CONDUITE D’ÉLEVAGE
Article original
Auteur(s) : Céline Gaillard
Fonctions : Le Point Vétérinaire
11-15, quai de Dion-Bouton
92800 Puteaux
Le pâturage a été délaissé ces dernières années. Pourtant, les prairies pourraient permettre de répondre aux nouveaux enjeux de l’élevage.
Depuis plusieurs années, l’élevage traverse une crise d’acceptabilité. Sa mauvaise image est due à plusieurs points de cristallisation, focalisés sur son impact environnemental (gaz à effet de serre, déforestation, gestion des déchets), mais aussi en vertu de considérations éthiques et sanitaires (bien-être animal, conséquences sur la santé humaine d’une forte consommation de protéines animales). Pour toutes ces raisons, une diminution de la consommation de viande et de produits animaux est observée dans les sociétés occidentales.
Ainsi, l’avenir de l’élevage est soumis à de grandes incertitudes, auxquelles s’ajoutent les aléas climatiques, dans un contexte de réchauffement planétaire, et économiques, en particulier en Europe depuis quelques années. La filière doit donc rester à la fois compétitive et acceptable.
L’une des solutions envisagées est de redonner une place importante aux prairies, essentiellement pour l’élevage des herbivores. En effet, elles bénéficient de l’image positive d’une production naturelle et sont associées au bien-être des animaux dans l’esprit collectif.
Pourtant, depuis les années 1970, les surfaces allouées aux prairies permanentes ont fortement régressé, pour ne représenter aujourd’hui qu’environ un tiers de la surface agricole utile (photo 1) [1]. Elles sont en concurrence avec les cultures fourragères et menacées par les changements de destination (reforestation, artificialisation des sols). Souvent considérées par les éleveurs et les techniciens comme un modèle dépassé, trop soumis aux risques climatiques, les prairies souffrent également d’un certain déficit de références techniques, bien que de nombreux travaux aient permis de combler ce manque ces dernières années. Une récente étude fait ainsi état des atouts des prairies pour répondre aux nouveaux et futurs enjeux de l’élevage [6].
L’augmentation constante de la population humaine, qui devrait atteindre près de 9,1 milliards en 2050 selon les estimations, implique une demande alimentaire croissante [7]. Pour y faire face, et selon les recommandations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production de viande au niveau mondial devra augmenter de 70 % (tous types de produits carnés confondus), celle de lait et d’œufs de 60 %, alors que dans le même temps, les surfaces dédiées à l’élevage tendent à se réduire en raison de la désertification, du recouvrement marin, de l’urbanisation, etc. [7].
Aujourd’hui, 34 % des surfaces cultivables mondiales sont consacrées à l’alimentation des animaux d’élevage, avec un rendement certes faible, mais qui permet néanmoins la valorisation de produits végétaux non directement destinés à la consommation humaine [6].
La grande diversité des prairies rend difficile la mise au point de références sur leurs caractéristiques de production (photo 2 et encadré). Néanmoins, des avancées ont été réalisées ces dernières années. Actuellement, de nombreuses données sont disponibles et les connaissances en matière de composition et de facteurs de croissance ont évolué. Elles permettent ainsi un ajustement des pratiques de gestion selon les objectifs (maintien de la biodiversité, augmentation de la productivité des parcelles, etc.). De plus, les mécanismes de fertilisation ou les particularités du sol sont mieux connus.
En France, dix-neuf types de prairies permanentes ont été définis par Launay et ses collaborateurs en 2011 : prairie d’altitude (cinq types), de zones semi-continentales (six types), de zones océaniques (cinq types) et de zones côtières (trois types). Les valeurs alimentaires sont connues pour chacun de ces types, pour le premier cycle comme pour ceux de repousse. Ainsi, la valeur alimentaire des prairies permanentes d’altitude et des zones semi-continentale et océanique est proche de celle des espèces pures comme le ray-grass, le dactyle ou encore la fétuque [2].
De nombreux outils d’analyse sont également disponibles. Ils permettent par exemple une gestion à l’échelle du troupeau, grâce à la typologie des prairies dont l’objectif est d’adapter la parcelle à un usage ou à une catégorie d’animaux à un moment donné, selon les besoins et les apports nécessaires.
La gestion des prairies est en outre amenée à évoluer grâce à de nouvelles recherches qui touchent à la compréhension des effets des pratiques de gestion sur les prairies, à la gestion collective des prairies à l’échelle du territoire ou encore à l’apport de l’élevage de précision dans la collecte et l’analyse de données.
Le pâturage apporte à l’animal une ration complète qui se suffit à elle-même, avec une valeur nutritive plus stable dans le cas des prairies diversifiées, une souplesse d’exploitation dans le cas des prairies très diversifiées et une expression favorisée des comportements spontanés (bien-être animal) [6]. Pour l’éleveur, la prairie est une solution avantageuse économiquement, qui offre de nombreuses opportunités et une souplesse d’utilisation tout au long de l’année, avec une meilleure autonomie alimentaire et une réduction du travail lié au nourrissage des animaux [6]. Elle nécessite toutefois un certain degré d’anticipation et reste soumise aux aléas climatiques.
Le changement climatique ira de pair avec l’augmentation des coûts de production [5]. Les élevages doivent donc faire preuve de résilience, ce qui est possible avec le système en prairie.
La composition de la ration influe sur la teneur en acides gras du lait produit (photo 3). En effet, les prairies sont riches en oméga 3, qui se retrouvent ensuite dans les produits laitiers. De même, la nature et la quantité des métabolites secondaires susceptibles d’avoir un intérêt pour la santé humaine (composés phénoliques, terpènes, caroténoïdes précurseurs de la vitamine A, alcaloïdes et quinones) dépendent de la composition de sa flore, de sa récolte et de sa conservation [8]. Certains éleveurs s’essayent en outre à la constitution de prairies “médicaments” afin de tester l’effet d’une plante ou d’un cocktail de plantes sur la santé des animaux.
Si le recours à la prairie dans la gestion de l’élevage améliore la qualité organoleptique des produits, elle doit être mieux maîtrisée et mise en valeur [3]. C’est le cas par exemple pour certaines appellations d’origine protégée, comme l’AOP Comté qui propose ainsi une rosace des arômes pour ses fromages, en lien avec la diversité des prairies.
La méfiance des éleveurs concerne surtout la filière laitière, dans laquelle le savoir-faire s’est perdu au profit de la mise en place de cultures fourragères et d’une gestion stable dans le temps, permise par une alimentation calibrée. En effet, une production laitière en dents de scie est souvent mal acceptée par l’exploitant.
La prairie est généralement perçue comme une source d’incertitudes, donc de stress. Une étude a mis en évidence quatre catégories d’éleveurs qui utilisent la mise à l’herbe : les épanouis, les modérés, les utilisateurs flexibles et les conservateurs indécis [4]. Ainsi, Le pâturage peut être source de stress au quotidien ou représenter une charge de travail supplémentaire selon certains groupes d’éleveurs, alors que pour d’autres, la recherche d’un mieux-être au travail peut constituer une piste d’évolution favorable vers ce type de système de production à base d’herbe pâturée.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Les prairies permanentes sont composées d’espèces pérennes ou natives telles que des graminées (Poacées), des légumineuses (Fabacées) et d’autres dicotylédones appelées « diverses » en agronomie, présentes dans des proportions variables. Gérées sur du long terme, elles peuvent être semi-naturelles (implantées depuis plus de dix ans) ou plus récentes (cinq à dix ans), voire conduites de façon plus intensive. Quinze à cent espèces composent la flore des prairies permanentes [9].
• Les prairies temporaires sont composées d’espèces semées, annuelles ou pluriannuelles, voire pérennes de moins de six ans. Elles comportent essentiellement des graminées et des légumineuses, avec une dizaine d’espèces en mélange.
• Les prairies artificielles ont moins de cinq ans, et sont quasi exclusivement composées de légumineuses fourragères.
• Les prairies diversifiées comptent plusieurs espèces prairiales. Elles peuvent ainsi être temporaires (avec plus de trois espèces) ou permanentes (avec plus de trente-cinq espèces) et sont utilisées en pâture ou en fauche.
La valeur environnementale des prairies peut être évaluée suivant leur composition botanique, ou sur la base de leur composition fonctionnelle (regroupement des plantes selon leur fonction, par exemple utilisation du vent pour la pollinisation).
• La production de viande au niveau mondial devra augmenter de 70 % d’ici à 2050 pour répondre à la croissance de la population mondiale.
• La grande diversité des prairies rend complexe la mise au point de références sur leurs caractéristiques de production, mais des avancées sont toutefois observées.
• L’utilisation de prairies dans la gestion de l’élevage améliore la qualité organoleptique des produits animaux qui en sont issus.
Depuis les années 1970, les surfaces allouées aux prairies sont en recul, malgré des avancées récentes dans la compréhension de ces écosystèmes. Les enjeux actuels de l’élevage sont compatibles avec le développement des prairies, pour une production de meilleure qualité, résiliente et adaptée aux nouvelles attentes des consommateurs, de plus en plus nombreux à favoriser un élevage naturel.