ÉLEVAGE LAITIER
Article original
Auteur(s) : Ellen Schmitt-Van de Leemput*, Ian Ohnstad**
Fonctions :
*Vetformance
1, rue Pasteur
53700 Villaines-la-Juhel
**The Dairy Group
Royaume-Uni
L’analyse fonctionnelle de la traite est un élément essentiel de l’audit de la qualité du lait. Elle permet de vérifier le bon déroulement de la traite et, le cas échéant, de proposer des pistes d’amélioration.
Les modalités de la traite des vaches laitières jouent un rôle important dans la qualité du lait et le bien-être des animaux. La définition d’une traite réussie n’est pas aisée, mais en règle générale, une traite rapide, complète et sans douleur est recherchée, afin d’obtenir un lait de bonne qualité et de respecter le bien-être animal [4, 8]. La réussite de la traite dépend de la qualité de l’interaction entre trois éléments : la machine, le trayeur et les vaches. Or trop souvent, cette interaction est réduite à un seul élément, le fonctionnement de la machine à sec. En France, la vérification du bon fonctionnement de la machine à traire est réglementée (1). L’Opti’Traite, un contrôle technique régulier des installations de traite (vérification du montage, de l’état et du fonctionnement à sec de l’installation), est obligatoire et conditionne une partie de aides de la politique agricole commune (PAC). Il est à réaliser tous les ans, avec un intervalle maximal de dix-huit mois entre deux contrôles. L’Opti’Traite doit être effectué par des techniciens agréés par le Comité français interprofessionnel pour les techniques de production du lait (Cofit)(1). Ce dernier propose trois autres tests à sec, fortement conseillés, mais pas obligatoires : Certi’ Traite (contrôle de conformité du montage et du fonctionnement pour toute nouvelle installation), Net’Traite (contrôle du système de nettoyage de l’installation) et Dépos’Traite (contrôle du montage et du réglage du système de dépose automatique des faisceaux trayeurs). Une installation de traite conforme à l’ensemble des exigences de ces quatre tests est indispensable pour obtenir le résultat souhaité en termes de qualité du lait et de bien-être animal. Cependant, une installation en conformité avec les exigences du Cofit est seulement un bon début. Les observations plutôt “mécaniques” obtenues grâce aux tests à sec sont à compléter par d’autres, plus “fonctionnelles”, pendant la traite, afin de vérifier que l’interaction entre la machine, les vaches et les trayeurs aboutit au résultat recherché : une traite rapide, complète et sans douleur.
Cet article décrit le déroulement d’un audit fonctionnel de traite. Pour chaque phase, la performance visée est précisée. Les conséquences des sous-performances d’une partie de la traite, ainsi que des pistes d’amélioration sont ensuite exposées.
L’objectif final de la traite (rapide, complète et sans douleur) est mesurable par trois paramètres : sa durée, la quantité de lait résiduel dans les quartiers, et ses effets sur l’intégrité de la vache (signes d’inconfort, lésions sur les trayons).
Pour des raisons économiques, une traite rapide est recherchée. Dans les exploitations équipées d’une machine à traire, cette tâche représente jusqu’à 33 % du temps de travail de l’éleveur [3]. Dans celles dotées d’un robot de traite, l’efficacité et la productivité de l’élevage dépendent entre autres du temps passé par vache dans le box [5]. Mais, en dehors de l’efficacité économique, une traite rapide favorise aussi une bonne qualité du lait, sous réserve qu’elle ne soit pas traumatisante. Ainsi, la prolongation du temps de traite (avec les griffes branchées) est corrélée à l’apparition de lésions sur les trayons [14]. De nombreux auteurs ont démontré le lien entre ces lésions et la qualité du lait [7].
De son côté, la vitesse d’éjection du lait est partiellement déterminée par des éléments matériels : les composants de la machine, son réglage et la génétique des animaux. Cependant, les phases de préparation et de fin de la traite contribuent beaucoup au prolongement inutile de sa durée [14]. La littérature ne fournit pas de paramètre unique pour déterminer la durée de traite idéale. Des essais de terrain, en 1993, ont permis de proposer une formule de calcul (temps de traite = 3,6 + 0,26 x quantité de lait en litres) [16]. Mais face à l’évolution génétique de la population des vaches laitières et à l’amélioration des équipements, ces valeurs ne paraissent pas pertinentes aujourd’hui. Une étude récente rapporte un temps moyen de cinq minutes pour une production de 14 litres de lait par traite [14]. Pour chaque litre supplémentaire, le temps de traite est allongé de quarante-deux secondes.
La traite complète des quartiers n’est pas facile à évaluer. Davis et Reinemann proposent une méthode pratique pour vérifier la quantité de lait résiduel : moins de 20 % des quartiers doivent contenir plus de 100 ml de lait après une traite manuelle pratiquée dès le décrochage pendant une minute [2]. En salle de traite, où le décrochage de la griffe dépend de l’éjection du lait de l’ensemble des quatre quartiers, certains d’entre eux peuvent être moins bien prélevés que les autres, sans que cela soit anormal. Cependant, la situation devient alarmante dès que les écarts sont importants ou si certains, par exemple les quartiers arrière, sont systématiquement moins bien traits que les autres.
L’expression d’un inconfort par les animaux, comme des piétinements et des coups de pieds, n’a pour le moment pas été étudiée de façon organisée. Vu l’impact du stress sur l’éjection du lait, une traite réussie ne doit en aucun cas être associée à des signes d’inconfort chez les vaches laitières [17]. Les lésions sur les trayons et leurs effets sur la qualité du lait sont étudiés depuis longtemps [7]. Aujourd’hui, la plupart sont décrites comme des états d’hyperkératose légère au niveau des sphincters, peu graves et inévitables dans le cadre de l’utilisation d’une machine à traire. D’autres atteintes sont considérées comme indésirables (éversion des sphincters ou hyperkératose de stade avancé). Pour la majorité des autres lésions observables au niveau des trayons (couleur, œdème, anneaux de compression, microhémorragies), des seuils de tolérance sont définis (2) (tableau 1). En règle générale, le seuil d’intervention pour ces lésions du trayon est fixé à 20 % [4].
L’objectif de la phase de préparation est de créer les conditions optimales pour permettre une traite rapide, complète et indolore : un trayon sec et propre et une vache prête à donner son lait à la suite d’une libération d’ocytocine. Au moment du branchement, l’éjection du lait doit être rapide et continue. Les vaches qui présentent des courbes d’éjection de lait bimodales (donc une éjection discontinue) ne doivent pas excéder 10 % du cheptel (tableau 2).
Il s’agit d’amener et de faire stationner les vaches dans le parc d’attente en limitant le stress. Des études montrent que des situations stressantes pour les animaux avant la traite sont accompagnées de montées d’adrénaline qui perdurent pendant au moins trente minutes, empêchent la libération de l’ocytocine et ralentissent ainsi la traite [17, 12].
L’absence de stress au cours du déplacement et du stationnement des animaux est d’abord conditionnée par un comportement calme des trayeurs [6]. La vitesse de marche d’une vache est de 2 à 3 km/h, celle d’un homme d’environ 5 km/h. Pour que les vaches puissent avancer à leur rythme sans se blesser ou se faire bousculer, les trayeurs doivent adapter leur vitesse de marche (figure 1). L’absence de stress est également liée à la taille du parc et à la durée de l’attente. Des critères techniques sont définis dans cet espace, selon le type de traite (salle de traite ou robot) (tableau 3). Il est évident que la zone d’attente doit est propre et sèche, pour prévenir toute contamination des mamelles avant la traite.
L’éjection de lait chez la vache est induite par l’ocytocine. Une préparation tactile, reproduisant la succion du veau, est nécessaire pour provoquer sa libération. En l’absence de stimulation adéquate, la libération d’ocytocine est tardive, voire absente. Le lait est alors éjecté d’une façon “bimodale” et incomplète. En effet, en début de traite, le lait présent dans les citernes est d’abord libéré (20 %), puis seulement, dans un second temps, celui issu des cellules des glandes alvéolaires (80 %) (figure 2). L’éjection bimodale du lait ralentit la phase d’éjection du lait, augmente le temps de traite et est responsable de prélèvements incomplets [10]. Pour favoriser la libération d’ocytocine, la vache doit être calme, disponible, et se laisser faire. Des réactions négatives au cours de la phase de préparation manuelle indiquent que les vaches appréhendent une traite douloureuse. Un comportement stressé des trayeurs peut également provoquer ce type de réaction. Une bonne préparation à la traite doit durer entre une et deux minutes, entre le moment où la mamelle est touchée pour la première fois et celui où la griffe est branchée. Au cours de ce laps de temps, il est essentiel de consacrer quinze secondes au contact entre le trayeur et/ou le robot et la mamelle. Il est également primordial que les mêmes gestes soient répétés tous les jours et par tous les intervenants.
Si l’usage d’un détergent diminue la quantité de bactéries présentes sur les trayons, celui d’un papier pour sécher les trayons après leur lavage améliore la qualité du lait. En effet, peu importe la méthode employée, le branchement d’une griffe sur un trayon parfaitement propre et sec est associé à une meilleure qualité du lait [13]. De façon générale, l’utilisation d’eau dans la salle de traite doit être limitée au minimum : les gouttelettes dispersées risquent de se déposer sur les trayons et de véhiculer des bactéries et autres contaminants [12].
Le branchement de la griffe signe la fin de la période de préparation et le début de celle de la traite. Un branchement correct consiste à limiter les entrées d’air et est suivi par un positionnement manuel du tuyau long à lait et par une libération maximale de la cordelette du système de décrochage automatique. Le trayeur doit s’assurer que les griffes tiennent verticalement sous les vaches, en équilibre. Pour cela, la longueur des tuyaux longs à lait doit être adaptée. Une longueur inadaptée déséquilibre la position des griffes, ce qui diminue le diamètre des tuyaux et freine ainsi l’écoulement du lait. Les tuyaux à lait trop longs créent des boucles qui freinent, elles aussi, le transport du lait. La cordelette de décrochage automatique doit être tirée au maximum et suffisamment longue pour ne pas entraver le positionnement correct des griffes (photos 1a à 1c).
Parfois, la morphologie des vaches peut aussi gêner la mise en place des griffes. Le taux de griffes mal positionnées ne devrait pas excéder 10 % [9]. Une bonne préparation à la traite entraîne une éjection du lait moins de dix secondes après le branchement [9].
Outre une bonne préparation, la performance au cours de la phase de traite est majoritairement conditionnée par la machine à traire, ses composants et leurs réglages. La machine délivre un rythme de pulsation et un niveau de vide avec une certaine stabilité. Un niveau de vide constant est essentiel pour une traite homogène et un écoulement de lait efficace [2]. Le niveau de vide est facilement perturbé par des entrées d’air au cours du branchement (à l’origine d’un bruit typique appelé “sifflement”), le glissement des manchons, le décrochage des griffes, un défaut d’étanchéité des caoutchoucs, etc. Le pourcentage des vaches concernées ne devrait pas dépasser 5 % par traite [9].
Sans équipement ni expérience dans le domaine, il n’est pas facile de vérifier la qualité de la traite effectuée par la machine à traire. Le seul indicateur valable est le niveau de vide affiché sur le manomètre (moins de 2 kPa de variation, réglage entre 38 et 44 kPa, ligne basse). Cependant, l’analyse fonctionnelle de la traite, qui ne nécessite pas d’équipement spécifique, permet d’identifier un éventuel dysfonctionnement de la machine à traire, par simple déduction. L’observation analytique de la préparation de la vache, de la traite elle-même et de la fin de la traite permet d’émettre un avis sur la qualité de la procédure. Si cette dernière est correctement réalisée, mais que l’objectif d’une traite rapide, complète et sans douleur n’est pas atteint, une analyse de traite dynamique est à envisager [15]. Cette analyse est complémentaire de l’audit fonctionnel et ne le remplace en aucun cas.
En fin de traite, l’écoulement du lait diminue et finit par s’arrêter. Auparavant, l’importance d’une vidange complète des mamelles était communément admise et faisait partie des règles d’or pour obtenir une bonne qualité du lait. Cependant, depuis les années 1990, de multiples études montrent la possibilité d’arrêter la traite plus précocement, donc de gagner en temps de traite, sans pour autant diminuer la quantité produite, ni augmenter les problèmes de qualité du lait. Actuellement, des seuils de décrochage de 1 à 1,2 kg de lait par minute (versus 200 ml/min à l’époque) sont testés dans des études cliniques et appliqués sur le terrain avec succès. L’évaluation d’un seuil de décrochage peut être effectuée pendant l’analyse fonctionnelle de la traite. Pour cela, l’observation du flux de lait en fin de traite est nécessaire : le décrochage de la griffe doit avoir lieu au cours des dix secondes qui suivent l’obtention d’un flux minimal, afin que la période de surtraite ne dépasse pas trente secondes [9]. La phase de surtraite est la période pendant laquelle l’éjection du lait est très faible. La vache n’apprécie pas la surtraite, ce qu’elle manifeste par des piétinements et des coups de pieds. Si un tel comportement est observé en fin de traite, le seuil de décrochage mérite d’être revu. La méthode de décrochage est également importante. Avant de pouvoir décrocher la griffe, le niveau de vide dans les tuyaux longs et courts doit baisser : assez pour que la griffe ne soit pas “arrachée” et pas trop pour qu’elle ne tombe pas. Cette observation est facile. Si le niveau de vide reste trop important pendant le décrochage, un transport rétrograde du lait peut en résulter. Ce reflux de lait vers le trayon au moment où le sphincter est encore largement ouvert est susceptible d’introduire des bactéries dans la mamelle [10].
Un fois la traite terminée, il faut estimer la quantité de lait résiduel par une traite à la main et examiner les trayons. Idéalement, cet examen est réalisé dans la minute qui suit la fin de la traite. Selon les lésions observées sur les trayons, un seuil d’acceptation est associé (tableau 1). Après une traite sans douleur, la majorité des vaches doivent accepter la traite manuelle (sauf les génisses qui viennent de vêler ou quelques individus connus). L’expression d’un comportement défensif au moment du contact avec les trayons est un indicateur de traite douloureuse.
La traite d’une vache s’achève par l’application du produit de post-trempage. Un trempage du trayon complet, avec un produit désinfectant et cosmétique, est essentiel [18]. Il existe plusieurs types de désinfectants dans les produits de trempage, comme l’iode, l’acide lactique (avec ou sans acide salicylique) et le dioxyde de chlore. L’hydratation et les soins de la peau du trayon sont également importants. Il est ainsi nécessaire de vérifier la présence de composants hydratants dans le produit de trempage (glycérol, propylène glycol, etc.). Après la traite, la peau du trayon doit avoir un aspect hydraté et non “sec” (photos 2a à 2c).
(2) NMC teat condition portfolio, consultable sur le site du National Mastitis Council, https://www.nmconline.org/teat-condition-portfolio/
Conflit d’intérêts : Aucun
• La qualité de la traite (rapide, complète et sans douleur) est mesurable via trois paramètres : sa durée, la quantité de lait résiduel dans les quartiers, et ses effets sur l’intégrité de la vache (signes d’inconfort, lésions sur les trayons).
• Toutes les étapes de la traite sont observées, de la période d’attente jusqu’à l’après-traite.
• Après la traite, la quantité de lait résiduel doit être estimée par une traite manuelle.
L’analyse fonctionnelle permet de juger la qualité de la traite, sans équipement spécialisé. Le passage en revue détaillé des différentes phases de la traite permet d’identifier des pistes d’amélioration. Si la traite n’est pas rapide, complète et indolore, bien que la procédure suivie semble correcte, une analyse de traite dynamique peut être proposée pour vérifier la machine à traire.