La consultation comportementale en 10 étapes
Auteur(s) : Claire Diederich*, Caroline Gilbert**
Fonctions :
*(dipl. ECAWBM science, ethics and law)
Département de médecine vétérinaire
(Urvi-Narilis)
Faculté des sciences de l’université de Namur
61, rue de Bruxelles
B-5000 Namur (Belgique)
**(dipl. ECAWBM science, ethics and law)
Service d’éthologie
ENV d’Alfort
7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort
La connaissance des facteurs favorisant la peur chez le chien, la compréhension des définitions des concepts de peur, de phobie et d’anxiété ainsi que la détection des comportements associés permettent au vétérinaire d’établir un diagnostic puis d’adapter le traitement de l’animal.
Les peurs, les phobies ou l’anxiété des chiens impactent leur qualité de vie, mais aussi celle de leurs propriétaires, et sont un motif fréquent de consultation chez le vétérinaire [44]. Dans certains cas, les comportements des chiens sont incompatibles avec une vie normale, et la famille humaine s’en trouve affectée (par exemple, lorsqu’il n’est pas possible de voyager avec son chien, de sortir dans la rue pour une promenade, de recevoir des amis à la maison, ou de s’absenter pour aller au travail ou pour un loisir). Une prise en charge est alors nécessaire, afin d’éviter que la situation empire et conduise soit à l’abandon de l’animal, soit à son euthanasie.
Cet article pose la définition des concepts de peur, de phobie et d’anxiété, et présente les comportements associés, afin d’aider le praticien à établir un diagnostic (figure 1). Les facteurs favorisant la peur chez le chien sont ensuite décrits. Les traitements, dans le cadre d’un diagnostic ou d’une consultation préventive, sont alors présentés. Enfin, une attention particulière est portée à l’anxiété de séparation, un trouble du comportement multiforme, aux causes variées.
La peur est une émotion qui inclut une composante subjective (ressenti du chien), une composante comportementale (réaction observable par l’humain) et une composante physiologique (réactivité de l’organisme et réponse de stress) [15, 29]. Cette émotion est déclenchée par un stimulus perçu par le chien qui analyse la situation et peut ressentir de la peur. Il peut s’agir de tout stimulus nouveau ou non, familier ou non, d’apparition brutale, stimulus physique ou personne, voire congénère, dans un environnement plus ou moins connu, que l’animal perçoit comme désagréable, aversif, et auquel il souhaite se soustraire.
Cette émotion fait partie d’une réaction normale et adaptative. La composante physiologique de la peur (réponse de stress de l’animal en lien avec le “syndrome général d’adaptation”) place l’animal en état d’alerte, afin qu’il puisse réagir efficacement à la situation (par exemple bronchodilatation, tachycardie, mydriase) [48].
Avoir peur, c’est être plus vigilant, sur ses gardes, attentif, à la recherche de solutions pour ne pas se blesser, prévenir ses congénères d’un danger potentiel (via une posture de peur, des sécrétions anales, des aboiements, etc.) et in fine s’adapter à son environnement.
Les situations susceptibles de provoquer de la peur sont nombreuses, d’autant que les capacités sensorielles des chiens sont plus étendues que les nôtres et les situations sont perçues de manière très variable d’un chien à l’autre. En fonction de leur tempérament craintif-peureux (en réaction à des stimuli physiques, comme les bruits ou les mouvements, des personnes ou des congénères) et de leur milieu de développement, certains chiens sont susceptibles de présenter des réactions de peur trop fréquentes ou intenses, ceci n’étant plus adaptatif [51].
Lorsqu’une émotion de peur est anormalement intense ou d’une proportion démesurée par rapport à la dangerosité du stimulus, il s’agit de phobie [15]. Contrairement à la peur, la phobie n’est pas adaptative, la réponse de stress n’étant plus adaptée à la situation, et trop intense (par exemple tremblements, panique, immobilisation, miction). Un chien phobique a tendance à éviter la situation qui la déclenche, ou les stimuli qui la composent.
En conditions contrôlées de laboratoire, il est possible d’apprendre à des animaux à être phobiques de presque tous les stimuli, par conditionnement classique (via une réponse émotionnelle conditionnée) [19]. Chez le chien, les stimuli ou les situations phobiques concernent en particulier les bruits (aspirateur, coups de feu, pétards, orage, etc.) et des lieux ou situations particulières en lien avec une expérience extrêmement aversive et/ou douloureuse (par exemple chez le toiletteur, le vétérinaire ou dans une foule, lors d’interactions entre chiens, etc.). Contrairement à la peur, la réaction de stress liée à une réaction phobique persiste même après le retrait du stimulus [9].
Des chiens qui ne sont pas familiarisés à l’humain ou ont grandi avec peu d’enrichissement environnemental et qui sont d’un tempérament peureux pourront manifester des réponses de peur intense, assimilées à de la phobie, en présence de personnes non familières, de situations inédites ou de nouveaux objets.
L’anxiété correspond à une réponse de stress d’un animal, en attente redoutée d’un stimulus, désagréable et/ou menaçant, mais qui n’est pas présent. Comme la peur, cette appréhension est normale et adaptative tant qu’elle n’est pas excessive ou généralisée, et n’empêche pas l’animal de se comporter normalement [15]. Chez le chien, l’anxiété de séparation, qui se manifeste par le fait qu’un individu, à tempérament anxieux, n’est pas capable de rester seul, est un motif fréquent de consultation. La littérature récente sur le sujet fait état de l’implication de plusieurs émotions (isolément ou non) dans ce contexte : de la peur, de la frustration et de la panique (décharge émotionnelle), ce qui incite à reconsidérer cette entité [13]. La grande variabilité des effets des traitements rapportés dans la littérature plaide en faveur de cette analyse (encadré 1 en ligne sur lepointveterinaire.fr).
Une émotion, telle que la peur, se traduit par des composantes comportementales et physiologiques (observables, donc objectivables) et une composante subjective (non observable). Selon le tempérament et la personnalité du chien, une composante sera plus exprimée qu’une autre, la réponse de peur étant individuelle dans ses modalités et sa durée [16]. Lorsqu’un stimulus menaçant est perçu par un chien, plusieurs options se présentent à lui : fuir ou éviter (flight), combattre (fight) ou s’immobiliser (freeze) [11, 43]. En cas de phobie, les réponses comportementales et physiologiques sont exacerbées. Dans le cas d’anxiété, l’animal présente des comportements liés à la réponse de stress, en l’absence d’un stimulus déclencheur (figure 2).
Peur, phobie et anxiété s’expriment ainsi par des signes physiologiques non spécifiques (liés à la réponse de stress), mais qui peuvent différer en termes d’intensité (encadré 2).
En cas d’anxiété, la réaction de peur (fuite de l’animal) n’est pas observée. Overall et son équipe recommandent de rechercher chacun de ces signaux, étant donné leur cooccurrence : en effet, certains chiens pourront être peureux et anxieux, d’autres phobiques et anxieux, certains seront cependant uniquement peureux, phobiques ou anxieux [44].
En lien avec la réponse comportementale, la composante physiologique d’une réponse de peur se mesure par l’activation du système nerveux autonome sympathique et du système endocrinien : redistribution du sang (vasoconstrictions cutanée et viscérale, vasodilatation au niveau musculaire), mydriase, contraction des sphincters pylorique, anal et vésical, dilatation des bronches, etc. [48]. Les hormones libérées dans un premier temps sont les catécholamines (adrénaline et noradrénaline). Elles vont accroître la vigilance : augmentation du rythme et de l’amplitude respiratoire et cardiaque, augmentation de l’irrigation cérébrale et musculaire, etc. Dans un second temps, si la stimulation est durable ou intense, la corticosurrénale libérera des glucocorticoïdes (cortisol) en vue d’augmenter la glycémie, afin de faire face au besoin énergétique soudain ou important lié à la réponse comportementale [48]. Cette réponse physiologique neuroendocrinienne permet à l’animal d’augmenter son activité musculaire, de protéger son organisme des blessures éventuelles et, en cas de lésions, d’en limiter les effets immédiats. Notons que la miction, la défécation et des tremblements musculaires peuvent aussi être observés comme conséquences physiologiques de la peur [8, 31, 44].
Si un animal peureux se trouve acculé, après la réaction de fuite et d’évitement, une immobilité ou de l’agression pourront être observées (figure 3). Des vocalisations telles que des gémissements, des cris aigus, des jappements et des aboiements sont également émises par un chien peureux. Des agressions par peur sont observées lors de consultations vétérinaires ou de rencontres avec des humains inconnus [39, 40].
Un chien peureux, en réaction en consultation à des stimuli physiques ou à des personnes, voire à des congénères, présentera à la fois une réaction comportementale de peur et une réponse physiologique de stress, faibles à modérées. Un chien phobique, toujours en réaction à un stimulus, présentera également une réaction comportementale de peur et une réponse physiologique de stress, mais modérées à intenses. Un chien anxieux (non peureux, non phobique) présentera des signaux de réponse de stress, sans présence d’un stimulus particulier, signes qui peuvent être faibles, modérés, voire intenses en consultation (encadré 2).
Quatre facteurs susceptibles de favoriser l’apparition de peurs généralisées et/ou exacerbées sont identifiés chez le chien. La littérature ne permet cependant pas de déterminer un âge particulier d’apparition des peurs et des phobies. De même, il ne semble pas se dégager de préférence de sexe dans leur expression [15].
En lien avec ces facteurs favorisants, il sera possible d’adapter un traitement approprié visant à réduire les réactions comportementales de peur et physiologiques de stress exacerbées.
Dans diverses espèces, il est démontré que l’environnement des femelles en gestation influence ultérieurement le comportement de leurs jeunes [4, 33]. Chez le chien, une étude systématique des effets du stress des femelles gestantes n’a pas encore été réalisée, bien que Leroy ait démontré que les chiots issus de chiennes gestantes stressées ont d’aussi bonnes aptitudes à l’apprentissage que leurs homologues contrôles (données non publiées).
Dans la littérature, les avis semblent partagés en ce qui concerne l’influence du comportement maternel sur les comportements du chiot. En 1965, Murphree et Dykman, qui ont croisé un mâle d’une lignée de pointers peureux avec une femelle d’une lignée de pointers non peureux, ont montré que tous leurs descendants étaient peureux, quelle que soit la femelle qui les élevait (issue de la lignée peureuse ou non) [42]. Depuis lors, d’autres études portant sur l’âge du sevrage maternel ont démontré que des réactions de stress et des comportements non adaptés étaient davantage exprimés par des chiots séparés précocement de leur mère (avant 6 semaines de vie) [41]. Le praticien peut ainsi questionner le propriétaire sur la lignée dont le chien est issu, et les conditions au sevrage. Cela pourra l’orienter sur les facteurs susceptibles d’avoir favorisé la mise en place de réactions non adaptatives. Des conseils préventifs pourront être donnés (sélection génétique appropriée, sevrage non précoce).
Des différences dans la réactivité émotionnelle entre les races de chien sont démontrées depuis longtemps. Ainsi, des différences entre les races basenji, beagle, shetland, fox terrier et cocker sont observées en ce qui concerne les aboiements, les battements de queue, les fréquences cardiaque et respiratoire [47].
Au sein d’une même race, la sélection ciblée des parents, en fonction de leur tendance à s’éloigner, à se dérober, à trembler et à s’immobiliser lorsqu’ils sont confrontés à un humain inconnu, a conduit, après trois générations, à produire des chiots peureux et non peureux. Les chiots peureux se déplacent moins lors d’un test d’exploration, restent plus longtemps immobiles après un bruit fort et soudain et, face à un humain non familier, demeurent tapis au sol, pupilles dilatées, par rapport aux chiots de la lignée non peureuse [42].
Enfin, au niveau individuel, il est possible d’identifier des individus avec un tempérament peureux chez les chiens de travail et les chiens de compagnie (scores de peur d’un chien par rapport à ceux d’autres membres de sa race) [3, 36]. Par exemple, par rapport à la moyenne de la race, un chien peut être plus ou moins peureux envers ses congénères, d’après les réponses de propriétaires au questionnaire du C-Barq [20, 32].
Ainsi, le praticien pourra questionner et renseigner le propriétaire sur la race, la lignée de son chien. Par ailleurs, le tempérament peureux du chien peut permettre d’expliquer les réponses de peur (bruits, personnes, congénères) précoces, qui vont progressivement augmenter en intensité, les réponses émotionnelles de ces chiens ne permettant pas les apprentissages par habituation, ou favorisant les réponses émotionnelles conditionnées. Par ailleurs, les chiens anxieux présentent de faibles capacités d’adaptation : ce sont souvent des animaux qui ont montré des signes de stress chez le propriétaire dès les premiers jours après l’adoption.
Le développement comportemental a été décrit pour la première fois il y a plusieurs dizaines d’années, par Scott et Fuller [47]. Durant les deux premières semaines de sa vie, le chiot, incomplètement formé, répond à un stimulus douloureux ou aversif en gémissant. Il est limité dans ses mouvements et ses organes des sens (vue, ouïe) sont encore non fonctionnels. Lors de la troisième semaine, la vision devient opérationnelle et lui permet d’identifier la source d’un stimulus douloureux ou aversif et il est capable de s’en écarter, car son développement neuromusculaire s’améliore. À partir de la quatrième semaine de vie, et durant plusieurs semaines, se déroule la socialisation.
La socialisation consiste en l’apprentissage (par la pratique) et le développement (par l’exposition aux stimuli) des modalités de communication avec les membres de sa propre espèce. En ce qui concerne les individus des autres espèces, on parlera de familiarisation plutôt que de socialisation, car les outils de communication et les canaux sensoriels de leur perception ne sont pas comparables (Deputte, communication personnelle). En 1978, Fox a pour la première fois décrit deux phases de socialisation : la phase d’attraction (de 3 à 12 semaines d’âge, avec un maximum à 5 semaines) et la phase d’aversion (de 5 à 14 ou 16 semaines, avec un maximum à 7 semaines) [22]. Ainsi, des chiots élevés en box individuels deviennent “hyposocialisés” à l’espèce canine. Face à un miroir, ils ne se montrent pas intéressés par leur image, contrairement aux chiots qui grandissent dans leur portée et qui, face à leur image dans le miroir, tentent d’entrer en contact avec ce partenaire de jeu potentiel.
Si ces chiots “hyposocialisés” sont mis ensemble, à l’âge de 3 mois, ils manifestent très peu d’interactions sociales, vocalisent plus et se montrent par la suite agressifs envers leurs congénères. Ils ne jouent pas entre eux, mais seuls et avec les objets disponibles dans leur environnement [23]. A contrario, un chiot correctement socialisé, parce qu’il a grandi dans sa fratrie, sera à même d’interagir correctement avec toute race de chiens rencontrée ultérieurement.
En 1963, Fuller a démontré qu’un contact positif de huit minutes par semaine était suffisant pour installer la familiarisation à l’humain [26]. Freedman et ses collaborateurs ont manipulé des chiots à la deuxième, troisième, cinquième, septième ou neuvième semaine de leur vie, à raison de trois fois trente minutes par jour [25]. Testés durant deux semaines à partir de la quatorzième semaine, le groupe contrôle (chiots non manipulés dans le jeune âge) et celui manipulé à 2 semaines de vie étaient significativement moins attirés par l’humain que les autres. Un effet positif de la familiarisation aux humains a été observé chez les chiots manipulés de 3 à 9 semaines d’âge.
Enfin, les conditions de développement sont importantes afin que le chiot s’habitue à son environnement, qu’il soit inanimé (bruits, substrats comme herbe, béton, etc.) ou animé (congénères, autres espèces, dont l’humain) [28]. Un chiot élevé dans un environnement trop peu stimulant socialement ou d’un point de vue sensoriel entre les âges de 3 semaines à 3 mois sera davantage susceptible de présenter de la peur face à des stimuli nouveaux. Suivant ses capacités d’adaptation (tempérament) et d’apprentissage et selon l’attention qu’il recevra de son propriétaire, il sera à même de surmonter ses émotions ou non.
L’attention à porter à l’apprentissage doit se poursuivre au-delà des trois premiers mois de la vie d’un chiot, mettant l’attention sur la plus-value apportée au développement comportemental par la fréquentation des écoles pour chiots [12].
À côté du bagage héréditaire, les peurs et phobies peuvent se développer via les apprentissages au cours de la vie de l’animal (précoces au cours de la période de socialisation, et tout au long de la vie). L’apprentissage consiste en l’acquisition d’informations qui peuvent être traitées directement et se traduiront, éventuellement, par un comportement, ou qui aideront à résoudre un problème à l’avenir [24]. Il se construit sur la base de la rencontre répétée avec des éléments de l’environnement, des réactions de l’animal face aux divers contextes de la vie. La perception d’un danger et la manière la plus appropriée d’y répondre feront appel à ses capacités d’apprentissage. Ainsi, c’est par conditionnement classique (association entre deux stimuli, l’un connu et l’autre qui y sera associé), qu’un chien pourra anticiper, prédire ou se préparer à l’arrivée d’un stimulus potentiellement dangereux [19]. Par exemple, un chien qui a peur de l’aspirateur en cours de fonctionnement, en salivant et tremblant, va produire les mêmes comportements lorsque l’appareil est sorti de son placard, sans qu’il soit allumé. Ses réponses comportementales sont à présent conditionnées. Par ailleurs, c’est à partir de l’âge de 7 semaines que le chiot garde la mémoire des événements traumatisants [5]. C’est aussi à cet âge que la première rencontre avec un vétérinaire peut avoir lieu (photo).
L’apprentissage par conditionnement classique explique l’existence de peurs apprises (aussi appelées réactions émotionnelles conditionnées) [19]. Une seule présentation de la situation suffit pour que le lien s’installe entre les deux stimuli (association entre une situation, une personne et un objet, comme la blouse blanche, bleue ou verte du vétérinaire et la douleur, une manipulation particulière ou une injection). La disparition d’une réaction émotionnelle conditionnée est difficile à atteindre, car ne plus être exposé à la situation déclenchante ne suffit pas (l’extinction de la réponse de peur ne se produit pas, même si la douleur n’est plus produite). Dans le cadre du conditionnement opérant, l’animal sélectionne les comportements qui lui apportent le plus de satisfaction et les reproduira à l’avenir [19]. S’il a peur et grogne, montre les dents et, un jour, agresse par une morsure, ce qui permet de faire reculer l’objet de sa peur, il s’en souviendra [17]. C’est aussi grâce aux lois du conditionnement opérant que le chien va pouvoir échapper, par une réponse comportementale appropriée, au stimulus désagréable qui se présente à lui. Si le stimulus est uniquement annoncé, il pourra, par une autre réponse, tout aussi appropriée, faire en sorte de l’éviter. Ainsi, un chien qui a peur du vétérinaire en visite à domicile va quitter la pièce dans laquelle celui-ci entre pour l’examiner (échappement) ou se cacher dans le jardin lorsqu’il entend la voix du vétérinaire qui salue le propriétaire à l’entrée de la maison (évitement).
À côté des apprentissages associatifs, les animaux vont s’habituer aux éléments qui les entourent, ou au contraire se sensibiliser, via des apprentissages non associatifs : dans ces cas, il n’y a pas d’association entre un stimulus et une conséquence agréable ou désagréable. Par habituation (mécanisme d’apprentissage qui permet de relever le seuil de tolérance à certains stimuli établi de façon innée ou dans la vie antérieure de l’animal), un chien pourra s’adapter à un nouvel environnement, aux bruits, mouvements, etc. Ce mécanisme d’apprentissage est plus aisé si le chien est jeune, si le stimulus auquel il doit s’habituer est présenté fréquemment et avec une intensité croissante, si le chien peut s’y soustraire (fuir) et s’en approcher (explorer) librement.
Le processus d’apprentissage inverse de l’habituation est la sensibilisation. Au lieu de voir la réponse de peur s’atténuer, elle entraîne une augmentation de la réponse d’alerte chez l’animal qui la subit, même si la situation qu’il affronte est sans conséquence négative pour lui. La sensibilisation concerne des stimuli légèrement aversifs pour l’animal : bruits forts (sensibilité aux bruits), mouvements brusques, etc.
Comment expliquer au propriétaire l’évolution de réactions de peurs en phobies, ou la généralisation des comportements de peur (figure 4) ? Par le processus d’habituation, une peur innée aura tendance à disparaître si le chien qui l’expérimente peut apprendre qu’aucune conséquence (favorable ou défavorable) n’a eu lieu en présence du stimulus ou de la situation déclenchante [19]. C’est ce qui se passe le plus souvent, fort heureusement. Ainsi, un chien des villes en visite à la campagne fuira le meuglement d’une vache en retournant dans la maison, lors de son premier séjour dans le jardin. Au bout de quelques jours, il restera à profiter du soleil, quels que soient les meuglements produits. Si l’habituation n’a pas lieu, l’évolution des peurs et phobies est défavorable car, à cause du comportement d’évitement, le chien n’a jamais l’occasion de découvrir que la situation n’est pas dangereuse pour lui [16]. La réponse de peur augmente, la phobie s’installe et le nombre de stimuli auxquels le chien réagit peut aller en augmentant. Ainsi, un même chien peut présenter des peurs et phobies face à plusieurs stimuli similaires (coups de feu, feux d’artifice, pétards, orage). Il est possible que le propriétaire, mal informé en matière de communication canine et de mécanismes d’apprentissage, renforce les réponses de peur de son chien [37]. Il le caresse “pour le rassurer”, ou laisse s’installer une réponse comportementale non appropriée du chien : la réponse de peur et/ou d’agression sera ainsi renforcée, en promenade lorsqu’il croise un autre chien, par exemple [46].
Le praticien dispose d’outils de modification du comportement (thérapies comportementales) dans le cas de peur, de phobie ou d’anxiété (figure 4). Il peut éventuellement sous-traiter la mise en œuvre auprès d’un éducateur canin. Dans tous les cas, le praticien veillera à conseiller des aménagements de l’environnement de manière à favoriser l’état émotionnel positif du chien et les apprentissages appropriés, en appliquant les principes suivants, tant au domicile du propriétaire que lors de la consultation [7, 18, 30, 31, 45] :
- réduire l’état émotionnel négatif du chien, favoriser chez lui un état émotionnel positif par la réalisation d’expériences positives (par exemple friandise très appétente, distraction par le jeu, contact ou manipulation agréable, ajustement du comportement par rapport aux signaux émis par le chien) ;
- entretenir la relation positive entre le chien et son propriétaire, ne pas conseiller de “prendre de la distance” par rapport à son chien ou “l’ignorer” et, lors de la consultation, laisser le propriétaire garder le contact avec son chien ;
- maintenir ou rétablir la confiance du propriétaire en son chien (au moment de la consultation, l’expression du problème comportemental peut avoir atteint le seuil de tolérance du propriétaire), fixer des objectifs d’amélioration réalistes et d’évolution lente ;
- ne pas entrer en opposition ou en confrontation directe avec le chien, car l’une de ses réactions peut alors être l’agression.
Dans ce cadre, les thérapies comportementales à appliquer sont [45] :
- prévention et habituation : exposer le chien à des situations susceptibles de lui faire peur sans provoquer d’émotions négatives trop fortes. Ainsi, rendre visite au vétérinaire dans son cabinet peut devenir un objectif de promenade en soi, ou habituer à la caisse de transport en laissant l’animal y dormir à la maison ;
- renforcement positif (conditionnement opérant) des comportements appropriés : si un comportement est souhaité et que le chien le produit spontanément, il est conseillé de le renforcer ;
- en cas d’anxiété : apporter de la distraction, permettre de jouer, “dire au revoir au chien” de sorte que l’absence du propriétaire soit annoncée et non subite, lui faire faire de l’exercice (efficacité démontrée chez l’humain) [2, 38, 49].
La thérapie comportementale peut être potentialisée par une thérapie médicale, afin de maintenir le chien dans un niveau émotionnel lui permettant d’apprendre les réponses appropriées. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (fluoxétine, sertraline) peuvent être utilisés afin de relancer les apprentissages et diminuer les réactions des animaux peureux. De même, ils peuvent être employés chez les chiens anxieux. La posologie varie entre 0,5 à 2 mg/kg, pour au moins deux mois de traitement [43]. En cas de stress intense dans une situation donnée, la gabapentine et la dexmédétomidine peuvent être utilisées une à deux heures avant l’événement stressant. Contre la phobie de l’orage, Bleuer-Elsner et ses collaborateurs recommandent une dose de gabapentine de 25 à 30 mg/kg une heure et demie avant [6]. Une dose de 10 mg/kg peut être utilisée en première intention. De même, en cas de phobie de l’orage, Korpivaraa et son équipe recommandent l’administration de dexmédétomidine en gel oro-buccal (à raison de 125 µg/m2) [34]. Enfin, pour une visite chez le vétérinaire, Korpivaraa et ses collaborateurs ont montré, en 2021, l’efficacité de la dexmédétomidine dans la réduction de la réaction de stress (à la dose de 125 µg/m2) [35].
Conflit d’intérêts : Aucun
• La peur est une émotion négative qui permet à un individu de réagir en première intention, par la fuite, à un stimulus menaçant. Cette réaction normale permet d’assurer les plus grandes chances de survie à l’animal qui la ressent.
• La phobie est une émotion de peur exagérée, d’une intensité trop importante par rapport au stimulus qui la déclenche. L’animal qui la subit se trouve incapable d’apprendre seul à faire face à la situation.
• L’anxiété s’observe en l’absence de tout stimulus déclencheur. Elle est liée à un trait de tempérament (tempérament anxieux), les animaux anxieux étant rapidement stressés. Chez le chien, cette anxiété se manifeste en particulier lorsqu’il se retrouve seul.
• La prise en charge des peurs, des phobies ou de l’anxiété nécessite une analyse du tempérament de l’animal, de ses conditions de développement et de ses apprentissages. Dans tous les cas, il convient de favoriser un état émotionnel positif permettant à l’animal d’apprendre une réponse adaptée.
• Signaux de réponse de stress faible à modérée
- Face tendue, air fatigué, lèvres pincées.
- Bâillement.
- Léchage de truffe.
- Œil ouvert (sclère visible), regard fuyant.
- Vocalisations, gémissements.
- Activité motrice augmentée.
- Activité motrice réduite, déplacement lent (pacing).
• Signaux de réponse de stress modérée à intense
- Vocalisations, gémissements plus intenses.
- Tremblements ou agitation.
- Salivation ou “bouche sèche”.
- Transpiration.
- Halètement.
- Miction.
- Défécation.
• Signaux observés si peur (réaction faible à modérée) ou phobie (réaction intense)
- Fuite ou évitement.
- Posture basse (profil corporel bas, dos convexe) et posture vers l’arrière (oreilles couchées en arrière, queue basse ou rabattue entre les postérieurs, regard détourné).
D’après [8, 27, 29, 31, 44].
Veiller à un environnement d’élevage et à un apprentissage de l’environnement de qualité, au développement de la socialisation, de la familiarisation à l’humain et aux autres espèces, fait partie des prérequis en vue de prévenir les problèmes de peur, de phobie et d’anxiété [16]. Face à un élément nouveau ou inattendu, il est possible qu’un chien l’explore, s’il juge qu’il n’est pas en danger. La présence du propriétaire peut le rassurer, via des apprentissages. Un chien qui a peur et veut fuir est capable de parcourir de longues distances ou même de se blesser. Parfois, l’expression comportementale peut être plus discrète : un regard en biais, la recherche d’une cachette ou inversement du contact avec le propriétaire, des tremblements musculaires peuvent être les signes visibles d’une émotion négative. Le vétérinaire peut les observer lors de son passage au domicile du propriétaire, mais aussi lors de la consultation. Il est souhaité qu’il puisse attirer l’attention du propriétaire sur ces signes, afin de l’inciter à les remplacer par des signes de détente, de relaxation, voire par du jeu si le chien l’accepte. Changer l’état émotionnel du chien est l’objectif à atteindre.