HÉPATOLOGIE
Cas clinique
Auteur(s) : Marc Massal*, David Znaty**
Fonctions :
*(CEAV médecine interne
animaux de compagnie)
Clinique Alphavet
31, avenue Frédéric de Candale
33260 La Teste de Buch
**Clinique vétérinaire UCVet
54, rue Stendhal
75020 Paris
L’obstruction biliaire extrahépatique secondaire à la présence d’un calcul biliaire est une affection rare chez le chat. Dans le cas présenté, le retrait chirurgical d’un calcul avec la mise en place d’un stent provisoire, associé à un traitement médical et à un suivi adaptés, a remplacé avec succès une cholécystoduodénostomie.
Les cholélithiases obstructives sont rares chez le chat. Les affections du pancréas, des voies biliaires ou du duodénum (inflammation, tumeur) sont les causes les plus fréquentes de l’obstruction biliaire extrahépatique.
Cet article décrit un cas d’obstruction biliaire extrahépatique consécutif à une cholélithiase.
Un chat européen mâle castré, âgé de 14 ans, est présenté pour un abattement, une dysorexie et des vomissements depuis deux jours. Le carnet de vaccination et la vermifugation de l’animal sont à jour. Le chat vit en intérieur strict. Aucun antécédent médical n’est signalé par ses propriétaires.
À l’examen clinique, le chat apparaît en bon état général (score d’état corporel de 6 sur 9, poids de 6 kg) et il est normotherme. La déshydratation est évaluée entre 5 et 6 %. Les muqueuses sont roses.
L’examen cardiovasculaire et l’auscultation pulmonaire sont dans les normes et ne révèlent aucune anomalie.
Lors de la palpation abdominale, l’abdomen apparaît souple, mais une douleur est mise en évidence dans la région craniale.
Face à des vomissements aigus associés à un inconfort abdominal, plusieurs hypothèses diagnostiques sont envisagées. Elles incluent des causes digestives (entéropathie chronique, gastroentérite, tumeur, corps étranger) ou extradigestives (pancréatite, insuffisance rénale aiguë, cholangite, hépatopathie notamment, et moins probablement hyperthyroïdie, voire diabète céto-acidosique).
Afin d’investiguer les origines extradigestives, un bilan biochimique est réalisé. Une augmentation marquée de l’activité des enzymes hépatiques, les phosphatases alcalines (PAL) et les transaminases (Alat), ainsi que de la bilirubine, oriente le praticien vers une atteinte hépatique ou posthépatique. Par ailleurs, l’accroissement combiné des protéines totales sanguines et de l’albuminémie est sans doute secondaire à la faible déshydratation (tableau). L’hyperglycémie légère est, quant à elle, probablement liée au stress, sans qu’un diabète sucré ne puisse être totalement écarté.
La numération de la formule sanguine révèle une discrète leucocytose (20,3 millions/mm3) neutrophilique (75 % des leucocytes) compatible avec un phénomène inflammatoire et/ou infectieux. Un ionogramme n’est pas effectué.
Les premiers examens orientent vers une affection hépatique ou posthépatique. Les hypothèses diagnostiques, à ce stade, sont une cholangite neutrophilique ou lymphocytaire, une lipidose hépatique, une hépatite ou une tumeur du foie, sans pouvoir exclure une obstruction biliaire extrahépatique ou encore une pancréatite.
L’échographie abdominale met en évidence une dilatation marquée du canal cholédoque (8,5 mm, valeurs usuelles inférieures à 4 ou 5 mm) jusqu’à un élément minéralisé (5 x 3 mm) observé au niveau de la papille duodénale (photos 1 à 4). D’autres éléments minéralisés non obstructifs sont présents dans la vésicule biliaire et le canal cholédoque. La vésicule biliaire n’est pas dilatée, sa paroi et le pancréas présentent un aspect normal. Le parenchyme hépatique est homogène et légèrement hypoéchogène. Ainsi, l’examen d’imagerie permet d’identifier une obstruction des voies biliaires extrahépatiques par un calcul biliaire logé au niveau de la papille duodénale majeure. Elle est associée à des images hépatiques compatibles avec un processus inflammatoire. Une intervention chirurgicale est programmée afin d’extraire le calcul biliaire obstructif et de pratiquer des biopsies hépatiques.
Lors de l’intervention, le canal cholédoque est visualisé et apparaît distendu. Une duodénotomie est réalisée en regard de la papille duodénale. Le calcul est localisé et extrait sans difficulté, sans sphinctérotomie de la papille duodénale majeure (photos 5 et 6).
Un rinçage du canal cholédoque et de la vésicule biliaire est effectué. Il permet l’élimination de calculs de petite taille, également présents dans le canal cholédoque. Un stent (il s’agit d’un bout de sonde urinaire pour chat) est mis en place dans la papille duodénale afin de prévenir une sténose cicatricielle. Il est fixé à la paroi du duodénum à l’aide d’un fil résorbable dans le but de permettre son élimination spontanée.
De la bile est prélevée pour un examen bactériologique. De plus, une biopsie hépatique est effectuée en vue des analyses bactériologique et histologique.
L’intervention et la période postopératoire se déroulent normalement. La douleur est prise en charge à l’aide de morphine (à la dose de 0,2 mg/kg toutes les quatre heures par voie intraveineuse).
Un traitement antibiotique est entrepris par voie intraveineuse (amoxicilline-acide clavulanique à la posologie de 20 mg/kg trois fois par jour et métronidazole à raison de 12,5 mg/kg matin et soir) et poursuivi jusqu’aux résultats des analyses bactériologiques.
Le chat retrouve rapidement un bon appétit et une reprise du transit est constatée 24 heures après l’intervention.
Une nette diminution de la bilirubinémie est observée au cours des deux à quatre jours qui suivent le retrait chirugical du calcul, avec un retour dans les valeurs usuelles après huit jours (figure). Une normalisation des valeurs est également notée pour l’activité des enzymes hépatiques, Alat (77 U/l) et PAL (65 U/l), huit jours après l’intervention. Les résultats d’analyse du calcul montrent qu’il est constitué à 100 % de carbonate de calcium.
La bactériologie aéro-anaérobie se révèle positive en aérobiose. Un streptocoque du groupe G+ (ß-hémolytique) est identifié. Il est sensible à l’association amoxicilline-acide clavulanique. Cet antibiotique est alors poursuivi seul pendant trois semaines supplémentaires, soit quatre semaines au total.
L’analyse histologique met en évidence l’existence d’une cholangite polymorphe marquée subaiguë à chronique, avec une cholestase associée. Un traitement à base d’acide ursodésoxycholique est également mis en place au long cours.
Vingt jours après le retrait chirurgical, le chat présente un bon état général, ainsi qu’un appétit normalisé sans troubles digestifs. Le stent provisoire mis en place a été éliminé dans les fèces. Un mois après l’intervention, l’animal est en bonne santé. Les antibiotiques sont arrêtés et l’acide ursodésoxycholique est poursuivi au long cours.
Les causes d’une obstruction biliaire extrahépatique sont nombreuses (encadré). Les origines tumorales (pancréatique, duodénale ou biliaire) et inflammatoires (pancréatite, duodénite) sont les plus fréquentes.
Les cholélithiases sont peu courantes chez le chat et rarement à l’origine de signes cliniques [2]. La raison de leur formation n’est pas élucidée. Les facteurs favorisants sont une stase biliaire, une altération de la composition de la bile, une inflammation biliaire ou encore l’alimentation [5]. L’existence d’une hyperthyroïdie pourrait également être la cause d’une altération de la composition biliaire et de la motilité de la vésicule biliaire [4]. Dans le cas présenté, une inflammation mixte, associée à une infection bactérienne, a été mise en évidence. Cependant, il est difficile de distinguer la cause de la conséquence, entre le calcul ou l’inflammation et l’infection bactérienne. En outre, les bactéries à ß-glucuronidase peuvent induire des changements de composition de la bile et entraîner la précipitation de la bilirubine avec des sels calciques [2, 7].
La majorité des calculs analysés sont constitués de carbonate de calcium, comme dans le cas de ce chat [3, 5]. Leur dissolution via un traitement médical n’est pas envisageable.
Les signes cliniques ne sont pas spécifiques. Les plus fréquemment rapportés sont un ictère, une anorexie et un abattement, ou encore des vomissements et une déshydratation [3, 9]. Notons que l’ictère n’est pas toujours observé [3, 5].
L’obstruction secondaire à la présence de calculs biliaires entraîne des signes cliniques aigus en comparaison des autres causes (sept jours en moyenne versus vingt et un à vingt-deux jours) [5]. Dans le cas présenté, les signes évoluaient depuis deux jours.
L’échographie est l’examen de choix pour la détection d’un phénomène d’obstruction biliaire extrahépatique et de cholélithiase.
Chez le chat, un diamètre du canal cholédoque supérieur à 5 mm est en faveur d’une obstruction biliaire extrahépatique [5, 8]. La dilatation semble plus importante lorsque l’obstruction est chronique, sans que cela ne permette d’orienter vers une cause particulière [5]. Ici, le diamètre du cholédoque (8,5 mm) était évocateur d’une obstruction. Toutefois, à l’image de ce cas, la dilatation de la vésicule biliaire n’est pas systématique lors de cholélithiase obstructive [5]. Un défaut de compliance de la vésicule biliaire secondaire à une inflammation chronique peut être suspecté [5]. La détection d’une cholélithiase obstructive via l’examen échographique est variable selon les études (20 %, 88 % ou 100 %) [3, 5, 9]. Dans le cas présenté, le calcul à l’origine de l’obstruction était situé au niveau de la papille duodénale, donc probablement plus facile à visualiser.
Chez l’homme, la cholécystectomie est le traitement de choix en cas de calculs biliaires. Le traitement médical (dissolution à l’aide d’acide ursodésoxycholique ou lithotripsie extracorporelle) est peu efficace et le taux de récurrence important [6].
Pour ce chat, compte tenu de la localisation du calcul et de l’obstruction du canal cholédoque, le traitement chirurgical était la seule solution thérapeutique envisageable.
Pour autant, les complications et la mortalité rapportées à la suite d’une intervention chirurgicale sur le tractus biliaire félin sont élevées [1]. De nombreuses techniques opératoires sont décrites pour la gestion des affections biliaires chez le chat. Les cas liés à une obstruction d’origine néoplasique affichent un taux de mortalité plus élevé que les causes non tumorales (100 % versus 40 %). De même, les complications peropératoire sont plus importantes [5, 9]. L’existence d’une lipidose hépatique peut être considérée comme un facteur pronostique négatif [3].
Néanmoins, un faible taux de complications est observé lorsqu’il s’agit de cholélithiases obstructives [3, 5]. Pour ce chat, la duodénotomie réalisée a permis la visualisation et le retrait aisés du calcul obstructif. Un rinçage du cholédoque et un stent ont également été mis en place. L’analyse histologique des biopsies hépatiques a mis en évidence des lésions inflammatoires polymorphes et une cholestase. Ces atteintes sont, en première hypothèse, consécutives à la présence conjointe de l’obstruction biliaire extrahépatique et d’une infection bactérienne. La levée de l’obstruction et l’antibiothérapie adaptée ont permis une normalisation des paramètres hépatiques.
Cependant, une infiltration lymphocytaire avec des signes de fibrose débutante a également été notée. Dans un premier temps, la mise en place d’un traitement à base d’acide ursodésoxycholique a été privilégiée, plutôt que des corticoïdes, en raison de la nette amélioration clinique et biologique observée chez cet animal. Un suivi histologique pourrait être envisagé en cas de récidive des signes cliniques ou face à une élévation des paramètres hépatiques.
D’autres calculs de petite taille étaient présents dans la vésicule biliaire et le canal cholédoque. En raison de leur caractère non obstructif et des risques de complications peropératoire et postopératoire, la cholédochotomie n’a pas été pratiquée.
Une cholécystectomie aurait pu être effectuée compte tenu de la présence de calculs dans la vésicule biliaire, mais elle aurait limité la possibilité d’une dérivation (1) en cas de nouvel épisode obstructif [2]. De plus, la mise en place d’une dérivation permanente augmente le risque de complications et de mortalité [1]. Il a donc été décidé de ne pas effectuer cette dérivation. Pourtant, ces calculs peuvent participer à entretenir une inflammation chronique et entraîner une nouvelle obstruction par la suite. Dans une telle situation, une dérivation doit alors être envisagée.
(1) Abouchement de la vésicule biliaire à un autre endroit du duodénum (cholécystoduodénostomie) ou au niveau du jéjunum (cholécystojéjunostomie). La dérivation la plus courante est la première.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Les cholélithiases obstructives sont des affections rarement rencontrées chez le chat.
• L’échographie est l’examen de choix pour la détection d’une obstruction biliaire extrahépatique et la mise en évidence de cholélithiases.
• Les dérivations du système biliaire sont à l’origine de nombreuses complications chez le chat.
• Les cholélithes félins sont majoritairement constitués de calcium.
• Cholangites et cholélithiases sont fréquemment associées.
- Cholélithiase.
- Cholangite.
- Néoplasie : adénocarcinome biliaire ou pancréatique, lymphome, cystadénome biliaire.
- Malformation : kyste cholédoque, maladie hépatique polykystique.
- Parasites.
- Compression extrinsèque : nœuds lymphatiques, masse pancréatique, hernie diaphragmatique.
- Fibrose : traumatisme, péritonite, pancréatite.
- Striction : traumatisme, effet iatrogène (chirurgie).
D’après [2].
Les obstructions biliaires extrahépatiques sont rares chez le chat, en particulier lorsqu’elles sont secondaires à une cholélithiase. Les calculs sont majoritairement composés de calcium et, par conséquent, non dissolubles par un simple traitement médical. La nécessité d’une dérivation du tractus biliaire est à l’origine de complications plus importantes.