UTILISATION D’UN AUTOVACCIN LORS D’UN ÉPISODE DE SEPSIS CHEZ DES VEAUX CHAROLAIS - Le Point Vétérinaire n° 425 du 01/01/2022
Le Point Vétérinaire n° 425 du 01/01/2022

VACCINATION

Cas clinique

Auteur(s) : Jérôme Chantreau Jean-Yves Thiercy

Fonctions : SCP Chantreau-Thiercy
1, rue du Moulin
03370 Saint-Désiré
veto.st.d03@gmail.com

Outre des anomalies organiques spécifiques, l’exploration échographique de la cavité abdominale et de ses parois chez les ruminants permet de mettre en évidence des épanchements, des signes de péritonite ou des défauts pariétaux.

Un élevage naisseur de charolais est confronté à des épisodes de sepsis chez les jeunes veaux. La présence d’entérobactéries multirésistantes a conduit à la mise en place d’un autovaccin, avec de bons résultats.

Un élevage naisseur de charolais pratiquant la repousse de broutards, situé dans le nord-ouest du Bourbonnais (Allier), a subi une épizootie de sepsis associé ou non à une diarrhée, chez de jeunes veaux souvent âgés de moins de 1 semaine. La morbidité et la mortalité dues à cette épizootie ont augmenté au cours des années et la situation est devenue ingérable, avec des conséquences économiques et psychologiques importantes pour les éleveurs.

Après une présentation de l’élevage et de l’épisode en question, les démarches diagnostiques entreprises seront présentées, ainsi que les résultats de l’autovaccination du cheptel. Puis, à la lumière des données bibliographiques récentes, l’intérêt d’une telle prise en charge par des autovaccins, dans le cadre d’affections néonatales dues à des entérobactéries, sera discuté.

PRÉSENTATION DES CAS

1. Description de l’élevage

Il s’agit d’un élevage de 115 vaches charolaises. Le Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) mère-fils s’est constitué en avril 2016, à partir du cheptel de la mère (le père, à la retraite, continue de travailler dans l’exploitation). À cette date, ils achètent 20 vaches suitées et un petit domaine sur lequel quelques vaches sont mises au pâturage. Ils passent alors, en conservant quelques génisses supplémentaires, de 85 à 110 vêlages par an. La moitié du troupeau, dont les génisses, est en stabulation libre sur aire paillée, l’autre moitié dans un bâtiment à l’attache. Les vêlages ont lieu de fin décembre à avril. Les vaches sont rentrées entre le 1er et le 10 décembre. La mise à l’herbe progressive a lieu vers le 1er avril.

L’alimentation est classique pour la région. Le lot mené en stabulation libre reçoit de l’enrubannage de ray-grass italien le matin, de trèfle le soir avec du foin, complété par du triticale aplati (700 g) et du tourteau de colza (350 g). Le lot en stabulation entravée reçoit du foin à volonté qui complète 1,5 kg de matière sèche d’ensilage de maïs, du triticale aplati et du tourteau de soja. Un aliment minéro-vitaminique standard (5-25-5) est également apporté en quantité suffisante. La ration est calculée tous les ans, selon les fourrages disponibles. Les vaches sont complémentées, entre un et trois mois avant le vêlage, avec un apport supplémentaire en iode, sélénium, cuivre, zinc et cobalt.

Du point de vue de la prophylaxie sanitaire, les vaches sont déparasitées à la rentrée en étable avec de la moxidectine pour-on (gestion de l’œsophagostomose larvaire, problématique dans la région), de l’oxyclozanide à la dose utilisée dans les infections à paramphistomes lorsque les coproscopies de lot sont positives, et du closantel si les sérologies de mélange “douve” sont positives [3].

Les vaches sont vaccinées environ un mois avant le vêlage avec un vaccin contenant les valences rotavirus, coronavirus et E. coli F5. Pendant l’épizootie, un second vaccin contenant les valences E. coli F5, F17 et CS31A sera ajouté. Les veaux sont vaccinés contre le virus respiratoire syncytial (RSB) et le parainfluenza de type 3 (Pi3) le plus tôt possible après la naissance, par voie intranasale, puis reçoivent deux injections intramusculaires d’un vaccin contenant les valences Mannheimia haemolytica sérotype A1 et Histophilus somni. Les veaux sont vaccinés contre l’entérotoxémie avant la mise à l’herbe. En cours d’épizootie, quelques vaches seront vaccinées avant le vêlage avec ce vaccin, sans succès.

2. Déroulement de l’épisode

Lors de la campagne 2012-2013, l’exploitation avait servi de témoin (“élevage sans problème de diarrhée”) pour une étude menée par les vétérinaires du département de l’Allier sur les colibacilles des veaux de moins de 7 jours [13]. Cependant, quelques “gastro-entérites paralysantes” dues à Escherichia coli CS31A avaient été observées chez des veaux plus âgés (2 à 6 semaines). Les campagnes suivantes seront dans la même veine.

Durant l’hiver 2016-2017, après l’agrandissement et l’achat de vaches supplémentaires, un épisode de diarrhées et de septicémie affecte les jeunes veaux de moins de 1 semaine, avec une morbidité de 30 % environ. La mortalité globale des veaux sera de 8,3 % cette année-là. Lors de la campagne 2017-2018, la mortalité s’élève à 12,7 % pour une morbidité comprise entre 30 et 40 %, toujours avec la forte prévalence d’un syndrome diarrhéique et septicémique. Les formes septicémiques deviennent plus nombreuses durant cette année. Afin de renforcer la prévention, une surveillance de la prise de colostrum est mise en place, avec une mesure systématique au réfractomètre et l’estimation de la quantité bue. En cas de doute sur l’apport, une complémentation systématique avec du colostrum congelé récupéré d’un élevage laitier proche est assurée. La fabrication d’un autovaccin est aussi proposée, mais les atermoiements de l’éleveur feront que ce ne sera pas possible.

Au cours de la campagne 2018-2019, les chiffres sont encore plus catastrophiques : 40 % de morbidité (dont, dans les trois quarts des cas, un syndrome septicémie-diarrhée) et 20 % de mortalité (26 morts) principalement entre J1 et J7. Trois veaux morts étaient atteints d’hydranencéphalie, probablement due à une infection des mères par la fièvre catarrhale ovine (FCO) pendant la gestation.

3. Description clinique

L’évolution des cas est classique. Quelques heures après la naissance, les veaux sont abattus, ne tètent plus correctement. Après une phase fugace de légère hyperthermie (supérieure à 39,5 °C), ils tombent rapidement en légère hypothermie (38,5 °C) accompagnée d’une cyanose et d’une légère congestion des muqueuses. Parfois, de manière inconstante, une diarrhée modérée jaune citrin est observée. Les fèces sont le plus souvent collantes comme du mastic et de couleur jaune orangé. Lors de la première visite, une rétention de méconium est quelquefois observée, voire dès la naissance. Des veaux nés par vêlage ou césarienne présentent déjà des signes cliniques, en particulier une congestion des muqueuses et un abattement. Lorsqu’ils passent cette étape, les animaux présentent, un ou deux jours après une brève phase d’amélioration, une dyspnée et une tachypnée associées à une douleur laryngée. La moitié d’entre eux meurent, malgré les soins, entre un et trois jours après le début des symptômes, voire sous la perfusion.

4. Description nécropsique

Presque tous les veaux sont autopsiés assez rapidement. Les lésions systématiquement observées sont une entérite légère, avec une congestion modérée des ganglions mésentériques, une bronchopneumonie de l’ensemble du poumon plus ou moins sévère, une hépatite, des pétéchies en particulier sur le péricarde (photos 1 à 3). Ensuite, selon les veaux, une cyanose des muqueuses, une abomasite ou une entérite plus sévère est parfois notée (photos 4 et 5).

5. Traitement

Pour les premiers cas, dès l’apparition des signes cliniques, les veaux reçoivent des antibiotiques. Une spécialité associant ampicilline et colistine est choisie en première intention. Un traitement à base de gentamicine est tenté, mais arrêté dès les premiers résultats des antibiogrammes. Les fluoroquinolones en one-shot sont aussi utilisées, et le florfénicol est essayé. En fin d’épizootie, des spécialités contenant de la colistine sont préférées, car il s’agit du seul antibiotique efficace in vitro sur toutes les souches isolées.

Les veaux ont systématiquement reçu des antiinflammatoires, du méloxicam et de la dexaméthasone, le plus souvent une seule fois. Par voie orale, ils ont aussi reçu, au début de l’épizootie, un produit à base d’enzymes, un pansement à base de charbon et un réhydratant lors de diarrhée, puis de la colistine. Enfin, le traitement au complexe enzymatique a été renouvelé, parfois associé à des gélules contenant des huiles essentielles. La fluidothérapie mise en place visait à réhydrater les veaux en cas de diarrhée et pour forcer la clairance rénale. Une transfusion du sang de la mère, ou à défaut d’une autre vache, a également été tentée.

Finalement, aucun traitement n’a semblé meilleur que les autres. Une antibioprophylaxie à base de colistine, administrée à la naissance par voie parentérale pendant trois jours, n’a pas eu de résultat.

6. Examens complémentaires

Analyse des fèces

Entre janvier 2018 et mars 2019, des fèces de veaux ont été prélevées pour une analyse bactériologique (tableau 1). Les souches d’E. coli isolées du prélèvement du 11 janvier 2018 ont été génotypées au Laboratoire d’analyses Sèvres Atlantique (Deux-Sèvres) (tableau 2). Les souches de 2019 ont été testées aux phénicolés, au laboratoire Eurofins cœur de France qui disposait de disques chloramphénicol et florfénicol. Toutefois, il n’existe pas de diamètre d’inhibition validé pour ce dernier antibiotique, contrairement au chloramphénicol. Une première souche isolée sur les fèces était résistante au chloramphénicol, mais ne montrait pas de zone d’inhibition avec le florfénicol. Puis les souches suivantes ont présenté une zone d’inhibition.

Les souches 2 et 3 d’E. coli, isolées le 11 janvier 2018, possédaient le gène F17, alors qu’elles ne l’exprimaient pas phénotypiquement lors de l’analyse Elisa. La maladie a été imputée à la souche 3, multirésistante, en raison de ses facteurs de pathogénicité, malgré l’absence de certitude.

Analyses bactériologique et virologique sur les organes

Lors des autopsies, plusieurs organes ont été envoyés pour une analyse bactériologique (et virologique sur le poumon). Pour certains d’entre eux, les bactéries ont montré les mêmes résistomes que ceux obtenus avec les prélèvements de fèces (tableau 3). Lors d’une des autopsies sur un animal présentant une abomasite sévère, une partie de la caillette a été prélevée et envoyée pour une analyse histologique. Celle-ci a révélé une abomasite œdémateuse et suffusionnelle, marquée et profonde, dans la région sous-muqueuse diffuse. Les lésions observées étaient compatibles avec une septicémie sans pouvoir l’affirmer et encore moins orienter vers un agent causal précis.

7. Recherche de facteurs de risque

Un certain nombre de facteurs de risque ont été recherchés, susceptibles d’expliquer, au-delà de l’étiologie, la gravité de l’épizootie.

Les facteurs alimentaires

Valeurs fourragères de la ration

La ration a été recalculée. L’apport azoté se situait dans la limite inférieure de la fourchette des recommandations. Dans le cadre de travaux de thèse, une étudiante vétérinaire s’est intéressée aux valeurs prédictives d’un certain nombre d’indicateurs alimentaires sur la pathologie en élevage charolais (maladies néonatales, reproduction) : les acides gras non estérifiés (Agne), l’acide bêta-hydroxybutyrate (BHB), l’urémie, la note d’état corporel (NEC) et la glycémie [1]. Faisant partie des cabinets vétérinaires expérimentateurs, cet élevage a été inclus dans le panel (tableau 4).

Les valeurs de l’urémie sont très basses par rapport aux normes (issues d’études sur les vaches laitières). En fait, la plupart des vaches incluses dans ce travail de thèse et dans celui de Harit, qui repose sur les mêmes critères, affichent des valeurs d’urémie en dessous de la valeur seuil [1, 10]. Il convient donc de déterminer si l’urémie est un bon indicateur chez la vache allaitante ou si les seuils ne devraient pas être réévalués (ce qui est partiellement fait dans ces thèses). Quoi qu’il en soit, les valeurs de cet élevage paraissant vraiment basses, la ration de tourteau a été augmentée, ce qui n’a rien changé à la situation. Les valeurs de bêta-hydroxybutyrates étaient légèrement élevées avant le vêlage, tout en restant dans les normes classiques, issues d’études menées en élevage laitier. Les deux thèses précédemment citées montrent qu’un seuil de 0,3 mmol/l est pertinent pour émettre un pronostic sanitaire au niveau du troupeau (maladies respiratoires et digestives). Les valeurs de notre élevage sont très légèrement au-dessus du seuil. L’augmentation du tourteau a permis celle de la valeur énergétique de la ration. Au final, les actions sur les valeurs fourragères de la ration n’auront apporté aucune amélioration.

Analyse oligo-vitaminique chez les vaches

Les carences oligo-vitaminiques étant connues pour être des facteurs de risque, l’éleveur a fini par accepter une exploration chez ses animaux, le 26 mars 2019 (tableau 5).

Si une subcarence en zinc et en vitamine A est apparue, deux éléments impliqués dans l’immunité, cette carence, peu importante, a été considérée comme un facteur de risque marginal. L’hétérogénéité des analyses de l’iode, reflet de la consommation en iode au cours des cinq jours précédant le prélèvement, a conduit à s’interroger sur la distribution des minéraux. Toutefois, aucune mauvaise pratique n’a pu être relevée.

Analyse de l’eau

Les animaux sont abreuvés avec de l’eau prélevée dans un puits, qui alimente trois fermes. Les deux autres exploitations ont certes quelques colibacilles (en particulier la souche CS31A), mais une morbidité relativement faible (inférieure à 20 %). L’hypothèse d’une origine liée à l’eau est donc apparue comme peu probable, sauf point de contamination situé en amont des trois bâtiments de l’élevage et en aval de la séparation pour chaque ferme. L’eau a été analysée à la sortie de la cuve, avant la distribution dans les différents bâtiments de l’élevage. Les résultats révèlent la présence de nombreuses bactéries revivifiables (plus de 300 UFC/100 ml) et de coliformes (17 UFC/100 ml). L’eau, qui en plus est trop acide, est impropre à la consommation humaine, bien qu’elle alimente aussi la maison. L’hypothèse d’un problème lié aux eaux d’abreuvement a toutefois semblé peu probable, principalement en l’absence d’anomalie dans les deux autres fermes.

Le transfert colostral

Plusieurs analyses ont été réalisées afin d’évaluer le transfert colostral. Lors des prélèvements pour la thèse de Bergougnoux, du colostrum a été prélevé chez toutes les vaches incluses dans l’expérimentation et évalué à l’aide d’un réfractomètre électronique en pourcentage de Brix [1].

Lors d’un autre travail de thèse sur l’oxymétrie chez le nouveau-né, la concentration sérique en immunoglobuline G (IgG) chez le veau entre 2 et 6 jours d’âge a été mesurée par la technique d’immuno-diffusion radiale [2]. Six autres veaux ont été prélevés en 2018 pour une analyse par intradermoréaction (IDR) à la tuberculine (tableau 6).

Pour l’évaluation du colostrum, les intervalles considérés sont les suivants : mauvais colostrum pour des valeurs de Brix inférieures à 22 %, colostrum moyen pour des valeurs comprises entre 22 et 28 %, bon colostrum pour des valeurs supérieures à 28 %. Le seuil pris en compte pour un transfert colostral satisfaisant correspond à une concentration en IgG sérique supérieure à 16 g/l, un seuil généralement utilisé en élevage allaitant [20]. Le transfert immunitaire semble globalement correct avec cependant des échecs, plutôt liés à la capacité du veau à profiter suffisamment du transfert d’anticorps : il s’agit soit d’un problème de quantité de colostrum bu, soit d’un problème d’absorption intestinale par le veau.

Les éleveurs ont donc amélioré, au cours des deux dernières années, leur surveillance de la prise colostrale via l’achat de barrières “à césarienne” rebaptisées barrières “à colostrum”, et la prise de conscience de la nécessité de bien surveiller la première tétée du veau, en veillant à ce qu’elle soit la plus précoce possible après la naissance.

Les bâtiments et le matériel

L’épizootie a touché les deux bâtiments où sont logées les vaches reproductrices : la stabulation libre sur aire paillée, munie de cases de vêlage, et le bâtiment à l’attache avec les veaux parqués à l’arrière des vaches. Les deux bâtiments sont propres, à peu près bien ventilés. Le paillage est fréquent et les vaches sont très propres. Entre deux campagnes de vêlages, les bâtiments sont désinfectés par des professionnels. Leur rôle dans l’épizootie a été considéré comme négligeable.

Quant au matériel, il est nettoyé systématiquement et désinfecté de temps en temps. Son rôle a également été estimé comme négligeable.

8. Conclusion clinique

L’existence d’une épizootie de septicémie à E. coli non typables et CS31A, porteuses de facteurs de pathogénicité compatibles avec les symptômes et quasiment totirésistantes, est finalement confirmée. La contamination des veaux aurait même pu survenir in utero.

Les analyses bactériologiques suggèrent l’émergence d’une souche multirésistante qui va développer d’autres résistances au cours de l’épisode pour aboutir à une forme quasi totirésistante. Une infection parallèle par une autre souche moins résistante (souche 2 du prélèvement du 6 janvier 2019) est en outre suspectée. Cela permettrait d’expliquer en partie la différence de réponse au traitement selon les veaux.

9. Stratégie de gestion

La maîtrise médicale et zootechnique de l’épizootie étant impossible, puisque les facteurs de risque étaient déjà assez bien maîtrisés, la réalisation d’un autovaccin s’est imposée à l’éleveur. La souche quasi totirésistante, ainsi que l’autre souche présentant des facteurs de résistance nombreux et retrouvée dans un organe (souche isolée du foie du veau 9566) ont été envoyées au laboratoire Filavie, où les autovaccins adjuvés avec de l’hydroxyde d’aluminium ont été préparés(1).

Deux injections ont été prescrites à trois ou quatre semaines d’intervalle, la seconde devant être effectuée dans un délai de deux à six semaines avant le vêlage.

L’éleveur a aussi été fortement encouragé à maintenir toutes les bonnes habitudes zootechniques prises, y compris la vaccination vis-à-vis des rotavirus et des coronavirus et contre les trois colibacilles typables.

RÉSULTATS

L’éleveur, pour des raisons de simplification de travail, a vacciné, contre notre avis, l’ensemble des animaux censés vêler entre fin décembre (début de la période de vêlage) et début avril, en faisant l’impasse sur les vêlages d’avril et mai, soit une trentaine de vêlages, la dernière injection ayant eu lieu début décembre. Le 27 décembre 2019, soit un peu plus de quinze jours après la seconde injection de vaccin, une génisse a mis bas prématurément. Son veau a rapidement présenté les mêmes symptômes et le même tableau nécropsique que les veaux de l’année précédente. Toutefois, la suite des vêlages s’est déroulée relativement bien. Quelques veaux ont présenté des signes légers de diarrhée ou de septicémie, mais l’éleveur a géré ces cas sans avoir besoin de nos services. Entre le 21 janvier et le 5 février, une série de cas apparaît : six veaux sont atteints de septicémie, dont cinq issus de génisses. Un seul mourra. La mère du veau concerné n’était pas vaccinée, l’éleveur s’étant trompé dans la date de vêlage. Ce der nier est incité à faire un rappel à toutes les vaches qui n’ont pas encore mis bas, ainsi qu’à primovacciner celles qui vêleront entre les mois d’avril et mai. Ce sera fait mais avec retard, puisqu’en mars quatre veaux seront malades, dont un issu d’une vache non vaccinée. En revanche, l’éleveur a décidé de luimême de vacciner les génisses mises à la reproduction, pour n’avoir qu’une seule injection de rappel à faire à la rentrée à l’étable. Au final, entre le début de la campagne de vêlage et le 31 mars, seuls six veaux sont morts, dont deux seulement potentiellement en lien avec la souche de colibacille en cause dans cet élevage, versus vingt sur la même période l’année précédente. La morbidité et la mortalité, à cette date, sont respectivement de 18 % et 6,5 %.

DISCUSSION

1. Antibiothérapie

L’une des premières constatations est celle de la relative inefficacité de la colistine. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Tout d’abord, l’antibiogramme utilise la méthode des disques, qui ne possède pas de normes validées pour E. coli et est réputée pour sa probabilité non négligeable de donner une fausse sensibilité à la colistine de la souche bactérienne [15]. Ensuite, la colistine est un antibiotique à diffusion tissulaire médiocre [14]. Sa concentration pourrait ne pas être suffisante aux sites d’infection. De plus, le traitement pouvait aussi être trop tardif par rapport à l’infection : les signes cliniques ayant été observés chez les veaux dès la naissance, une contamination in utero n’est pas exclue. L’antibiotique arrive alors trop tard. Enfin, la virulence très importante de la souche bactérienne pourrait ne pas avoir laissé le temps au traitement d’agir.

2. Arrêt de l’épizootie

Pourquoi l’épizootie s’est arrêtée ? Deux hypothèses peuvent être émises.

La première, c’est que la souche a disparu de l’élevage. Cette hypothèse semble peu probable, parce que le premier veau né hors de la période de couverture vaccinale est mort en présentant les symptômes et les lésions de la maladie. De plus, les formes vraiment graves n’ont repris qu’à la baisse de l’immunité postvaccinale, soit plus de sept semaines après l’injection. Enfin, les veaux ayant présenté les formes les plus graves sont presque tous issus de vaches non vaccinées.

La seconde hypothèse, c’est que le vaccin s’est réellement montré efficace. Il s’agit du troisième chep tel dans lequel une autovaccination des vaches a été mise en place pour protéger les veaux des diarrhées ou septicémies colibacillaires, avec à chaque fois le même succès apparent (diminution drastique de la morbidité et quasi-disparition de la mortalité). C’est un signal fort en faveur de l’intérêt des autovaccins dans la prévention des maladies néonatales à E. coli chez le veau.

3. Autovaccination

Effets secondaires

L’éleveur n’a pas rapporté d’effets secondaires lors de l’utilisation de l’autovaccin (comme dans les deux autres cheptels). Les quelques cas d’autovaccination chez les bovins déclarés en France (quinze dossiers pour 3 500 doses au 31 décembre 2018) n’ont donné lieu à aucune réaction indésirable. Un cas en élevage ovin est néanmoins rapporté, rappelant qu’il faut rester vigilant [7]. Toutefois, la pratique vaccinale semble aussi, voire plus importante que la nature du vaccin lui-même. Il s’agit sûrement d’une bonne opportunité pour rappeler les bonnes pratiques vaccinales aux éleveurs.

Revue bibliographique

Il existe peu de preuves de l’efficacité des autovaccins chez les ruminants dans les publications scientifiques. L’équation de recherche [« autogenous vaccine » AND (cow* OR calf OR calves OR cattle) AND (« E. coli » OR enterobact*)] donne neuf références dans PubMed, et une dizaine d’autres exploitables dans Google Scholar. La suppression des mots clés d’espèce bactérienne permet d’avoir quelques références pertinentes supplémentaires.

En 2013, Reeves et coll., dans un essai contrôlé randomisé, ont utilisé une souche de colibacille pour vacciner des veaux [18]. Ils cherchaient à diminuer l’excrétion fécale d’un colibacille porteur du gène blaCTX-M-14 responsable de la résistance aux céphalosporines de troisième et quatrième générations. Le vaccin, préparé avec l’adjuvant Montanide après l’inactivation au formol de la souche bactérienne, a été administré deux fois à quinze jours d’intervalle par voie intramusculaire. Bien qu’ils aient échoué à démontrer l’intérêt de cette vaccination chez le veau pour contrôler l’excrétion des souches résistantes, ils ont montré que les veaux produisaient des IgG.

Dans l’essai contrôlé randomisé de House et coll., un vaccin commercial destiné aux porcs s’est révélé plus efficace pour lutter contre Salmonella dublin que l’autovaccin réalisé dans l’élevage [12]. Funk et coll. et O’Connor et coll. ont vacciné des jeunes bovins contre des agents de la kératoconjonctivite infectieuse bovine sans succès (essai contrôlé randomisé) [9, 16]. Le statut sérologique des animaux n’est pas connu, bien que O’Connor et son équipe estiment que le vaccin est susceptible d’entraîner la production d’IgG.

Hoedemaker et coll. ont montré que les autovaccins adjuvés avec de l’hydroxyde d’aluminium préparés avec une souche de Staphylococcus aureus augmentent la concentration en IgG au cours du temps chez les vaches vaccinées, comparativement au groupe placebo [11]. Dans cet essai contrôlé randomisé, ils n’ont toutefois pas mis en évidence l’efficacité de la vaccination sur la prévalence des mammites cliniques et subcliniques dues à S. aureus.

Cuevas et coll. présentent un cas clinique qui semble mettre en évidence l’efficacité d’un autovaccin non adjuvé préparé avec Pasteurella multocida contre la septicémie hémorragique à pasteurelle chez de jeunes bovins [5]. Le niveau de preuves de cette publication est cependant limité.

Parmi les publications concernant l’utilisation des autovaccins dirigés contre les entérobactéries dans l’espèce porcine, Ruggieri et coll. ont montré, dans un essai contrôlé randomisé, que la vaccination des truies avec un vaccin inactivé, adjuvé à l’hydroxyde d’aluminium, réduit la circulation de Salmonella typhimurium [19]. La vaccination des truies et des porcelets après la naissance limite le portage de la bactérie.

Une recherche dans la bibliographie du rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) de 2013 permet en outre de retrouver quelques références chez le porc concernant les entérobactéries [17]. Perry (1982), cité dans ce rapport, rapporte une protection des porcelets vis-à-vis de la colibacillose en vaccinant les truies avant la parturition [17]. La souche doit être renouvelée fréquemment. Cu et coll. ont montré l’efficacité d’un autovaccin, préparé à partir de cinq souches d’E. coli vérotoxinogènes et adjuvé à l’hydroxyde d’aluminium, sur la maladie de l’œdème des porcs [4]. Selon Farzan et Friendship, la vaccination avec un autovaccin dirigé contre S. typhimurium permet une diminution de l’excrétion de salmonelles chez les porcs à l’engraissement, et ils concluent à l’intérêt économique d’une telle mesure de contrôle [8]. La recherche dans PubMed avec la même équation pour les brebis n’a apporté aucun résultat.

Ainsi, les études d’efficacité de la vaccination à l’aide des autovaccins sont peu nombreuses et pas toujours encourageantes. Toutefois, dans le cas des entérobactéries, l’instauration d’une réaction immunitaire semble avoir lieu et les quelques études chez le porc font état d’une relative efficacité sur ces espèces bactériennes.

La protection des veaux à la naissance est due à l’immunité transmise par le colostrum. Pour combattre une maladie qui touche les nouveau-nés de moins de 7 jours grâce à un vaccin, le passage par la vaccination des mères est obligatoire. Plusieurs vétérinaires ayant utilisé ces vaccins avant leur interdiction en 2003 déclarent avoir obtenu de bons résultats, notamment sur les colibacilles responsables de la “gastro-entérite paralysante” dans les années 1990 [6]. Les trois cheptels bovins où un autovaccin dirigé contre des souches d’E. coli non typables et CS31A a été mis en place, pour les protéger contre les septicémies et les diarrhées néonatales, semblent confirmer son intérêt dans cette indication.

Références

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  • 2. Capron M. Étude sur l’oxymétrie des veaux à la naissance. Thèse doct. vét. Alfort. 2019:100p.
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Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Lors d’épisodes récurrents de diarrhée et de septicémie chez le veau, l’étude des facteurs de risque est une première étape.

• Dans cet élevage, l’isolement et la recherche d’entérobactéries ont confirmé la présence de souches multirésistantes, voire totirésistantes.

• La mise en place d’un autovaccin a permis de contenir l’épizootie, même si les souches en cause sont toujours présentes dans l’élevage.

• Les études d’efficacité des autovaccins sont peu nombreuses et pas toujours encourageantes, en dépit d’une relative efficacité vis-à-vis des entérobactéries.

CONCLUSION

En dehors des considérations réglementaires et techniques, proposer un autovaccin dans le cadre des affections néonatales chez le veau est une gageure. En effet, il est compliqué d’avoir suffisamment d’éléments pour être certain de la souche bactérienne responsable de la maladie. Dans le cas présenté, l’éleveur s’est révélé motivé pour faire les analyses proposées (mais moins pour effectuer un autovaccin). Il a été possible de réaliser une enquête épidémioclinique relativement approfondie, qui a permis d’agir avec une quasi-certitude. Cela semble être, au vu des résultats de cette campagne de vêlages, une réussite thérapeutique qui pousse à encourager les vétérinaires à promouvoir l’usage des autovaccins. Il s’agit en effet d’une démarche hautement technique, valorisante et antibioresponsable.