BILAN DES CAS DE RAGE IMPORTÉS EN FRANCE : COMMENT Y FAIRE FACE ? - Le Point Vétérinaire n° 410 du 01/10/2020
Le Point Vétérinaire n° 410 du 01/10/2020

LE RISQUE RABIQUE

Dossier

Auteur(s) : Guillaume Crozet*, Julie Rivière**, Barbara Dufour***, Emmanuelle Robardet****, Florence Cliquet*****

Fonctions :
*Unité EpiMAI (USC Anses)
ENV d’Alfort
7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort
guillaume.crozet@vet-alfort.fr
**Unité EpiMAI (USC Anses) ENV d’Alfort 7, avenue du Général de Gaulle 94700 Maisons-Alfort
***Laboratoire de la rage et de la faune sauvage de Nancy Anses, technopôle agricole et vétérinaire 54220 Malzéville

La France métropolitaine, bien qu’indemne de rage depuis 1998, reste confrontée au risque rabique en raison de l’apparition régulière de cas importés illégalement depuis des pays tiers où la maladie est enzootique.

La rage vulpine a été éliminée de notre pays grâce à un ensemble de mesures de contrôle et de prévention chez les animaux et chez l’homme. La vaccination des renards a été effectuée via la distribution d’appâts vaccinaux par voie aérienne sur les zones infectées (un grand quart nord-est du pays) et cette méthode s’est révélée très efficace [1]. Ainsi, le dernier cas de rage a été enregistré en décembre 1998. La vaccination des chats et des chiens n’est plus obligatoire dans aucun département français depuis 2002.

La France métropolitaine reste cependant confrontée au risque rabique en raison de l’apparition régulière de cas de rage importés illégalement depuis des pays tiers où la rage canine est enzootique. De 1968 à fin 2019, quarante-trois chiens et trois chats importés de pays infectés, ou qui ont été contaminés en France par des animaux importés (cas de rage secondaire, observés en 1981, 1982 et 2008), ont été diagnostiqués positifs [2]. Aucun cas n’a été enregistré de 2016 à 2019. Récemment, en février 2020, un cas a été confirmé chez un chiot à Saint-Martin-en-Ré provenant du Maroc (encadré). De telles introductions font peser un risque sur la santé publique et sur la santé des animaux domestiques. Ces cas génèrent des alertes sanitaires de plus ou moins grande ampleur. Le cas de la chienne Tiki, importée illégalement en août 2004, ou celui de Cracotte, en février 2008, ont par exemple entraîné de véritables crises sanitaires, générant de nombreux traitements postexposition chez l’homme, ainsi que la mise sous surveillance et l’euthanasie de nombreux carnivores domestiques. La vigilance des vétérinaires concernés et l’intervention rapide des autorités sanitaires vétérinaires et de santé publique ont permis qu’aucun décès ne soit à déplorer. Par ailleurs, si des cas secondaires de rage chez des chiens ont pu être mis en évidence, les investigations appropriées et ciblées ont évité l’installation d’un cycle de rage canine en France.

Dans un premier temps, cet article rappelle les éléments qui doivent amener un vétérinaire à suspecter la rage chez un chien ou un chat, en faisant également un bilan des derniers cas importés et de leurs caractéristiques. La conduite à tenir face à une suspicion est ensuite présentée, avant d’aborder les modalités de gestion d’un cas de rage confirmé, en rappelant le rôle du vétérinaire praticien. Cet article s’intéresse au Lyssavirus de la rage classique, de l’espèce RABV (rabies virus), les Lyssavirus spécifiques des chauves-souris ne sont pas concernés ici.

QUAND SUSPECTER LA RAGE ?

Éléments sur la pathogenie de la rage

Le virus de la rage est transmis par la salive d’un animal infecté à un autre animal le plus souvent à la faveur d’une morsure (figure 1), griffure ou léchage d’une peau lésée ou d’une muqueuse. Ce virus neurotrope, après une multiplication locale, migre le long des fibres nerveuses de la zone d’inoculation vers le système nerveux central [3, 4]. Il se multiplie par la suite dans les neurones de la moelle épinière et dans le système nerveux central et cette multiplication abondante provoque une encéphalite aiguë. Le virus migre également le long des trajets nerveux périphériques et vers les glandes salivaires où il se réplique de façon importante, ce qui rend la salive infectieuse alors que les signes cliniques ne sont pas encore apparus [4, 5].

Suspicion clinique de rage : les éléments clés de la démarche

Quelle que soit l’espèce animale touchée, les signes cliniques de la rage sont le reflet d’un dérèglement général du système nerveux. Après une incubation de dix jours à trois mois en moyenne, les manifestations cliniques sont donc principalement neurologiques [6, 7]. La rage du chien et du chat ne diffère guère de celle des autres carnivores. Chez le chat et le chien, deux formes cliniques naturelles sont distinguées : la “rage furieuse” ou excitée, qui se traduit par des troubles du comportement et de l’agressivité – les cas de rage furieuse chez le chat sont plus spectaculaires que chez le chien –, et la forme paralytique ou “rage muette”, qui provoque d’emblée une paralysie. L’animal peut présenter alternativement les deux formes cliniques, et toutes les formes intermédiaires sont possibles.

L’établissement d’un diagnostic clinique de la rage est délicat, car il n’existe pas de signes pathognomoniques : « Tout est rage, rien n’est rage. » Le vétérinaire doit donc considérer certains éléments clés en cas de suspicion : les signes neurologiques, l’anamnèse et l’évolution clinique (figure 2).

Lors de la phase prodromique, le chien semble triste et inquiet. Des signes sensoriels peuvent être observés, notamment pour les cas de rage furieuse, avec des paresthésies et un prurit au site d’inoculation (l’animal se lèche la cicatrice, voire peut s’arracher la peau et les muscles). Plus discrète chez le chat, cette phase est souvent difficile à déceler [8]. Une perte d’appétit, des miaulements anormaux et une fatigabilité peuvent attirer l’attention.

La phase excitative est marquée chez le chien et le chat par des signes comportementaux inhabituels (agitation, excitation, agressivité, fugue), avec une probabilité importante d’attaque par morsure ou griffure. Pour ce qui est de la forme paralytique, des signes neurologiques moteurs apparaissent d’emblée, avec une parésie puis une paralysie affectant le plus souvent le train postérieur, mais aussi les masséters, les mâchoires et les muscles pharyngés (conduisant à un ptyalisme) et le diaphragme (dyspnée). À ces signes cliniques, le vétérinaire peut rattacher celui de la paralysie de la troisième paupière qui recouvre le coin de l’œil, souvent accompagnée d’anisocorie.

Chez l’animal, l’hydrophobie (crise nerveuse en présence d’eau) n’existe pas, elle est spécifique à l’homme. L’évolution clinique est généralement rapide (quelques jours) et mortelle. Pour cette raison, la réglementation prévoit (voir ci-dessous) l’isolement de l’animal par le vétérinaire, afin de suivre l’évolution de la situation (aggravation et mort ou guérison). L’animal en phase finale est fatigué, amaigri, il s’immobilise peu à peu, agonise et meurt souvent après une phase de dyspnée. La mort peut être accélérée par une phase d’excitation provoquée.

Dans la majorité des cas de rage importés enregistrés en France, les propriétaires des animaux ont été à l’origine de l’alerte, en allant consulter un vétérinaire. Leur animal présentait généralement un changement de comportement pouvant conduire à de l’agressivité et à une morsure inexpliquée. Certains propriétaires ont pu été amenés à consulter dans le cadre d’une rage muette, inquiets d’un manque d’appétit de leur animal ou de son état général.

L’anamnèse, un élément précieux pour étayer une suspicion

Les éléments de suspicion clinique, parfois peu spécifiques, peuvent être confortés par des informations communiquées par les propriétaires, en les questionnant sur l’animal et sur les déplacements réalisés.

Outre les indications fournies par le propriétaire relatives au statut clinique de l’animal (description précise des signes et de leur évolution durant les derniers jours), les questions du vétérinaire doivent porter sur les caractéristiques de ce dernier : âge, origine (naissance en France ou à l’étranger) et mode d’acquisition, contacts avec d’autres carnivores, conditions de vie. Le statut vaccinal vis-à-vis de la rage est également important (passeport ou certificat sanitaire, vaccination et nombre de rappels, calendrier des rappels). La vaccination ne constitue pas une garantie suffisante pour exclure la rage (vaccin non efficace à 100 %) et il convient d’évaluer la date, le lieu et les conditions dans lesquelles elle a été réalisée. Enfin, il est primordial d’interroger le propriétaire sur les déplacements qu’il a pu faire avec son animal, notamment les voyages ou séjours dans un pays d’enzootie rabique, et cela même plusieurs mois avant la consultation.

Comme le montrent les données issues de la gestion des cas de rage canine et féline importés survenus en France depuis 2000 (tableau), la plupart des animaux provenaient du Maghreb, et plus précisément du Maroc. En général jeunes, tous étaient en situation d’illé­galité (garanties sanitaires non respectées) et avaient voyagé par la route (et bateau) en échappant aux contrôles aux frontières.

Il est également important de préciser que certains de ces animaux n’ont pas été recueillis en zone d’enzootie rabique, mais en Espagne par exemple (cas de 2008 et 2020). Ajouté au fait que des contaminations secondaires autochtones sont possibles (deux cas en 2008), il est important d’inclure la rage dans le diagnostic différentiel lors de signes cliniques évocateurs, même si l’animal a toujours séjourné en France ou s’il provient d’un pays indemne de rage canine.

Il convient de rappeler que des contaminations autochtones par d’autres Lyssavirus qui circulent dans les populations de chiroptères sont possibles, chez le chat notamment, bien qu’exceptionnelles (trois chats diagnostiqués positifs à l’EBLV-1 en 2005, 2007 et 2020) [9]. Les signes cliniques sont alors indiscernables de ceux provoqués par une infection par le RABV. Il est donc utile que le vétérinaire questionne également le propriétaire sur la présence éventuelle de chauves-souris dans l’environnement de vie de l’animal, et si le chat a été vu avec une chauve-souris.

L’ensemble de ces éléments devrait permettre au vétérinaire de réunir le faisceau d’informations nécessaires pour conforter ou non une suspicion clinique de rage.

CONDUITE À TENIR FACE À UNE SUSPICION CLINIQUE DE RAGE

Devant un carnivore domestique suspect clinique de rage, reçu en consultation par exemple, la réglementation impose un certain nombre d’actions. En effet, dans le cas où ces manifestions seraient effectivement associées à une infection par le virus rabique, l’animal représente une réelle menace pour la santé publique et animale, puisqu’il est potentiellement en phase d’excré­tion salivaire du virus. Ainsi, toute morsure, griffure ou souillure par de la salive est potentiellement contaminante. Le Code rural (article R. 223-25) distingue deux situations différentes qui aboutissent néanmoins à la même gestion :

– « l’animal suspect clinique » : il présente des signes évocateurs de rage non directement rattachables à une autre affection ;

– « l’animal suspect mordeur » : il a mordu ou griffé sans raison apparente et contrairement à son comportement habituel. Un comportement agressif peut constituer un signe évocateur de rage et doit en effet amener à considérer l’animal comme suspect.

Dans les deux cas, il convient de placer l’animal dans une cage sécurisée chez le vétérinaire, dans une pièce isolée (sans possibilité de contact avec d’autres animaux hospitalisés) et calme, car il est souvent hyper­esthésique. L’animal est mis sous surveillance avec un suivi clinique quotidien ou biquotidien, afin de suivre l’évolution du comportement et des signes cliniques. La durée de cette surveillance n’est pas prévue explicitement par la réglementation, mais elle doit durer « le temps nécessaire », c’est-à-dire jusqu’à la guérison ou la mort de l’animal. La déclaration auprès de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) doit être immédiate et est obligatoire. Une enquête épidémiologique doit être diligentée pour déterminer les risques de contamination éventuels. Sauf dérogation de la DDPP (grande souffrance ou animal trop dangereux par exemple), l’animal ne doit pas être euthanasié, ni vacciné contre la rage afin de permettre le suivi de l’évolution des signes cliniques et confirmer ou non la suspicion. Il est cependant possible d’administrer d’autres traitements pouvant éventuellement aider à la guérison de l’animal s’il ne s’agit pas de rage, ou dans un souci de bientraitance. Si tel est le cas, d’extrêmes précautions sont néanmoins nécessaires afin de prévenir toute contamination humaine (muselière, gants, etc.).

En cas de guérison clinique pendant la surveillance, la suspicion de rage est levée par la DDPP après qu’elle en a été informée. En cas de mort ou d’euthanasie autorisée par dérogation, le diagnostic de rage post-mortem doit être rapidement établi dans un laboratoire de référence, car il constitue le seul outil de certitude, permettant d’orienter la décision thérapeutique chez la ou les personnes éventuellement exposées. Avant toute euthanasie, le vétérinaire fait signer le certificat attestant que l’animal n’a ni mordu ni griffé au cours des quinze derniers jours et précisant s’il a voyagé à l’étranger au cours des six derniers mois. Le praticien, après avoir déclaré la mort de l’animal à la DDPP (afin de pouvoir coordonner les différents acteurs), est chargé de réaliser le prélèvement de la tête de l’animal, de le conditionner (triple emballage étanche sous régime du froid à + 4 °C, voire congelé) pour l’envoyer au laboratoire vétérinaire départemental qui se chargera ensuite de prélever l’encéphale et d’acheminer ce prélèvement vers l’un des laboratoires agréés pour réaliser les analyses (le cadavre peut être envoyé entier au laboratoire départemental s’il s’agit d’un petit animal).

Le réseau de surveillance de la rage en France repose sur deux laboratoires destinataires des prélèvements : le Centre national de la rage (CNR) de l’Institut Pasteur est sollicité lorsqu’une contamination humaine est suspectée, c’est-à-dire si une ou plusieurs des quatre conditions suivantes sont remplies : morsure avec effraction de la peau, griffure, léchage sur une peau lésée (effraction cutanée ou égratignure), projection de salive sur des muqueuses. Dans toutes les autres situations, les prélèvements sont adressés au Laboratoire de la rage et de la faune sauvage de Nancy (Anses), laboratoire national de référence (LNR) de la rage. Ces deux laboratoires utilisent, sous l’accréditation du Comité français d’accréditation (Cofrac), les techniques recommandées par les Organisations mondiales de la santé animale (OIE) et de la santé (OMS), c’est-à-dire le test d’immunofluorescence directe, les analyses de biologie moléculaire de type polymerase chain reaction (PCR) ou PCR en temps réel, ou encore le test d’isolement du virus sur culture cellulaire, et procèdent à l’identification phylogénétique de la souche virale en cas de diagnostic positif [11]. Ces analyses permettent d’apporter des éléments concernant l’espèce et le type de virus (virus de rage classique ou de rage de chauve-souris) et de préciser son origine géographique. Cela se révèle utile aux enquêtes épidémiologiques et permet la mise en œuvre des mesures de gestion, notamment lors de cas de rage importés.

Avant l’établissement d’un diagnostic définitif, tout animal ayant été mordu ou griffé ou tout carnivore ayant été en contact vrai ou supposé avec un animal suspect de rage est considéré comme « éventuellement contaminé ». Ces cas sont placés sous surveillance chez leur propriétaire (en évitant les contacts avec les autres animaux et l’homme), le temps que la suspicion clinique de l’autre animal soit infirmée ou confirmée.

Pour rappel, la déclaration des importations illégales, avec des mesures de gestion appropriées (euthanasie, mise sous surveillance chez le propriétaire ou en fourrière pour une durée de six mois avec des visites régulière chez un vétérinaire sanitaire selon le niveau de risque), permet d’identifier en amont, avant la déclaration éventuelle des signes cliniques de rage, donc de gérer de façon appropriée ces animaux qui présentent un risque particulier(1). Les derniers cas de rage importés montrent bien que les animaux considérés étaient en situation d’illégalité lors de l’importation ou réimportation en France et que la quasi-totalité d’entre eux ont été en incubation sur le territoire français. Ils auraient donc éventuellement pu être identifiés avant la survenue des signes cliniques, limitant probablement l’exposition des populations humaines et animales, s’ils avaient été présentés à un vétérinaire.

CONFIRMATION D’UN CAS DE RAGE ET RÔLE DU VÉTÉRINAIRE

Le diagnostic de rage post-mortem permet de conclure sur le statut de l’animal, jusqu’alors suspect, vis-à-vis de la rage. Si le diagnostic est positif, l’animal est déclaré enragé, le résultat du diagnostic est envoyé par le laboratoire par message électronique à la Direction générale de l’alimentation (DGAL), à la DDPP, au vétérinaire praticien, à la Direction générale de la santé (DGS) et à l’Agence régionale de santé (ARS). Une cellule de crise, dirigée par le préfet, est mise en place au niveau du département. Des conférences téléphoniques entre les acteurs nationaux et locaux des autorités de santé et vétérinaires, ainsi qu’avec les deux laboratoires de référence, permettent d’échanger rapidement et régulièrement. Cela permet de partager les informations et de faire le point des actions réalisées ou à mener, notamment pour la recherche et l’identification des animaux et des personnes contacts.

Poursuite de l’enquête épidémiologique approfondie

Les propriétaires de l’animal reconnu enragé sont interrogés par les services de la DDPP, éventuellement accompagnés par la police. L’investigation a pour but de recenser tous les contacts (humains et animaux) supposés et avérés pendant la durée maximale d’excrétion qui peut être considérée, c’est-à-dire quinze jours avant les premiers signes cliniques s’il s’agit d’un animal domestique (si la date de leur apparition est inconnue, le délai est porté à vingt jours), trente jours s’il s’agit d’un animal sauvage non volant (ou quarante jours si la date d’apparition des signes cliniques est inconnue)(2).

Tout animal ayant été mordu ou griffé par l’animal enragé doit alors être considéré comme « contaminé ». Un carnivore qui a été en contact (sans forcément une morsure) avec un animal reconnu enragé doit également être considéré comme contaminé(3). Après déclaration auprès de la DDPP, un animal contaminé doit être immédiatement euthanasié. Une dérogation est cependant possible si l’animal contaminé est valablement vacciné contre la rage et s’il reçoit une injection de rappel dans un délai de 48 heures après la confirmation du cas de rage. Une mise sous surveillance pour une durée d’un an est par ailleurs nécessaire (avec des visites vétérinaires régulières). Ces mesures sont justifiées par l’incertitude relative au risque de contamination, qui peut perdurer sur une longue période puisque l’incubation de la maladie peut dépasser un an, et au risque d’excrétion présymptomatique. Les animaux identifiés comme « éventuellement contaminés » au stade de la suspicion sont désormais contaminés et donc gérés de la même façon.

Les personnes ayant été en contact avec l’animal enragé sont prises en charge par un centre antirabique (CAR) afin de recevoir un traitement postexposition, le seul capable de prévenir la maladie en cas de contamination effective. Le nombre de personnes exposées à un seul animal enragé peut parfois être considérable, comme l’illustre le cas survenu en août 2004 (photo) qui a donné lieu à 187 traitements postexposition (chienne Tiki laissée en errance sur le site de plusieurs festivals lors de la période d’excrétion salivaire du virus).

Ces enquêtes sont complétées par des communications des autorités compétentes (DGAL, DGS au niveau central, DDPP avec relais des communes au niveau local) et prennent souvent la forme d’appels à témoins, avec parfois la mise en place de numéros verts (rattachés à la préfecture du département concerné). Lors de ces situations de crise, ces informations sont en général largement relayées par les médias, ce qui permet ainsi d’identifier d’autres animaux ou personnes ayant été en contact avec l’animal reconnu enragé.

La gestion de tels événements implique donc une coopé­ration étroite entre les services vétérinaires et médicaux, que ce soit à l’échelon central (DGAL et DGS) ou dans les services déconcentrés (DDPP, ARS, CAR) pour l’identification et la prise en charge optimale des personnes et des animaux exposés.

Le vétérinaire praticien a, dans ce contexte, un rôle primordial à jouer puisqu’il constitue le premier interlocuteur pour les propriétaires d’animaux de compagnie, notamment s’il se trouve dans la zone où est survenu le cas de rage. Au travers de ses liens privilégiés avec sa clientèle, avec laquelle il a établi une relation de confiance, il peut ainsi contribuer à identifier des animaux contaminés et les personnes exposées.

Mesures de gestion locale avec zonage

En plus de l’enquête épidémiologique réalisée, la survenue de tels cas s’accompagne de la mise en place d’une zone de restriction, fixée par arrêté préfectoral, qui concerne les communes où l’animal enragé a circulé lors de la période d’excrétion du virus(4). Ce zonage et les mesures associées sont mis en place pour une durée de six mois (durée d’incubation maximale reconnue par l’OIE) de façon à limiter la circulation de l’agent pathogène en cas de contaminations secondaires (figure 3).

Il est prévu la mise en place de mesures de limitation de la circulation des chiens et des chats. Seuls ceux valablement vaccinés contre la rage peuvent sortir de la zone de restriction ou être cédés. Cela permet d’inciter les propriétaires à faire vacciner leurs animaux contre la rage, même si seuls ceux vaccinés avec une date de validité antérieure à la date de définition de la zone de restriction pourront entrer et sortir de la zone. Les chats ne peuvent pas y circuler librement (seulement en caisse de transport). Les modalités de circulation des chiens au sein de la zone dépendent du statut vaccinal de ces derniers.

Associée à ces limitations des mouvements de carnivores domestiques, une surveillance renforcée de tout événement clinique en lien avec ces espèces est exercée (signalement de toute mort, découverte d’un cadavre ou maladie). Ces événements doivent être signalés à un vétérinaire ou à la DDPP. Ces mesures ont pour but de permettre la détection rapide de tout cas secondaire autochtone de rage qui serait survenu dans la zone à la suite d’une exposition à l’animal enragé, et qui n’aurait pas été identifié lors de l’enquête épidémiologique.

De plus, un renforcement et un durcissement des mesures de gestion des animaux errants sont observés (euthanasie des animaux non identifiés ou non réclamés par leurs propriétaires à l’issue du délai de garde par la fourrière). Au niveau local, les vétérinaires présents dans la zone et à proximité ont donc de nouveau un rôle primordial de communication à jouer auprès des propriétaires de chiens et de chats, pour les inciter à la bonne application des mesures présentées, mais aussi pour justifier la pertinence de ces dernières. En lien avec le maire de la commune et la DDPP, ils participent également à la surveillance en détectant tout événement sanitaire relatif à un carnivore et en portant une oreille attentive aux propos de leurs clients.

  • (1) Voir l’article « Rage en France : quel est le risque actuel et comment le prévenir ? » dans ce dossier.

  • (2) Arrêté du 9 août 2011 complétant les dispositions de l’article R. 223-25 du Code rural relatif à la lutte contre la rage, NOR : AGRG1122472A.

  • (3) Articles R. 223-25 à R. 223-36 du Code rural et arrêté du 9 août 2011 relatif à la conservation d’animaux contaminés de rage, NOR : AGRG1122459A.

  • (4) Arrêté du 9 août 2011 relatif à des mesures de lutte particulières contre la rage, applicables dans la zone de circulation d’un chien ou d’un chat reconnu enragé, NOR : AGRG1122466A.

Références

  • 1. Cliquet F, Picard-Meyer E, Robardet E. Rabies in Europe: what are the risks? Expert Rev. Anti. Infect. Ther. 2014;12 (8):905-908.
  • 2. Picard-Meyer E, Fediaevsky A, Servat A et coll. Surveillance de la rage animale en France métropolitaine. Bull. Épidémiol. Santé Anim. Aliment. 2014;(60):12-18.
  • 3. Jackson AC. Rabies pathogenesis. J. Neurovirol. 2002;8 (4):267-269.
  • 4. Opinion of the scientific panel on Animal Health and Welfare (AHAW) on a request from the Commission regarding an assessment of the risk of rabies introduction into the UK, Ireland, Sweden, Malta, as a consequence of abandoning the serological test measuring protective antibodies to rabies. EFSA J. 2007;5 (2):436.
  • 5. Fekadu M, Shaddock JH, Baer GM. Excretion of rabies virus in the saliva of dogs. J. Infect. Dis. 1982;145 (5):715-719.
  • 6. Fekadu M. Pathogenesis of rabies virus infection in dogs. Rev. Infect. Dis. 1988;10 (Suppl. 4):S678-683.
  • 7. Fekadu M. Canine rabies. Onderstepoort J. Vet. Res. 1993;60 (4):421-427.
  • 8. Blancou J, Pastoret PP. La rage du chat et sa prophylaxie. Rec. Méd. Vét. 1992;168:117-126.
  • 9. Dacheux L, Larrous F, Mailles A et coll. European bat lyssavirus transmission among cats, Europe. Emerg. Infect. Dis. 2009;15 (2):280-284.
  • 10. Ribadeau-Dumas F, Cliquet F, Gautret P et coll. Travel-associated rabies in pets and residual rabies risk, Western Europe. Emerg. Infect. Dis. 2016;22 (7):1268-1271.
  • 11. OIE. Chapter 3.1.17. – Rabies (infection with rabies virus and others Lyssavirus). In: Manual of diagnostic tests and vaccines for terrestrial animals. Terrestrial manual, 8th edition. 2018:578-612.

ENCADRÉ : FOCUS SUR LE CAS IMPORTÉ DE L’ÎLE DE RÉ EN FÉVRIER 2020

Récemment, le 13 février 2020, un chiot a été diagnostiqué positif par le Centre national de référence de la rage. Cet animal était originaire de Saint-Martin-en-Ré (Charente-Maritime). Le diagnostic de rage a été complété par des techniques de reverse transcription-polymerase chain reaction (RT-PCR) et de séquençage partiel des gènes de la nucléoprotéine et du gène de la polymérase, qui ont permis de mettre en évidence que l’animal portait un Lyssavirus de l’espèce virale RABV de type Africa 1. Ce virus circule en Afrique du Nord chez le chien, qui est le réservoir de la maladie. Une analyse de la séquence partielle (800 paires de bases) du gène de la nucléoprotéine suggère que la provenance de l’animal la plus probable est le Maroc.

D’après le témoignage du propriétaire, le chien a été trouvé le 9 décembre en Espagne, lors d’un voyage en voiture en provenance du Maroc. Le propriétaire a recueilli le chien sur une aire d’autoroute à proximité de Valence (est de l’Espagne). L’animal a commencé à présenter un changement de comportement (agressivité) le 1er février. Le propriétaire a consulté un vétérinaire le 3 février qui a procédé à l’euthanasie du chiot le lendemain. Une enquête a été rapidement mise en œuvre afin d’identifier les personnes et les animaux exposés et de les prendre en charge. Sept personnes ont ainsi reçu un traitement postexposition et un chien a été identifié comme ayant été en contact avec le chien infecté durant la période d’excrétion du virus. Les autorités espagnoles ont été informées, un communiqué de presse a été diffusé (ce cas est apparu pendant les vacances scolaires), ainsi qu’un appel à témoins.

CONCLUSION

La survenue de cas récents de rage des carnivores domestiques sur le territoire français, à la suite d’importations illégales, montre que la vigilance reste de mise. Les vétérinaires ont un rôle primordial à jouer, étant souvent en première ligne pour l’identification, la déclaration et la gestion des animaux présentant des signes cliniques de rage. Ils ne doivent pas oublier la rage dans le diagnostic différentiel des affections neurologiques, même pour des animaux n’ayant pas quitté le territoire.

La formation, initiale mais aussi continue, apparaît donc très importante pour maintenir une surveillance événementielle efficace (session “La rage et vous” organisée par l’ENSV, “Soirées rage” organisées par la DGAL dans le cadre de la formation continue des vétérinaires sanitaires, formations « Better training for safer food » à l’initiative de la Commission européenne pour former les personnels des autorités compétentes des pays membres, etc.). Cette surveillance et la gestion de ces cas ne peuvent être envisagées sans une coopération étroite entre les services vétérinaires (DGAL, DDPP, vétérinaires) et les services de santé publique (DGS, ARS, CAR, médecins), avec l’appui des laboratoires de référence (rapidité du diagnostic, appui scientifique) puisqu’il s’agit d’une zoonose qui se transmet de l’animal à l’animal et de l’animal à l’homme.

La communication auprès des populations sur le risque rabique est également essentielle, à la fois pour prévenir la survenue de tels événements et pour renforcer la vigilance, car ce sont les propriétaires qui sont en général les premiers donneurs d’alerte, en se rendant chez le vétérinaire avec un animal malade.

Outre la menace certaine pour la santé publique et animale, avec l’exposition des populations autochtones, le coût de ces réintroductions du virus rabique peut être très élevé, puisqu’il est alors nécessaire de mettre en place une enquête épidémiologique aboutissant à la prise en charge d’un nombre parfois conséquent d’animaux (euthanasies, rappels vaccinaux, mise sous surveillance) et de personnes (traitements postexposition). Ces conséquences illustrent la nécessité d’envisager des actions à moyen ou à plus long terme, telles que le renforcement ou la modification des contrôles aux frontières, le renforcement des collaborations institutionnelles et de recherche avec les pays du pourtour méditerranéen (principale zone d’origine des cas importés, encore lourdement affectée par la rage canine) ou toute autre mesure pouvant contribuer à diminuer le risque rabique associé aux mouvements internationaux de carnivores domestiques.