CARDIOLOGIE
Cardiologie
Auteur(s) : François Serres
Fonctions : (DESV médecine interne, option cardiologie)
Oncovet Avenue Paul Langevin
59650 Villeneuve d’Ascq
L’association de malformations cardiaques et d’une cardiopathie acquise peut avoir des conséquences imprévisibles. Un examen échocardiographique de contrôle doit toujours être proposé en cas de dégradation clinique chez un animal qui présente une malformation cardiaque connue.
Un chien berger australien mâle castré, âgé de 5 ans, est référé pour une échocardiographie afin d’explorer une baisse de forme et une ascite apparue quelques jours auparavant, associées à une tachycardie et à un assourdissement des bruits cardiaques. L’animal présente une malformation d’Ebstein (atrialisation du ventricule droit combinée à une insuffisance tricuspidienne), diagnostiquée à l’âge de 6 mois, non suivie depuis et traitée avec du pimobendane (à la dose de 0,2 mg/kg toutes les 12 heures per os). Une faiblesse brutale est observée depuis une semaine. Le bilan sanguin est normal, hormis une légère élévation de l’urémie (0,9 g/litre, norme de l’analyseur de 0,3 à 0,6 g/l). L’administration d’un diurétique oral (furosémide, à raison de 2 mg toutes les 12 heures) n’a que partiellement amélioré la baisse d’état général.
L’examen clinique montre un animal en bon état général. Les muqueuses sont roses et le temps de recoloration capillaire est inférieur à deux secondes. Un discret signe du flot est présent. À l’auscultation, des bruits cardiaques très légèrement assourdis sont associés à une tachycardie modérée et régulière. Le pouls fémoral est peu frappé et synchrone, sans pouls jugulaire identifié.
Un examen échocardiographique est réalisé pour rechercher une éventuelle dégradation de la malformation cardiaque connue, qui pourrait expliquer les signes cliniques observés. Un cœur à la morphologie et à la taille très modifiées est visualisé (petite taille du cœur gauche et collapsus partiel avec un affaissement du ventricule droit), ainsi qu’un épanchement péricardique abondant. Une dilatation marquée sans tamponnade de l’atrium droit est également observée (photo 1). Un tel épanchement peut être secondaire à la présence d’une tumeur macroscopique (hémangiosarcome, chémodectome, etc.), d’une infiltration tumorale microscopique (mésothéliome, lymphome, etc.), d’une lésion inflammatoire (myocardite, épanchement péricardique idiopathique), d’un trouble de la coagulation, ou peut résulter d’une insuffisance cardiaque congestive droite consécutive à la maladie d’Ebstein. Il n’existe aucune lésion à la base du cœur ni aucun épaississement au niveau de la paroi de l’atrium droit, ce qui rend l’hypothèse d’une lésion tumorale macroscopique peu probable. En revanche, la présence d’une ascite en quantité modérée est confirmée.
Une ponction de l’épanchement est pratiquée sous contrôle échographique. Comme la durée de cet acte est courte, le risque de traumatisme cardiaque iatrogène reste limité. Seuls quelques millilitres de liquide d’épanchement sont prélevés pour réaliser une analyse cytologique, qui vise à exclure l’évolution d’un lymphome péricardique ou d’un mésothéliome. Cette ponction permet aussi la levée de la compression cardiaque, en créant une communication entre les espaces pleural et péricardique. Le liquide présente l’aspect d’un exsudat hémorragique “habituel” avec un hématocrite de 20 %. L’examen ne montre qu’une population relativement riche de cellules mésothéliales présentant des atypies modérées, plutôt en faveur d’une hyperplasie mésothéliale. Une infiltration tumorale microscopique, une myocardite ou un trouble de la coagulation ne peuvent être formellement exclus, mais semblent peu probables.
Une échographie réalisée après la ponction confirme la “vidange” de la plus grande partie de l’épanchement dans l’espace pleural, avec une “réexpansion” du cœur droit. Une mesure du reflux tricuspidien révèle une vitesse légèrement élevée (3,5 m par seconde), mais relativement stable par rapport à l’examen initial. L’indice de Celermajer, qui calcule le rapport de la surface de l’atrium droit sur le cœur gauche et le ventricule droit fonctionnel et présente un intérêt diagnostique, est élevé (photo 2).
Des corticoïdes à dose anti-inflammatoire sont prescrits dans l’hypothèse d’un épanchement péricardique idiopathique (prednisolone à la posologie de 20 mg par jour per os pendant une semaine, puis à dose dégressive), ainsi qu’un contrôle échocardiographique une semaine et un mois plus tard. Les examens de suivi montrent une régression de l’ascite sans réapparition de l’épanchement péricardique.
La maladie d’Ebstein est une malformation cardiaque très rare chez le chien. L’étude réalisée sur le plus grand effectif ne comprend “que” 40 cas identifiés dans deux centres et sur une période de quinze ans [2]. Une prédisposition raciale est suspectée chez le labrador, avec une probable transmission génétique liée au chromosome 9. Une prédisposition raciale est aussi supposée chez le border collie [1, 4]. Lors de maladie d’Ebstein, il existe une malposition de l’anneau tricuspidien, qui est situé trop à l’apex du cœur. Cette valve anormale sépare un ventricule droit “fonctionnel” de petite taille d’un atrium droit “augmenté”. Ce dernier correspond à l’association de l’atrium droit et d’une partie plus ou moins importante du ventricule droit, directement reliée à l’atrium droit et non fonctionnelle. La part relative de l’atrium droit et du ventricule droit “atrialisé” par rapport au reste du cœur, mesurée par l’indice de Celermajer, permet de préciser le pronostic. Ce dernier est le plus souvent bon, mais reste réservé en cas d’indice élevé (supérieur à 100 %), comme dans ce cas. L’apparition de signes de congestion (surtout d’une ascite) constitue également un paramètre pronostique négatif lors de maladie d’Ebstein. L’ascite observée peut résulter de la maladie d’Ebstein, mais aussi d’un épanchement péricardique “indépendant”, car elle est rapportée dans 13 % et 49 % des cas, respectivement, pour ces affections [1, 3]. Il n’est théoriquement jamais possible d’exclure que l’épanchement péricardique soit secondaire à la maladie d’Ebstein, car un épanchement péricardique est rapporté dans 6 % des cas de cette maladie [1]. Cependant, l’aspect d’hémopéricarde observé dans notre cas est en faveur d’un épanchement consécutif à une affection péricardique primitive. Par ailleurs, la présence d’une hypertension atriale droite préexistante a probablement limité les conséquences hémodynamiques de l’épanchement péricardique, en empêchant notamment la survenue d’une tamponnade cardiaque. La réalisation d’une ponction péricardique reste le traitement de référence lors de tamponnade cardiaque. La mise en place temporaire d’un cathéter péricardique peut être envisagée alternativement à une ponction simple [2].
Conflit d’intérêts : Aucun
La présence d’une ascite est le plus souvent associée à un pronostic défavorable, car les affections sous-jacentes sont souvent graves. Cependant, lors d’épanchement péricardique idiopathique associé, l’évolution est généralement favorable (une unique ponction de cet épanchement est suffisante dans plus d’un cas sur deux). La présence concomitante d’une maladie d’Ebstein est rarement décrite, mais n’impacte pas de façon majeure le pronostic.