L’analyse biochimique en 10 étapes
Auteur(s) : Antoine Lecomte
Fonctions : LDHVet LabOniris
101, route de Gachet
44300 Nantes
La collaboration entre le vétérinaire et le biologiste est indispensable pour mettre en place le protocole de dosage adapté et ainsi établir le bon diagnostic.
L’évaluation du fonctionnement endocrinien gonadique n’est pas fréquente pour le praticien généraliste canin. Si, lors d’infertilité ou au cours d’un contrôle de stérilisation, il existe peu de risques concernant la santé de l’animal, il n’en va pas de même pour la réputation du vétérinaire. C’est pourquoi ces consultations doivent être bien maîtrisées. L’objectif de cet article est de présenter l’évaluation biologique de la fonction gonadique chez le chien et le chat.
L’évaluation du statut gonadique permet de savoir si l’animal est stérilisé. Elle est réalisée dans deux situations :
– en présence d’un animal recueilli, pour lequel le statut vis-à-vis de la stérilisation est inconnu ;
– lors d’une suspicion d’échec de la castration chirurgicale (rémanence ovarienne, testicule intra-abdominal non trouvé, etc.).
Plusieurs protocoles de mesures biologiques sont décrits dans les publications. Cet article présente les principaux tests qui sont disponibles en France (tableau 1).
Les hormones de la fonction gonadique, comme toutes les hormones de l’organisme à des degrés divers, sont sécrétées de façon pulsatile, car elles sont soumises en permanence à de nombreux stimuli et régulées par des rythmes circadiens. Cependant, il est possible d’interpréter des valeurs basales en mesurant au même moment plusieurs hormones impliquées dans la fonction de reproduction.
Une autre possibilité est de stimuler la fonction gonadique avec un analogue de l’hormone lutéinisante (LH) : l’hormone chorionique gonadotrope humaine (hCG, Chorulon®). Cette dernière, produite lors de la grossesse chez les primates, mais également chez la jument (equine chorionic gonadotropin ou eCG), a une action sur les récepteurs de l’hormone lutéinisante, ce qui entraîne une stimulation de la production de testostérone et de progestérone chez le mâle et la femelle, respectivement.
Si ce test semble produire de bons résultats, la nécessité de réaliser plusieurs mesures, d’attendre la phase d’œstrus chez la femelle, la quasi-inexistence de données publiées sur ses performances diagnostiques et la nécessité non anodine d’administrer un analogue hormonal l’ont rendu désuet. L’un de ses intérêts demeure cependant sa capacité à différencier une sécrétion surrénalienne d’hormones sexuelles d’une sécrétion gonadique, notamment chez le chat.
Il est dorénavant utilisé principalement en complément, lorsque les autres tests ne permettent pas de conclure avec certitude.
L’hormone antimüllérienne est un facteur de croissance (famille des transforming growth factors beta) produit par les cellules de Sertoli du testicule fœtal qui permet la régression des canaux de Müller à l’origine de la différenciation sexuelle. Chez le fœtus femelle, en l’absence de cette hormone, les canaux de Müller évoluent en voies génitales femelles (utérus et oviductes). À l’âge adulte, après la différenciation sexuelle, l’hormone antimüllérienne est produite uniquement par les cellules gonadiques : cellules de Sertoli chez le mâle et cellules de la granulosa chez la femelle, chez laquelle elle joue un rôle dans la régulation du développement folliculaire. Sa détection est ainsi strictement spécifique de la présence de tissu gonadique, ce qui permet de déterminer le statut sexuel avec une forte valeur prédictive positive [1]. Chez la femelle, un pic plasmatique est atteint lors de l’œstrus, puis la concentration s’effondre rapidement au moment où l’activité lutéale, donc la progestéronémie, augmente (figure) [1, 10].
Le dosage concomitant de la progestérone et de l’hormone antimüllérienne permet ainsi d’augmenter la sensibilité du test de détermination du statut gonadique [8]. Il en est de même pour le mâle, chez lequel la mesure de la testostéronémie avec l’AMH sanguine est recommandée.
Le dosage de l’hormone antimüllérienne s’effectue dans un laboratoire vétérinaire spécialisé sur du plasma hépariné ou du sérum, sans conditions particulières d’acheminement. Par son rôle central dans la physiologie sexuelle, cette hormone pourrait avoir de nombreuses autres applications en reproduction (encadré 1, en ligne sur www.lepointveterinaire.fr).
Le rôle principal de la LH, une hormone hypophysaire, est le déclenchement de l’ovulation et la mise en place du corps jaune chez la femelle, ainsi que la régulation de la production de testostérone chez le mâle. Le contrôle de sa production est réalisé, entre autres, via une boucle de rétroaction faisant intervenir la gonadolibérine (GnRH) et plusieurs hormones stéroïdes sexuelles. Pour déterminer le statut gonadique, le dosage de l’hormone lutéinisante repose sur le fait qu’en l’absence de gonade, le rétrocontrôle négatif par certains stéroïdes sexuels sur la sécrétion de LH est levé, entraînant une hausse marquée de sa concentration sanguine. Ainsi, il est possible de déterminer une concentration sanguine seuil, variable selon les techniques de dosage, au-delà de laquelle le test est négatif (autrement dit, l’animal est bien stérilisé) [1]. Il existe cependant un risque de faux négatifs (animaux non stérilisés classés comme stérilisés) lors de l’œstrus, moment du pic physiologique de LH. Le dosage doit donc être réalisé en dehors des signes de chaleurs, dans un laboratoire vétérinaire spécialisé ou à l’aide d’un test semi-quantitatif tel qu’un test rapide immunochromatographique au chevet de l’animal [7].
Un motif d’appel fréquent au laboratoire est un résultat négatif pour un animal présentant tous les signes de la présence de tissus gonadiques : des comportements sexuels, des écoulements vulvaiimprégnation œstrogénique, une attirance pour les mâles chez la femelle et des comportements sexuels pouvant aller jusqu’à une “saillie”, une attirance pour les femelles, voire de l’agressivité chez le mâle. Les causes les plus fréquentes sont :
– les vaginites, qui peuvent entraîner une tuméfaction vulvaire, des comportements de léchage et l’attirance des mâles. Le diagnostic repose sur le tableau clinique et la réalisation d’un frottis vaginal ;
– une imprégnation exogène. Les stéroïdes sexuels ont de nombreuses applications en médecine humaine : ménopause, traitement de certains cancers (sein, prostate, par exemple). Or ces stéroïdes peuvent être présents sur la peau, soit lorsque la voie d’administration est transdermique, soit dans la sueur (y compris lors de grossesse). Ainsi, par les caresses du propriétaire ou par léchage, l’animal est exposé à des hormones sexuelles (cas typique du chien de petite taille, à poils courts, fréquemment porté dans les bras) ;
– une sécrétion surrénalienne de précurseurs stéroïdiens sexuels (notamment chez le chat) ;
– des troubles purement comportementaux, associés ou non à une dysprolactinémie. En effet, la prolactine potentialise l’effet de l’hormone corticotrope sur les corticosurrénales.
L’infertilité est multifactorielle (infectieuse, inflammatoire, anatomique, endocrinienne, etc.). Définie comme l’absence de naissance d’un fœtus viable, elle regroupe l’infécondité (femelle ou mâle) et les avortements, précoces comme tardifs. L’exploration biologique d’une infertilité doit être envisagée dans un contexte évocateur et en parallèle de l’exclusion des autres causes possibles (anatomiques, techniques, etc.).
Chez la femelle, les bilans endocriniens pour évaluer d’éventuelles causes d’infertilité sont réalisés dans deux situations principales : l’absence de manifestation de chaleurs et l’absence de gestation viable malgré la saillie ou insémination par un mâle fécond.
Les dosages qui composent ces bilans sont multiples et techniquement non réalisables à la clinique. Ils doivent être envoyés à un laboratoire vétérinaire spécialisé. Comme pour toutes les explorations biologiques, la collaboration entre le praticien et le biologiste est indispensable (confrontation du bilan biologique avec un examen clinique et génital approfondi, éventuellement couplé à des examens d’imagerie, endoscopiques, cytologiques) afin de mettre en place une stratégie thérapeutique adaptée (par exemple, lyse médicamenteuse d’un kyste lutéal, exérèse d’une tumeur ovarienne, etc.).
Sans signes visibles, il est important d’exclure l’existence de “chaleurs silencieuses” avant de pouvoir conclure à une absence de cyclicité. En pratique, il s’agit de réaliser un frottis vaginal mensuel, sur une période de six mois au minimum, afin d’objectiver une imprégnation œstrogénique. Une absence de chaleurs est déclarée si aucune imprégnation œstrogénique n’est mise en évidence sur le frottis vaginal pendant douze mois consécutifs.
Chaque hormone impliquée dans la fonction de reproduction, qu’elle soit gonadique ou extragonadique, peut fortement influer sur le déroulement du cycle, ce qui explique la multitude de causes à envisager lors d’absence de manifestations de chaleurs (tableau 2, en ligne sur www.lepointveterinaire.fr). En cas de mise en évidence de signes de proœstrus à la cytologie vaginale en l’absence de signes de chaleurs visibles (“chaleurs silencieuses”), un suivi hormonal peut être entrepris pour observer si les concentrations des principales hormones impliquées dans la fertilité (estradiol, progestérone et prolactine) suivent des variations cycliques physiologiques (photos 1a et 1b, tableau 3). Si une absence de cyclicité est objectivée (aucune imprégnation œstrogénique au frottis vaginal pendant douze mois consécutifs), un défaut de formation ou de fonctionnement ovarien (par exemple, puberté tardive, effet iatrogène des glucocorticoïdes topiques ou systémiques, progestagènes et antifongiques, troubles du comportement avec hyperprolactinémie, autres dysendocrinies dont l’obésité(1)) ou une absence d’ovaires (aplasie, stérilisation non documentée) doivent être envisagés (encadré 2, en ligne sur www.lepointveterinaire.fr). En plus de la mesure de l’estradiol, de la progestérone et de la prolactine, la mesure de l’hormone antimüllérienne pourrait être intéressante pour objectiver la réserve folliculaire, comme ce qui est décrit chez la femme.
Parfois, malgré une expression normale des chaleurs et une saillie ou insémination réussie, la gestation n’arrive pas à son terme. Dans ce cas, deux possibilités se dégagent : soit la fécondation n’a pas eu lieu, soit l’embryon formé ne peut être mené à terme. Dans un premier temps, il convient d’exclure toute cause non endocrinienne de cet échec (anatomique, infectieuse, iatrogène, endocrinienne extragonadique, etc.). Une fois ces causes exclues, un suivi avec une mesure de l’estradiol, de la progestérone et de la prolactine est mis en place à partir du début du proœstrus, pour mettre en évidence une éventuelle cause gonadique (chaleurs anovulatoires, kyste folliculaire, insuffisance lutéale, etc.).
Chez la chatte, l’ovulation étant déclenchée par le coït, des prises de sang 24 heures avant la saillie, puis 24 et 72 heures après, sont à réaliser. La mesure de la progestérone ne permet pas de différencier une gestation d’un diœstrus (chienne) ou d’une pseudogestation (chatte). Chez la chienne, seule la mesure sanguine de la relaxine (hormone placentaire, pour laquelle un test rapide est disponible) après 25 jours de gestation présumée peut confirmer biologiquement une gestation.
L’infertilité chez le mâle est définie comme une incapacité à procréer en raison d’un défaut du sperme. Comme chez la femelle, de nombreuses origines gonadiques et extragonadiques sont possibles. Il existe des causes d’échec de la saillie sans altération de la qualité du sperme (absence ou diminution de la libido, troubles éjaculatoires, infections, malformations, etc).
L’analyse de la qualité du sperme, via un spermogramme (évaluation des propriétés biochimiques, cytologie, etc.), constitue la première étape obligatoire de l’évaluation de l’infertilité chez le mâle. Elle permet d’orienter la suspicion diagnostique du vétérinaire et le choix des examens complémentaires à réaliser. L’évaluation biologique de l’infertilité chez le mâle s’effectue en premier lieu par la mesure sanguine de testostérone (avec une stimulation à l’hormone chorionique gonadotrope humaine), de l’estradiol basal et de l’hormone antimüllérienne. Que ce soit dans le cas d’une absence ou d’une baisse de la libido ou de la mauvaise qualité du sperme, la cause principale à envisager est un hypogonadisme d’origine iatrogène (glucocorticoïdes topiques ou systémiques, antifongiques, anabolisants), gonadique (tumeurs testiculaires sécrétantes ou non) ou extragonadique (dysendocrinies dont obésité, hypothyroïdie ou troubles primaires du comportement avec hyperprolactinémie).
Conflit d’intérêts : Aucun
• Chez le chien et le chat, le dosage de l’hormone antimüllérienne, couplé à celui de la progestérone chez la femelle et de la testostérone chez le mâle, permet d’évaluer le statut gonadique.
• Le test de stimulation à l’hormone chorionique gonadotrope humaine est à réserver à certains cas douteux.
• L’obésité et le stress organique sont des causes fréquentes de dysendocrinies, y compris sexuelles.
• L’interaction entre le praticien et le biologiste est primordiale en endocrinologie, en particulier lors de l’exploration d’une infertilité.
De nombreuses raisons peuvent amener le praticien à explorer biologiquement le fonctionnement gonadique chez le chien et le chat. Même si certains dosages sont disponibles à la clinique (hormone lutéinisante, progestérone, relaxine, par exemple), dans la majorité des cas, un envoi à un laboratoire spécialisé est nécessaire. En conséquence, l’interaction entre le vétérinaire et le biologiste est particulièrement importante, tant pour mettre en place un protocole de dosage adapté que pour établir un diagnostic éclairé et initier une stratégie thérapeutique optimale.