évidence d'un excès d’azote fermentescible.
Proposition de correction en conservant l’ensilage d’herbe : 10 kg d'ensilage de maïs, rationnée à 35 kg d'ensilage d’herbe, 1,5 kg de paille d’orge libre service, pas de tourteau de soja, 30 g d’AMV 10-19.
Objectif à contrôler : moins de 12 % de rétentions placentaires, les deux prochains mois.