Parasitologie canine
Mise à jour
Avis d’experts
Auteur(s) : Gilles Bourdoiseau*, Philippe Dénerolle**, Luc Chabanne***
Fonctions :
*Service de parasitologie,
ENV de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
**Clinique vétérinaire
14, boulevard Stalingrad
83500 La Seyne-sur-Mer
***Service de médecine interne,
ENV de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
La leishmaniose est une protozoose infectieuse redoutable, tant pour l’homme que le chien. Son diagnostic, clinique et biologique, est délicat. Un traitement spécifique, mais non curatif, fait consensus.
La leishmaniose canine est une maladie d’incidence importante, de diagnostic difficile et dont le traitement n’est pas toujours satisfaisant. De plus, il s’agit d’une zoonose pour laquelle le chien constitue un réservoir de parasites, d’où l’importance d’un diagnostic de certitude et d’un traitement bien conduit.
Gilles Bourdoiseau : La leishmaniose est une maladie infectieuse due à la multiplication et à l’action pathogène d’un protozoaire, Leishmania infantum, présent dans les cellules macrophagiques de l’organisme, transmis par la piqûre de petits diptères : les phlébotomes. Après inoculation, le parasite est phagocyté par les macrophages au sein desquels il se multiplie, qu’ils lysent, pour être ensuite phagocyté par d’autres cellules. Une piqûre, chez un animal parasité entraîne l’infection du vecteur, lequel, en quelques semaines, devient infectant pour un autre chien (ou l’homme).
Le chien est réservoir (y compris après un traitement spécifique) et source indirecte de parasites pour l’homme, d’où l’importance d’un traitement spécifique bien conduit, au risque de favoriser l’émergence de souches résistantes dangereuses pour l’homme.
GB : La leishmaniose est une maladie du pourtour méditerranéen, zone de forte endémie, dans laquelle la transmission est intense (nombreux chiens parasités, forte densité vectorielle), d’où l’importance à accorder, dans la démarche diagnostique, à l’origine géographique de l’animal ou à un séjour (même bref) en zone d’endémie. Pour la France, les foyers sont provençal, cévennol, corse, avec une extension dans les vallées du Sud-Ouest et du Rhône.
Des cas spontanés en zone non endémique sont observés : cas ectopiques, exceptionnels, pour lesquels la contamination n’est pas toujours connue. Ils ne constituent pas, en raison de leur rareté, un véritable foyer. Plus importants sont les cas de chiens leishmaniens examinés en zone non endémique mais contaminés dans le sud du pays (ou dans un pays méditerranéen) et qui expriment la maladie (de façon plus ou moins caractéristique) dans leur “habitat principal”. La circulation de plus en plus importante de nos “compagnons” ne fait qu’augmenter le nombre de ces cas diagnostiqués par des confrères peu familiarisés avec la leishmaniose.
Philippe Dénerolle : Si, en fin d’évolution de la leishmaniose, le diagnostic est facile, en revanche, il est difficile au début car il s’agit d’une maladie générale. Il convient de rechercher des signes d’appel : atteinte même discrète de l’état général, squamosis à grandes squames, petits nodules sur le bord des paupières et le bord postérieur des pavillons auriculaires, ulcères centraux des coussinets et ulcères des points de pression, fissuration du bord libre des pavillons auriculaires avec saignement et croûtes, épistaxis isolée, adénomégalie même modérée, douleurs musculaires.
GB : Il est très difficile de dresser un tableau clinique évocateur de la leishmaniose. La distinction entre formes cutanée, cutanéomuqueuse et viscérale n’est possible que pour la leishmaniose chez l’homme. Ce caractère protéiforme s’explique par la capacité du parasite à se multiplier dans tous les tissus (sauf le sang) et organes. Les publications qui décrivent des manifestations atypiques sont de plus en plus nombreuses et les techniques de biologie moléculaire permettent désormais de regrouper sous le terme de leishmaniose des cas cliniques d’origine inconnue auparavant. Par exemple, dans une étude rétrospective portant sur 46 biopsies cutanées provenant de chiens atteints du syndrome de granulomes-pyogranulomes “stériles”, une étiologie leishmanienne est trouvée par polymerase chain reaction (PCR) dans 21 cas [4].
Luc Chabanne : La leishmaniose est une maladie systémique aux multiples facettes et qui peut parfois s’exprimer par des symptômes “non conventionnels” qui ne permettent pas de l’évoquer, tout au moins en première intention, surtout si le ou les signes cliniques sont isolés et que la zone d’habitat de l’animal n’est pas endémique. À titre d’exemple, à l’ENV de Lyon, un certain nombre de chiens référés pour une anémie centrale ou un syndrome polyarthrite/polyalgie, voire des nodules linguaux, se sont révélés être atteints de leishmaniose [3].
Ces animaux ont parfois séjourné en zone d’endémie, mais ce n’est pas toujours le cas. Lorsque l’examen de ces animaux est attentivement repris, a posteriori, d’autres signes plus habituels de leishmaniose passés inaperçus ou négligés sont mis en évidence : discret squamosis, adénomégalie modérée avec davantage une sensation d’induration des nœuds lymphatiques qu’une augmentation de taille, ulcération/ fissuration du bord libre des pavillons auriculaires ou des coussinets, longueur anormale des griffes, protéinurie, etc.
PD : Les résultats de certains examens complémentaires d’orientation, non spécifiques, constituent parfois des arguments en faveur de l’hypothèse leishmanienne :
- la numération et la formule sanguines peuvent révéler une anémie parfois arégénérative ;
- l’analyse d’urine peut mettre en évidence une protéinurie, surtout si elle est élevée ;
- l’analyse biochimique peut montrer une hyperprotidémie imputable à une hypergammaglobulinémie. L’électrophorèse des protéines est indispensable car une hypoalbuminémie compense parfois l’hypergammaglobulinémie, d’où une protidémie quasi normale. La confusion avec une gammapathie monoclonale est toutefois possible. Ces examens d’orientation doivent être complétés par la recherche des anticorps (Ac) spécifiques : tests rapides, immunofluorescence indirecte (méthode de référence en raison de ses excellentes sensibilité et spécificité), test Elisa. L’interprétation du résultat est délicate ; un titre en Ac supérieur à une valeur seuil du laboratoire n’est pas “synonyme” de maladie. La recherche du parasite constitue l’examen de choix pour obtenir un diagnostic de certitude. Sa mise en évidence directe peut se réaliser selon différentes méthodes :
- examen direct après coloration d’un adénogramme, d’un myélogramme ou d’un copeau cutané, d’une ponction de nodule ou par calque d’un ulcère ;
- mise en culture au laboratoire sur un milieu de type gélose au sang à partir des mêmes prélèvements. Cette méthode est longue et aléatoire ;
- examen histopathologique (biopsie cutanée par exemple) classique ou après immunomarquage ;
- biologie moléculaire (PCR), méthode très sensible et spécifique.
GB : En pratique, c’est la conjonction de facteurs épidémiologiques (origine du chien ou séjour en zone d’endémie), de signes cliniques évocateurs et d’examens complémentaires généraux puis spécifiques qui permet l’obtention d’un diagnostic de certitude. Le choix des examens complémentaires est guidé par leur sensibilité, la facilité de leur réalisation et leur coût.
Les pièges majeurs à éviter sont, par exemple, le diagnostic de leishmaniose :
- à partir d’un résultat sérologique faiblement positif. Celui-ci traduit seulement le contact entre l’animal et le parasite, qui se révèle par une réaction immunitaire ;
- à partir d’une PCR positive qui signe uniquement la présence du matériel génétique du parasite, mais non un parasite intact, vivant, capable de se multiplier.
À l’inverse, le diagnostic de la leishmaniose ne doit pas être négligé en zone non endémique et quand la récolte des commémoratifs est incomplète.
LC : Dans la démarche diagnostique, le choix des examens complémentaires doit être approprié aux symptômes observés. Ceux-ci, comme dans les cas évoqués précédemment, conduisent parfois au diagnostic de leishmaniose alors que celle-ci n’a pas été initialement évoquée.
Il en va ainsi de la mise en évidence directe des parasites :
- lors de l’examen du myélogramme réalisé en cas d’anémie non régénérative ;
- lors d’un adénogramme justifié dans l’exploration de toute polyadénomégalie, même modérée ;
- lors de l’examen du liquide synovial en cas de polyarthrite ou d’une cytoponction de nodules linguaux.
Un examen direct négatif n’exclut toutefois pas une leishmaniose et doit conduire à la mise en œuvre d’autres méthodes justifiées par les éléments cliniques ou par le contexte épidémiologique.
GB : Peu de traitements ont fait la preuve de leur efficacité et de leur innocuité. Avant toute décision, le clinicien doit prendre en considération deux éléments fondamentaux :
- le caractère zoonotique de la maladie et la position de réservoir pour le chien dans le cycle épidémiologique ;
- l’existence de lésions rénales systématiques à l’origine ou non d’une insuffisance clinique.
Chacun de ces éléments entraîne des conséquences pratiques :
- ne pas utiliser de molécules (pourtant efficaces), réservées à un usage hospitalier, afin d’éviter l’émergence de souches résistantes susceptibles d’infecter l’homme : c’est le cas de la paramomycine et de la miltéfosine [2] ;
- procéder aux investigations biologiques qui permettent d’explorer la fonction rénale. L’insuffisance de celle-ci peut conduire à surseoir au traitement spécifique et à instaurer un traitement symptomatique (réhydratation-perfusion, corticothérapie de courte durée, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine).
Ces deux critères respectés, le traitement de consensus actuel repose sur l’association de :
- glucantime® à la dose de 100 mg/kg/j par voie sous-cutanée, tous les jours pendant trois à quatre semaines ; tout autre protocole modifiant la dose, la voie, le rythme ou la fréquence peut diminuer l’efficacité et/ou augmenter la toxicité et/ou favoriser l’émergence de souches résistantes ;
- Zyloric® (allopurinol) à la dose de 15 mg/kg matin et soir, per os, en permanence en raison de ses propriétés leishmaniostatiques et qui peut être prescrit dès le premier jour [5].
L’animal traité n’est jamais “stérilisé” sur un plan parasitologique et est donc exposé aux rechutes : il convient d’avertir le propriétaire des signes évocateurs (abattement, anorexie modérée, épistaxis, etc.). L’animal doit être examiné cliniquement et contrôlé (examens biologiques et sérologiques) au moins deux fois par an.
PD : En l’absence de chimioprévention et de vaccin commercialisé, la seule prophylaxie repose sur l’éviction des piqûres de phlébotomes. Il convient de rentrer le chien dans la maison ou un abri en fin de journée, des mois d’avril à octobre dans nos régions, les phlébotomes étant des insectes actifs à la tombée du jour et strictement exophiles. L’utilisation d’insecticides rémanents dont certaines présentations ont officiellement l’indication : collier à la deltaméthrine (Scalibor®), spot-on de perméthine et d’imidaclopride (Advantix®), est la seconde mesure prophylactique à instaurer.
GB : Les insecticides actuels sont pratiques à utiliser, peu toxiques, efficaces contre de nombreux genres d’insectes, dont les phlébotomes. Toutefois, ils ne peuvent conférer une protection absolue pour tous les chiens, indépendamment de leur mode de vie, de la pression parasitaire, de bains ou de shampooings. Ils contribuent, lorsqu’ils sont utilisés massivement et durablement, à diminuer la prévalence des sources de parasites (les chiens parasités), et, par conséquent, les prévalences sérologique et clinique observées au sein de la population générale.
Les vaccins sont particulièrement difficiles à mettre en place en raison de la complexité biologique et antigénique du parasite. Les candidats vaccinaux prometteurs ne sont pas commercialisés.
GB : Le parasite est facilement transmissible, mais pas la maladie. En effet, les enquêtes épidémiologiques démontrent qu’en zone endémique, les sujets présentant une trace sérologique ou la preuve d’une réaction immunitaire à l’encontre du parasite (test intradermique à la leishmanine par exemple) sont nombreux. Les individus malades le sont beaucoup moins : dans nos pays développés, il s’agit le plus souvent de sujets souffrant d’une immunodépression (soit d’origine virale : HIV en Espagne par exemple, soit iatrogène : traitement postgreffe en France) ou de très jeunes pour lesquels le traitement est efficace. Le Centre national de référence des leishmanies (Pr J.-P. Dedet, faculté de Montpellier) recense environ 20 à 25 cas autochtones par an en France.
Ces sujets infectés ont contracté la maladie par piqûre de phlébotomes infectants, massivement présents et actifs en zone d’endémie. Les autres modes de contamination sont quantitativement accessoires : usage de seringues et d’aiguilles souillées chez les toxicomanes, greffe (77 % des cas de greffe de rein sont à l’origine d’une leishmaniose viscérale) en raison du traitement immunodépresseur et curable par l’amphotéricine B liposomale [1]. La présence d’un chien leishmanien dans un foyer où vit un sujet immunodéprimé peut constituer un danger significativement plus élevé que celui encouru en l’absence de chien source de parasites. En dehors de cette situation, l’euthanasie de l’animal ne peut être motivée que par le pronostic hautement péjoratif (anurie, urémie-créatininémie très élevées et ne diminuant pas après un traitement prolongé).
GB : Des cas de leishmaniose chez le chat sont décrits dans les zones de forte endémie (Sicile par exemple), cas difficiles à diagnostiquer car atypiques (dermatose nodulaire et croûteuse, plutôt faciale ou auriculaire, non associée systématiquement à une atteinte de l’état général). Le chat semble être réceptif (c’est-à-dire capable d’héberger la leishmanie), mais peu sensible (expression clinique modérée ou absente). Des études démontrent que la réponse sérologique spécifique est provisoire et peut se négativer.
La question est de savoir si le chat peut contribuer à l’entretien du cycle du parasite, c’est-à-dire s’il est un réservoir, susceptible d’héberger et d’entretenir le parasite dans le derme. Des études expérimentales en cours (service de parasitologie de l’ENV de Lyon) et en collaboration avec le Pr M. Franc (service de parasitologie de l’ENV de Toulouse) pourront peut-être répondre à cette question.