ONCOLOGIE
Article de synthèse
Auteur(s) : Benoît Hédan*, Anaïs Prouteau**
Fonctions :
*Équipe de génétique du chien
UMR6290, CNRS-Université de Rennes
2, avenue du Pr Léon Bernard
35043 Rennes
Avec jusqu’à 50 % de mortalité chez certaines races canines, la découverte précoce du cancer en cause est un élément clé de sa prise en charge. Étant donné la complexité actuelle de son diagnostic, la simplification extrême du mode de détection pourrait constituer une avancée majeure en cancérologie.
Avec l’émergence de nouvelles technologies dans le domaine de la génétique, les connaissances sur les mutations présentes dans les cancers et leurs potentielles applications se sont multipliées. L’ADN tumoral circulant dans le plasma est un marqueur facilement accessible et de plus en plus utilisé en oncologie humaine (photo 1). Il semble également très prometteur en médecine vétérinaire où l’incidence des cancers est en hausse constante [4]. Une étude d’Anaïs Prouteau et coll., récemment publiée dans la revue Scientific Reports, le prouve(1).
L’ADN circulant provient de la dégradation de l’ADN lors de la mort des cellules de l’organisme (nécrose, apoptose) et il est relargué dans divers fluides biologiques, dont le plasma. Son analyse à un instant donné permet d’avoir une photographie des cellules présentes et de celles qui viennent de mourir (figure). Une augmentation d’ADN circulant peut être la conséquence de nombreuses affections (inflammation, septicémie, cancer, etc.) et est donc peu spécifique [3, 10-12].
Ces dernières années, les nouvelles technologies de séquençage ont permis d’améliorer les connaissances sur les altérations génétiques observées dans les cancers humains. Ainsi, différentes altérations génétiques (mutation, remaniement chromosomique, méthylation) ont été utilisées en oncologie humaine pour identifier l’ADN provenant des cellules tumorales (ADNct) au sein de cet ADN circulant, à l’aide d’un simple prélèvement non invasif. Outre une valeur pronostique, ce nouveau biomarqueur a de nombreuses applications telles que la détection précoce d’un cancer, la surveillance en temps réel de la réponse au traitement, l’indication de thérapies spécifiques ou l’identification de mécanismes de résistance [1, 3, 12, 18, 19].
L’objectif de cette étude est de montrer que les différentes altérations génétiques rencontrées dans les cancers canins (mutation, remaniements chromosomiques, etc.) sont utilisables pour détecter l’ADNct. Un second objectif est d’explorer l’intérêt de ce nouveau marqueur en médecine vétérinaire pour le diagnostic ou l’évaluation de la réponse au traitement (photos 2a et 2b).
Le plasma a été collecté chez 49 chiens présentant un sarcome histiocytaire, 16 chiens atteints de mélanome oral et 25 chiens souffrant d’un lymphome multicentrique. La tumeur correspondante était disponible pour 45 sarcomes histiocytaires, 10 mélanomes et 14 lymphomes. Les plasmas de 19 chiens sains, 14 chiens atteints d’affections non cancéreuses et 10 chiens souffrant de divers cancers ont été utilisés comme contrôles. Si en moyenne les chiens atteints de lymphomes présentaient plus d’ADN circulant dans leur plasma, cette quantité n’était pas spécifique d’une maladie. La suite de l’étude s’est concentrée sur la détection de l’ADN tumoral au sein de cet ADN circulant (photos 3a à 3c).
Des mutations récurrentes sont nécessaires pour identifier l’ADN tumoral présent dans le plasma. Lors de sarcome histiocytaire, le gène PTPN11 est muté dans 23 à 56,7 % des cas [5, 14, 15]. Les deux principales mutations de ce gène ont été identifiées dans 23 tumeurs sur 45 (51,1 %). Parmi les 23 chiens dont les tumeurs présentaient ces mutations, la même mutation a été retrouvée dans le plasma de 21 d’entre eux (91,3 %), alors qu’aucune mutation n’a été détectée dans le plasma de ceux présentant des tumeurs non mutées.
Des amplifications récurrentes des gènes MDM2 et TRPM7 sont décrites dans la moitié des cas de mélanomes oraux, celle du gène TRPM7 étant associée à un sous-type plus agressif [6, 8, 9, 17]. Ces amplifications ont été retrouvées dans le plasma de 2 des 8 chiens (25 %) présentant un mélanome oral avec une amplification des gènes MDM2 et/ou TRPM7.
Les gènes codant pour les immunoglobulines ou les récepteurs T subissent des réarrangements lors des premiers stades de maturation des lymphocytes. Ces réarrangements sont spécifiques pour chaque lymphocyte et constituent donc un “barecode” du clone lymphocytaire. Grâce à une polymerase chain reaction (PCR) ciblant le réarrangement des récepteurs d’antigène (PARR), l’étude a montré que le réarrangement spécifique du clone tumoral est retrouvé dans la majorité des plasmas des chiens atteints de lymphome (12 sur 13, soit 92,3 %). Au bilan, ce travail révèle que l’ADN tumoral est relargué dans le plasma des chiens atteints de sarcome histiocytaire, de mélanome buccal ou de lymphome. Cela est extrêmement fréquent lors de cancers hématopoïétiques puisque de l’ADN tumoral a été détecté chez 91,3 à 92,3 % des chiens présentant un sarcome histiocytaire ou un lymphome.
Dans cette étude, l’intérêt d’un test diagnostique du sarcome histiocytaire fondé sur la détection de mutations spécifiques dans le plasma a été exploré. Pour cela, les mutations du gène PTPN11 ont été recherchées dans le plasma de 49 chiens atteints de sarcome histiocytaire, 51 chiens présentant divers autres cancers et 33 chiens non cancéreux. Les mutations du gène PTPN11 ont été retrouvées dans le plasma de 21 chiens sur 49 présentant ce sarcome et dans le plasma d’un chien sans cancer. Ce dernier était un bouvier bernois de plus 10 ans euthanasié à la suite d’une dégradation progressive de l’état général due à l’âge. Ces résultats montrent que l’ADNct permet le diagnostic du sarcome histiocytaire avec une spécificité de 98,8 % et une sensibilité de 42,8 %. Cette sensibilité augmente jusqu’à 77 % chez les chiens atteints de sarcome histiocytaire avec une ou des masses pulmonaires, car ces mutations sont plus fréquemment observées dans les formes disséminées et qui touchent le poumon (photo 4).
Cette étude a également exploré l’intérêt de l’ADNct dans le suivi thérapeutique. Pour cela, 4 chiens présentant un lymphome B diffus à grandes cellules ont été inclus prospectivement dans l’étude et suivis durant leur protocole de chimiothérapie. Grâce au développement d’une PCR spécifique du clone tumoral de chaque animal, il a été possible de suivre la quantité d’ADNct au cours de la chimiothérapie. Chez ces 4 chiens, la quantité d’ADNct a significativement diminué avec l’initiation de la chimiothérapie et était corrélée à la taille des nœuds lymphatiques. De plus, lorsque le chien présentait une réponse complète ou que le lymphome progressait, cela était en accord avec l’absence d’ADNct détectable dans le plasma ou avec son augmentation. Enfin, pour un cas, il a été possible d’objectiver une rechute moléculaire grâce à l’ADNct 42 jours avant la rechute clinique. Ces résultats illustrent le potentiel de l’ADNct dans le suivi des chiens atteints de lymphome multicentrique, notamment pour évaluer la qualité de la réponse à la chimiothérapie et anticiper un échappement.
(1) Prouteau A, Denis JA, De Fornel P et coll. Circulating tumor DNA is detectable in canine histiocytic sarcoma, oral malignant melanoma, and multicentric lymphoma. Sci. Rep. 2021;11(1):877.
Conflit d’intérêts : Aucun
• L’ADN tumoral est un produit de la dégradation de cellules cancéreuses qui, une fois passé dans la circulation sanguine, devient un marqueur permettant le diagnostic, le pronostic, le suivi thérapeutique ou la recherche de mutations prédictive d’une réponse à un traitement donné pour certains cancers.
• Les cancers hématopoïétiques relarguent une grande quantité d’ADN tumoral dans la circulation sanguine.
• Ce marqueur permet de diagnostiquer le sarcome histiocytaire canin avec une forte spécificité à partir d’une simple prise de sang.
• Pour les lymphomes B de haut grade chez le chien, la cinétique de ce marqueur suit la réponse clinique à la chimiothérapie et, pour un cas, a permis d’objectiver une rechute 42 jours avant la réapparition des signes cliniques.
Cette étude démontre la présence d’ADN circulant dans le plasma chez le chien, issu des cellules tumorales dans un contexte de sarcome histiocytaire, de lymphome ou de mélanome. De plus, elle illustre le potentiel de ce biomarqueur en oncologie vétérinaire pour le diagnostic ou le suivi thérapeutique. D’autres travaux sont nécessaires pour compléter ces données et déterminer le potentiel apport d’un tel biomarqueur sur la survie globale lors de lymphome traité par chimiothérapie. Dans le cadre du sarcome histiocytaire, il serait également intéressant d’explorer si le marqueur permet un diagnostic précoce avant l’apparition de signes cliniques. Des études récentes ont montré que l’ADN tumoral est détectable dans le plasma de chiens ayant développé des métastases pulmonaires à la suite de l’exérèse de tumeurs mammaires, ou dans le plasma et l’urine de chiens présentant des carcinomes urothéliaux [2, 7, 13]. Cela a permis le développement pour la médecine vétérinaire de tests de diagnostic à partir de l’urine [16].
Les études génétiques sont toujours en cours dans l’équipe de génétique du chien en ce qui concerne le sarcome histiocytaire et le mélanome, ainsi que le syndrome d’automutilation podale. Si vous suivez des animaux atteints de ce type d’affections, vous pouvez participer à ces travaux de recherche en contactant l’équipe à l’adresse cani-dna@univ-rennes1.fr ou au 02 23 23 45 09.
Vous recevrez le protocole, le questionnaire et le nécessaire de prélèvement. Pour chaque chien atteint, les chercheurs ont besoin d’un prélèvement sanguin de 5 ml sur tube EDTA, du compte rendu histologique (si disponible), du questionnaire clinique complété et, éventuellement, d’une copie du pedigree de l’animal (s’il existe). Plus d’informations sur http://dog-genetics.genouest.org.