ÉCHOGRAPHIE
Cas clinique
Auteur(s) : Matthieu Leblanc
Fonctions : Clinique vétérinaire du Vernois
7, chemin des Alamans
39270 Orgelet
Un bouc castré âgé d’environ 1 an, de race anglo-nubienne, présente soudainement des difficultés à uriner, associées à des coliques. Une urolithiase obstructive est suspectée.
La propriétaire de chèvres de compagnie appelle pour l’un de ses boucs qui semble avoir des difficultés à uriner. L’animal présenterait également des coliques. La cliente possède un petit cheptel d’une quinzaine d’animaux, exclusivement à but de loisir. Ses animaux sont tous très (voire trop) bien entretenus. Ayant déjà été confrontée auparavant à un cas d’urolithiase obstructive chez l’un de ses caprins, elle affirme en reconnaître les symptômes.
À notre arrivée, l’animal présente une posture algique, dos voussé et membres écartés. Il tente de se soulager, mais ne parvient à uriner que goutte à goutte. Il présente une température rectale dans les normes hautes (39,5 °C), une tachycardie, et des muqueuses roses. L’abdomen est tendu, ce qui rend la palpation vésicale difficile. Le toucher rectal permet de vérifier l’urètre, qui est dur et gonflé, avec des spasmes réguliers. Le fourreau n’est pas enflé et aucun œdème sous le ventre, témoin d’une rupture urétrale, n’est observé.
Étant donné que le bouc urine par gouttes, l’obstruction ne semble pas complète. Un premier traitement médical est donc tenté. Il consiste en l’injection d’un antispasmodique (Estocelan®, à la dose de 10 ml pour 100 kg par voie intramusculaire toutes les 24 heures) et d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (Metacam®, à raison de 5 ml pour 100 kg par voie sous-cutanée toutes les 24 heures) pendant trois jours. Du chlorate d’ammonium (300 mg/kg/jour par voie orale) est également administré par voie orale pour tenter de dissoudre le ou les calculs, en espérant qu’il ne s’agisse pas de calculs d’oxalate, pour lequels ce traitement est inefficace [3]. Avec ce traitement, l’état de l’animal s’améliore et la miction semble être revenue presque à la normale. Cependant, une semaine plus tard, l’animal rechute et présente de nouveau les mêmes symptômes.
La propriétaire étant très attachée à son animal, une intervention chirurgicale s’impose. Deux techniques sont évoquées : l’amputation du processus urétral et l’urétrostomie. L’amputation du processus urétral consiste à couper la partie la plus distale de l’urètre, les lithiases étant souvent bloquées à cet endroit chez le bouc en raison du rétrécissement de l’urètre dans cette zone. L’intervention est simple après que le gland de l’animal est complètement extériorisé, mais cette étape se révèle parfois difficile. De son côté, l’urétrostomie consiste à disséquer et à couper l’urètre dans sa partie haute afin de l’aboucher en dessous du rectum. Chacune de ces techniques présente des avantages et des inconvénients (tableau).
Une radiographie, réalisée avant l’intervention chirurgicale, montre que le calcul est en position très haute dans l’urètre, ce qui élimine d’emblée l’amputation (photo 1). L’urétrostomie est donc programmée dans la journée.
Les protocoles anesthésiques chez les petits ruminants sont variés, celui qui a été retenu est le suivant :
- xylazine à 2 % (Sedaxylan®) à la dose de 0,1 mg/kg, soit 0,05 ml pour 10 kg par voie intramusculaire (IM) ;
- kétamine (Kétamine 1000®) à raison de 11 mg/kg, soit 4,5 ml pour 40 kg par voie IM.
Le poids de l’animal est estimé à 60 kg. L’anesthésie offre une excellente myorelaxation et permet une contention adéquate pendant trente à quarante minutes. L’urétrostomie ayant duré environ une heure, il a fallu repousser l’anesthésie par voie intraveineuse à demi-dose en cours d’intervention, ce qui a suffi pour terminer l’opération.
Une radiographie est réalisée afin de localiser le calcul. Il est en position haute, à la sortie du bassin.
L’animal est placé en décubitus sternal, les pattes arrière dans le vide, avec un carton sous le ventre de façon à relever son arrière-train par rapport au reste du corps (photo 2). La queue est maintenue en l’air à l’aide d’un lien, et la zone allant du rectum jusqu’au milieu des cuisses est rasée, puis préparée chirurgicalement.
Une incision cutanée d’environ 7 à 8 cm est réalisée : elle part de 3 cm sous le rectum et descend verticalement le long de la ligne médiale du périnée (photo 3). Le fascia entre les deux muscles semi-tendineux est alors disséqué au ciseau, de façon à faire apparaître le corps spongieux dans la partie proximale, avant le S pénien. Le corps spongieux est alors disséqué à son tour, sur toute la longueur de l’incision cutanée, afin de pouvoir le libérer le plus possible et de l’isoler du fascia (photo 4).
Le corps spongieux est sectionné le plus distalement possible, la partie supérieure est extériorisée, puis abouchée à la plaie par quatre points de fixation. Contrairement à une précédente urétrostomie réalisée chez un taureau, le moignon de corps spongieux saigne assez peu, il n’est donc pas nécessaire de ligaturer artères et veines urétrales. La plaie est ensuite refermée avec un plan musculaire, un plan sous-cutané et des points cutanés.
Dès la section du corps spongieux, la miction reprend par jets réguliers et de belle intensité. Un sondage est réalisé pour tenter de pousser le calcul dans la vessie (photo 5). Le calcul est senti lors du passage de la sonde, mais il est impossible de le faire sortir ou entrer dans la vessie. Bien que ce calcul soit resté dans l’urètre, la gêne mictionnelle fonctionnelle semble avoir disparu. Un rinçage abondant de la vessie au sérum physiologique est réalisé avant de retirer la sonde.Au réveil, lorsque l’animal se relève, la tension sur les fils se relâche. La plaie saigne assez abondamment au niveau cutané, ce qui nécessite l’ajout de points simples. Ce saignement aurait pu être évité en limitant le décollement cutané lors de l’intervention.
En période postopératoire, l’animal reçoit un antibiotique (Pénijectyl®, à la dose de 2 ml pour 10 kg par voie IM, une fois par jour pendant sept jours), un anti-inflammatoire (Metacam®, à raison de 5 ml pour 100 kg en injection sous-cutanée unique) et un antispasmodique (Estocelan®, à 1 ml pour 10 kg en IM, une fois par jour pendant quatre jours).
Le bouc retrouve rapidement un comportement normal et ne montre plus de signes de coliques. La miction a repris par jets fréquents et intenses. Le retour de l’appétit est également rapide. Au cours des jours qui suivent l’intervention, la plaie gonfle peu et est régulièrement nettoyée par la propriétaire (photo 6). Au bout de 8 jours, la croûte formée autour du corps spongieux tombe, laissant apparaître un beau tissu de granulation (photo 7). Au retrait des points, quinze jours plus tard, la plaie est propre et sèche, et l’animal a repris le peu d’état perdu pendant la convalescence (photo 8).
L’animal a été revu un mois et demi plus tard, pour une nouvelle obstruction. Le calcul laissé à l’entrée de l’urètre est sûrement à l’origine du blocage. L’animal a donc été de nouveau anesthésié. L’intervention a consisté en un élargissement de l’urètre grâce à une ouverture en biseau au niveau de son moignon. Le calcul a ensuite été repoussé vers la vessie, par hydro-répulsion. Une sonde a été laissée en place pendant trois jours, grâce à un laçage chinois. Au retrait de la sonde, la miction est revenue à la normale. Depuis, l’animal est en parfaite santé, selon sa propriétaire.
La discussion concernant ce cas porte sur deux points : les facteurs de risque d’urolithiase et l’intérêt financier d’une telle technique.
L’urolithiase est la principale affection urinaire chez les petits ruminants. Plusieurs facteurs de risque sont identifiés dans la littérature [1, 2] :
-l’alimentation : une alimentation riche en concentrés et déséquilibrée au niveau du rapport phospho-calcique est le principal facteur de risque. La forte sécrétion de mucoprotéines et de peptides en cas d’alimentation trop riche entraîne la formation de noyaux pour la calculogenèse. D’autre part, une augmentation en phosphore dans l’alimentation et/ou une pauvreté en calcium ont le même effet : l’augmentation de la concentration en ions phosphate dans les urines, ce qui favorise l’agglomération et l’apparition de calculs de struvite ;
-la castration précoce : elle a pour effet de réduire le diamètre de l’urètre, notamment au niveau du S pelvien, ce qui provoque plus facilement une obstruction ;
-la restriction hydrique : l’augmentation de la concentration urinaire favorise la formation des calculs ;
-les autres facteurs de risque : moins évidents et plus ou moins controversés, ils sont mentionnés dans la littérature (dureté de l’eau, utilisation d’œstrogènes, existence préalable d’une infection du tractus urinaire, hypovitaminose A ou D, etc.).
2. Intérêt financier
L’intérêt financier est le second point de discussion. L’intervention chirurgicale, réalisée à la clinique, a coûté environ 300 € à la propriétaire du bouc. Cette somme est bien supérieure à la valeur de l’animal lui-même, et elle n’inclut pas les deux visites préalables et les deux visites de contrôle.
Pourtant, l’aspect financier n’a jamais été un facteur limitant dans ce cas, étant donné qu’il s’agit plutôt d’animaux de compagnie que de rente. La valeur sentimentale de l’animal est donc à prendre en compte pleinement et tous les moyens doivent être mis en œuvre pour tenter de le soigner.
En outre, il est possible de réduire la facture assez facilement, car l’acte chirurgical en lui-même est plutôt simple et ne nécessite aucun matériel spécifique. L’ouverture de l’urètre en biseau dès la première intervention aurait peut-être évité la seconde anesthésie. Les clichés radiographiques, bien qu’aidant au diagnostic et à la décision thérapeutique, sont accessoires. Malgré cela, l’intérêt financier reste limité pour un animal de rente.
Conflit d’intérêts : aucun
• L’urolithiase est la principale affection urinaire chez les petits ruminants. Les facteurs de risque identifiés sont principalement l’alimentation, la castration précoce et la restriction hydrique.
• Le traitement médical, à base d’un antispasmodique et d’un anti-inflammatoire non stéroïdien, n’est pas toujours suffisant. L’administration de chlorate d’ammonium peut favoriser la dissolution du calcul.
• Le traitement chirurgical des lithiases (uniquement celles en position basse) consiste en une amputation du processus urétral ou en une urétrostomie.
• Le coût d’une urétrostomie chez les petits ruminants rend son intérêt financier discutable dans le cadre d’un élevage.
Même en pratique rurale, il est possible de rencontrer un cas qu’il faut traiter comme en « canine ». Dans certaines situations, comme lors d’urolithiase obstructive, le traitement médical est très rapidement limité. Il convient alors de faire un choix entre se résoudre à l’euthanasie, ce qui évite à l’animal de souffrir, ou tenter le tout pour le tout en optant pour le traitement chirurgical, risqué mais relativement facile à mettre en œuvre. L’espérance de vie de l’animal sera probablement raccourcie par ce dernier choix. Néanmoins, l’obligation de moyens s’impose au vétérinaire, même si elle est déraisonnable d’un point de vue financier.