AÏD-EL-KEBIR ET FIEVRE APHTEUSE
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LÉGISLATION
Auteur(s) : Philippe Tartera
Fonctions : 6, impasse Salinié, 31100 Toulouse
L’indemnisation due par l’État aux victimes des mesures de lutte contre les maladies réglementées n’est pas restreinte aux cas prévus par les circulaires.
En février 2001, M. Ramadan installe un centre provisoire de stabulation et d’abattage afin de proposer à la vente des ovins en vue de leur abattage selon les rites de la fête de l’Aïd-El-Kébir. À cet effet, il met en place des chapiteaux, des enclos et d’autres matériels sur un terrain nu d’environ 1 000 m2. Une épidémie de fièvre aphteuse s’étant déclarée au Royaume-Uni au début de l’année 2001, et une partie des ovins présents sur le site provenant de cet état, le préfet ordonne l’abattage de tous les moutons du centre. Sur le fondement de l’article L. 221-2 du Code rural(1), M. Ramadan est indemnisé pour 102 moutons dont il était devenu propriétaire. Toutefois, M. Ramadan, qui envisageait de vendre 1 400 moutons, demande à être indemnisé de l’ensemble des frais qu’il a exposés, qu’il chiffre à 60 000 €.
Le préfet rejette cette demande au motif que l’opération commerciale, visant à fournir des ovins en vue de leur abattage par des particuliers, ne pouvait être considérée comme une entreprise d’abattage d’animaux, de transformation ou de découpe de viande, susceptible de faire l’objet d’une indemnisation dans le cadre de la circulaire du 16 juillet 2001(2). M. Ramadan porte alors l’affaire en justice.
En février 2004, le tribunal administratif condamne l’État à verser à M. Ramadan la somme de 60 000 €, sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques.
Le ministre de l’Agriculture se pourvoit en appel.
Il fonde son appel sur le fait que la responsabilité pour rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques en raison des décisions administratives régulières ne peut être engagée lorsque ces décisions ont pour objet de protéger un intérêt général et prééminent, tel que l’environnement ou la santé publique, et que de telles mesures ne peuvent ouvrir droit à indemnisation que si elles sont constitutives d’une faute.
Selon le ministre de l’Agriculture, la mesure prescrivant l’abattage des ovins de M. Ramadan pour combattre la fièvre aphteuse avait un intérêt général et prééminent et n’a pas, par conséquent, constitué une faute.
Le préjudice subi par M. Ramadan n’ayant pas de caractère spécial, il ne peut être indemnisé que sur le fondement du décret du 27 décembre 1991(3).
Par décision du 12 juillet 2006, la cour administrative d’appel rejette ce recours et confirme la condamnation de l’État.
Selon le raisonnement de la cour d’appel, les dispositions réglementaires d’indemnisation ne font pas obstacle à ce que des personnes ou des entreprises non prévues dans les textes soient aussi indemnisées lors de préjudice dû à des mesures sanitaires prises par l’administration. « Le ministre n’est pas fondé à soutenir que ces dispositions feraient obstacle par principe à l’engagement de la responsabilité de l’État sur le fondement du principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. » Le ministre a fait valoir que le préjudice de M. Ramadan ne pouvait être qualifié de spécial, dès lors qu’à la suite de la fièvre aphteuse déclarée au Royaume-Uni plus de 50 000 ovins ont été abattus et que l’ensemble de la filière agro-alimentaire a subi une perte de 750 millions d’euros. Par ailleurs, la circulaire du 16 juillet 2001 a prévu l’indemnisation des seuls centres d’abattage permanents, au nombre desquels ne figurent pas les centres provisoires. Mais, contrairement à ce que soutient le ministre, le caractère spécial du préjudice de M. Ramadan doit être apprécié, non pas compte tenu de l’ensemble des préjudices résultant des mesures sanitaires prises pour prévenir la fièvre aphteuse, mais seulement au regard des personnes ou des entreprises ayant subi un préjudice anormal et pour lesquelles les dispositions législatives ou réglementaires précitées n’ont pas prévu d’indemnisation. Or le préjudice principal des opérateurs de centres provisoires d’abattage résulte, non pas de la perte de moutons dont ils n’étaient pas encore propriétaires, mais de l’absence d’utilisation et de rentabilisation des équipements qu’ils avaient mis en place, avec l’accord de l’administration. Il ne concerne qu’un nombre très limité d’opérateurs.
Ainsi, le préjudice invoqué, distinct de celui des propriétaires d’animaux abattus au bénéfice desquels une indemnité a été prévue, a bien un caractère spécial et doit être pris en compte.
(1) Article L. 221-2 du Code rural : « Des arrêtés conjoints du ministre chargé de l’Agriculture et du ministre chargé de l’Économie et des Finances fixent les conditions d’indemnisation des propriétaires dont les animaux ont été abattus sur l’ordre de l’administration, ainsi que les conditions de la participation financière éventuelle de l’État aux autres frais obligatoirement entraînés par l’élimination des animaux. La décision appartient au ministre chargé de l’Agriculture, sauf recours à la juridiction administrative. »
(2) Cette circulaire prévoyait un soutien financier pour certaines entreprises des filières de transformation des produits animaux confrontées à des difficultés financières sérieuses, en raison des mesures de lutte contre la fièvre aphteuse.
(3) Article 20 du décret du 27 décembre 1991 relatif à la lutte contre la fièvre aphteuse : « L’État prend à sa charge la visite du vétérinaire sanitaire, les prélèvements et l’analyse des prélèvements qu’implique toute suspicion de fièvre aphteuse ainsi que, en cas de foyer, les visites des exploitations pouvant être contaminées. Il sera alloué aux propriétaires d’animaux abattus ou de produits détruits sur ordre de l’administration une indemnité égale à leur valeur estimée. »