Le syndrome de Claude-Bernard-Horner - Le Point Vétérinaire n° 283 du 01/03/2008
Le Point Vétérinaire n° 283 du 01/03/2008

Ophtalmologie du chien et du chat

Mise à jour

Le point sur…

Auteur(s) : Anthony Bartolo

Fonctions : Clinique vétérinaire
Rue du Ruchon
63430 Pont-du-Château

Les répercussions du syndrome de Claude-Bernard-Horner sont uniquement oculaires, et le plus souvent unilatérales. La lésion responsable peut se situer loin de l’œil.

Le système nerveux autonome de l’œil et des annexes oculaires est composé du système nerveux parasympathique et du système nerveux sympathique ou orthosympathique, qui ont des effets réciproques. Un dysfonctionnement de l’un entraîne une exacerbation des effets de l’autre. Deux savants sont à l’origine du nom de ce syndrome : Claude-Bernard qui, en 1852, a observé les effets d’une sympathectomie cervicale chez le lapin, et Johann Friedrich Horner, ophtalmologiste suisse, qui a décrit le premier cas chez l’homme en 1869.

Le syndrome de Claude-Bernard-Horner (SCBH) résulte exclusivement d’une atteinte des fibres du système nerveux orthosympathique qui empêche la propagation de l’influx nerveux. Il se traduit par des troubles ipsilatéraux à la lésion du globe oculaire et des structures annexielles.

Ce syndrome est à la frontière de plusieurs domaines de la médecine : l’ophtalmologie, la neurologie et la médecine interne.

Système nerveux sympathique oculaire

Le système nerveux sympathique oculaire est un système moteur complexe composé de trois neurones, et dont le trajet anatomique est relativement long.

1. Anatomie

Les motoneurones centraux prennent naissance dans l’hypothalamus, le tectum et le tegmentum ().

Les axones du premier groupe de neurones cheminent dans la substance blanche dorso-latérale de la moelle épinière cervicale, au sein du faisceau tecto-tegmento-spinal.

Ces premiers neurones entrent en contact avec les corps cellulaires du deuxième groupe de neurones (appelés neurones préganglionnaires), situés dans la colonne intermédio-latérale de la substance grise des trois premiers segments médullaires thoraciques (c’est-à-dire le centre cilio-spinal de Budge). Les fibres nerveuses sortent de la moelle en empruntant les racines ventrales motrices des nerfs rachidiens puis les rameaux communicants blancs correspondants avant de pénétrer dans les ganglions stellaire et cervical moyen.

Ensuite, elles cheminent dans le tronc vagosympathique en longeant l’artère carotide commune avant d’atteindre le ganglion cervical cranial (contre l’artère carotide interne), où elles réalisent une synapse avec les axones du troisième groupe de neurones (appelés neurones postganglionnaires). Les fibres postganglionnaires destinées à l’œil accompagnent l’artère carotide interne et forment le plexus carotidien interne.

Certaines fibres traversent la bulle tympanique, située cranialement et dorso-latéralement au ganglion cervical cranial, d’autres la contournent médialement.

Puis elles pénètrent dans la boîte crânienne, où elles passent à proximité du ganglion trijumeau, et entrent dans l’orbite par le foramen orbitaire en se joignant au nerf nasociliaire (branche ophtalmique du nerf V). Leur trajet passe à travers le sinus caverneux.

Une partie des fibres rejoint le ganglion ciliaire et les nerfs ciliaires courts pour se terminer dans la paroi des vaisseaux de l’uvée et, accessoirement, dans le muscle dilatateur de l’iris. Une autre partie rejoint les nerfs ciliaires longs pour parvenir au muscle dilatateur de l’iris.

Les muscles lisses péri-orbitaires, tarsaux inférieur et supérieur (muscle releveur lisse de la paupière supérieure ou de Müller), ainsi que les muscles lisses de la membrane nictitante chez le chat (absents chez le chien) reçoivent également une innervation sympathique [6, 7, 12].

2. Physiologie de la transmission nerveuse

Neuromédiateurs

Les terminaisons nerveuses des neurones sympathiques et parasympathiques sécrètent au niveau du bouton synaptique deux types de neuromédiateurs qui sont libérés dans l’espace synaptique pour relayer l’information nerveuse : l’acétylcholine pour les fibres cholinergiques et la noradrénaline pour les fibres adrénergiques. Les neurones préganglionnaires des deux systèmes sont tous cholinergiques. Les neurones postganglionnaires du système parasympathique sont également cholinergiques, alors qu’ils sont adrénergiques dans le système orthosympathique.

Récepteurs

L’acétylcholine active deux types de récepteurs : nicotiniques et muscariniques.

La noradrénaline active aussi deux types de récepteurs : α- et β-adrénergiques.

La noradrénaline stimule principalement les récepteurs α alors que l’adrénaline stimule de manière identique les deux types de récepteurs adrénergiques.

Étiologie

L’observation de ce syndrome doit inciter à en rechercher la cause, parfois très éloignée de l’œil, puisque toute lésion sur le trajet du faisceau sympathique oculaire peut entraîner un SCBH, de l’hypothalamus jusqu’au globe oculaire () [4, 5, 7]. Les causes les plus fréquentes sont les traumatismes crâniens, les avulsions du plexus brachial, les tumeurs médiastinales, les atteintes de l’oreille moyenne (chez le chat surtout) et les affections rétrobulbaires [11, 13, 14, 15].

1. Atteinte du neurone central

Le motoneurone central peut être atteint à hauteur de l’hypothalamus, du tronc cérébral, ou de la moelle épinière cervico-thoracique jusqu’à T3, par tout processus compressif, inflammatoire (infectieux ou non), vasculaire ou néoplasique de voisinage ou propre à ces structures. Un SCBH peut être observé à la suite d’une tumeur hypothalamique, d’une inflammation du tronc cérébral (méningo-encéphalite granulomateuse par exemple), d’une hernie discale ou d’une embolie fibrocartilagineuse cervicale.

L’atteinte du premier neurone est moins fréquemment à l’origine d’un SCBH que celle des deux autres neurones du système nerveux sympathique () [2, 11, 13, 14, 15].

2. Atteinte du neurone préganglionnaire

Dans ce cas, la lésion est localisée des racines nerveuses ventrales de T1, T2, T3 jusqu’au ganglion cervical cranial en passant par le tronc sympathique thoracique cranial puis par le tronc sympathique cervical. Les atteintes du plexus brachial, et tout particulièrement les traumatismes (avulsion, instabilité vertébrale), et les interventions dans la région cervicale (ponction jugulaire ou carotidienne, chirurgie vertébrale d’abord ventral) sont souvent à l’origine d’un SCBH () [11, 13, 14].

Les affections médiastinales craniales, particulièrement les tumeurs ganglionnaires comme les lymphosarcomes sont aussi souvent en cause.

Les cardiomégalies sévères (cardiomégalies tumorales, épanchement péricardique, cardiomyopathie), les mégaœsophages, les épanchements thoraciques de toute nature, les tumeurs à localisation cervicale (thyroïde, nœuds lymphatiques, glandes salivaires, etc.) et les traumatismes cervicaux (morsures, plaies, coup vif sur la laisse, etc.) peuvent également être incriminés.

3. Atteinte du neurone postganglionnaire

L’atteinte du neurone postganglionnaire prédomine cliniquement par rapport à l’atteinte des premier et deuxième neurones [13, 14].

Les atteintes de l’oreille moyenne représentent une cause importante de SCBH chez le chien et la principale chez le chat [13]. Parmi ces affections, les otites moyennes (infectieuses ou non), les traumatismes, les tumeurs (bénignes ou malignes) et les interventions chirurgicales sur les bulles tympaniques sont les plus fréquentes ( et ).

Une atteinte trigéminée avec un envahissement tumoral ou une névrite du ganglion trijumeau sont des causes possibles de SCBH, tout comme une atteinte du sinus caverneux [11, 15]. Ces deux entités sont peu rencontrées.

Une affection de la portion orbitaire du troisième neurone est également courante : les tumeurs (osseuses, musculaires, de la glande salivaire, du nerf optique), les infections et les traumatismes rétrobulbaires doivent être inclus dans le diagnostic différentiel du SCBH [7].

4. Cas idiopathiques

Les cas idiopathiques sont ceux pour lesquels aucune cause n’a pu être définie à la suite d’examens complémentaires [5]. Une atteinte majoritairement du troisième neurone sans autre signe clinique associé est souvent observée [8, 13, 14]. Deux études, respectivement chez le golden retriever et le colley, sont cependant plus en faveur d’une atteinte préganglionnaire [2, 12]. Ces cas représentent environ 50 % des observations de SCBH chez le chien (). Chez le chat, le pourcentage est inférieur car la cause est plus souvent identifiée () [5, 13, 14].

Présentation clinique

1. Épidémiologie

Le SCBH est généralement acquis et peut affecter des animaux de tout âge, bien que des études rapportent une augmentation de la fréquence chez le chien âgé. L’âge moyen d’apparition est de sept à neuf ans chez le chien [12, 13, 14]. Un cas de SCBH congénital est décrit chez un basset hound qui présentait des signes oculaires dès l’ouverture des yeux [3]. Pour les cas idiopathiques, de nombreuses études menées chez le chien notent que les mâles sont plus souvent touchés que les femelles [2, 12]. D’autres essais, qui incluent toutes les causes, ne mettent pas en évidence de prédisposition sexuelle [11, 13, 15].

Les chiens de races labrador et golden retriever sont plus fréquemment atteints, ceux de races colley et cocker spaniel sont également atteints, dans une moindre proportion [2, 11, 12, 13, 14, 15]. Les données de la littérature concernant le chat ne permettent pas de conclure à une prédisposition raciale.

2. Signes oculaires cardinaux

Le SCBH est un syndrome à expression uniquement oculaire, le plus souvent unilatéral, qui résulte d’une lésion nerveuse sur le trajet du système orthosympathique oculaire.

Les signes cliniques observés sont un myosis anisocorique, une ptose palpébrale supérieure, une énophtalmie et une procidence de la membrane nictitante, auxquels s’ajoute un dernier symptôme décrit de manière plus inconstante : une rougeur oculaire.

Tous ces signes ne sont pas obligatoirement présents de façon concommitante chez le même animal, ni avec la même intensité d’un animal à l’autre, mais ils sont systématiquement ipsilatéraux à la lésion nerveuse à leur origine.

Myosis

Le myosis est le signe le plus constant du syndrome avec la procidence de la membrane nictitante [7, 13]. Il correspond au rétrécissement du diamètre pupillaire à la suite de la diminution de l’efficacité du muscle dilatateur de l’iris. Le tonus du système parasympathique étant prépondérant par rapport au tonus du système sympathique, et le muscle sphincter de l’iris innervé par le parasympathique étant le seul actif lors de déficit du sympathique, le myosis est qualifié de serré et de paralytique. Les signes étant le plus souvent unilatéraux, ce myosis est également anisocorique. Il est plus marqué lorsque l’animal est observé en lumière atténuée : l’œil sain adapte la taille de la pupille en la dilatant, ce que l’œil atteint ne peut effectuer que de manière insuffisante, voire nulle. L’anisocorie est moins nette en lumière vive puisque les deux pupilles ont alors un diamètre similaire [4, 6, 7].

Procidence de la membrane nictitante

La procidence de la membrane nictitante correspond au déplacement de cette dernière vers l’angle supéro-temporal, recouvrant ainsi partiellement la cornée. Elle est active chez le chat à la suite de la dénervation des fibres musculaires lisses, responsables de la rétraction de cette membrane. Elle est uniquement passive chez le chien et résulte de l’énophtalmie. C’est le premier motif de consultation pour ce syndrome car la procidence est facilement observée par les propriétaires qui décrivent “une peau” recouvrant la cornée [13, 14, 15].

Énophtalmie

Le globe oculaire est enfoncé à l’intérieur de l’orbite en raison de la disparition du tonus du muscle musculus orbitalis, innervé par le système sympathique, et dont le muscle antagoniste est le muscle rétracteur du bulbe. Chez le chat, cette énophtalmie semble exacerbée en raison d’un rétrécissement de la fente palpébrale [6].

Ptose de la paupière supérieure

La ptose de la paupière supérieure et le rétrécissement de la fente palpébrale résultent de la baisse de tonus des muscles lisses palpébraux. Une légère élévation de la paupière inférieure est parfois notée, ce qui accentue la diminution de la taille de la fente palpébrale [6].

Rougeur oculaire

Le déficit sympathique lors du SCBH engendre une vasodilatation qui se traduit cliniquement par un œil rouge. Une dilatation des vaisseaux iriens, conjonctivaux et épiscléraux est parfois observée. Des cas de rougeur cutanée dans la région nasale sont aussi rapportés chez le chien et le chat [11, 13, 14].

3. Signes potentiellement associés

Les signes associés sont variables et dépendent de l’affection causale. Ils doivent être systématiquement recherchés lors de l’examen, car ils orientent les investigations dans la recherche étiologique.

Leur caractère uni ou bilatéral dépend du site lésionnel et de son étendue. Lorsqu’ils sont latéralisés, le côté atteint correspond toujours à celui de l’œil qui souffre de SCBH.

Ces signes sont très variés, et vont de l’altération de l’état de conscience avec un déficit des nerfs crâniens et des troubles nerveux centraux à l’ophtalmoplégie en passant par la détresse respiratoire ou la monoparésie/plégie d’un membre antérieur (). Les atteintes de l’oreille moyenne s’accompagnent fréquemment d’une atteinte de l’oreille interne. Les nerfs facial et vestibulo-cochléaire passent à proximité de celle-ci, ce qui explique les cas de paralysie/parésie faciale et de syndromes vestibulaires périphériques associés aux lésions de l’oreille moyenne (). Dans ce dernier cas, les signes concomitants sont un nystagmus horizontal et/ou rotatoire non modifié par un changement de position de la tête, des pertes d’équilibre, des vomissements et une tête penchée. En cas de paralysie faciale, une ptose de l’oreille et de la babine, une incapacité à fermer les paupières (par paralysie du muscle orbiculaire des paupières) et une baisse de sécrétion lacrymale par atteinte des fibres parasympathiques du nerf facial sont notées [4].

Lors de lésion ayant une répercussion oculaire, le diagnostic de SCBH peut être plus difficile à établir. C’est le cas des affections qui atteignent les nerfs optique ou oculomoteur, car une mydriase est observée plutôt qu’un myosis. De la même manière, une masse rétrobulbaire entraîne généralement une exophtalmie (accompagnée plus ou moins d’un strabisme), et non une rétraction du globe oculaire () [6].

Le syndrome de Claude-Bernard-Horner est complexe en raison des nombreuses causes possibles. Des signes cliniques significatifs facilitent sa reconnaissance. En revanche, le diagnostic étiologique est plus ardu, et doit faire l’objet d’une démarche précise et rigoureuse.

POINTS FORTS

• La mise en évidence d’un SCBH implique la recherche d’une atteinte du faisceau sympathique oculaire sur tout son trajet.

• Le syndrome de SCBH se caractérise par une atteinte exclusivement oculaire, le plus souvent unilatérale.

• Les signes oculaires : myosis anisocorique, ptose palpébrale supérieure, énophtalmie et procidence de la membrane nictitante ne sont pas toujours concomitants mais sont toujours ipsilatéraux à la lésion nerveuse causale.

• Chez le chien, le SCBH est idiopathique dans 50 % des cas.

Références

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