Étape 6 : ÉLECTROPHORÈSE : INDICATIONS ET USAGES - Le Point Vétérinaire n° 410 du 01/10/2020
Le Point Vétérinaire n° 410 du 01/10/2020

L’analyse biochimique en 10 Étapes

Auteur(s) : Nicolas Soetart

Fonctions : LDHVet LabOniris
101, route de Gachet
44300 Nantes

L’électrophorèse des protéines sériques consiste à faire migrer les différentes protéines selon leur poids et leur charge électrique. Le tracé obtenu est étudié et la morphologie des différentes fractions est soumise à une interprétation critique.

Les protéines constituent la majorité des molécules sériques. Elles sont très variées en termes de poids moléculaire, de fonctions et de concentrations. Les dosages biochimiques n’existent que pour une petite partie d’entre elles. Pourtant, leur caractérisation est importante dans l’évaluation de nombreuses maladies (infectieuses, immunitaires, tumorales), tant sur le plan diag­nostique que pronostique.

GÉNÉRALITÉS ET TECHNIQUES

1. Électrophorèse des protéines

L’électrophorèse des protéines permet une séparation des protéines selon des fractions qui possèdent des caractéristiques physicochimiques similaires. Deux types de techniques coexistent.

La plus utilisée est l’électrophorèse sur gel d’agarose (ou plus rarement sur cellulose). Elle consiste à déposer quelques microlitres de sérum à une extrémité du gel (cathodique) et d’y appliquer un champ électrique. Le maillage du gel et le courant électrique permettent une séparation des protéines : les plus légères (poids moléculaire) et les plus chargées négativement migrent le plus loin. Le gel est ensuite coloré avec un réactif spécifique des protéines. Puis, il est placé dans un densitomètre qui permet l’obtention d’un tracé sur lequel la largeur et la hauteur des pics correspondent respectivement à la largeur(1) et à l’intensité(2) de la coloration des bandes présentes sur le gel (figure 1A). Dans la deuxième technique, dite “capillaire”, le sérum, présent dans un tampon alcalin, est d’abord introduit dans un tube capillaire à l’extrémité anodique, puis soumis à un champ électrique pour séparer les fractions. Le sens de migration est inversé par rapport à la technique précédente, mais les fractions protéiques sont identiques. L’analyse densitométrique s’effectue par spectrométrie ultraviolet visible, sans coloration. Le nombre de pics est similaire, mais leurs caractéristiques (hauteur, largeur) diffèrent. Les valeurs de référence de chaque fraction sont donc propres à chaque technique (et à chaque laboratoire). Le pourcentage de chaque pic (c’est-à-dire l’aire sous la courbe) est ensuite converti en concentration, grâce à la mesure préalable de la concentration totale en protéines, via une méthode biochimique. Notons que l’échelle du tracé est adaptée à partir du pic le plus haut (généralement l’albumine) : un pic “très intense” ne correspond donc pas toujours à une concentration élevée (figure 2). Les protéines sont généralement séparées en six fractions principales : albumine, alpha 1, alpha 2, bêta 1 (ou prébêta chez le chat), bêta 2 et gamma-globulines. Chez un animal sain, l’albumine est le pic le plus haut, sa base est la plus étroite (aspect “monoclonal”), car seule cette protéine, la plus abondante à l’état physiologique dans le sang, migre dans cette région. Les autres pics, d’intensité plus faible et à la base plus large (aspect “polyclonal”), sont en réalité une superposition de pics de plus faible intensité qui correspondent à chacune des protéines ayant migré dans la région (figure 1B).

2. Étapes préanalytiques

La réalisation d’une électrophorèse des protéines sériques nécessite l’obtention d’un sérum, c’est-à-dire du sang prélevé sur un tube sec et centrifugé après décantation et coagulation(3). L’utilisation de plasma donne lieu à une surestimation des fractions ß1 et ß2, car les protéines de la coagulation présentes, dont le fibrinogène, migrent dans ces régions (figure 3A). La présence d’hémoglobine dans le sérum (hémolyse) peut également modifier le tracé électrophorétique, car cette protéine migre en région ß1 et surestime ce pic (figure 3B). Une fois préparé, le sérum peut se conserver plusieurs jours au frais et plusieurs mois après congélation à - 20 °C. Cette analyse est généralement peu coûteuse (entre 25 et 30 € selon les laboratoires).

INTERPRÉTATIONS ET INDICATIONS

1. Principes généraux

L’indication majeure de la réalisation d’une électrophorèse des protéines sériques est la diminution du rapport albumine/globulines (A/G) qui se situe entre 1 et 1,5 chez un animal sain. La diminution du rapport A/G indique soit une baisse de l’albuminémie, soit une augmentation de la globulinémie, ou une combinaison des deux. Les valeurs usuelles peuvent varier d’un laboratoire à l’autre mais, de manière générale, l’albuminémie normale se situe entre 25 et 35 g/l et la protéinémie entre 60 et 80 g/l. Chez un animal sain, la concentration en α1-globulines est inférieure à 5 g/l, celle en α2 est inférieure à 10 g/l et la somme des ß-globulines est inférieure à 15 g/l. La quantité de γ-globulines est usuellement inférieure à 15 g/l.

Compte tenu de la migration des protéines dans les différentes régions, une augmentation en α et/ou ß-globulines correspond souvent à un contexte inflammatoire non spécifique. Une hausse en α-globulines, voire en ß-globulines, est fréquemment associée à une production d’immunoglobulines (voir les exemples ci-après).

L’interprétation numérique doit impérativement être suivie d’une interprétation graphique pour évaluer la forme et l’intensité relative de chaque pic. Cette étape est indispensable, car des modifications de faible ampleur peuvent ne pas engendrer de modification numérique, mais reflètent pourtant un processus pathologique grave.

Lorsqu’un pic semble plus proéminent que la normale, il convient de déterminer si sa base est large ou étroite en comparaison de celle du pic de l’albumine. Un pic large est dit polyclonal. Cela correspond à la situation la plus courante et signifie que plusieurs protéines de cette fraction sont en concentration augmentée (un ensemble de protéines inflammatoires, par exemple). Par ailleurs, un pic, généralement surajouté, avec une base étroite (c’est-à-dire équivalente à celle du pic de l’albumine), est dit monoclonal et signifie qu’une protéine unique est en concentration augmentée (une immunoglobuline spécifique, notamment).

2. Maladies inflammatoires et infectieuses

Alors qu’une augmentation polyclonale de plusieurs fractions de globulines est fréquente et peu spécifique dans toute atteinte inflammatoire ou infectieuse, lors de certaines maladies, la modification du tracé électrophorétique est un argument majeur de la démarche diagnostique ou pronostique.

Péritonite infectieuse féline (PIF)

Chez le chat, le diagnostic de PIF, due à un ß-coronavirus félin (FCoV), repose sur différents arguments clinico-biologiques. Une diminution du rapport albumine/globulines, associée à une modification du tracé électrophorétique, est observée dans près de 90 % des cas [2]. Classiquement, l’hyperglobulinémie est due à une augmentation en α et ß-globulines par l’hypersécrétion de protéines positives de l’inflammation aiguë (serum amyloïd A, haptoglobine et α-glycoprotéine, notamment) et à une élévation polyclonale (exceptionnellement monoclonale) en γ-globulines, due à une stimulation lymphoplasmocytaire accrue (figure 4). Ces modifications ne sont pas pathognomoniques (faible valeur prédictive positive), mais le diagnostic de PIF est très peu probable en cas d’absence de modification du protéinogramme (valeur prédictive négative proche de 100 %) [4, 9].

Leishmaniose

La leishmaniose, secondaire à l’infestation par Leishmania infantum, est à l’origine d’une réponse immunitaire particulière dont les caractéristiques sont directement liées à la progression de la maladie. Elles déterminent l’expression des signes cliniques et le pronostic. Tant que l’immunité cellulaire prévaut sur l’immunité humorale, l’expression clinique est peu intense, voire inexistante. Lorsque la maladie progresse et s’aggrave, l’inverse se produit. La stimulation lymphoplasmocytaire qui en résulte se traduit par une production accrue d’immuno­globulines, et l’état inflammatoire généralisé est signalé par une importante production de protéines positives de l’inflammation. Sur le tracé électropho­rétique, une progression des α2-globulines et une augmentation en ß ou en γ-globulines polyclonales (figure 5A), rarement oligoclonales (figure 5B) et exceptionnellement monoclonales, sont observées. Une élévation des ß2-globulines et une diminution de l’albuminémie sont également fréquemment notées. Ces modifications protéiques permettent la détermination du stade de la maladie chez le chien, nécessaire à l’adaptation thérapeutique [8, 10].

Autres maladies

Des modifications du protéinogramme sont décrites dans d’autres maladies, mais leur intérêt diagnostique ou pronostique est plus limité. Des gammapathies polyclonales ou oligoclonales sont rapportées lors d’ehrlichiose canine (infection par Ehrlichia canis) [7] (figure 6A). Chez le chat, l’infection rétrovirale ( feline immunodeficiency virus, ou FIV ; feline leukemia virus, ou FeLV) peut également donner lieu à des modifications électrophorétiques [6]. Elles ne sont pas systématiques et traduisent le plus souvent des maladies inflammatoires concomitantes (stomatite, par exemple).

Lors d’affection hépatique, en particulier en cas d’hépatite chronique, une hyperglobulinémie avec augmentation concomitante des ß et γ-globulines, qui aboutit à la formation d’un “bloc bêta-gamma” sur le protéinogramme, a longtemps été considérée comme pathognomonique (figure 6B). Une étude récente a tempéré cette affirmation, car cette anomalie peut également être observée lors de maladie infectieuse [1].

3. Tumeurs immunosécrétantes

La présence d’un pic monoclonal en région gamma ou bêta (souvent appelée “gammapathie monoclonale”) est le reflet d’une production d’immunoglobulines sécrétées par un unique clone lymphocytaire. Ainsi, cette prolifération clonale est l’apanage des lymphoproliférations tumorales (en particulier des cellules lymphoïdes B plasmo­cytaires, spécialisées dans la sécrétion d’immunoglobulines). Quelques rares exceptions sont rapportées dans la littérature, infectieuses notamment (voir le paragraphe précédent).

Chez le chien, la cause d’une gammapathie monoclonale est le plus fréquemment un myélome multiple, c’est-à-dire une tumeur plasmocytaire qui a souvent un point de départ médullaire (avec présence de géodes osseuses). Il est multicentrique, avec une extension possible aux organes lymphoïdes périphériques. L’électrophorèse des protéines tient une place centrale dans le diagnostic de cette tumeur, en plus de la réalisation d’un myélogramme. D’autres causes tumorales sont également rapportées, comme les lymphomes de type B ou les autres tumeurs plasmo­cytaires (leucémie plasmocytaire, maladie de Waldenström).

Chez le chat, les gammapathies monoclonales sont plus rares et fréquemment associées aux tumeurs plasmocytaires (dénommées myeloma related disorder), dont le point de départ est le plus souvent extramédullaire (splénique et cutané en particulier) [5].

Le tracé électrophorétique peut varier selon le type d’immunoglobulines produites. Ainsi, une immunoglobuline M (IgM) migre généralement en région bêta et une IgG va plutôt en région gamma (figures 7A et 7B). Une IgA migre le plus souvent à la frontière entre la région ß2 et γ et peut avoir un aspect bimodal qui reflète la présence de monomères et de dimères d’une même immunoglobuline (figure 7C).

Les différences de migration évoquées ne sont toutefois pas systématiques et il peut être nécessaire de typer la gammapathie monoclonale à l’aide d’une immuno­électrophorèse.

4. Immunoélectrophorèse

Après la migration des protéines sur le gel d’agarose, des anticorps dirigés spécifiquement contre un type d’immunoglobulines(4) sont mis en contact avec le sérum de l’animal. Si l’immunoglobuline spécifiquement recherchée est présente, un complexe immun se forme et précipite. Les protéines non précipitées sont ensuite éliminées du gel par lavage, et seul l’arc de précipitation est coloré.

La forme et l’intensité de l’arc de précipitation sont ensuite évaluées en comparaison d’un sérum témoin. Plus l’arc est dense en regard d’un antisérum, plus la concentration en immunoglobuline de ce type est importante. L’aspect monoclonal de l’immunoglobuline est confirmé par un arc déformé et précipitant plus près de la ligne de dépôt de l’antisérum (figure 8). L’immunoélectrophorèse permet également de mettre en évidence la chaîne légère de l’immunoglobuline monoclonale. En revanche, il n’existe pas d’anti­sérum vétérinaire permettant de différencier leur type (kappa ou lambda).

L’immunoélectrophorèse est intéressante pour le diagnostic de certitude d’une gammapathie monoclonale, notamment en présence d’un protéinogramme qui montre plusieurs pics (figure 7C). Elle est aussi pertinente pour établir le diagnostic de macroglobulinémie de Waldenström, qui est une gammapathie monoclonale à IgM et dont le traitement et le pronostic diffèrent de ceux des autres gammapathies [3].

5. Déficits immunitaires humoraux

Lors d’une suspicion de déficits immunitaires humoraux primaires (rares) ou secondaires (infectieux notamment), une hypogammaglobulinémie est généralement présente, et peut être mise en évidence à l’électrophorèse. La recherche de déficits spécifiques en immunoglobuline nécessite les dosages quantitatifs des différentes immunoglobulines, lesquels sont malheureusement peu accessibles aux vétérinaires en France.

  • (1) Sur l’électrophorèse, plus la bande est large, c’est-à-dire plus le pic est large sur le tracé, plus de nombreuses protéines aux propriétés communes, mais pas tout à fait similaires, ont migré au même endroit.

  • (2) Plus le pic est haut sur le tracé, donc plus la bande est colorée sur l’électrophorèse, plus la quantité de protéines est importante.

  • (3) Voir « les analyses biochimiques : éviter les erreurs 2/2 », dans le point vétérinaire n° 405, mai 2020.

  • (4) Correspond à un antisérum.

Références

  • 1. Camus MS, Krimer PM, LeRoy BE et coll. Evaluation of the positive predictive value of serum protein electrophoresis beta-gamma bridging for hepatic disease in three domestic animal species. Vet. Pathol. 2010;47 (6):1064-1070.
  • 2. Felten S, Hartmann K. Diagnosis of feline infectious peritonitis: a review of the current literature. Viruses. 2019;11 (11):1068.
  • 3. Jaillardon L, Fournel-Fleury C. Waldenström’s macroglobulinemia in a dog with a bleeding diathesis. Vet. Clin. Pathol. 2011;40 (3):351-355.
  • 4. Jeff ery U, Deitz K, Hostetter S. Positive predictive value of albumin: globulin ratio for feline infectious peritonitis in a mid-western referral hospital population. J. Feline Med. Surg. 2012;14 (12):903-905.
  • 5. Mellor PJ, Haugland S, Murphy S et coll. Myelomarelated disorders in cats commonly present as extramedullary neoplasms in contrast to myeloma in human patients: 24 cases with clinical follow-up. J. Vet. Intern. Med. 2006;20 (6):1376-1383.
  • 6. Miró G, Doménech A, Escolar E et coll. Plasma electrophoretogram in feline immunodefi ciency virus (FIV) and/or feline leukaemia virus (FeLV) infections. J. Vet. Med. A. 2007;54 (4):203-209.
  • 7. Moore AR, Avery PR. Protein characterization using electrophoresis and immunofi xation: a casebased review of dogs and cats. Vet. Clin. Pathol. 2019;48 (S1):29-44.
  • 8. Paltrinieri S, Gradoni L, Roura X et coll. Laboratory tests for diagnosing and monitoring canine leishmaniasis. Vet. Clin. Pathol. 2016;45 (4):552-578.
  • 9. Pedersen NC. An update on feline infectious peritonitis: diagnostics and therapeutics. Vet. J. 2014;201 (2):133-141.
  • 10. Solano-Gallego L, Miró G, Koutinas A et coll. LeishVet guidelines for the practical management of canine leishmaniosis. Parasit. Vectors. 2011;4 (1):86.
  • 11. Stockham SL, Scott MA. Proteins. In: Fundamentals of veterinary clinical pathology. 2nd edition. Oxford, UK: Wiley-Blackwell. 2008:369-414.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• L’électrophorèse permet la séparation des différentes protéines sériques selon leur poids et leur charge.

• L’obtention préalable d’un sérum de bonne qualité est obligatoire. La présence de protéines de la coagulation ou encore l’hémolyse modifient significativement les résultats.

• La diminution du rapport albumine/globulines est l’indication majeure de la mise en œuvre d’une électrophorèse des protéines sériques.

• L’analyse quantitative des différentes concentrations protéiques doit impérativement être concomitante de l’analyse qualitative du protéinogramme.

• Lors de leishmaniose canine, la réalisation d’un protéinogramme est importante pour déterminer le stade de la maladie.

• L’électrophorèse est un élément majeur du diagnostic des tumeurs plasmocytaires et l’immuno-électrophorèse permet de déterminer le type d’immunoglobulines produites.

CONCLUSION

L’électrophorèse des protéines séri­ques est un examen biologique peu coûteux qui permet de mettre en évidence les différentes fractions protéiques présentes dans le sérum. Elle est particulièrement indiquée lors de la baisse du rapport albumine/globulines, notamment lors de suspicion ou de suivi de certaines maladies infectieuses (PIF, leishmaniose) ou pour le diagnostic des gammapathies monoclonales d’origine tumorale.