CHIRURGIE
Expert canin
Auteur(s) : Mélissa Pottier*, Kévin Minier**
Fonctions :
*(Dipl. ECVS)
Oncovet
Avenue Paul Langevin
59650 Villeneuve d’Ascq
Le plasmocytome solitaire est une lésion tumorale au pronostic relativement bon après une exérèse complète. Un suivi rigoureux de l’animal est toutefois nécessaire afin de détecter une éventuelle évolution vers un myélome multiple.
Un chien briard, âgé de 4 ans, est référé en consultation oncologique à la suite de l’exérèse d’un nodule intrabuccal muqueux exophytique effectuée par un confrère. cette lésion mesurait environ 8 mm et était située caudalement aux deux dents incisives “i1” inférieures. un point de suture muqueux, placé lors de l’intervention, est toujours présent sur la zone lésée (photo 1).
L’analyse histologique du nodule indique qu’il s’agit d’un plasmocytome muqueux, retiré en marges infiltrées. Un bilan d’extension tomodensitométrique locorégional (scanner) met en évidence une lyse osseuse mandibulaire discrète en regard de la zone d’exérèse du plasmocytome. Le reste de l’examen au scanner à distance est normal (nœuds lymphatiques mandibulaires, thorax, membres et rachis sans signes de métastases).
Un bilan sanguin classique (numération-formule sanguine, biochimie de base) est réalisé et les résultats ne montrent pas d’anomalie notable.
Une reprise chirurgicale est conseillée aux propriétaires. Une mandibulectomie rostrale est préconisée avec, en solution alternative, un traitement local par radiothérapie. L’équipe vétérinaire et les propriétaires décident finalement d’opter pour la chirurgie.
L’animal est anesthésié (prémédication au fentanyl par voie intraveineuse à la dose de 5 µg/kg, induction intraveineuse au propofol à raison de 4 mg/kg puis relais gazeux à l’isoflurane après l’intubation endotrachéale). Une analgésie par perfusion continue d’une association de fentanyl et de lidocaïne (débits de 5 µg/kg/h et 2 mg/kg/h respectivement) est mise en place simultanément. Le chien est placé en décubitus sternal, avec la mâchoire supérieure suspendue à un arceau, car cette position libère les mandibules.
Un bloc anesthésique local est réalisé de façon bilatérale dans chaque trou mentonnier (mélange de xilocaïne et de bupivacaïne à la posologie de 2 mg/kg).
Après une asepsie de la zone, une incision à la lame froide et une élévation périostée de la muqueuse mandibulaire rostrale sont effectuées, en respectant des marges caudales de 1 cm et en formant un “V” de manière à conserver les crocs mandibulaires (photo 2). L’ostectomie mandibulaire rostrale est réalisée avec une scie oscillante selon un axe identique à la section de la muqueuse. L’hémostase des vaisseaux mandibulaires est assurée à l’aide d’un bistouri électrique bipolaire.
Ensuite, quatre forages osseux sont pratiqués dans la partie dorsale de la mandibule, afin d’assurer l’ancrage d’un plan de tissus en profondeur. Cet ancrage osseux profond limite la tension exercée sur la plaie. En effet, la muqueuse qui recouvre l’os mandibulaire est très fine, ce qui ne facilite pas la réalisation des deux plans de suture recommandés.
Enfin, la muqueuse est suturée par un surjet simple apposant avec un monofilament résorbable (photo 3).
En fin d’intervention, la perfusion analgésique est poursuivie durant vingt-quatre heures à dose dégressive, puis le relais est pris par voie orale (tramadol à la dose de 4 mg/kg deux fois par jour pendant cinq jours). Un traitement antibiotique est maintenu (amoxicilline et acide clavulanique à raison de 12,5 mg/kg deux fois par jour pendant cinq jours), associé à un traitement anti-inflammatoire (méloxicam à la posologie de 1 mg/kg durant sept jours). Le port d’un carcan est recommandé pour une durée de dix jours. Une alimentation “molle” est indiquée pendant trois semaines, en veillant à éviter la prise d’objets solides en bouche.
Une reprise de l’alimentation spontanée est constatée le lendemain. Le chien est rendu à ses propriétaires quarante-huit heures après l’intervention et son appétit redevient normal trois jours plus tard.
L’analyse histologique confirme la présence d’une lésion plasmocytaire au sein de l’os mandibulaire. Les marges d’exérèse sont de 8 mm au minimum.
Un suivi simple est conseillé (inspection et palpation de la zone, examen buccal complet pour rechercher une douleur osseuse et dosage des protéines plasmatiques tous les quatre à six mois).
Lors du premier contrôle, le chien a repris une alimentation autonome à base de croquettes. Les propriétaires sont très satisfaits de l’esthétique de leur animal.
Un an après l’intervention, le chien est toujours en rémission complète.
Conflit d’intérêts : Aucun
Le plasmocytome concerne aussi bien les tissus mous (plasmocytome extramédullaire) que les os (plasmocytome osseux solitaire). Chez le chien, cette tumeur peut être rencontrée dans toutes les régions anatomiques. Toutefois, la peau est la localisation préférentielle, devant la muqueuse de la cavité orale et les lèvres [2]. Le cocker (américain et anglais) et le westie sont les deux principales races prédisposées à la maladie. L’âge moyen d’apparition se situe entre 9 et 10 ans.
Le diagnostic peut être établi à l’aide d’un examen cytologique ou grâce à une analyse histologique effectuée sur une biopsie. Dans la plupart des cas, le plasmocytome extramédullaire a un comportement de tumeur bénigne et le contrôle tumoral local est suffisant, hormis dans le cas des plasmocytomes extramédullaires gastro-intestinaux qui peuvent être plus agressifs. Concernant le plasmocytome osseux solitaire, une évolution en myélome multiple est souvent observée mais, d’après les publications sur cette maladie, le délai de dépistage d’autres lésions varie de quelques mois à plusieurs années [2].
Les plasmocytomes extramédullaires, qui représentent 5,2 % des tumeurs orales chez le chien, sont décrits sur la langue, la mandibule rostrale, le palais dur et la lèvre supérieure. La présentation clinique classique est un nodule unique, lisse et rouge, qui peut être ulcéré, voire saigner [1].
Lorsque le diagnostic de plasmocytome extramédullaire gastro-intestinal ou de plasmocytome osseux solitaire est établi, un bilan d’extension complet est souhaitable (myélogramme, électrophorèse des protéines sériques et bilan radiographique des membres) pour vérifier qu’il s’agit bien d’une maladie localisée. En effet, la prise en charge d’un myélome multiple est très différente. Dans ce cas, un protocole de chimiothérapie est recommandé, associé ou non à une irradiation palliative des lésions osseuses visibles, notamment dans un objectif analgésique.
L’intérêt d’initier un protocole de chimiothérapie à la suite de l’exérèse d’un plasmocytome osseux solitaire ou d’un plasmocytome extramédullaire gastro-intestinal, avant le développement d’une maladie systémique, est discuté et non documenté en médecine vétérinaire.
En médecine humaine, des études n’ont pu mettre en évidence aucun bénéfice lié à la réalisation de ce type de traitement “préventif” [2].