PERSPECTIVES D’INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES DU CANNABIDIOL EN ANALGÉSIE - Le Point Vétérinaire n° 413 du 01/01/2021
Le Point Vétérinaire n° 413 du 01/01/2021

CANNABIS ET DOULEUR

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
8, rue des Culquoilès
La Croix Michaud
17630 La Flotte-en-Ré

L’implication du système endocannabinoïde dans la physiopathologie de la douleur est avérée. Des études en médecine vétérinaire incitent à utiliser le cannabis pour le cibler dans le traitement complémentaire des douleurs chroniques réfractaires.

La prescription de cannabis à but thérapeutique est très ancienne en médecine humaine (encadré 1). En médecine vétérinaire, la première étude croisée randomisée en double aveugle versus placebo a été publiée en juillet 2018. Elle rapporte les résultats obtenus, en termes d’efficacité et de sécurité, à la suite de l’administration de cannabidiol chez le chien atteint d’arthrose [8]. Le chanvre industriel utilisé, desséché et reconstitué dans de l’huile d’olive, contenait 10 mg/ml de cannabidiol (CBD), 0,24 mg/ml de tétrahydrocannabinol (THC), 0,27 mg/ml de cannabichromène (CBC) et 0,11 mg/ml de cannabigérol (CBG). Tous les autres cannabinoïdes étaient inférieurs à 0,01 mg/ml.

Les vingt-deux chiens souffrant d’arthrose ont été recrutés selon des critères radiologiques, des signes de boiterie et de douleur à la palpation des articulations atteintes. Seuls seize chiens ont terminé l’essai clinique et reçu deux traitements, dans un ordre aléatoire : 2 mg/kg de CBD ou un placebo huileux deux fois par jour pendant trente jours, avec une période de “lavage” (wash out) de quinze jours.

Les évaluations, via la grille canine brief pain inventory (CBPI) et le score de Hudson, ont été menées à J0, J15 et J30. La CBPI est une grille multiparamétrique qui évalue, sous la forme d’une échelle numérique graduée de 0 à 10, l’intensité des douleurs maximales, minimales et moyennes durant les sept derniers jours et le jour actuel grâce à quatre questions (PSS : pain severity score, ou score de gravité de la douleur noté sur 40). Six autres questions sondent la manière dont la douleur interfère avec les activités physiques (PIS : pain interference score, ou score d’interférence de la douleur noté sur 60). Les scores PSS et PIS ont significativement diminué à J15 et sont restés stables à J30 au cours de la période d’administration du CBD. Les scores PSS et PIS ont légèrement augmenté à J15 et J30, par rapport à J0, au cours de l’administration du placebo huileux. Une hausse significative du score de Hudson (mesure de l’activité) a en outre été observée pendant la période d’administration du CBD.

En revanche, les scores de boiterie et les réactions à la palpation des articulations arthrosiques effectuée par le vétérinaire sont restés inchangés. L’élévation des phosphatases alcalines relevée n’est pas associée à une augmentation de l’alanine aminotransférase et des gamma-glutamyl transférases, mais pourrait être reliée aux voies métaboliques des cytochromes P450 [5].

Plus récemment, en 2020, une étude randomisée s’est intéressée à l’administration transmucosale de cannabidiol (à la dose de 2 mg/kg deux fois par jour) chez neuf chiens présentant des douleurs chroniques arthrosiques, en complément d’un traitement pharmacologique multimodal à base d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), de gabapentine ou d’amitriptyline, versus un lot témoin de douze chiens atteints d’arthrose ne recevant que ce traitement [4]. L’évaluation a été réalisée grâce à la grille CBPI et à un index de qualité de vie (QOL) le jour initial, puis tous les sept jours pendant quatre semaines. Le pain severity score (PSS) a diminué significativement dans le groupe recevant du CBD. Le pain interference score (PIS), qui évalue l’interférence avec les activités physiques, était également significativement plus faible dans le groupe CBD. L’index de qualité de vie était plus élevé dans le groupe CBD. De plus, dans ce lot, les doses d’AINS ont pu être réduites sans dégradation des scores CBPI et QOL. Compte tenu de l’altération du système cannabinoïde par la cyclooxygénase de type 2 (COX-2), les auteurs préconisent l’association d’AINS et de CBD pour éviter la dégradation des cannabinoïdes en médiateurs proinflammatoires et pronociceptifs (prostamides, prostaglandines, etc.) [11]. La pertinence de cette association est renforcée par plusieurs approches expérimentales qui suggèrent l’effet synergique des AINS (coxibs et non coxibs), des opioïdes et des cannabinoïdes sur les contrôles inhibiteurs descendants issus de la mœlle épinière et du tronc cérébral, grâce à l’inhibition de la libération de l’acide gamma-aminobutyrique (Gaba) et au renforcement du système noradrénergique [16].

Une dernière étude randomisée en double aveugle, publiée en septembre 2020, a évalué chez vingt chiens souffrant d’arthrose, à l’aide de la grille validée d’Helsinki, l’administration de cannabidiol pendant trente jours, avec ou sans formulation liposomale versus placebo [17]. Les scores Helsinki à J0, J30 et J45 n’ont pas évolué favorablement dans le groupe placebo (huile de coco) et le groupe CBD (20 mg/j) non encapsulé. En revanche, ces scores se sont significativement améliorés dans le groupe CBD (50 mg/j) non encapsulé et le groupe CBD (20 mg/j) encapsulé.

1. LE CANNABIS EN COMPLÉMENT ALIMENTAIRE

Formulations

De nombreuses formulations à base de dérivés de cannabis, contenant des pourcentages variables de cannabidiol (jusqu’à 50 %), d’autres phytocannabinoïdes (dont le THC doit être nécessairement inférieur à 0,2 %), des terpènes et des flavonoïdes, sont actuellement disponibles sur le marché et vendues principalement sur Internet. L’huile de cannabis, extraite à partir de la fleur de la plante, contient une forte teneur en tétrahydrocannabinol et est strictement interdite en France. L’huile de graines de chanvre, très riche en vitamine E et en acides gras oméga 6 et 3, ne contient ni cannabinoïdes ni terpènes ni flavonoïdes.

Isolat, spectres large et complet

L’isolat de cannabidiol ne contient que du CBD (forme la plus pure) et ne présente pas d’action psychoactive, pas de goût, pas d’odeur ni d’effet entourage (effet combiné des différents composants de la plante).

Le spectre large (broad spectrum) contient tous les cannabinoïdes à l’exception du THC (non détectable), parfois des terpènes et des flavonoïdes.

Le spectre complet (full spectrum) contient tous les cannabinoïdes (dont le THC), des terpènes et des flavonoïdes : il peut avoir un effet psychoactif et se révéler dangereux chez le chien compte tenu de la plus grande expression des récepteurs CB1 dans cette espèce.

Les avantages (accentuation des propriétés antinociceptives et anti-inflammatoires) de l’effet entourage sont visibles sur les courbes dose/effet du cannabidiol qui comparent son efficacité sous ses différentes formes [7, 15]. Avec un isolat de CBD, une réponse en forme de cloche est observée en lien avec l’accroissement des doses (les hautes concentrations de CBD à 50 mg/kg sont moins efficaces qu’à 5 mg/kg). Avec le spectre complet, les hautes concentrations de CBD sont associées à une efficacité supérieure sur la nociception et l’inflammation.

2. TOXICITÉ DES CANNABINOÏDES CHEZ LE CHIEN ET LE CHAT

Sensibilité accrue au THC

Les chiens présentent une sensibilité accrue au tétrahydrocannabinol, en raison de la surexpression des récepteurs CB1. Au Québec, en 2017, le cannabis était la troisième cause (17,6 %) la plus fréquente des consultations pour intoxication, après le chocolat (31 %) et les médicaments à usage humain (25,7 %). Le chien y serait beaucoup plus exposé (96 %) que le chat (3 %), selon l’Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux (AMVQ).

En 2020, le Centre antipoison animal et environnemental de l’Ouest (Capae-Ouest), installé à Oniris (Nantes), a reçu 7 723 appels pour des suspicions d’intoxication chez des chiens et 2 919 appels concernant des chats. Parmi eux, 64 cas d’intoxication au cannabis (dont 47 probables) ont été recensés chez le chien, 11 (dont 7 probables) chez le chat. De même, le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV), implanté sur le campus vétérinaire de VetAgro Sup, a reçu à ce jour 3 164 cas d’intoxications supposées ou avérées au cannabis (sur 392 602 cas répertoriés).

Intoxication

L’intoxication du chien par le cannabis est due à une ingestion accidentelle de résine (haschich, photo 1), de space cake (gâteau récréatif, photo 2), ou plus rarement liée à une inhalation passive de fumée de cigarettes de marijuana (photo 3). Les signes cliniques, par ordre de fréquence, sont une ataxie (55 %), une léthargie, dépression, désorientation (52 %), des vomissements (23 %), une incontinence urinaire (18 %), une hyperesthésie (18 %), des tremblements, fasciculations, convulsions (16 %), une bradycardie (13 %), une hypothermie (11 %), une mydriase (10 %). Ces signes apparaissent au cours des trois premières heures après la prise de cannabis et persistent entre 12 et 72 heures.

Dans une étude publiée en 2004, après une ingestion orale de marijuana, 213 chiens ont présenté des signes neurologiques (99 %) et gastro-intestinaux (30 %) [9].

La dose toxique chez le chien est de 50 à 100 mg/kg de la plante entière, la dose mortelle de 3 g/kg. Les cas de mortalité sont très rares et reliés à l’absorption de variétés à fort taux de THC ou d’ingestion concomitante de composés toxiques (chocolat de certains space cakes).

L’intoxication du chat par le cannabis est moins fréquente : un cas, décrit en 2018, a été confirmé par des concentrations plasmatiques élevées de THC [10]. Nous avons observé un cas cliniquement semblable (mydriase, désorientation, forte agitation psychomotrice et séquences d’agression violentes) très probablement lié à l’exposition à la fumée de marijuana, selon les commémoratifs rapportés par le propriétaire (photo 4).

Il existe trois modalités complémentaires de traitement de l’intoxication par le cannabis chez le chien et le chat (encadré 2).

3. ASPECTS RÉGLEMENTAIRES DE L’USAGE DU CANNABIS DANS LE MONDE

Depuis le 1er janvier 2020, l’utilisation récréative et thérapeutique du cannabis est autorisée au Canada, dans certains États américains (Californie, Alaska, Colorado, etc.), en Uruguay et en Afrique du Sud.

En Europe, la législation en vigueur varie, en médecines humaine et vétérinaire, tant en ce qui concerne l’usage du cannabis comme médicament que comme complément alimentaire et selon le pays européen considéré [1].

Les stupéfiants

En France, le cannabis et la résine de cannabis sont classés comme stupéfiants (arrêté du 22 février 1990, version consolidée du 8 novembre 2015) et la loi punit l’usage du cannabis d’un an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. Depuis 2019, une amende forfaitaire de 200 € est imposée en remplacement des poursuites judiciaires en cas d’usage simple de stupéfiants.

Depuis le 1er septembre 2019, 23 États membres de l’Union européene sur 28 autorisent les médicaments à base de cannabinoïdes et 15 d’entre eux autorisent également l’utilisation de cannabis sous une autre forme qu’un médicament.

Les compléments alimentaires

En France, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) applique l’interprétation du catalogue Novel Food disponible sur le site de la Commission européenne. Le CBD et l’huile de CBD sont considérés comme de “nouvelles substances” non autorisées, que ce soit comme ingrédient alimentaire ou en complément alimentaire. Seules les graines de chanvre ou l’huile de graines de chanvre (obtenue par pression à froid), sans THC et sans CBD, peuvent être utilisées en France dans les compléments alimentaires. Dans les centrales d’achats, les praticiens français disposent de deux présentations, Anibidiol Plus (0,75 % d’huile de chanvre) et SativaVet Active (5, 13 ou 22 % d’huile de chanvre), exclusivement destinées à l’usage vétérinaire.

Une restriction nationale

D’autre part, en France, il existe une restriction nationale qui va plus loin que la réglementation européenne. La version du 6 décembre 2020 de l’arrêté du 22 août 1990, portant application de l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique pour le cannabis, autorise seulement la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale (fibres et graines) des variétés de Cannabis sativa L. répondant aux critères suivants :

– la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol de ces variétés n’est pas supérieure à 0,20 % ;

– la détermination de la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol et la prise d’échantillons en vue de cette détermination sont effectuées selon une méthode communautaire prévue dans l’annexe jointe à cet arrêté.

Dès lors, tout produit contenant du cannabidiol extrait de la plante de cannabis est interdit, sauf s’il entre dans le cadre de la dérogation prévue. Cette dérogation au principe d’interdiction existe afin de permettre l’utilisation du chanvre à des fins industrielles et commerciales, notamment dans l’industrie textile, dans les secteurs du bâtiment, de la papeterie, de la pêche, des cosmétiques et de l’alimentation humaine. Certaines variétés de cannabis ou de chanvre, dépourvues de propriétés stupéfiantes, peuvent être employées à des fins industrielles et commerciales sous trois conditions cumulatives :

– la teneur en tétrahydrocannabinol de ces variétés ne doit pas dépasser 0,20 % (ce taux maximal n’est pas un seuil de présence de THC dans le produit, mais dans la plante elle-même ; aucune trace de THC n’est tolérée dans le produit fini). La prise d’échantillons et la détermination de la teneur en THC sont effectuées selon une méthode communautaire précise (prélèvement de l’inflorescence femelle, conditions strictes de stockage, analyse par chromatographie en phase gazeuse, etc.) ;

– seules les graines et les fibres peuvent être utilisées, l’utilisation des fleurs ou des feuilles est donc strictement interdite ;

– les variétés de chanvre autorisées figurent à l’article 2 de l’arrêté du 22 août 1990, modifié par l’article 1 de l’arrêté du 27 novembre 2020. Les produits, et notamment les e-liquides à base de CBD, sont donc interdits s’ils contiennent du THC, quel que soit le taux, et s’ils ne sont pas obtenus à partir de variétés et de parties de la plante autorisées.

Depuis la modification de la loi, en juin 2013, les médecins bénéficiant d’autorisations spéciales sont autorisés à prescrire des médicaments à base de cannabinoïdes.

Les médicaments autorisés par l’ANSM

En France, les seuls produits contenant des tétrahydrocannabinols et du cannabidiol pouvant revendiquer des allégations thérapeutiques sont les médicaments autorisés par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ou la Commission européenne, sur la base d’un dossier évalué selon des critères scientifiques de qualité, de sécurité et d’efficacité. Le non-respect de cette réglementation est passible de sanctions pénales.

Publicités et confusion

Certaines publicités en faveur de produits contenant du cannabidiol entretiennent une confusion entre le CBD et le cannabis, et font ainsi la promotion de ce dernier. Cette pratique est susceptible de constituer l’infraction pénale de provocation à l’usage de stupéfiant.

Le 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé illégale l’interdiction de la commercialisation du CBD par la France : un État membre ne peut interdire le commerce du cannabidiol légalement produit dans un autre État membre lorqu’il est extrait de la plante de Cannabis sativa dans son intégralité, et non de ses seules fibres et graines. Selon la CJUE, le CBD ne peut être considéré comme un stupéfiant, car cette molécule n’a pas, en l’état actuel des connaissances scientifiques, d’effet psychotrope ou nocif pour la santé humaine.

Le 24 novembre 2020, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) a précisé les points suivants :

– la CJUE considère qu’en l’état des connaissances scientifiques et sur la base des conventions internationales en vigueur, l’huile de CBD ne constitue pas un produit stupéfiant ;

– il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière des données scientifiques disponibles, si des effets nocifs pour la santé humaine pourraient être liés à l’utilisation du CBD, justifiant l’application d’un principe de précaution, et si les mesures prises sont propres à garantir l’objectif de protection de la santé publique.

Les produits à base de CBD ne peuvent, sous peine de sanctions pénales, revendiquer des allégations thérapeutiques, à moins qu’ils n’aient été autorisés comme médicaments par l’ANSM ou la Commission européenne, sur la base d’un dossier évalué selon des critères scientifiques de qualité, de sécurité et d’efficacité.

Compte tenu de cette récente actualité, et par extrapolation avec les produits équivalents distribués en Suisse, les teneurs en CBD des produits vétérinaires autorisés peuvent être déterminées pour faciliter une prescription sous la forme d’une titration raisonnée (tableau).

Une expérimentation en cours

En juin 2019, sur les recommandations du Comité scientifique spécialisé temporaire présidé par le professeur Nicolas Authier, chargé d’évaluer la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France, l’ANSM a décidé de mettre en place une expérimentation de deux ans sur la prescription de cannabis. Elle inclut 3 000 patients, avec cinq ratios THC/CBD différents et une adaptation posologique par titration dans cinq indications : les douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, les soins de support en oncologie, la spasticité douloureuse liée à la sclérose en plaques, les situations palliatives. Les experts ont recommandé le recours à des médicaments à base de fleurs séchées de cannabis et d’extraits à spectre complet, sous des formulations à effet immédiat (sublinguales et inhalées à base d’huile et de fleurs séchées pour vaporisation) et à effet prolongé (formes orales de type solution buvable ou capsules d’huile). L’initiation du traitement sera réservée à des médecins exerçant dans des centres de référence et formés à l’aide d’une plateforme d’e-learning. Le suivi des patients devra obligatoirement être renseigné dans un registre national électronique mis en place par l’ANSM (effets indésirables et efficacité).

L’expérimentation du cannabis médical aurait dû commencer en septembre 2020 et être déployée dans plusieurs centres hospitaliers en France. La délivrance est d’abord prévue dans les pharmacies des hôpitaux. Son objectif est d’évaluer le dispositif d’accès au cannabis médical, et non son efficacité (au sens d’une étude clinique de phase 3), même si ces premières données cliniques françaises seront collectées. Le décret d’application est paru le 7 octobre 2020.

Références

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Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1 : LE CANNABIS EN MÉDECINE HUMAINE

La prescription du cannabis à but thérapeutique est très ancienne (Chine 2700 avant J.-C., Égypte 1800 avant J.-C.). Elle est recommandée à partir de la Renaissance (Paracelse au XVIe siècle) puis au XVIIe siècle (Parkinson). La convention de Genève de 1925 et le Marijuana Tax Act aux États-Unis en 1937 ont mis un terme à cette utilisation en raison d’effets indésirables (addiction, troubles cognitifs et psychiatriques induits) et un contexte politique extrêmement conservateur. Aujourd’hui, les utilisations du cannabis médical font l’objet d’essais cliniques contrôlés, d’études d’observation, de revues systématiques et de méta-analyses dans la littérature indexée internationale. Les cannabinoïdes se sont révélés efficaces dans les modèles animaux de douleur inflammatoire et de douleur neuropathique [2]. Cependant, ils ne semblent pas efficaces dans le traitement de la douleur aiguë humaine, soit chez les volontaires sains, soit en période postopératoire, à moins d’être administrés avec des opioïdes (effet synergique) [3, 12, 14]. Dans l’ensemble des études de qualité portant sur les douleurs chroniques, les cannabinoïdes (THC, CBD, nabilone, nabiximols, dronabinol) ont eu un effet analgésique modéré, mais significatif (amélioration de la douleur d’au moins 30 % par rapport au placebo), souvent associé à des effets secondaires (dysphorie, confusion, vertige, tachycardie dose dépendante, etc.) [18]. L’efficacité est particulièrement remarquable dans le traitement de la douleur et de la spasticité associées à la sclérose en plaques [19]. Chez des sujets insomniaques, le THC augmente le sommeil non paradoxal au stade profond, réduit le sommeil paradoxal, diminue les épisodes d’éveil et le temps d’endormissement par rapport à un placebo [6]. La prescription de THC agit ainsi sur les troubles du sommeil, fréquemment associés aux douleurs chroniques.

De son côté, la douleur cancéreuse peut être nociceptive, neuropathique ou nociplastique. Lors des soins de support en oncologie, le système endocannabinoïde a une influence, au-delà de la douleur, sur le stress et l’anxiété, le mal-être des patients, l’appétit, le sommeil, l’inflammation et la spasticité. L’action antalgique dans le cadre du cancer pourrait donc intervenir via ces effets. Concernant les douleurs musculosquelettiques et articulaires, les données sont actuellement insuffisantes et des preuves d’efficacité sont nécessaires [13]. Dans les pays qui ont légalisé l’usage thérapeutique du cannabis, son utilisation concerne dans la moitié des cas des douleurs chroniques neuropathiques résistantes aux traitements habituels (antiépileptiques et certains antidépresseurs en première intention, opioïdes en deuxième et troisième intentions). Peu d’études se sont penchées sur l’emploi à visée antalgique du CBD pur [20]. À la lumière des preuves scientifiques actuelles, l’usage médical du cannabis ne peut pas être considéré comme une thérapie à proprement parler. Il s’agit plutôt d’un traitement symptomatique, en soutien aux prises en charge standards, lorsque ces dernières n’ont pas produit les effets souhaités, ou ont provoqué des réactions non tolérables ou nécessitant une augmentation de la posologie susceptible d’entraîner l’apparition d’effets indésirables. La Société française d’étude et traitement de la douleur (SFETD) a récemment pris position en faveur d’une prescription documentée et tracée des cannabinoïdes par les structures de lutte contre la douleur, ciblant les douleurs neuropathiques périphériques ou centrales réfractaires aux traitements de première et seconde lignes (antidépresseurs, antiépileptiques, anesthésiques topiques, capsaïcine).

Encadré 2 : TRAITEMENT DE L’INTOXICATION PAR LE CANNABIS CHEZ L’ANIMAL

1. Stabilisation des grandes fonctions vitales

– Apport d’oxygène (O2).

– Sédation pour limiter la consommation d’oxygène, obtenue à l’aide de butorphanol (0,1 à 0,4 mg/kg par voie intraveineuse ou intramusculaire).

– Stabilisation de la fonction cardiovasculaire via l’administration de cristalloïdes isotoniques (chien : bolus intraveineux de 10 à 30 ml/kg pendant 5 à 15 minutes ; chat : bolus intraveineux de 5 à 10 ml/kg durant 10 à 15 minutes).

– Stabilisation de la fonction nerveuse, avec la prise en charge des convulsions par l’administration de midazolam (bolus intraveineux de 0,5 à 1 mg/kg, puis perfusion continue à débit constant de 0,15 à 0,3 mg/kg/h pendant 4 heures).

2. Réduction de la contamination

– Induction de vomissements à l’aide d’Apomorphine Emedog (à la dose de 0,1 mg/kg par voie sous-cutanée) chez le chien, de Xylazine Rompun (0,4 mg/kg par voie sous-cutanée) ou de médétomidine (Domitor à raison de 30 à 50 µg/kg par voie sous-cutanée) chez le chat. Les émétiques sont contre-indiqués en cas d’altération de la conscience ou de forte agitation. Ils sont parfois peu efficaces en raison de l’effet antiémétique du THC.

– Lavage gastrique, à raison de 5 à 10 ml/kg d’eau tiède par sonde orogastrique après une intubation impérative.

– Prévention de l’absorption digestive à l’aide du charbon végétal activé Carbodote, par sondage si nécessaire, à la dose de 2 à 5 ml/kg per os toutes les 4 à 6 heures, et d’huile de paraffine (1 à 2 ml/kg) 30 à 45 minutes plus tard. À renouveler trois ou quatre fois par jour, selon la durée et l’intensité des troubles.

3. Antidote et élimination du toxique

Il n’existe pas d’antidote spécifique pour le cannabis. Les émulsions lipidiques intraveineuses sont recommandées en raison de la forte liposolubilité du THC (création d’un compartiment lipidique plasmatique séquestrant les drogues liposolubles). Les injections doivent être pratiquées lentement pour limiter les chocs anaphylactiques et de façon aseptique pour prévenir les complications infectieuses (phlébite).

Chez le chien : Intralipide 20 % (bolus de 1,5 ml/kg en intraveineuse lente sur 2 à 5 minutes suivie d’une perfusion continue à débit constant de 0,25 ml/kg/min pendant 30 à 60 minutes. Chez le chat : Intralipide 20 %, bolus de 2 ml/kg en intraveineuse lente, puis perfusion continue à débit constant de 4 ml/kg/h pendant 4 heures.

CONCLUSION

Le cannabis pourrait-il être un stupéfiant remède à la douleur ? D’une utilisation ancestrale empirique à une recherche sociétale d’activateur de bien-être, il y a probablement une place thérapeutique pour une prescription raisonnée et individualisée de cannabidiol, étayée par des preuves scientifiques et de nombreuses observations cliniques de terrain. La réglementation actuelle, contraignante, favorise paradoxalement une auto-administration approximative, source d’erreurs thérapeutiques et en contradiction avec les objectifs du bien-être animal