Prévention du risque infectieux en élevage bovin
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EN QUESTIONS-RÉPONSES
Auteur(s) : Pascale Aubry
Fonctions : Faculté de médecine vétérinaire
Université de Montréal
CP 5000
Saint-Hyacinthe, Québec
J2S7C6 Canada
Associée à une bonne gestion du colostrum, la pasteurisation de faibles volumes de ce dernier à 60 °C pendant 30 à 60 minutes réduit le risque infectieux chez les génisses de remplacement.
Le colostrum est essentiel pour protéger les jeunes veaux contre les maladies infectieuses durant leurs premiers mois de vie, alors que leur système immunitaire n’a pas encore atteint sa maturité. Toutefois, il peut aussi être une source de transmission d’agents pathogènes importants tels Mycobacterium avium subsp. paratuberculosis (MAP), Salmonella spp., Mycoplasma spp., Listeria monocytogenes, Campylobater spp., Mycobacterium bovis et Escherichia coli. Ces agents peuvent se retrouver dans le colostrum par excrétion directe dans la glande mammaire, ou par contamination durant la collecte ou le stockage.
• Une étude américaine a révélé que 82 % des échantillons de colostrum récoltés dans des fermes laitières présentent des comptages bactériens supérieurs à 100 000 cfu/ml [a]. Dans une étude québécoise, 94 % des échantillons étaient contaminés, dont 36 % au-dessus du seuil de 100 000 bactéries/ml [2]. Peu d’alternatives à l’utilisation du colostrum frais existent. Des produits commerciaux sont disponibles mais l’équivalence entre leur efficacité et celle du colostrum naturel n’a pas été prouvée, et ils sont coûteux. La réfrigération, la congélation ou encore l’utilisation de conservateurs comme le sorbate de potassium peuvent prévenir la prolifération bactérienne dans le colostrum qui n’est pas utilisé immédiatement après collecte. Toutefois, ces procédés ne peuvent pas éliminer les bactéries déjà présentes.
• Une autre option est de pasteuriser le colostrum (voir l’ENCADRE “Différents procédés de pasteurisation”). L’idée vient d’entreprises laitières américaines qui, depuis quelques années, pasteurisent le lait impropre à la consommation humaine (colostrum excédentaire, lait de vache à mammite ou contenant des résidus d’antibiotiques) pour le distribuer aux veaux.
• Plusieurs compagnies ont mis sur le marché vers la fin des années 1990 des pasteurisateurs pouvant traiter de faibles volumes de lait 20 l, moins coûteux que les modèles industriels (de l’ordre de 3 600 à 5 900 €), donc utilisables à la ferme (PHOTO). Toutefois, pasteuriser entraîne aussi des coûts de main-d’œuvre.
• Une seule étude économique est disponible sur l’impact financier de la pasteurisation du colostrum et du lait [5]. Elle montre que, pour les veaux nourris au lait et au colostrum pasteurisés, les frais de maladie sont diminués et la marge est accrue par rapport à ceux nourris au lait et au colostrum non pasteurisés. Néanmoins, selon cette étude, pour que cette opération soit économiquement rentable, 315 veaux par jour doivent être nourris au lait pasteurisé, ce qui correspond à une ferme laitière d’environ 1 260 vaches.
Cet essai ne prenait pas en compte le potentiel de réduction de la transmission d’une maladie infectieuse chronique comme la paratuberculose.
Aucune étude économique n’a été effectuée pour des élevages allaitants, mais la pasteurisation du colostrum serait a priori difficile à justifier financièrement, car le coût relativement élevé de l’équipement n’est pas compensé par la réduction des dépenses associées à l’achat de poudre de lait pour nourrir les veaux, comme c’est le cas en élevage laitier. En élevage allaitant, un pasteurisateur doit se rentabiliser uniquement par la diminution des troubles de santé chez les veaux et de la transmission de la paratuberculose.
Toutefois, si plusieurs éleveurs se regroupent pour l’achat d’un pasteurisateur (système Cuma en France), il peut s’agir d’une option intéressante, qui permet la constitution d’une banque de colostrum pasteurisé, puis congelé.
• Plusieurs études ont démontré, expérimentalement, puis à la ferme, que la pasteurisation du lait impropre à la consommation humaine permet d’éliminer la quasi-totalité des bactéries pathogènes. Ainsi, pour les mycoplasmes, Mycoplasma canadense résisterait mieux à la chaleur que M. bovis ou M. californicum (voir le TABLEAU “Efficacité de différentes températures et durées de pasteurisation sur des bactéries” [1].
• Ces études ont été effectuées à la ferme avec des pasteurisateurs commerciaux et des quantités de lait comparables à ce qui est réalisé en pratique. Néanmoins, tous les échantillons de lait ont été inoculés avec des quantités de bactéries bien supérieures à ce qui est attendu après une excrétion mammaire. Ainsi, une vache qui présente des signes cliniques de paratuberculose, ou asymptomatique mais forte excrétrice, excrète généralement 5 à 8 cfu de M. paratuberculosis par 50 ml de lait, alors que les études citées utilisent des concentrations finales de 102 à 107 cfu/ml de lait [11]. Toutefois, une contamination lors de la collecte ou encore une prolifération bactérienne lors du stockage peuvent augmenter considérablement le comptage bactérien par rapport au produit de la seule excrétion mammaire de bactéries.
Une étude récente d’un groupe de chercheurs du Minnesota décrit la durée de pasteurisation requise pour éliminer des agents pathogènes majeurs, et l’effet de ce procédé sur la concentration et l’activité des immunoglobulines (Ig) [3]. Le colostrum a été recueilli dans une ferme, puis inoculé avec différentes bactéries et pasteurisé (30 l, à 60 °C). La teneur en Ig du colostrum après pasteurisation n’a baissé que de 2,2 %.Le colostrum de bonne qualité (>75 mg/ml) subit une perte plus grande d’IgG que celui de moindre qualité, mais demeure très correct après pasteurisation, comme cela a été observé dans diverses études [6, 4, 7].
L’activité des anticorps semble peu affectée par la pasteurisation. Ainsi, les titres en séroneutralisation contre le virus de la diarrhée virale bovine (BVDV) de type I n’étaient pas significativement différents avant et après pasteurisation.
Non seulement les Ig risquent d’être détruites par la chaleur, mais la viscosité augmente avec la température : le colostrum se gélifie et devient inutilisable une fois refroidi. La perte d’Ig serait de 13 % en moyenne, après pasteurisation à 63°C pendant 30 minutes [7]. La gélification est complète sur quatre des douze échantillons de colostrum soumis à pasteurisation et partielle pour deux autres. Tous ceux qui se sont complètement gélifiés sont de grande qualité [7]. Dans cette étude, six des échantillons de colostrum ont été inoculés avec trois concentrations différentes de mycoplasmes (total de 18 échantillons), puis une culture avant et après pasteurisation a été effectuée. Il a été possible d’isoler M. paratuberculosis de tous les échantillons avant pasteurisation, et de seulement deux des 18 échantillons après pasteurisation.
Au-delà de 63 °C, les IgG se dénaturent, puis s’agrègent, à la suite de l’exposition d’acides aminés hydrophobes ou contenant des liens sulfures (étude en conditions expérimentales sur des aliquots de 50 ml de colostrum) [6]. Ce phénomène explique à la fois l’augmentation de la viscosité et la diminution des IgG dans le colostrum pasteurisé.
L’effet de la pasteurisation du colostrum à 63°C et à 76 °C sur l’absorption des IgG chez 20 veaux holstein a été étudié [11]. La température de 76°C semble excessive. En effet, la concentration sérique moyenne en IgG est de 13,55 mg/ml lorsque 3 l de colostrum non pasteurisé sont administrés, comparée à 4,19 mg/ml avec le même colostrum pasteurisé à cette température. Après pasteurisation à plus basse température, aucune différence significative dans les concentrations d’IgG n’apparaît. Toutefois, la taille des échantillons était limitée dans cette étude (dix veaux). Pour que la différence observée (4,96 mg/ml d’IgG avec du colostrum non pasteurisé versus 3,90 mg/ml d’IgG avec du colostrum pasteurisé) soit significative à plus basse température, un total de 20 veaux aurait été nécessaire. Une température de 76 °C est plus efficace que celle de 63 °C pour la destruction de M. paratuberculosis, mais elle est trop élevée, et entraîne une destruction des Ig et une gélification. Dans le prolongement de l’étude citée ci-dessus, le colostrum a dû être dilué avec de l’eau et placé dans un mélangeur avant de pouvoir être administré aux veaux [12].
Le groupe de chercheurs du Minnesota qui travaille sur la pasteurisation à la ferme du colostrum a étudié son effet (à 63°C pendant 30minutes) sur la concentration en IgG colostrales et sériques [4]. Durant les deux premières semaines, 95 l de colostrum ont été pasteurisés à la fois (soit environ une fois par semaine). Ce volume est apparu excessif, car le processus de pasteurisation prend alors deux heures et demie à trois heures, d’où une gélification du colostrum dans un cas et une perte d’IgG trop importante (de l’ordre de 55 %) dans les deux cas. Par la suite, des volumes de 57 l de colostrum ont été pasteurisés en moins d’une heure. Seul un lot de colostrum a présenté une consistance un peu épaissie après la pasteurisation.
Dans l’étude du Minnesota citée ci-dessus, les concentrations sériques d’IgG ont été plus faibles chez les veaux ayant reçu du colostrum pasteurisé, mais aussi chez les veaux pour lesquels l’intervalle de temps entre les deux repas de colostrum a été prolongé (plus de six heures) [4]. La quantité de colostrum offerte au veau lors du premier repas semble aussi influer sur la concentration sérique d’IgG obtenue, surtout pour les animaux recevant du colostrum pasteurisé. Ainsi, dans le groupe de veaux qui ont reçu seulement 2 l de colostrum à la naissance, la concentration sérique d’IgG diffère significativement entre ceux qui ont bu du colostrum frais ou pasteurisé (17,9 +/- 1,3 mg/ml versus 9,2 +/- 0,73 mg/ml, respectivement). Dans le groupe recevant 4 l de colostrum à la naissance, cette différence n’est pas significative (16,1 +/- 3,6 mg/ml avec du colostrum frais versus 12,9 +/- 1,1 mg/ml avec du colostrum pasteurisé). Les auteurs de l’étude proposent des recommandations aux éleveurs pour un programme de pasteurisation du colostrum à la ferme (voir l’ENCADRE Recommandations pour la pasteurisation du colostrum à la ferme).
D’après les conclusions des chercheurs du Minnesota, le colostrum bovin peut être chauffé à 60 °C jusqu’à 120 minutes sans altération de viscosité ni baisse de teneur en IgG. Il reste toutefois à transposer ces résultats en situation de terrain [4]. L’effet de la pasteurisation du colostrum sur les performances zootechniques et la santé des animaux doit être évalué, à court, à moyen et à long termes. Des études de terrain sont nécessaires afin de déterminer s’il est possible de transmettre la paratuberculose aux doses minimes qui pourraient se retrouver dans le colostrum pasteurisé.
(1) cfu = colony-forming unit ou ufc = unité formant colonie.
La pasteurisation traditionnelle (batch pasteurisation) s'effectue à 63°c pendant 30 minutes, dans un grand réservoir, généralement sans agiter.
La pasteurisation à haute température de courte durée (high temperature short time : HTST, ou flash pasteurization) s'effectue à 72°C pendant 15 secondes, ou à 89°C pendant 1 seconde, dans un système de tuyaux avec un flot continu du lait.
La pasteurisation à ultra-haute température (UHT) consiste à chauffer le lait entre 132 et 150°C pendant quelques secondes, puis à le refroidir à température ambiante, avant de l'emballer de façon aseptique dans des contenants stérilisés et scellés. Le lait ainsi traité peut être conservé à température ambiante pendant trois mois.
À 60 °C, la teneur en immunoglobulines du colostrum et sa viscosité ne sont presque pas affectées par la pasteurisation.
La pasteurisation du colostrum à 60 °C pendant 30 à 60 minutes permet de réduire significativement la quantité d’agents pathogènes présents.
L’utilisation d’un colostrum de grande qualité (60 mg/ml d’IgG) est impérative pour le succès d’un programme de pasteurisation.
N’utiliser que du colostrum de grande qualité (> 60 mg/ml d’IgG), tel que mesuré à l’aide d’un colostromètre.
Récolter et entreposer le colostrum dans des contenants propres et le réfrigérer (même après pasteurisation) s’il n’est pas utilisé immédiatement.
Pasteuriser des lots de colostrum dont le volume n’excède pas 57 l.
Surveiller régulièrement l’efficacité de la pasteurisation en effectuant des cultures bactériologiques après pasteurisation.
Donner 4 l de colostrum aux veaux le plus rapidement possible après la naissance et leur offrir un deuxième repas de 2 l dans les six heures qui suivent.
Surveiller les concentrations sériques d’IgG chez les veaux, ainsi que les taux de morbidité et de mortalité.
S’assurer d’une hygiène irréprochable des lieux de vêlage, du matériel utilisé pour l’administration du colostrum et de l’environnement des veaux.
- Maillard R. Composition et rôle du colostrum chez les bovins. Point Vet. 2006 (numéro spécial rurale) : 106-109.
- Maillard R. Le transfert de l'immunité colostrale chez le veau. Point Vet. 2006 (numéro spécial rurale) : 110-114.
a - Poulsen KP, Hartmann FA, McGuirk SM. Bacteria in colostrum : Impact on calf health. Proceedings of the 20th Annual Medical Forum. 2002 : 773.