Alimentation et taux butyreux
Mise à jour
LE POINT SUR…
Auteur(s) : Jocelyn Dubuc*, Jean Baril**, Brian McBride***
Fonctions :
*Department of Population Medicine
Ontario Veterinary College
University of Guelph
Guelph, Ontario, N1G 2W1, Canada
**Elanco Santé Animale
150 Research Lane, Suite 120
Guelph, Ontario, N1G 4T2, Canada
***Department of Animal and Poultry Science
University of Guelph
Guelph, Ontario, N1G 2W1, Canada
La prévention du syndrome de dépression de la matière grasse du lait repose sur une réduction des facteurs d’altération de la fermentation ruminale et de l’apport en acides gras polyinsaturés.
Les producteurs laitiers modernes font face à un défi quotidien majeur en cherchant à maximiser la production laitière de leurs vaches. La composition du lait a aussi une importance économique pour la ferme.
La matière grasse (MG) est un des composants le plus variable du lait et il n’est pas rare d’observer une fluctuation de sa concentration au fil du temps dans un même troupeau [3].
Une baisse importante du taux de matière grasse peut survenir : le syndrome de dépression de la matière grasse du lait (DMGL) correspond aux situations où le taux butyreux du lait chute drastiquement, en général d’au moins 0,3 point, alors que la production laitière reste inchangée.
Ce phénomène a été considéré pendant longtemps comme étant provoqué par un simple manque de fibres dans la ration. Il est plutôt complexe et multifactoriel. Mieux le comprendre impose une bonne connaissance des mécanismes de synthèse de la MG du lait (encadré 1).
Ainsi, les vétérinaires et les nutritionnistes ne peuvent pas aborder de façon simpliste la DMGL sur le terrain (photo 1).
Par le passé, diverses hypothèses ont été proposées pour tenter d’expliquer l’effet de l’alimentation lors de situations de DMGL. En ce xxie siècle, une nouvelle proposition a été formulée.
Selon Bauman, la biohydrogénation de l’acide linoléique (C18: 2) à l’intérieur du rumen produirait, dans certaines conditions, des acides gras intermédiaires spécifiques qui sont de puissants inhibiteurs de la synthèse de matière grasse au niveau de la mamelle [2]. Deux conditions sont nécessaires à une DMGL :
- la présence d’acides gras polyinsaturés (AGPI) dans l’alimentation ;
- une fermentation ruminale altérée.
La DMGL étant le résultat de plusieurs interactions alimentaires ou zootechniques, une association avec des facteurs isolés et précis, tel le niveau d’amidon par exemple, peut être difficile à effectuer [17, 23].
L’objectif de cet article est de présenter globalement et d’un point de vue pratique la DMGL, une revue exhaustive ayant déjà été publiée [27].
Les AGPI proviennent de la digestion des lipides alimentaires.
Ainsi, lorsque des lipides se retrouvent dans le rumen, ils sont hydrolysés par les lipases bactériennes pour créer un glycérol et trois acides gras. Si ces derniers sont saturés, aucun changement ne se produit avant qu’ils ne se retrouvent dans le duodénum et ne soient absorbés. Les acides gras insaturés (mono- ou polyinsaturés) sont toxiques pour les micro-organismes du rumen. Ils sont rapidement hydrogénés pour être transformés en acides gras saturés.
Selon que la fermentation ruminale est normale ou altérée, le processus de biohydrogénation de l’acide linoléique aboutit à la formation de différents acides gras intermédiaires dans le rumen (figure) [17].
Lors du processus de biohydrogénation, de petites quantités d’acides gras intermédiaires qui ne sont pas totalement hydrogénés, c’est-à-dire qui ne se transforment pas en acide stéarique, sont produites dans le rumen. Ces acides gras sont ensuite absorbés et se retrouvent dans la circulation sanguine. La présence de certains d’entre eux dans la mamelle a un effet inhibiteur sur la lipogenèse. Les publications scientifiques font état de nombreux acides gras ayant un tel effet inhibiteur le trans-10 cis-12 CLA, le trans-9 cis-11 CLA, ou le cis-10 trans-12 CLA, “CLA” signifiant conjugated linoleic acid (acide linoléique conjugué ou “ALC”) [5, 9, 26, 28]. Bauman rapporte que seulement 2 g de trans-10 cis-12 CLA produits dans le rumen peuvent faire chuter la production de gras du lait de 20 % [4].
Les acides linoléique (C18: 2) et linolénique (C18 : 3) constituent l’essentiel des AGPI présents dans l’alimentation des vaches laitières. Les huiles végétales et grains contiennent surtout de l’acide linoléique, les fourrages surtout de l’acide linolénique. Le lin constitue toutefois une exception à cette règle puisque qu’il renferme notamment de l’acide linolénique.
Dans le contexte actuel de l’industrie laitière, il est pratiquement impossible de servir une ration ne contenant aucun AGPI : cela reviendrait à ne plus donner ni fourrages, ni grains, ni huiles végétales. La quantité d’AGPI servie par jour peut toutefois varier avec le type de ration. La consommation d’acide linoléique est généralement au minimum de 200 g/j lorsque l’ensilage de maïs et le maïs grain constituent la base de la ration (photo 2). Cette consommation peut doubler lorsque des huiles végétales, des drêches de distillerie ou des résidus de brasserie sont inclus dans la ration (photo 3).
La disponibilité des AGPI présents dans la ration peut aussi influencer la quantité d’acides gras intermédiaires produits dans le rumen [10]. Par exemple, les huiles végétales ajoutées à la ration sont extrêmement disponibles alors que celles retrouvées à l’intérieur des grains et des fourrages le sont moins. La variation des AGPI dans la ration au fil du temps peut aussi être un souci. Le recours à des sous-produits alimentaires tels que les drêches de distillerie ou les résidus de brasserie frais peut être à l’origine de fluctuations en quantité et en qualité des AGPI (au gré des livraisons aléatoires)[17].
Une fermentation ruminale altérée est le second facteur absolument nécessaire pour obtenir une DMGL. Celle-ci peut provenir de multiples facteurs [17].
Le pH ruminal a un impact majeur sur les populations microbiennes de la panse. Il résulte d’un équilibre entre la production d’acides à partir de la fermentation des glucides non fibreux, leur vitesse d’élimination par absorption ruminale et la présence de substances tampons [1].
Plusieurs facteurs peuvent l’influencer significativement :
- la quantité et la qualité des aliments ingérés par repas et par jour ;
- le nombre et la séquence de repas ingérés par jour ;
- la hiérarchie sociale du groupe, l’accès à l’aliment et le confort (nombre de stalles, dimension de la mangeoire) [15, 21].
Le pH ruminal varie énormément pendant une journée. Il diminue généralement une à trois heures après l’ingestion d’un repas, en raison de la fermentation des glucides non fibreux. Si le pH du rumen est inférieur ou égal à 5,5, la population microbienne peut évoluer : des microbes résistants à un tel environnement sont alors sélectionnés [14]. Lorsque le pH du rumen se retrouve sous ce seuil, survient l’acidose subaiguë du rumen (ASAR). Pendant longtemps, l’ASAR, qui est liée à un manque de fibres ou à un apport trop important en glucides non fibreux, a été présumée être indispensable à une DMGL, mais ce n’est pas le cas [10].
L’ASAR est souvent associée à une DMGL puisque toutes les rations contiennent de l’acide linoléique et que l’ASAR est une source importante d’altération de la fermentation ruminale. Toutefois, dans certaines situations de DMGL, l’altération de la fermentation ruminale est plus subtile et n’occasionne aucune baisse importante du pH ruminal.
La fermentation ruminale des grains varie selon leur type, leur traitement physique et leur humidité [12]. Par exemple, le blé et l’orge sont plus rapidement fermentescibles que le maïs. Plus les grains sont moulus finement et plus ils sont humides, plus leur vitesse de fermentation est grande [20, 24]. Ces caractéristiques influencent principalement la disponibilité microbienne de l’amidon des grains.
Une grande disponibilité soudaine d’amidon et de sucres peut engendrer une altération de la fermentation en influençant drastiquement le pH du rumen ou encore plus subtilement les populations bactériennes présentes qui biohydrogènent les AGPI dans le rumen.
Les fibres alimentaires ont un impact majeur : elles peuvent influencer subtilement les types de population microbienne à l’intérieur du rumen lors de carences mineures, mais aussi le pH ruminal lors de carences majeures. Elles peuvent être mesurés de multiples façons : la teneur en fibres au détergent neutre (abrégé NDF en anglais) s’avère la plus exacte [18]. La “concentration en fibres physiquement efficaces”ou NDFpe peut être calculée à partir de l’ingestion alimentaire, de la concentration en NDF et de l’appréciation de la taille des particules (encadré 2, photo 4) [18, 30]. Une valeur basse de NDFpe (< 23 % de la consommation volontaire de matière sèche) indique que la ration ne contient pas suffisamment de particules provoquant la rumination. Cela peut induire une altération de la fermentation et potentiellement une acidose subaiguë du rumen [18, 21]. Les besoins minimaux à combler en NDF sont présentés dans les tables du National Research Council (NRC). Pour ce calcul de NDFpe, la valeur de NDF dosée au laboratoire et la portion physiquement efficace (pef en anglais) d’une ration, mesurée en utilisant le séparateur de particules Penn State, sont utilisées.
Le risque de DMGL est élevé dans les cheptels car, d’une part, il est impossible de nourrir des vaches avec une ration ne contenant aucun AGPI et, d’autre part, un grand nombre de troupeaux laitiers risquent de souffrir d’altération de la fermentation ruminale. Devant la complexité des phénomènes impliqués, il est difficile de trouver rapidement quelles sont les causes de DMGL dans un troupeau. Il convient de réduire les facteurs d’altération de la fermentation ruminale et l’apport en AGPI. Un prochain article présentera un guide d’investigation plus précis.
• Outre l’eau (87,5 %), le lait est composé principalement de matière grasse (3,5 à 4 %), de protéines (3 à 3,5 %), de lactose (4,8 %) et de minéraux (1 %) [13].
• La matière grasse du lait est extrêmement complexe et contient environ 400 différents acides gras [29]. Elle contient 98 % de triglycérides, qui sont synthétisés à l’intérieur des cellules épithéliales de la glande mammaire par la fusion d’un glycérol et d’acides gras [25]. Les acides gras proviennent de la circulation sanguine ou de la synthèse de novo dans la glande mammaire. Ils sont classés en trois catégories selon la longueur de leurs chaînes de carbone : courtes (C4-C8), moyennes (C10-C14) et longues (> 16).
• La synthèse de novo produit des acides gras à chaînes courtes et moyennes, qui sont formés à partir de produits de la fermentation ruminale (acétate et butyrate).
• Les acides gras à longues chaînes (C16-C18) sont absorbés intégralement dans le duodénum à la suite de leur ingestion ou sont issus du processus de lipomobilisation systémique lors de cétose.
Les acides gras à 16 atomes de carbone proviennent des deux sources [3].
• La race, l’âge, la saison, le climat, l’état physiologique (stade de lactation), certains états pathologiques, dont l’acétonémie, et l’alimentation peuvent jouer un rôle sur la synthèse du gras du lait [3, 6, 7, 22, 25]. Le plus important est certainement l’alimentation.
NDFpe = matière sèche ingérée (kg/j) x NDF ( %) x pef ( %)
NDF : teneur en fibres au détergent neutre (mesurée en laboratoire) ; pef : portion physiquement efficace (mesurée avec le séparateur de particules de Penn State) ; NDFpe : quantité de fibres physiquement efficaces. D’après [18, 19].
• Le degré d’altération de la fermentation ruminale et l’apport en acides gras polyinsaturés conditionne l’apparition de dépression de la matière grasse du lait (DMGL) chez les vaches laitières.
• L’acidose subaiguë du rumen n’est pas un facteur nécessaire pour développer une DMGL.
• La teneur en fibres physiquement efficaces (NDFpe) s’avère la plus exacte façon de mesurer la teneur en fibres d’une ration et de prédire son effet sur la rumination.