FICHE TOXICOLOGIE
Toxicologie
Auteur(s) : Léonie Sabourin*, Martine Kammerer**
Fonctions :
*Clinique des Arcades
544, boulevard Louis Blanc
69400 Villefranche-sur-Saône
**Professeure de toxicologie animale et environnementale
Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes
Très présentes dans les jardins et les intérieurs, les baies sont facilement accessibles aux animaux domestiques et sont l’objet de nombreux appels aux centres antipoison.
Entre 2005 et 2020, une cinquantaine d’espèces végétales différentes ont été impliquées dans des ingestions de baies par des animaux domestiques, selon les données recueillies par le Centre antipoison animal et environnemental de l’Ouest (Capae-Ouest), situé sur le campus vétérinaire d’Oniris (Nantes). Parmi ces espèces, dix concentrent à elles seules plus des deux tiers des appels.
Le laurier-cerise (Prunus laurocerasus) est l’espèce la plus fréquemment incriminée (photo 1), avec près de 20 % des appels, suivi par le pommier d’amour (Solanum pseudocapsicum), l’arbousier (Arbutus unedo), le gui (Viscum album) et l’if (Taxus baccata). Les cinq autres espèces les plus représentées sont l’arum tacheté (Arum maculatum), le houx (Ilex aquifolium), le cotonéaster (Cotoneaster horizontalis), le chalef (Elaeagnus spp.) et le buisson ardent (Pyracantha coccinea).
Ces végétaux ont tous pour point commun d’être particulièrement présents dans les jardins, ou utilisés en décoration d’intérieur et lors des fêtes de fin d’année. Certaines espèces, telles que l’if ou le laurier-cerise, sont cependant plus dangereuses que d’autres.
Afin de faire face aux contraintes de la vie fixée et à leurs prédateurs, les végétaux disposent d’un large arsenal de molécules toxiques présentes au sein des baies. Dans de nombreux cas, ces toxines sont principalement concentrées dans la graine, et pas dans l’ensemble de la baie ou dans la partie charnue du fruit. C’est donc la graine qui présente un danger. Dans le cas de l’if, l’arille du fruit est ainsi dépourvu de toxicité (photo 2), contrairement à la graine qu’il abrite.
Lorsque la graine est enclose dans un noyau (les fruits sont alors appelés des drupes), il est nécessaire que celui-ci soit écrasé lors de l’ingestion pour rendre la graine accessible et pour qu’une intoxication soit possible. C’est par exemple le cas des fruits du laurier-cerise.
Parmi les différents composés végétaux toxiques existants, citons notamment les oxalates de calcium, les glycosides cyanogènes, les glycosides cardiaques, les lectines, les alcaloïdes ou encore la ginkgotoxine du ginkgo. Leurs effets occasionnent alors divers signes cliniques (tableau).
Enfin, il faut noter que les baies vertes, plus riches en principes toxiques, sont généralement bien plus dangereuses que les baies arrivées à maturité.
Les espèces animales exposées sont très diverses (canard de Barbarie, chevreuil et même panda roux), bien que le chien soit surreprésenté (près de 90 % des appels). Outre le chien, le chat (5 % des appels), le lapin et la poule (1,6 % chacun) sont souvent impliqués dans l’ingestion de baies. Au contraire, l’exposition des animaux de production, des équidés et de la faune sauvage semble plus anecdotique. La surexposition du chien peut être attribuée à son caractère joueur et à sa tendance à explorer son environnement la gueule ouverte, là où le chat est plus méfiant.
L’ingestion a généralement lieu dans l’environnement direct de l’animal (jardin, pré, intérieur d’habitation) et plus particulièrement lors de promenades dans le cas des chiens. Les propriétaires exposent particulièrement leurs animaux de compagnie en choisissant des espèces végétales toxiques pour décorer leur intérieur, comme le pommier d’amour (photo 3), ou encore en accrochant du gui pour la tradition du jour de l’An. Néanmoins, certains animaux sont également exposés directement par l’action de l’homme, qu’elle soit malveillante (baies toxiques cachées dans de la viande) ou non (par exemple, un enfant donnant des baies à l’animal dans un contexte de jeu).
Bien connues en médecine humaine puisque l’ingestion de baies est courante chez les enfants, les doses toxiques chez les animaux domestiques sont rarement renseignées dans la littérature. L’analyse des données du Capae-Ouest montre en tout cas que, quelle que soit l’espèce et pour peu que celle-ci soit toxique, l’ingestion d’un seul fruit peut être suffisante pour induire l’apparition de signes cliniques. De grandes variations interindividuelles existent cependant.
Dans la plupart des cas rapportés au Capae-Ouest, l’ingestion de baies est sans gravité et se traduit surtout par des troubles digestifs bénins, et notamment par des vomissements. Il faut néanmoins prendre en considération que les quantités ingérées ne sont que rarement connues des propriétaires, et qu’il est parfois difficile de savoir si seules les baies ont été ingérées ou si d’autres parties de la plante, comme les feuilles ou les tiges, l’ont été également. Toutefois, pour certaines espèces végétales, des atteintes neurologiques (par exemple avec le fusain d’Europe, Euonymus europaeus), cardiorespiratoires (avec le muguet, Convallaria majalis) ou encore des troubles de la gestation (avec le genévrier commun, Juniperus communis) sont décrits.
Quelques cas mortels probablement dus à l’ingestion de baies sont cependant à déplorer, avec les plantes et pour les espèces animales suivantes :
- le lilas de Perse (Melia azedarach) et un chiot de race inconnue ;
- le pommier d’amour (Solanum pseudocapsicum) et une tortue, des canards et des merles ;
- la morelle noire (Solanum nigrum) et un bouc ;
- l’if commun (Taxus baccata) et un chien de race chihuahua et des grives.
Un diagnostic de certitude n’est que rarement établi, si ce n’est à l’autopsie ou lorsque des baies sont mises en évidence dans les vomissements ou les fèces.
Certains dosages de principes toxiques sont réalisables, mais ne sont pas ou peu disponibles en médecine vétérinaire. Il est par exemple possible de doser la convallatoxine du muguet (Convallaria majalis) par réactions croisées grâce au dosage de la digoxine. Pour l’if commun (Taxus baccata), une technique de diagnostic post-mortem par chromatographie et spectrométrie de masse a été mise au point chez le cheval.
Dans un premier temps, des mesures éliminatoires sont recommandées, avec l’induction des vomissements, voire un lavage gastrique, lorsque l’ingestion est récente et qu’il s’agit d’une espèce particulièrement toxique. L’administration systématique de charbon activé, qui permet l’adsorption et la neutralisation de nombreuses toxines, est préconisée et peut s’accompagner de celle de pansements digestifs. En cas d’intoxication par des oxalates de calcium, en lien par exemple avec l’arum tacheté (Arum maculatum), un rinçage de la cavité buccale et une gestion de la douleur sont aussi nécessaires (photo 4).
Si les signes cliniques sont déjà apparus, un traitement symptomatique est indiqué (antiémétiques, anticonvulsivants, etc.). Selon la sévérité des pertes, notamment lors de vomissements et de diarrhées, une correction hydroélectrolytique s’impose. Pour de rares espèces végétales, un traitement spécifique est indiqué. Ainsi, à la suite de l’ingestion de fruits du ginkgo (Ginkgo biloba), il est possible d’administrer de la vitamine B6 puisque la neurotoxine du ginkgo interfère avec l’activité de cette dernière. Des antidotes existent pour d’autres plantes, mais ne sont pas disponibles en médecine vétérinaire, comme l’hydroxocobalamine lors d’une intoxication par des glycosides cyanogènes ou la physostigmine après l’ingestion de fruits de la belladone (Atropa belladonna).
Conflit d’intérêts : Aucun
Les plantes à baies ne présentent en général qu’un danger limité pour les animaux domestiques, à l’exception de rares espèces comme le laurier-cerise ou l’if. Les renseignements issus de l’anamnèse sont donc primordiaux afin de déterminer au mieux l’espèce végétale impliquée, la quantité de baies ingérées, si elles étaient mûres ou encore vertes, ainsi que les circonstances de l’ingestion (écrasement ou non du noyau). Dans la majorité des cas, les signes cliniques sont absents ou limités à des troubles digestifs. Un traitement éliminatoire (charbon activé) et symptomatique est alors suffisant. Le pronostic est généralement très favorable.
1. Sabourin L. Intoxications par les baies chez les animaux domestiques : analyse des données du Capae-Ouest. Thèse d’exercice, Oniris. 2020:383p.