Traitement des invections osseuses
Mise à jour
CONDUITE À TENIR
Auteur(s) : André Desrochers*, Camille Van Lul**
Fonctions :
*Faculté de médecine vétérinaire
Université de Montréal
J2S 7C6 St-Hyacinthe, QC, CA
**Faculté de médecine vétérinaire
Université de Montréal
J2S 7C6 St-Hyacinthe, QC, CA
Les implants de polyméthylméthacrylate ou de plâtre imprégnés d’antibiotiques, associés aux autres thérapeutiques disponibles, améliorent le traitement des infections osseuses.
Les implants imprégnés d’antibiotiques sont utilisés pour prévenir ou traiter l’ostéomyélite chez les bovins. Ils libèrent les antibiotiques localement et graduellement. Les concentrations locales observées sont plus grandes, donc le contrôle de l’infection osseuse est plus efficace que par voie systémique seule. Avec une quarantaine d’années de recul sur leur usage, tant en médecine humaine qu’en médecine vétérinaire, cet article synthétise les principes reconnus de la fabrication et de l’usage des implants dans le traitement des infections arthrosquelettiques, en privilégiant les méthodes les plus couramment utilisées au Centre hospitalier universitaire vétérinaire de l’Université de Montréal. Un exemple d’application chez les bovins est décrit, illustrant l’importance d’une approche thérapeutique combinée.
Les implants agissent par élution, c'est-à-dire par séparation de deux substances adsorbées. L’adsorption est la pénétration et la rétention superficielle d'un gaz ou d’un liquide (l’antibiotique) sur un support liquide ou solide (l’acrylique ou le plâtre).
Les supports d’implants les plus utilisés sont le plâtre de Paris et lepolyméthylméthacrylate (PMMA). D’autres molécules font l’objet de recherche, mais elles ne peuvent pas être utilisées car elles sont trop coûteuses ou non disponibles dans le commerce.
L’élution est bimodale. Le relargage est rapide dans les premiers jours après implantation : jusqu’à 5 % de la quantité totale d’antibiotique sont libérés dans les 24 premières heures [8]. Le phénomène est plus lent par la suite, mais il reste détectable pendant plusieurs semaines à plusieurs mois pour le PMMA (). Le plâtre de paris a globalement un relargage plus rapide au début et une seconde phase moins longue ().
LePMMA est un thermoplastique acrylique biostable (connu sous le nom déposé de Plexiglas®). Pour une implantation intra-articulaire, il doit être de qualité médicale.
Dans les articulations à grande amplitude biomécanique (grasset, carpe, tarse, boulet), un retrait du site d’implantation doit être prévu dans les dix jours car des érosions locales peuvent survenir, dues aux chocs répétés [3]. Le retrait de l’implant peut être difficile et douloureux en raison de la réaction cicatricielle entourant les implants après quatre à six semaines. Dans certaines régions anatomiques, les implants peuvent toutefois être laissés en place sans risque (périphérie des os longs, plaque épiphysaire, arthrodèses). Aucune séquelle n’a été observée lors du non-retrait des implants chez des animaux atteints d’ostéomyélite [8].
L’élution dépend du type de PMMA, de sa porosité et de la surface de contact. Le PMMA de grade médical doit être favorisé car sa réaction exothermique est moindre. Aucune étude sur le PMMA utilisé lors de pose de talonnette en bois chez la vache n'a été réalisée. En conséquence, si n’importe quelle forme peut être donnée à l’implant, il est préférable de privilégier les petits volumes, en forme de billes ou de cylindres (, , , , ).
Le plâtre de Paris est biodégradable en quelques semaines. Il ne se comporte donc pas comme un corps étranger à terme. Il permet de combler d’éventuels espaces morts. Bon ostéoconducteur, il peut servir de trame pour la cicatrisation osseuse. Il est peu coûteux et il est facile de s’en procurer (en quincaillerie) [7]. Les implants doivent toutefois être préparés à l’avance en raison du temps élevé de durcissement (environ 30 minutes). Après stérilisation à l’oxyde d’éthylène, ils peuvent être conservés pendant plusieurs mois sans perte de leurs propriétés. Le PMMA est un support de choix dans les cas d’ostéomyélite chronique, alors que le plâtre de Paris est à privilégier en prévention, ou lors de risque infectieux aigu (fracture ouverte).
•Les contraintes pour le choix des antibiotiques incorporés aux implants sont nombreuses. Les caractéristiques suivantes peuvent être retenues :
- un spectre d’action large, car en présence d’une fracture ouverte la contamination bactérienne est mixte. Isoler le germe avant de mettre en place l’implant est judicieux ;
- une activité bactéricide ;
- une faible toxicité pour les tissus environnants ;
- une concentration minimale inhibitrice (CMI) locale suffisamment élevée ;
- une solubilité dans l’eau.
Les antibiotiques utilisés doivent aussi résister à la chaleur jusqu’à 100 °C, car c’est la température de transition vitreuse (c'est-à-dire de passage à l’état rigide) du PMMA [4, 8]. Les propriétés d’élution de combinaisons d’antibiotiques peuvent être différentes de celles de chaque antibiotique pris indépendamment.
Les aminoglycosides, les céphalosporines et les pénicilles répondent globalement à ces critères [2, 8]. Aucune réaction allergique n’a été observée avec les antibiotiques de cette famille. Une antibiorésistance est théoriquement possible, mais elle n’a pas été observée jusqu’à présent [2]. Quelques antibiotiques de cette famille ont une faible capacité d’élution ().
•Une concentration élevée d’antibiotique par rapport à la poudre dans les implants augmente la concentration relarguée dans les tissus et la durée de la seconde phase, mais un ratio trop élevé peut perturber le durcissement des implants et se révéler toxique pour les cellules osseuses [2, 3, 4]. Au-delà d'un rapport de poids de 1 pour 10, la porosité de l’ensemble peut être trop élevée. Toutefois, ce phénomène n’est pas à prendre en considération pour des petites billes ou des cylindres de faible diamètre disposés en périphérie d’une lésion d’ostéomyélite (1 g pour 5 g convient).
Si l’antibiotique n’est pas disponible sous forme de poudre, la quantité d’eau requise pour la fabrication de la bille de plâtre doit être diminuée, afin d’éviter que la pâte ne soit trop liquide. Avec le PMMA, la quantité de réactif ne doit pas être modifiée, mais la prise peut être plus longue. Les différentes études ont été effectuées avec des solutions et non des suspensions.
Chez les bovins, les temps d’attente pour le lait ou la viande doivent être soigneusement réfléchis, surtout pour des implants d’antibiotique sur support PMMA laissés à demeure. Aucune spécialité antibiotique destinée aux animaux de production n’est commercialement indiquée pour un usage dans un implant intra-articulaire, ce qui doit inciter le prescripteur à la prudence.
Toutefois, un argument plaide en faveur du recours à cette voie d’administration : le traitement des infections osseuses est difficile (ENCADRÉ). La concentration locale obtenue après mise en place de l’implant est nettement supérieure à celle mesurée après administration de l’antibiotique par voie systémique, ce qui permet de diminuer la quantité d’antibiotiques systémiques et d’en éviter la toxicité [4].
Avant de livrer à nouveau le lait d'une vache implantée, un test de détection d’antibiotique dans le lait est si possible réalisé (recherche d’inhibiteurs). Pour la viande, il est plus difficile d’évaluer objectivement le temps d’attente. Les implants peuvent libérer des taux significatifs d’antibiotiques pendant 30 à 40 jours. En pratique, à ce délai s'ajoute le temps de retrait de l’antibiotique considéré dans sa voie d’utilisation commerciale. Au Canada, par exemple, les aminoglycosides ne sont pas utilisés dans les implants intra-articulaires car leur temps d’attente est long (un an).
•La préparation du PMMA est facile et peut s'effectuer pendant l’intervention, en mélangeant la poudre de polymère au monomère liquide. L’antibiotique doit être ajouté sous forme cristalline à la poudre de polymère. Il reste alors en suspension dans le cément lorsque la préparation durcit. Les antibiotiques sous forme liquide se mélangent moins bien, sauf la gentamycine à la concentration de 100 mg/ml et l’amykacine(1) à 250mg/ml [2].
•À ces concentrations, ces antibiotiques gardent les mêmes propriétés d’élution que leur équivalent en poudre [2].
•Les études in vitro et cliniques ont été réalisées en utilisant des solutions incorporées à des ratios de 1/20 (5 ml de gentamycine à 100 mg/ml dans 20 g de plâtre de Paris additionné de 3 ml de PBS phosphate-buffered saline, sel de phosphate) ou 1/10 (4 ml d’amykacine 250 mg/ml dans 10 g de PMMA) () [5, 7].
•Les composants sont mélangés avec des gants stériles dans une écuelle en plastique jusqu’à obtention d’une pâte [2, 4]. De l’eau stérile est utilisée pour diluer le plâtre de Paris.
•La pâte peut être moulée à la main en cylindre ou en billes de petits diamètres. Des chapelets de billes peuvent être préparés à l’aide d’un moule spécial et d’un fil chirurgical. La manipulation doit être rapide car le temps de durcissement est de cinq à dix minutes pour le PMMA et de 30 minutes pour le plâtre de Paris.
Sila préparation n’est pas effectuée en phase peropératoire, les billes peuvent être conservées stérilisées dans l’oxyde d’éthylène (gaz libéré de comprimés), après séchage minimal pendant 24heures à température ambiante.
Le passage à l’autoclave semble faire perdre une partie de leurs propriétés antimicrobiennes aux antibiotiques.
Une génisse holstein âgée de 12 mois est admise en urgence au Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV) pour une boiterie sévère évoluant depuis deux semaines. Le propriétaire l’a trouvée, environ 18 jours auparavant, le boulet avant gauche coincé dans une chaîne (sans saignement apparent). Avant son admission, elle a reçu un traitement à base d’antibiotique (pénicilline G, 20000 UI/kg par voie intramusculaire deux fois par jour pendant sept jours) et d’anti-inflammatoire non stéroïdien (flunixine méglumine 1,1 mg/kg par voie intraveineuse en une administration). L’animal reste la plupart du temps couché sans porter appui sur son membre, mais son appétit est normal.
Lors de son admission au CHUV, la partie distale du membre thoracique gauche est enflée et une absence d’appui sur ce membre est notée (). La taille du ganglion préscapulaire gauche est augmentée à la palpation. La température corporelle est normale. Une fracture du métacarpe distal, une arthrite septique du boulet, une ténosynovite des fléchisseurs des doigts et une épiphysite septique sont envisagées.
La radiographie permet de mettre en évidence des lésions osseuses compatibles avec un processus septique de la plaque épiphysaire distale du métacarpe ( et ).
•L’animal est maintenu à jeun pendant 24 heures et 12 heures sans eau. Puis il est anesthésié avec un mélange de glycéryl guaiacolate 5 % (400 ml), de xylazine (20 mg, soit 0,05 mg/kg) et de kétamine (800 mg, soit 2,2 mg/kg), administré par voie intraveineuse. L’animal est couché en décubitus latéral droit, le membre est rasé.
Une plaie est observée en portion médiale du métacarpe distal au niveau de la plaque épiphysaire. Après une préparation chirurgicale de la partie distale du membre, un cathéter intraveineux est inséré dans une veine dorsale du métacarpe gauche. Une anesthésie intraveineuse sous garrot est pratiquée à l’aide de lidocaïne à 2 % sans épinéphrine (15 ml au total), le garrot étant placé distalement au carpe gauche.
•Une incision longitudinale de 4 cm est réalisée en portion médiale de la plaque épiphysaire distale. Elle permet d’accéder à la zone épiphysaire infectée. À l’aide d’une curette, la région de la plaque épiphysaire est débridée et irriguée avec 2 l de solution physiologique stérile.
Des implants de PMMA imprégnés de céfazoline, préparés à l’avance, stérilisés, sont insérés dans l’épiphyse et autour de la région ( et ). L’incision cutanée est fermée avec des points en “X” discontinus (polydioxanone USP 0).
Le cathéter intraveineux est laissé en place dans le métacarpe gauche afin d’administrer une antibiothérapie locorégionale pendant quelques jours (d’où l’importance de refermer la peau de façon étanche). Le membre est immobilisé à l’aide d’un pansement de type Robert Jones et d’une attelle en portion caudale qui débute distalement au coude et inclut les onglons afin de garder un accès au cathéter du métacarpe.
•Deux grammes d’ampicilline sodique sont administrés une fois par jour par voie intraveineuse locorégionale pendant sept jours. Une antibiothérapie est poursuivie par un cathéter dans la veine jugulaire pendant trois semaines (4 g d'ampicilline sodique, deux fois par jour).
Après dix jours, la plaie cutanée est en voie de guérison et le membre n'est plus enflé. Pendant trois semaines, le membre thoracique gauche est immobilisé avec une résine débutant distalement au coude et incluant les onglons.
Environ 20 jours après son admission, l’animal s’appuie davantage sur son membre. Après avoir retiré la résine, des radiographies montrent que le métacarpe distal gauche évolue vers la guérison osseuse ( et ).
L’animal est rendu à l’éleveur avec une nouvelle résine à laisser en place quatre semaines supplémentaires. Six mois plus tard, la génisse a repris des appuis normaux sur son membre et elle est gestante.
Le curetage et le rinçage paraissent essentiels car ils permettent d’enlever les tissus nécrotiques et les séquestres osseux, ce qui aide à une meilleure distribution des antibiotiques locaux et systémiques.
Les échantillons prélevés en cours d’intervention se sont révélés négatifs, par la suite, à l’examen bactériologique (mais cela ne permet pas de conclure à l’absence de caractère septique de cette lésion).
L’ostéomyélite est difficile à traiter seulement par administration d’antibiotique systémique. L’utilisation locorégionale d’antibiotique sous forme d’implant et injecté par voie intraveineuse sous garrot a été retenue pour optimiser les chances de contrôler l’infection. Le recours à ces voies d’administration est extrapolé à partir d’autres espèces. La voie locorégionale intraveineuse est utilisée conjointement à la pose d’implant si un site de pose de cathéter pour injection intraveineuse sous garrot facilement accessible est disponible (impossible sous certains plâtres).
Les implants imprégnés d’antibiotique sont utiles lors d’ostéomyélite chez le bovin, mais ils ne peuvent suffire. Il doivent être combinés à une antibiothérapie systémique, à un débridement chirurgical de la lésion, voire à une antibiothérapie locorégionale intraveineuse si possible, face à des infections osseuses toujours difficiles à traiter.