Gestion de la qualité du lait en élevage laitier - Le Point Vétérinaire n° 301 du 01/12/2009
Le Point Vétérinaire n° 301 du 01/12/2009

Abord des infections mammaires bovines

Mise à jour

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Norbert Giraud*, Ellen Schmitt**

Fonctions :
*Place du centre
69610 Ste-Foy-L’Argentière
**1, rue Pasteur
53700 Villaines-La-Juhel

En élevage laitier, une démarche de surveillance permanente de la qualité du lait est mise en place, avec une analyse régulière des données d’élevage, en utilisant des seuils d’alerte.

Les premiers effets des changements du système de quotas et de la mondialisation du marché du lait commencent à se faire sentir sur le terrain en France. L’alignement du prix du lait sur celui du marché européen a engendré une baisse de rémunération des producteurs et la mondialisation pourrait ouvrir la porte aux producteurs étrangers. À cela s’ajoute la pression des attentes du consommateur, pour une moindre utilisation d’antibiotiques en élevage (avec une conscience accrue de l’antibiorésistance) et une plus grande place accordée au bien-être animal. Sans oublier la demande “technologique” de la part des industriels d’un lait sans inhibiteurs vis-à-vis des transformations que le produit est amené à subir.

Pour répondre à ces nouvelles exigences, l’éleveur doit être capable de produire du lait en quantité flexible, et d’une qualité stable et garantie.

Face à ces changements et nouveaux besoins, les éleveurs doivent s’adapter. Inquiets, ils sont en train de se repositionner et de reconsidérer leurs partenaires pour définir et atteindre leurs nouveaux objectifs. Pour la gestion de la qualité du lait, le vétérinaire praticien est bien placé. Il s’agit d’un défi permanent pour l’éleveur, demandant un effort et des investissements financiers. Les dépenses et les mesures de lutte sont à raisonner pour atteindre les objectifs fixés a priori (figure 1).

Étape 1 : surveillance des données

Quatre indicateurs (ou seuils) techniques sont sélectionnés parmi ceux abondamment disponibles dans les données publiées. Ils sont choisis pour leur simplicité de calculs et leur puissance significative (encadré 1). Ils n’ont pas besoin d’être explicatifs (c’est-à-dire d’exposer pourquoi la qualité n’est pas conforme aux objectifs). Ils servent uniquement d’“indicateurs d’absence de problème”. Ce n’est qu’ultérieurement, si les objectifs ne sont pas atteints, qu’une analyse des données en détail s’impose, permettant de diagnostiquer sur place pourquoi les objectifs ne sont pas atteints, éventuellement à la faveur d’un audit.

1. Pourcentage de vaches qui déclarent une première mammite en lactation

Le pourcentage de vaches qui déclarent une première mammite en lactation est un critère de suivi de la dynamique d’infection mammaire clinique. Les données publiées proposent pour ce critère 2 % par mois ou 20 à 25 % par an, c’est-à-dire 20 à 25 vaches sur 100 présentes en lactation [1].

2. Pourcentage de vaches atteintes d’une deuxième mammite dans le même quartier pendant la même lactation

Ce paramètre permet de vérifier l’efficacité des traitements (nature, dose et rythme d’administration, précocité, hygiène de l’injection, observance des prescriptions). Il inclut aussi la maîtrise des réinfections. En considérant que le taux de guérison d’une première mammite clinique correctement traitée peut atteindre 70 %, le pourcentage de vaches qui déclenchent une deuxième mammite se situe autour de 7 % (7 vaches sur 100 présentes).

La pertinence de ce paramètre n’est vérifiée que pour des taux d’infection bas (renvoyant aux critères “pourcentage de premières mammites en lactation” et “pourcentage de nouvelles infections subcliniques”). Si le risque d’une nouvelle infection est élevé, alors ce critère est uniquement utilisé comme objectif seuil de rechute après traitement.

3. Pourcentage de nouvelles infections subcliniques

Le pourcentage de nouvelles infections subcliniques correspond au pourcentage de vaches qui présentent moins de 200 000 cellules/ml de lait au dernier contrôle et plus de 200 000 cellules/ml au jour de l’analyse des données. Dans un élevage où les facteurs de risque sont maîtrisés, ce pourcentage doit être inférieur à 10 % entre chaque contrôle cellulaire [6].

4. Taux cellulaire de tank inférieur à 150 000 cellules/ml

Ce critère est dépendant des grilles de paiement du lait selon la région ou le pays. En France, où des pénalités s’appliquent à partir de 250 000 cellules/ml, il est important de viser le seuil de 150 000 pour avoir une marge de sécurité. À intervalles réguliers et au moins une fois par an, chaque poste de surveillance est examiné et validé avec l’éleveur (photo 1). Pour chaque anomalie, le praticien formalise une proposition d’intervention et de correction plus ou moins poussée selon la nature et l’ampleur de l’anomalie. La nature de l’intervention varie d’une simple adaptation des protocoles de traitement à la prescription d’un audit de mammite partiel ou global. C’est à ce stade que l’analyse du dérapage des résultats qualité du lait a besoin d’être validée (ou discutée) par l’éleveur. Le devis de l’intervention est également proposé.

Étape 2 : outils de travail

En raison des critères de suivi choisis, un élevage sans infection mammaire n’existe pas. L’objectif est de maîtriser ces infections pour optimiser les taux de guérison et minimiser les taux de récidive ou le nombre de nouvelles contaminations.

Pour gérer les infections mammaires (subcliniques et cliniques) dans les élevages, nous disposons :

– de traitements antibiotiques ;

– de méthodes de diagnostic pour adapter ces traitements.

Les protocoles de traitement doivent être présents dans l’élevage sous forme écrite. En permanence, ils sont ajustés selon les résultats des analyses.

1. Protocoles de traitement

Il convient de déterminer un protocole de traitement pour une mammite. Les facteurs liés à la bactérie en cause, à la vache et aux armes thérapeutiques doivent être pris en compte.

La simplicité s’impose. L’éleveur peut choisir l’approche pour chaque cas, “sans se poser trop de questions”. Ainsi, nous proposons d’utiliser une classification des mammites selon leur chronicité. Les approches diffèrent pour chaque classe de mammites (encadré 2).

Mammites de classe 1 : uniquement des signes locaux sur un seul quartier d’une vache préalablement “saine” (<200 000 cellules/ml)

Les vaches atteintes de mammites de classe 1 sont classiquement traitées par l’éleveur avec un médicament intramammaire prescrit de manière raisonnée sur la base des analyses bactériologiques et des antibiogrammes déjà disponibles. Le critère d’alerte “pourcentage de vaches à deuxième mammite/même lactation” préalablement cité permet de valider l’efficacité du traitement de ces vaches.

Mammites de classe 2 : deuxième mammite/même lactation, ou infections subcliniques récentes (datant de moins de 3 mois par exemple)

Les vaches atteintes de mammites de classe 2 sont des cas plus rares, avec des taux de guérison réduits par rapport à la catégorie ci-dessus. Pour cette raison, nous proposons d’effectuer des prélèvements de lait chez ces vaches, destinés à cibler précisément le traitement mis en place. Pour optimiser les taux de guérison, des traitements de relativement longue durée, par voies intramammaire et parentérale, sont mis en place [7].

Mammites de classe 3 : chroniques

La catégorie des mammites de classe 3 inclut par exemple :

– les troisièmes mammites/même lactation ;

– les indurations mammaires ou les lésions cutanées sur les trayons ;

– les comptages excédant 200 000 cellules/ml pendant une longue période (plus de 3 mois consécutifs) ou avant le tarissement sans amélioration après le vêlage. Les traitements sont peu efficaces dans cette catégorie. La réforme de la vache ou le tarissement du quartier est à préférer.

2. Analyses

Différents examens complémentaires peuvent aider les éleveurs dans la gestion de la qualité du lait au quotidien.

Identification de la bactérie et antibiogramme

Un examen bactériologique classique est un outil fiable et peu coûteux pour identifier la bactérie responsable d’une infection mammaire (clinique ou subclinique). L’identification peut être suivie d’un antibiogramme pour mieux cibler les traitements. Ces analyses peuvent être réalisées au laboratoire ou au cabinet [8]. Depuis peu, des méthodes PCR existent pour l’identification des germes responsables de mammites en routine. La pertinence des résultats sur le terrain reste à valider.

Recherche des résidus et inhibiteurs dans le lait

Chaque traitement antibiotique injecté dans une mamelle comporte un risque de pollution du lait livré par des résidus. Malgré toutes les préconisations des vétérinaires et les précautions des éleveurs, des accidents se produisent, par erreur, par routine ou parfois par négligence : des vaches taries non séparées, des vaches traitées non identifiées, des griffes non rincées, etc.

Les laiteries reconnaissent ces difficultés et acceptent de rembourser 50 % du prix du lait non livré quand l’éleveur détruit un tank et prévient la pollution d’un camion de collecte. En revanche, le producteur encourt de lourdes pénalités en cas de livraison par erreur ou de méconnaissance d’un lait pollué [7, 5]. Pour pouvoir prendre des décisions relativement vite (la durée du test est de 3 heures), la réalisation du test au cabinet est un service performant proposé à l’éleveur. Le test de référence aujourd’hui s’appelle Copan Test (Copan Diagnostics Inc, Brescia, Italy).

Comptage cellulaire

Le nombre de leucocytes présents dans le lait est un excellent paramètre pour mesurer la présence des infections mammaires dans les élevages. L’évaluation du nombre de leucocytes peut être effectuée par le California Mastitis Test (CMT, sur plateau avec réactif coloré) ou des automates. Pratique, le CMT n’est pas toujours facile à interpréter. Il existe deux types d’automates pour l’analyse sur place : le porta SCC de Fullwood et le DCC de Delaval.

Étape 3 : audit

Quand un éleveur n’arrive pas à atteindre ses objectifs sur la seule base des protocoles de traitement et des analyses, une investigation approfondie s’impose : l’audit. Ce dernier repose principalement sur l’identification, puis la pondération des facteurs de risque. Il doit concerner la machine à traire, le bâtiment, l’éleveur (sa technique et son savoir-faire) et les vaches (leur état général, leur propreté) et leurs mamelles (photo 2). Diverses méthodes ont été publiées [2, 4]. Un document type pour conduire ces audits par “points-clés” est proposé en figure 2. L’audit de traite sera détaillé dans un prochain article.

Ainsi, dans un élevage “sain”, les protocoles de traitement adaptés au microbisme de l’élevage doivent être capables de gérer la qualité du lait. Les résultats des analyses bactériologiques permettent au praticien d’être réactif et efficace pour préserver les animaux sains du troupeau et maintenir l’éleveur qui le désire dans des conditions optimales de rentabilité. Si des critères de surveillance indiquent que la qualité du lait est insuffisante malgré des protocoles de traitement bien adaptés, l’audit permet d’identifier les facteurs de risque dans l’élevage.

Appliquée à différents postes de santé en élevage, la méthode décrite permet d’identifier les points critiques pour l’équilibre de l’atelier lait et de proposer à l’éleveur des plans d’action ciblés selon ses priorités.

Références

  • 1 – Barkema HW, Schukken YH, Lam TJGM et coll. Incidence of clinical mastitis in dairy herds grouped in three categories by bulk milk somatic cell counts. J. Dairy Sci. 1998;81:411-419.
  • 2 – Barkema HW, De Vlieger S, Zadoks R. Herd level approach to high bulk milk somatic cell counts problems. J. Am. Vet. Med. Assoc. À paraître.
  • 3 – Bendali F, Roussel Ph. Le potentiel inhibiteur du lait et de ses résidus. Point. Vét. 2008;291:33-37.
  • 4 – Brand A, Noordhuizen JPTM, Schukken YH. Herd health and production management in dairy practice. Wageningen Pers, Wageningen, The Netherlands. 1996:543p.
  • 5 – Lemarchand F, Bareille N, Besognet B et coll. Contamination du lait de tank par des résidus d’antibiotique. Point Vét. 2009;295:47-54.
  • 6. Olde Riekerink RGM, Barkema HW, Stryhn H. The effect of season on somatic cell count and the incidence of clinical mastitis. J. Dairy Sci. 2007;90:3733-3741.
  • 7. Owens WE, Watts JL, Boddie RL, Nickerson SC. Antibiotic treatment of mastitis : comparison of intra-mammary and intramammary plus intramuscular therapies. J. Dairy Sci. 1988;71(11):3143-3147.
  • 8. Schmitt E, Schmitt A. Bactériologie sur le lait en clientèle. Point Vét. 2005;255:52-53.

Encadré 1 : Indicateurs choisis pour la surveillance

Vache individuelle

• Absence de mammite clinique.

• Concentration cellulaire (CC) individuelle : < 200 000 ml chez la vache, < 100 000 ml chez la génisse.

Troupeau

• < 20 à 25 nouveaux cas de mammites sur 100 vaches traites.

• < 7 % de rechutes mammites (taux de guérison première intention > 70 %).

• CC troupeau < 150 000 cellules/ml.

• < 10 % nouvelles infections (cellules).

Encadré 2 : Mammites : trois groupes, trois approches

Infection récente

Première mammite

Infection chronique

• Deuxième mammite

• Concentration cellulaire individuelle (CCI) élevée < 3 mois

Infection “très” chronique

• Troisième mammite

• Toujours CCI élevée après traitement

• Lésions chroniques dans le tissu mammaire

• CCI élevée avant et après tarissement