CHOIX RAISONNÉS POUR UTILISER LA SEMENCE SEXÉE EN ÉLEVAGE BOVIN - Le Point Vétérinaire n° 410 du 01/10/2020
Le Point Vétérinaire n° 410 du 01/10/2020

SÉLECTION GÉNÉTIQUE

Article original

Auteur(s) : Ellen Schmitt-Van de Leemput

Fonctions : Vetformance
1, rue Pasteur
53700 Villaines-la-Juhel

L’insémination artificielle avec de la semence sexée est de plus en plus répandue en élevage bovin. L’objectif de cette démarche doit être défini selon les besoins et les débouchés possibles en élevage.

Depuis le début des années 2000, la technique de cytométrie en flux, fondée sur la séparation des spermatozoïdes X et Y dans l’espèce bovine, permet d’obtenir des doses de semence autorisant le choix du sexe du veau à naître, avec une fiabilité supérieure à 90 %. En France, tous les organismes de sélection génétique proposent à leurs clients des doses de semence sexée issues de plusieurs de leurs taureaux. En 2019, 11 % des premières inséminations artificielles ont été réalisées avec cette semence. Dans 48 % des élevages laitiers et 10 % des allaitants, au moins une insémination artificielle est réalisée avec de la semence sexée. Quel que soit le type de production (lait ou viande), plus les cheptels sont importants, plus les inséminations artificielles sont fréquentes [12].

LA TECHNIQUE

Le principe du sexage de semence est fondé sur la différence de contenu en ADN des spermatozoïdes X et Y. Les spermatozoïdes X contiennent 4 % d’ADN en plus que les spermatozoïdes Y (photo 1). La technique de cytométrie en flux, développée dans les années 1980, a été adaptée au tri de ces cellules très particulières que sont les spermatozoïdes par les chercheurs du département américain de l’agriculture (USDA). La société Sexing Technologies est détentrice de la licence d’exploitation de ces découvertes et produit de la semence sexée pour les organismes de sélection majeurs, partout dans le monde. Une deuxième technique, dérivée de celle développée par l’USDA, a été mise au point par la société ABS aux États-Unis et commence à être utilisée hors du continent nord-américain. Ces deux techniques permettent de séparer les spermatozoïdes X et Y avec une précision de 85 à 95 % [11, 14, 16]. Le point limitant de ces techniques reste la vitesse de tri et la fertilité de la semence obtenue.

Aujourd’hui, une grande quantité de semence de haut niveau génétique est disponible, pour un prix raisonnable. Grâce à cette technique, il est possible d’améliorer l’efficacité de la gestion de l’élevage laitier.

TAUX DE RÉUSSITE

Le taux de gestation après une insémination en semence sexée se rapproche de celui obtenu avec de la semence conventionnelle. Lors des débuts de la commercialisation de la semence sexée, les taux de gestation étaient environ moitié moins élevés qu’avec de la semence conventionnelle [4, 15, 20]. Dès 2010-2011, ils ont atteint en semence sexée 72 à 81 % de ceux obtenus avec de la semence conventionnelle [2]. En 2019, en France, les taux de non-retour en semence sexée étaient 10 à 20 % inférieurs à ceux rapportés en semence conventionnelle [12].

Plusieurs facteurs, liés aux technologies mises en œuvre pour trier les spermatozoïdes X et Y, peuvent expliquer cette différence de fertilité. La procédure de sexage est stressante pour les spermatozoïdes : les dilutions, les colorations, les forces mécaniques, la lumière ultraviolette, la séparation des deux populations, la collecte après le tri et la centrifugation fragilisent les cellules [11]. Plusieurs études ont démontré que la baisse de fertilité à la suite de la procédure de tri est très variable selon les taureaux, certains ayant donc une semence plus facile à sexer que d’autres [1, 10]. Pourtant, aucune autre technique de tri des spermatozoïdes ne semble susceptible d’émerger dans un futur proche.

La baisse de fertilité est également due au nombre de spermatozoïdes dans une paillette de semence sexée. En effet, le rendement de la technique de tri par cytométrie en flux est bas et le nombre de cellules triées par seconde est un facteur limitant. Par conséquent, les opérateurs ont fixé le nombre de spermatozoïdes dans une paillette de semence sexée à 2,2 × 106, une paillette conventionnelle en contenant 10 à 20 × 106 [20]. L’augmentation à 10 × 106 du nombre de spermatozoïdes sexés par dose de semence améliore le taux de gestation [5, 6, 15]. Cependant, cette hausse ne permet pas d’attein­dre le taux de conception obtenu en semence conventionnelle [6].

La technique d’insémination joue un rôle essentiel dans le succès de l’utilisation de la semence sexée. Aussi, l’inséminateur doit être particulièrement précis dans toutes les étapes, de la décongélation à la mise en place de la dose. Par exemple, la procédure de décongélation de la semence sexée avant l’insémination pourrait influencer le taux de conception [2, 13, 19]. Les éleveurs qui inséminent eux-mêmes se doivent donc d’être très vigilants et précis pour obtenir des résultats au niveau de leurs attentes. Les conditions d’organisation, de contention et d’accès à l’animal sont également des facteurs essentiels de réussite.

Des études montrent que les conditions d’élevage des femelles ont un impact majeur sur la réussite de l’insémination artificielle avec de la semence sexée : les taux de conception chez des vaches avec une note d’état corporel supérieure à 3 sont meilleurs que ceux obtenus chez des vaches dont la note était inférieure à 2,5 [2] (photo 2). En règle générale, la fertilité du cheptel est considérée comme un facteur déterminant de la réussite lors de l’utilisation de semence sexée. Dans les cheptels à fertilité médiocre, l’insémination artificielle en semence sexée est donc à proscrire.

Des études sont en cours pour étudier le moment optimal de l’insémination avec de la semence sexée par rapport au déroulement des chaleurs. En effet, le processus de sexage a un effet sur la capacitation des spermatozoïdes. Chebel et Cunha montrent ainsi qu’un raccourcissement de l’intervalle entre l’insémination et l’ovulation pourrait avoir un effet bénéfique [3].

MODÈLE D’APPLICATION EN ÉLEVAGE

La première utilisation possible de la semence sexée consiste à inséminer les meilleures femelles avec de la semence femelle, afin d’assurer le renouvellement du troupeau tout en accélérant le progrès génétique. En effet, le recours à la semence sexée femelle augmente la vitesse de renouvellement génétique de 10 à 15 %, et améliore la facilité de vêlage [7, 18].

Les autres vaches du cheptel sont alors inséminées avec de la semence mâle de race à viande. Les veaux mâles croisés sont mieux valorisés que les veaux femelles (photo 3). Cette approche est valable aussi bien dans les élevages laitiers qu’allaitants. Dans ces derniers, la durée d’engraissement des mâles étant plus courte que celle des femelles, leur présence est donc une source d’économies supplémentaires. Le bénéfice économique dépend de nombreux facteurs, intrinsèques et extrinsèques à l’élevage. Si le choix des taureaux et l’accouplement sont convenablement réalisés, le progrès génétique est indéniable [9].

La semence sexée peut en outre être utilisée en cas de besoin ponctuel de femelles : la production de génisses au sein de l’élevage limite les achats d’animaux, qui rendent souvent complexe la gestion de la biosécurité [20]. Faciliter les vêlages des génisses est également une piste intéressante pour l’utilisation de semence sexée, car elle permet de réduire les difficultés de vêlage de 20 %, les veaux femelles étant généralement de plus faible gabarit [17]. La valorisation des produits destinés à la vente dépend des marchés locaux. Y a-t-il une demande pour des génisses de haute valeur génétique ? À quel prix sont achetés les mâles ? L’élevage des bovins mâles est-il possible (place, nourriture) ?

Dans les pays où les veaux mâles sont difficilement valorisés (par exemple au Danemark), l’usage de la semence sexée repose sur l’amélioration du niveau génétique, mais aussi du bien-être animal [9]. En effet, les veaux mâles, qui sont souvent des non-valeurs économiques, sont éliminés et ces pratiques sont jugées inacceptables par le consommateur.

Le facteur économique déterminant en semence sexée est le management de la reproduction de l’élevage. Dans un modèle de simulation en élevage laitier, la semence sexée femelle est utilisée chez 75 % des meilleures génisses et la semence sexée mâle de race à viande chez 70 % des vaches génétiquement inférieures. Si l’élevage est bien managé, le bénéfice de cette méthode est de 18 € par animal. Dans un contexte de conduite d’élevage médiocre, ce bénéfice se transforme en perte de 55 € par animal, en raison du manque de génisses, imputable à la baisse de fertilité lorsque la semence sexée est mal utilisée [8].

MANAGEMENT D’UN ÉLEVAGE EN SEMENCE SEXÉE : RÔLE DU VÉTÉRINAIRE

Théoriquement, l’utilisation de semence sexée peut avoir un effet positif sur le niveau génétique et sur la valorisation des produits mâles de l’élevage. Néanmoins, pour profiter de ces avantages, il est primordial que les objectifs soient clairement définis.

Déterminer les objectifs avec l’éleveur

Le besoin en femelles de renouvellement est le point de départ, aussi bien en élevage laitier qu’allaitant. Plusieurs questions sont à poser : quel est le taux de renouvellement actuel ? Y a-t-il des débouchés pour les femelles de haute valeur génétique ? Quelle marge de sécurité doit être appliquée ?, etc. Ensuite, il convient de définir ce qui va advenir des veaux mâles. Le raisonnement peut alors être différent en élevage laitier ou allaitant. Les veaux mâles seront-ils élevés dans l’exploi­tation ? Quelle race préfère l’éleveur ? Quel système de valorisation de ces animaux est en place dans l’élevage (du bâtiment à l’alimentation) ? Dans le cas où les mâles sont vendus dès la naissance, il est intéressant de connaître les débouchés du marché du veau de boucherie.

Le plus difficile est d’estimer la marge de sécurité à appliquer. Si, par exemple, 70 % des génisses doivent être inséminées avec de la semence sexée, combien seront réellement pleines ? Combien d’animaux supplémentaires doivent être inséminés pour obtenir le nombre de femelles nécessaires ? L’estimation de ce paramètre est essentielle dans le cadre du recours à la semence sexée, plus délicate, et dont les taux de réussite obtenus peuvent être dégradés si les conditions d’élevage et d’insémination ne sont pas rigoureuses. Cette marge de sécurité dépend de chaque élevage et de chaque situation. Elle relève du niveau de fertilité du cheptel, mais également de la qualité de la conduite d’élevage.

Surveiller le taux de fertilité

La fertilité peut se définir comme la capacité de se reproduire, l’aptitude d’une vache à être fécondée lorsqu’elle est mise à la reproduction. Les maladies du péripartum (fièvre de lait, métrite, acidose et cétose) dégradent la fertilité. Celle-ci est donc fortement corrélée à la gestion de la période du péripartum, et en particulier du vêlage et du début de lactation (alimentation adaptée, confort convenable, prévention des boiteries et stratégie adéquate pour la lutte contre les maladies infectieuses telles que la diarrhée virale bovine-maladie des muqueuses).

Lorsque la fécondité n’est pas d’un niveau suffisant, il est essentiel, avant de se lancer dans l’utilisation de semences sexée, de l’améliorer. En effet, si l’insémination en semence sexée a plus de succès dans des élevages avec un bon niveau de fécondité, cela peut rapidement tourner à la catastrophe dans le cas contraire. D’où l’importance d’accompagner ces élevages afin d’optimiser les résultats.

Gestion de la reproduction

L’utilisation de la semence sexée peut avoir deux conséquences néfastes : une augmentation de l’intervalle vêlage-vêlage et un déficit en génisses de renouvellement. Les intervalles vêlage-vêlage individuels peuvent être surveillés grâce à un suivi de la reproduction, idéalement mensuel. Il convient d’intégrer un paramètre permettant d’identifier les vaches non gestantes à 120 jours en lactation. Chaque cas doit être évalué individuellement. Seules les vaches qui présentent un niveau de production suffisant sont alors remises à la reproduction, mais avec une semence conventionnelle.

La gestion des besoins en génisses de renouvellement est beaucoup plus complexe. Il faut avoir accès aux données permettant d’estimer le nombre d’animaux en lactation, ainsi que leur production quotidienne moyenne, pour pouvoir prédire la production par unité de temps, et ainsi comparer ces données au quota à produire. Une imprécision sur ce type d’informations nécessite d’augmenter la marge de sécurité. Or, une marge de sécurité importante limite les bénéfices susceptibles de découler de l’utilisation de la semence sexée.

Le vétérinaire a donc un rôle majeur à jouer dans l’accompagnement de l’éleveur dans cette démarche.

Références

  • 1. Borchersen S, Peacock M. Danish AI field data with sexed semen. Theriogenology. 2009;71:59-63.
  • 2. Butler ST, Hutchinson IA, Shalloo L. Application and cost benefits of sexed semen in pasture-based dairy production systems. Animal. 2014;8:165-172.
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  • 4. Cherchiaro I, Cassandro M, Dal Zotto R et coll. A field study on fertility and purity of sex-sorted cattle sperm. J. Dairy Sci. 2007;90:2538-2542.
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  • 6. DeJarnette JM, Leach MA, Nebel RL et coll. Effects of sex-sorting and sperm dosage on conception rates of Holstein heifers : is comparable fertility of sex-sorted and conventional semen plausible ? J. Dairy Sci. 2011;94:3477-3483.
  • 7. Dematawewa CM, Berger PJ. Effect of dystocia on yield, fertility and cow losses and an economic evaluation of dystocia scores for Holstein. J. Dairy Sci. 1998;80:754-761.
  • 8. Ettema JF, Thomassen JR, Hjorto L et coll. Economic opportunities for using sexed semen and semen of beef bulls in dairy herds. J. Dairy Sci. 2017;100:4161-4171.
  • 9. Ettema JF, Ostergaard S, Sorensen MK. Effect of including genetic progress in milk yield on evaluating the use of sexed semen and other reproduction strategies in a dairy herd. Animals. 2011;5:1887-1897.
  • 10. Frijters ACJ, Mullaart E, Roelofs RMG et coll. What affects fertility of sexed bull semen more, low sperm dosage or the sorting process ? Theriogenology. 2009;71:64-67.
  • 11. Garner DL. Flow cytometric sexing of mammalian sperm. Theriogenology. 2006;65:943-957.
  • 12. Idèle. Le point sur l’utilisation de la semence sexée en 2019. http://idele.fr/?eID=cmis_download&oID=workspace://SpacesStore/987a517e-1011-4306-bb86-2e76b9126610
  • 13. Klinc P, Frese D, Osmers H et coll. Insemination with sex sorted fresh bovine spermatozoa processed in the presence of antioxidative substances. Reprod. Domest. Anim. 2007;42:58-62.
  • 14. Moore K, Thatcher WW. Major advances as sociated with reproduction in dairy cattle. J. Dairy Sci. 2006;89:1254-1266.
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  • 16. Seidel GE. Overview of sexing sperm. Theriogenology. 2006;68:443-446.
  • 17. Seidel GE. Economics of selecting for sex : the most important genetic trait. Theriogenology. 2003;59:585-598.
  • 18. Van Vleck LD. Potential genetic impact of artificial insemination, sex selection, embryo transfer, cloning and selfing in dairy cattle. In : New technologies in animal breeding, New York, Academic press. 1981:288p.
  • 19. Watson PF. Recent developments and concepts in the cryopreservation of spermatozoa and the assessment of their post-thawing function. Reprod. Fertil. Dev. 1995;7:871-891.
  • 20. Weigel KA. Exploring the role of seed semen in diary pro duction systems. J. Dairy Sci. 2004;87 (Suppl.) :E120-E130.

conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

L’utilisation de semence sexée en élevage bovin est un outil essentiel et innovant pour améliorer le progrès génétique, faciliter les vêlages et mieux valoriser les mâles. Pour éviter d’obtenir de faibles taux de réussite avec ce type de semence, la maîtrise de la reproduction apparaît primordiale. Ensemble, éleveur et vétérinaire doivent identifier les objectifs de ­renouvellement et de valorisation des veaux mâles. Le niveau de fertilité du cheptel doit être évalué et, si nécessaire, amélioré. La fertilité observée dans le troupeau et la qualité de gestion par l’éleveur déterminent la marge de sécurité à appliquer lors de la décision du nombre d’inséminations à réaliser avec de la semence sexée. Le suivi mensuel est l’outil de choix pour piloter et adapter la stratégie mise en place.